Les parapluies de l’absence

Aurillac sans ton camarade

Était-ce encore Aurillac

La pluie fine et régulière

Tombait depuis trois heures

Inondait la ville de son gros chagrin

Suspendait ses spectacles de rue

Hormis quelques chanceux sous chapiteaux

La foule continuait pourtant à festoyer

Partout où elle pouvait s’abriter

Riait

Buvait

Chantait

Se réchauffait d’aligots sous les barnums

Et la soirée s’annonçait belle

L’eau et ses innombrables ruisseaux

N’auraient pas sur la fête le dernier mot

Et quand il n’y avait plus de spectacle

Les festivaliers se donnaient en spectacle

Et la bière coulait à flots

Coude à coude dans les gosiers

Car Aurillac c’était d’abord ça

Les copains les copines d’abord

Et cette année parmi cette foule

Tu marchais seul

Ton camarade n’avait pu te rejoindre

Aurillac sans ton camarade

Était-ce encore Aurillac

Avec qui partager tes coups de cœur

Avec qui échanger

De ce que tu venais de voir

D’écouter

Ces mots

Ces corps

Qui t’avaient ému ou fait rire

Avec qui parler

Avec les parapluies

Ton second ciel

Parler aux parapluies multicolores

Des femmes qui désiraient un enfant

Et quand elles l’avaient

Découvraient leur vie bouleversée

Joie

Peines

Regrets

Briser les tabous

Des choses qui ne se disaient pas

Le théâtre au-moins servait à ça

Parler aux parapluies

Tout leur dire

De tous nos exils

On ne quitte pas sa terre sans raison

Parler aux parapluies

Aussi de la vieillesse

Comment on la vit

Comment on voit peu à peu

Ses êtres chers disparaître

Comment on finit peu à peu seul

Encore plus seul

Quand on n’a pas d’enfants

Quand on n’attend plus que la mort

Qu’elle nous emporte sur ses ailes

Le théâtre comme un miroir

Nous renvoyait à nous-mêmes

On s’y retrouvait

Pas du tout

Un peu

Beaucoup

A la folie

Qui avait dit que le théâtre n’était pas essentiel

A l’heure du confinement

Le théâtre était ton second ciel

Mais

Aurillac sans ton camarade

Était-ce encore Aurillac

Tu recevais tes trois premières notes

A la scène slam de Lulu

Tes mots prenaient l’eau

Nageaient comme des dauphins

Soulageaient ton cœur de leur gros chagrin

Aurillac sans ses parapluies

Était-ce encore Aurillac

Thierry Rousse
Aurillac, mercredi 14 août 2024
"Une vie parmi des milliards"

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