De l’autre côté des clôtures

  • Nous avons atteint le plateau, un plateau haut, mais un plateau, Chef !
  • Vous avez fait du bon boulot, Adjudant ! Et ma cote ?
  • Elle monte, Chef, elle monte, votre cote!

Le Chef pouvait enfin desserrer sa cravate. C’est qu’il avait fait du bon boulot, le Chef, ces derniers temps… « – Les masques, où sont les masques, Adjudant ! – Vous les avez donnés, Chef ! – Donner ? – Inutiles tous ces masques, vous aviez dit, ça prend trop de place, on ne s’en servira jamais, faut faire du vide dans les armoires, changer d’air, la France est en marche ! – Et nos usines ? Qu’est-ce qu’elles font nos usines qui fabriquent des masques ? – Vous les avez fermées, Chef, nos usines ! – Fermer ? – Pas rentables, vous aviez dit, Chef ! – Bon, dites aux Chinois de nous fabriquer des masques, et que ça saute ! – Que ça saute ? – C’est une expression, Adjudant.  Dépêchez-vous, je n’ai pas envie que ma cote descende. Les élections sont dans deux ans. Nous avons atteint le plateau, n’est-ce pas ? – Oui, Chef ! »

Le plateau était atteint. Le ciel était bleu. Nous étions un Dimanche de Pâques. Je marchais. Mille pas, pas un de moins, pas un de plus. J’étais cette France qui marche. J’avais atteint le chemin interdit. Ce chemin de Compostelle, ce chemin que les Bretons, le long de la Sèvre, empruntaient pour se rendre à Compostelle. Je ne bougeais plus. J’étais face à la barrière. « Accès aux berges interdit sous peine d’amende ». Les amendes, ça rentre dans les dents, les amendes. Je les évitais scrupuleusement les amendes. Je saluais le séquoia, je saluais l’oiseau du séquoia. Je me tournais face au fleuve. J’étais sur la butte, immobile, à mille pas de ma maison. Il y avait des vieux piquets en bois et des barbelés devant moi, vous savez, ces clôtures d’autrefois. Je ne savais pas pourquoi mais je me sentais bien ici. C’était comme… comme si je sentais sous mes pieds les racines du séquoia, comme si la sève du séquoia remontait dans mes veines, me redonnait des forces. Je me sentais guéri, libéré de toute une civilisation aveuglée de consommation et de production illimitée. Enfin mes poumons respiraient. J’avais lu, un jour, que les arbres communiquaient entre eux par leurs racines. Je me sentais un des leurs, un arbre parmi les arbres. Mon cœur chantait. Je regardais ce pré, de l’autre côté des barbelés. Je ne sais pas pourquoi, là non plus, mais cette vision de ce pré, de l’autre côté des barbelés, me rappelait le plateau des mille vaches en Auvergne. Ces grands espaces entourés de barbelés, il fallait les franchir, le chemin passait par là. Il y avait des taureaux, disait-on. Je cachais mon foulard rouge de Renaud au fond de ma poche. Nous marchions vers Compostelle, vêtus comme de vrais pèlerins, une coquille accrochée au chapeau, une besace, un bourdon et une couverture qui faisait office de cape. C’était un moine de « La Pierre Qui Vire » qui m’avait offert cette couverture. « Elle vous servira » m’avait-il dit, le moine, derrière sa clôture. Je ressemblais derrière ces barbelés à un torero terrifié. Le taureau, où est le taureau des mille vaches ? Nous avions atteint le plateau. Ce n’était pas de tout repos d’être une France en marche.

Ce matin-ci, je ne franchirais pas les barbelés. J’avais atteint les mille pas. C’était le jour de Pâques et il n’y avait de chocolat caché dans le pré. Je ne desserrais rien non plus, je ne portais jamais de cravate. Je portais des bretelles rouges depuis peu, des bretelles pour tenir ma culotte trop large, j’avais maigri depuis le confinement et j’étais en sandales car l’été je mets des sandales, et nous étions déjà en été au mois avril. Je m’étais découvert de tous mes fils, ma casquette blanche sur ma tête pour couvrir mon crâne dégarni. J’observais. Il n’y avait pas de taureaux dans le pré. Des vaches écossaises et nantaises ? Non plus. Alors ? Je ne franchirais pas les barbelés car je n’irais pas à Compostelle aujourd’hui. Ce n’était pas le jour de traverser la France ni l’Espagne jusqu’au Portugal. Je pouvais être porteur du mot étrange, Covid-19, et ce ne serait pas un beau cadeau que je ferais à mon ami Jacques de lui offrir ce mot.

Les barbelés, je les avais franchis en 2013, un jour d’été, sur la colline de Taizé. Je n’étais pas seul, il faut l’avouer. J’avais rencontré une médecin aux rencontres oecuméniques initiées par le Frère Roger, assassiné un soir de prières. Frère Roger était un protestant qui cachait autrefois dans sa maison des enfants juifs pour les protéger pendant la guerre, je veux dire, la vraie guerre. « Alors, on les franchit ces barbelés ? – Oui ! C’était drôle, si drôle de se sentir enfin de l’autre côté !– A ton avis, nous sommes en zone libre ou en zone occupée ? » .Je ne savais pas, je ne savais plus. Il me semblait que nous étions, soudain, libres derrière ces barbelés. Les vaches nous regardaient d’un air curieux puis s’approchaient lentement. – A ton avis, elles vont foncer sur nous ? – Elles pourraient, nous sommes chez elles. Les vaches s’immobilisaient et nous regardaient de plus près. Je ne craignais rien, j’avais rencontré une amie médecin, Claire, elle s’appelait. Je ne comprenais pas pourquoi on employait toujours ce nom masculin pour désigner les femmes médecins, mais, là, n’était pas la question du jour.

Claire me parlait de son métier, elle était responsable d’un service de réanimation dans un hôpital de Seine-Saint-Denis. Lorsqu’elle était d’astreinte, à toute heure de la nuit, on pouvait l’appeler. Elle se levait aussitôt, déjà habillée, descendait l’escalier, montait sur sa moto et à toute allure fonçait à l’hôpital, c’était une question de seconde pour sauver une vie. Le lendemain matin, elle enchaînait sa journée de travail, une semaine complète, week-end compris, comme si elle avait bien dormi la nuit. Les conditions s’étaient dégradées à l’hôpital du service public d’année en année au point où Claire me disait : « C’est la vie de nos patients qui est en danger. » Les conditions de travail devenaient tendues et les charges administratives de plus en plus lourdes au détriment des vies humaines comme si un dossier comptait plus qu’une vie. L’hôpital du service public devait être rentable comme une entreprise, comme un hôtel, avaient déclaré les Chefs d’Etat successifs.  « Rentabilité » est égal « restriction budgétaire » ! Le Chef avait bien su les taire, ces soignantes et soignants rebelles, protestant dans la rue pour réclamer plus de moyens. « A coups de gaz, faites-les moi déguerpir, ce n’est pas bon pour mon image, Adjudant ! – A vos ordres, Chef ! Où sont les masques ? ».

Il me restait dix minutes, le temps de rentrer dans ma maison et de me confiner.

Dimanche de Pâques. Ma propriétaire m’invitait dans le jardin prendre un café. Il y avait là, Tonio, un jeune étudiant italien. Je me mis à éternuer. Je ne sais pas pourquoi mais je mis à éternuer, une fois, deux, trois fois, je me mis à éternuer. Un silence se fit. Tout le monde faisait semblant de ne pas me regarder et je faisais semblant de ne pas éternuer. Un mètre, deux mètres, trois mètres, je me levais et me reculais jusqu’à chez moi, derrière la clôture de mon corps, un doux ermitage, je me dis. J’aimais les murs en pierre de ma maison. Je grimpais l’échelle. Je me réfugiais au fond de ma mezzanine. Je pensais à Claire. Elle était peut-être au front à cette heure ? Je pensais aux victimes de la guerre. Je pensais aux habitants des tranchées de La Courneuve, isolés dans leur tour de béton. Je lisais « L’Humanité Dimanche ». J’apprenais page 40 que le département de Seine-Saint-Denis était le « premier en Ile-de-France à ne plus avoir de lits de réanimation. » C’était le département le plus touché en nombre de victimes. « Comment ça se fait, Adjudant ? – Les gens de la Courneuve vivent trop près les uns des autres, Chef. – Ce n’est pas une raison, Adjudant ! – Euh… les gens de la Courneuve parlent avec leurs mains, on n’y peut rien, Chef. – Coupez-leur leurs mains ! – A vos ordres, Chef ! … Chef… – Quoi, encore, Adjudant ? – Il n’y a plus de scie, Chef ! ». Le Chef resserrait sa cravate : « Décidément, on ne peut plus chasser les œufs tranquillement un jour de Pâques ! »

Le plateau était atteint.

J’étais réfugié ce Dimanche de Pâques sous un soleil estival. Je pensais à l’Italie, à mes voyages en Italie, je pensais à Assise, à Claire, à François, à l’un et l’autre, chacun séparé à un bout de la ville. Je pensais à  François qui allait s’isoler dans le creux d’un rocher. Je pensais à François qui embrassait les lépreux. Je pensais à François qui parlait aux oiseaux. Je pensais à mon Papa enfermé, par cette belle journée ensoleillée, un Dimanche de Pâques, dans sa chambre de l’Ehpad Beauséjour. Je pensais à François et à Claire qui priaient chacun de leur côté, de l’autre côté de leur clôture, et peut-être qu’ils s’aimaient, Claire et François… Je pensais à la vie, je pensais à la mort, je pensais entre la vie et la mort, entre la mort et la vie,  je pensais, derrière la clôture d’une vitre, je pensais aux  femmes et aux hommes en survie, un masque d’oxygène sur le nez, je pensais aux femmes et aux hommes, les premières lignes qui se battaient pour la vie des autres. Je pensais… J’aurais dû être médecin, je me dis, à cette heure, un Dimanche de Pâques sous ce ciel bleu ensoleillé. Je n’avais pas envie d’être en vacances. J’avais envie d’agir. Le plateau était atteint. Notre Chef parlerait lundi à 20 heures à toute la Nation. S’excuserait-il le Chef ?

Clôture : (Le Petit Larousse de Poche) « 1- Barrière qui délimite un espace, clôt un terrain : clôture électrique. 2- Action de terminer, de mettre fin à : clôture d’un scrutin. Séance de clôture : séance finale. »

Clôture : (Le Petit Rousse de Poche) « Là où il y a les ténèbres, que je mette la lumière. » François d’Assise.

Thierry Rousse

Nantes, Dimanche de Pâques, 12 avril 2020.

4ème récit, 28ème jour de ConfiNez

A un kilomètre de l’oiseau du séquoia, mille pas et bien au-delà

« Attestation de déplacement dérogatoire en application de l’article 3 du décret 23 mars 2020… ». C’était l’article 3. Les mesures se durcissaient. Nous étions en guerre, il fallait nous battre contre le Covid-19, avait dit notre Chef qui nous avait rassemblés, chacun chez nous,  autour de cet ennemi commun, le Covid-19. Notre moyen de défense, notre arme, c’était limiter nos déplacements, prendre nos distances les uns avec les autres.  Si nous voulions vivre et préserver les autres, nous n’avions pas le choix. Notre Chef l’avait dit. Il avait raison, le Chef, puisqu’il l’avait dit, le Chef. Nous avions peur de mourir et de voir nos proches mourir. Nous obéissions aux ordres. La peur nous faisait obéir. Nous pensions aux premières lignes débordées par l’afflux de malades, le flot de cas déclarés, le nombre de morts et d’heures de travail sans compter. Nous étions solidaires, nous les dernières lignes. Sortir le moins possible. Juste par nécessité vitale, ou, pour rendre service à la Nation. Il y avait sept cases.  La cinquième case, c’était la case des « déplacements brefs, dans la limite d’une heure quotidienne et dans un rayon maximal d’un kilomètre autour du domicile. ».  Dans le nouvel article, l’article 3, une durée était à présent imposée, une heure, et une distance aussi, un kilomètre autour de chez soi. La liberté se réduisait pour la bonne cause. Vaincre notre ennemi, le Covid-19. Tout déserteur serait sévèrement puni : une amende de 135 euros s’il était arrêté par la police, si son infraction à la loi était constatée. Tout déserteur était montré du doigt, il était l’allié de notre ennemi commun, le Covid-19. Au bout de trois arrestations, il était envoyé à la case « Prison », le déserteur.

Je ne serai pas déserteur, je n’aime pas la prison. Il ne me restait plus qu’à tracer un cercle d’un kilomètre autour de ma maison. Comment ? Je cherchais partout dans mes tiroirs. Non, décidément, je n’avais pas de mètre suffisamment long. Je réfléchissais. Qu’est-ce que cela peut représenter à vue de nez un kilomètre autour de ma maison ? Je m’interrogeais. Est-ce qu’il y avait un chemin au bord de l’eau, des arbres, de l’herbe, des fleurs, un paysage où je puisse marcher dans un rayon d’un kilomètre autour de ma maison ? J’avais besoin de respirer, besoin de marcher dans une nature sauvage, retrouver le courant paisible d’une rivière, voir les fleurs s’ouvrir, voir les arbres verdir, entendre les oiseaux chanter, voir cette nature sauvage, ces lieux où l’Homme ne pouvait pas ériger ses tours d’argent et de pouvoir, étendre ses couches de bitume qui sentent mauvais et gondolent au soleil. J’avais besoin de voir ces prairies humides où les vaches aimaient faire la sieste, ces roseaux, ces fleurs dont je ne me souvenais jamais du nom, cette terre glissante au bord du fleuve, là où il est dangereux à l’Homme d’aller, juste là, la voir,  les voir ces territoires où l’Homme ne pouvait pas aller, ces territoires réservés à la faune, à la flore, à ceux qui habitaient la Terre bien avant nous. je voulais voir, voir et respirer. Lire, imaginer ne me suffisaient plus. Je me sentais encore un peu fébrile. J’avais besoin d’air. Quitter ma mezzanine, descendre l’échelle. Je terminais ma lecture de ce livre que j’avais acheté, il y a plusieurs mois à « Vent d’Ouest », l’ancienne librairie du Lieu Unique, quand nous étions encore en paix : « Marcher » d’Henry D Thoreau.

Je notais sur mon carnet blanc cette phrase de Thoreau : « Si vous voulez faire de l’exercice, partez à la recherche des sources de la vie. »

Je cochais la cinquième case, je  notais l’heure de mon départ et je signais. Je venais de signer ma liberté. J’ouvrais enfin ma porte, je comptais mes pas, de un à mille, mille pas en tout un kilomètre, c’est bien ça ? Je n’ai jamais été doué pour le calcul mental. Premier pas, deuxième pas, troisième pas… Agrandir mes pas… Les allonger. En faire mille dans un si j’étais un géant… Traverser la petite place où le goudron étouffe la racine des platanes, longer le lycée désert des Bourdonnières, pénétrer discrètement cette zone pavillonnaire où les volets étaient clos, pas un bruit de porte, un camp désert, où sont les réfugiés ? Rester concentré. Compter mes pas. Je suis un géant. Prendre le passage piéton. Etre en règle. Une voiture au loin s’approche. Il restait bien un peu de vie humaine, bruyante et polluante, en ce monde.  M’enfoncer dans cet étroit passage sombre entre deux murs de pierres, où, en contrebas de la bretelle de l’autoroute, tout au bout, tout au bout ,au bout de l’obscurité de mes mille pas, la vie sauvage jaillissait. J’avais atteint les bords de la Sèvre. Je montais sur une butte. Le ciel était bleu, les oiseaux chantaient, j’y étais, mille pas, pas un de moins, pas un de plus, un kilomètre, ne plus bouger. J’étais en règle. Je n’aurais pas pu faire un pas de plus. Une barrière avait été posée au travers du chemin avec cette pancarte dessus : « Restez chez vous sous peine de punition ». Je n’étais pas puni. Je respirais.  J’étais libre. Un kilomètre et la vie sauvage au bout. Je pensais à tous les habitants des villes qui n’avaient pas cette chance. Injuste. Intolérable. Nul. Chaque maire de chaque ville devrait rédiger cet article 4 : « Obligation de préserver un espace de nature sauvage dans un rayon d’un kilomètre autour de chaque habitation. » Serait-il bien appliqué, cet article ? Arracher le goudron et laisser les arbres respirer, l’herbe pousser? Faudrait-il faire peur aux gens pour faire appliquer l’article 4 ? Leur parler du réchauffement climatique, par exemple ? Non, cela ne fait pas peur, Chef, le réchauffement climatique ! Pourquoi ? Il est loin, au Pôle Nord, le réchauffement climatique, vous comprenez, le réchauffement climatique, il ne nous concerne pas. Tout ce qu’on ne voit pas ne nous concerne pas. Et la Chine ? Ah, la Chine ! La Chine, derrière sa muraille, est loin, Chef, et, ce Covid-19 ne nous… Je posais mes pensées, me retournais, levais la tête et découvrais cet arbre que je n’avais jamais vu, ou peut-être, que je n’avais jamais pris le temps d’observer, un magnifique séquoia. Ce qu’il avait de formidable, de différent peut-être des autres séquoias, c’est qu’à sa base, son large tronc se séparait en deux troncs qui s’élevaient parallèlement, à égale distance, l’un de l’autre vers le bleu du ciel.

Au bas de la butte du haut de laquelle je contemplais cet arbre, venant du chemin défendu,  une dame âgée s’approchait de moi et me dit :

  • Vous l’avez vu ?
  • Euh…
  • L’oiseau, vous l’avez vu ?
  • Euh… Non…
  • Il a l’habitude de venir se poser sur cet arbre, l’oiseau, et de chanter.
  • Ah, bon…
  • Je dois rentrer chez moi, c’est l’heure. A demain, monsieur !
  • A demain, madame !

Je restais là sur la butte. Je regardais cette dame âgée rentrer chez elle. Elle venait du chemin défendu, cette dame âgée. Elle aurait pu se faire arrêter cette dame âgée. « J’ai besoin de me promener, une heure, chaque jour. Le matin, je fais ma promenade de ce côté-ci, une demie heure. L’après-midi, je fais ma promenade de ce côté-là, une demie heure. Vous savez, il n’y a rien à craindre, du moment qu’on a le papier sur soi, du moment qu’on marche, on est en règle. »

Du moment qu’on marche, on est en règle…

Je regardais le séquoia. Je n’avais pas vu l’oiseau. Dix minutes, il me restait dix minutes, je devais rentrer chez moi. Marcher. Je reviendrai demain, je reviendrai demain et peut-être que je verrai l’oiseau se poser sur l’arbre et chanter, et peut-être que je verrai l’oiseau sauter d’une cime à l’autre des deux troncs du séquoia parallèles et à égale distance l’un de l’autre, et, peut-être que je reverrai cette dame âgée venir du chemin défendu et me dire :

  • Vous l’avez vu ?

Séquoia : (Le Petit Larousse de Poche) «  Conifère de Californie qui atteint 140 mètres de haut et vit plus de 2000 ans. »

Je me sentais moins fébrile en me couchant. Demain, je repartirai à la recherche des sources de la vie. J’observerai le séquoia. Je guetterai l’oiseau venir se poser sur l’arbre et la dame âgée venir du chemin défendu et je lui dirai : je l’ai vu. Mille pas et bien au-delà…

 

27ème Jour de ConfiNez

Thierry Rousse, Nantes, 11 avril 2020.

L’Agenda symptomatique

La mesure était tombée : « A minuit, fermeture de tous les cafés, restaurants et théâtres de moins de 50 personnes ».

Tous les rideaux, toutes les fenêtres, toutes les portes se fermaient, en même temps, à minuit. Les rues se vidaient, l’espace de liberté se réduisait, c’était pour notre bien. « Votre bien ! » disait le Gouvernement en s’appuyant sur les avis des experts. Afin de réduire la propagation du Covid-19, il fallait éviter les contacts, les limiter à ce qui était nécessaire pour la vie de la Nation. Les cafés, les restaurants, les théâtres, ces lieux de convivialité, d’échanges, de plaisir, de culture étaient devenus des lieux dangereux, des lieux où le virus pouvait se propager à toute vitesse. Un postillon en parlant, un éternuement, une main posée sur une table, une poignée de porte, un verre, un comptoir, un robinet… et hop, le Covid-19 en profitait pour agrandir son territoire et passer de corps en corps pour vivre et se multiplier encore et encore… Le Covid-19, c’est ainsi que les scientifiques nommaient ce virus. Covid-19 portait  aussi le nom de « coronavirus », un nom plus exotique, certains s’en amusaient au début: « Deux Coronas achetées, une Mort Subite offerte ! ». Les amateurs de bière, seuls, comprenaient cet humour. Je riais, je riais jaune. Le rire était ma muraille de Chine. « Ça ne touche que les personnes de santé fragile, les sexagénaires, c’est triste pour eux … », on se rassurait comme on pouvait, jusqu’à ce qu’on apprenne que ça pouvait toucher des personnes plus jeunes, en bonne santé, il n’y avait pas de règle. On pouvait héberger le coronavirus dans notre corps, n’éprouver aucun symptôme, et contaminer les autres. Etrange arme. Un coup des chinois pour devenir les maîtres du monde ? Ah, ces Chinois, ils sont formidables… « Quand la Chine s’éveillera, le monde tremblera »… Le Tibet ne leur avait donc pas suffi ?

Je m’informais sur les réseaux sociaux. Je découvrais que je pouvais accéder à BFMTV en direct sur mon Smartphone. Heure par heure, je suivais la propagation du Coronavirus, euh… du Covid-19, soyons sérieux. J’écoutais tout ce qu’on pouvait dire à son sujet, sur sa provenance. Aucune frontière ne pouvait l’arrêter que celle de garder nos distances, un mètre, un mètre entre toi et moi, j’étais seul, comment faire ? Je gardais dès lors ma distance avec moi-même, un mètre entre moi et mon clown, désolé ToTTi… ToTTi, c’était le nom de mon clown. Son nez était bien rangé dans son joli coffret en bois, confiné au milieu de la table. Rien à craindre ToTTi, je ne te contaminerai pas. Je me sentais fiévreux cette nuit du samedi 14 mars 2020. Le lendemain, c’était le jour des élections municipales. Irai-je voter ? Prendrai-je le risque de contaminer les autres ou d’être contaminé par les autres en déposant dans cette urne mon bulletin de vote ? Le Gouvernement n’avait pas jugé utile de reporter les élections. J’irai voter en prenant toutes les précautions nécessaires, me laver les mains, ne toucher à rien, surtout pas la poignée, ouf, la porte était ouverte, me relaver les mains, garder mes distances, un mètre, ne toucher à rien, presque rien, prendre mon stylo, signer, prendre mon bulletin, le glisser dans l’enveloppe, glisser l’enveloppe dans l’urne, signer, vite, aller me relaver les mains ! « Hé, Monsieur, pourriez-vous nous aider ce soir pour le dépouillement ? » me demandait une gentille dame avant que je ne me précipite au lavabo. « J’aurais bien aimé, désolé Madame, j’ai peur… Vous êtes courageuse, vous, vous savez… » lui répondais-je.  Je quittais enfin cette urne. Je me relavais et relavais les mains. Avais-je bien voté ? Quelle drôle d’idée, tout de même, de ne pas avoir reporté ces élections…

Le Covid-19, sous son nom froid, mathématique, faisait effectivement plus peur que son nom exotique, « coronavirus ». La peur avait fini par s’introduire en mon corps. La menace était là. Je comptais les jours. Quatorze jours, c’était le temps d’incubation du virus. Le temps qu’il pouvait mettre avant de se déclarer. D’abord, on va bien, on croit qu’on va bien, on rit, on chante insouciant sous le ciel bleu. Les oiseaux chantent. Puis on se sent fiévreux … fatigué… On se met à tousser… A tousser… Et là, tout peut s’emballer, en 48 heures, c’est dans ces 48 heures seulement qu’on peut appeler le numéro d’urgence, là, qu’on peut enfin rencontrer le médecin, là, quand on commence à ne plus pouvoir respirer, là, il faut alors aller très vite, là, avant d’étouffer, là. Le Covid-19 est là, là, et seulement là, on le sait maintenant, on est atteint du Covid-19, il s’est déclaré dans sa toute majesté, c’est la forme la plus sévère du Covid-19, on sera  pris en charge, enfin, dans un couloir spécial, à part, loin des autres, rassurez-vous, on sera loin, très loin de vous. Je n’en étais pas là, qu’à un état fébrile, une sensation de fatigue, et toutes ces interrogations, ces souvenirs, le jeune homme qui toussait fort dans le train derrière moi ce vendredi 16 mars 2020 en revenant de La Roche-Sur-Yon…

J’en étais à songer à ma pneumonie, il y a quelques années, j’ai oublié cette année. Une terrible fièvre, jour et nuit, et des maux de tête qui ne me quittaient plus. J’avais vu le médecin, une première fois, qui m’envoyait aux Urgences : « Une grippe, c’est une grippe, il faut vous soigner et rester au chaud chez vous » me dit l’urgentiste. Je rentrais chez moi, seul. Au chaud, j’y étais, dans mon lit, incapable de me lever, terrassé par une terrible fièvre, des maux de tête tonitruants, une toux qui s’amplifiait et l’air qui commençait à me manquer. J’étouffais, j’appelais ma collègue, les Pompiers me conduisaient aux Urgences. « Il y a bien une tâche aux poumons », la radio est formelle, « ce n’est pas une grippe… ».  Je fus mis sous oxygène, masque, perfusions…  Il m’a fallu plusieurs jours pour m’en sortir. Le médecin ne savait pas de quel virus il s’agissait, « il y en a beaucoup, vous savez, des virus, on ne les connait pas tous ». Je n’ai jamais su son nom… au virus.

Lundi 23 mars 2020 : le confinement général est officiellement annoncé. Nous allons officiellement restés au chaud, du-moins certains, ceux qui ne sont pas utiles à la vie de la Nation, les autres sont au front, la Nation a besoin d’eux. « Restez chez vous, restez chez vous ! Non ! Pas vous ! Vous, vous allez au front ! Les autres, eux, ils restent chez eux et vous sont utiles en restant chez eux. Les autres, ce sont les dernières lignes. Vous, vous êtes les premières lignes, vous, les deuxièmes, vous, les troisièmes. Je me sens rassuré… Je suis dans les dernières lignes mais les dernières utiles sont utiles aussi, indispensables pour les premières lignes. Je suis une dernière ligne indispensable à la première ligne. Je rallume mon Smartphone :  « Restez chez vous ! Restez chez vous ! ». Ne criez pas si fort ! Je suis chez moi, et mon nez est confiné. Je prends mon agenda et je raye un à un tous mes prochains rendez-prévus : Apéro-concert à La Bouche d’Air, Abel Chéret, annulé. Répétition à La Goutte de Lait, Le K Barré des Klowns, annulé. Second tour des élections municipales, annulé. Animation de l’Atelier-théâtre à Saint-Nazaire, annulé. Répétition à Campbon, Mon Pot’agé, annulée. Spectacle au TNT, « Aigre-douce » par la Compagnie du Rivage, annulé. Spectacle au Théâtre de la Ruche, « Le début de l’A. » par la Compagnie O, annulé. Rencontre au Coop’Arts de Savenay, annulée. Animation du stage clown à Campbon, annulé. Formation « Rédiger son rapport d’activités », annulée. Rendez-vous, Bilan de compétences, annulé. Résidence de création au Centre culturel d’Horizinc à Bouvron, « La ferme des animaux » de George Orwell, annulée. Tout ce qui n’est pas utile la vie de la Nation, annulé, annulé, annulé !

Je regarde tous ces rendez-vous annulés, rayés d’une croix. Je respire. Je regarde les pages blanches et nulles. Je respire. Je me sens soudain si léger, libre comme une bulle d’air, plus rien à faire que respirer. Je pose sur le plancher de ma mezzanine mon agenda. Je respire. Je m’allonge. Je respire. Je regarde le plafond. Je respire. Je me sens soudain si seul. Je respire. Plus rien à faire que respirer. Je me sens fiévreux. J’attends. Quatorze jours.  Plus que treize jours à attendre… Je raye la première journée. Je regarde cette croix. Je respire !

Symptomatique (Le Petit Larousse de Poche » : 1 – Qui est le symptôme d’une maladie. 2 – Qui révèle un certain état des choses, un état d’esprit particulier.

Mardi 17 mars 2020, 8 heures, je respire.

 

Thierry Rousse, Nantes, le 10 avril 2020.

Mezzanine

Mezzanine… Mezzanine… Je n’avais pas dormi dans ma mezzanine depuis plus de deux ans, depuis que mon chat était tombé gravement malade, qu’il perdait du sang suite à une tumeur cancéreuse. J’avais pris l’habitude de dormir sur le lit d’en bas, un lit, qui, habituellement, faisait office de canapé. Là, je pouvais surveiller mon chat, prendre soin de lui. Il s’était rétabli aux beaux jours, mon chat, en allant dans le jardin, il léchait des pierres, il mangeait des herbes. Mon chat. Peu à peu, il parvenait à se tenir sur ses pattes, à marcher. Mon chat. Il mangeait de nouveau. Au tout début, il ne buvait que de l’eau. Puis il mangeait des crevettes que je lui coupais en tous petits morceaux, d’abord une, puis deux… Un miracle, mon chat était sauvé.  Mon chat ! Le vétérinaire m’avait proposé d’opérer mon chat  quand je le lui avais présenté,  dès que la perte de sang était apparue. Il n’était guère optimiste, lui donnait peu de chance de s’en sortir, étant donnée la grosseur de la tumeur. Je ne me sentais pas prêt de lui laisser mon chat, je lui demandais un délai. Je repartais avec mon chat. « Il ne faut pas tarder » me dit-il en me serrant la main. Je convenais de revenir dans deux jours. Les deux jours passaient, mon chat perdait toujours du sang. Le jour fatidique était arrivé, mon chat le sentait, j’avais peine à le faire rentrer dans son panier. Parvenu en face du cabinet du vétérinaire, de l’autre côté de la large route de Clisson, très fréquentée par les automobilistes,  mon chat se mit à miauler très fort comme un cri qui me disait : « Non, je ne veux pas mourir ! Ne m’emmène pas là ! Je veux rester avec toi ». Comment mon chat avait-il pu reconnaître le cabinet du vétérinaire ?  Il était dans son panier, ne pouvait guère voir grand-chose. Mon chat. Le cabinet du vétérinaire était de l’autre côté, de l’autre côté de cette large route de Clisson, de cette large route… Je fis demi-tour. Mon chat aura eu un répit d’une année, il aura pu profiter du jardin. Un an pour savourer de doux moments, des siestes avec mon chat, ronronnant dans mes bras jusqu’à cette fin d’année 2017. Il cessa de manger. Ses forces diminuaient. A cette époque je travaillais de nuit. Mon chat me vit partir, je le pris dans mes bras, il avait peur que je l’emmène, il se cachait sous le lit, je le rassurais et le posais délicatement sur le coussin que j’avais aménagé pour lui, en bas de mon lit. Le lendemain, de retour de ma nuit de travail, j’ouvrais la porte de ma maison. Ma maison était si silencieuse, comme un silence venu d’ailleurs. Un grand vide emplissait l’espace. Mon chat ne bougeait plus, il était sur son coussin, immobile, comme je l’avais délicatement posé avant de partir, le regard dirigé vers la porte. Je m’approchais, je compris vite, mon chat ne respirait plus, son corps était froid, dur.  Il semblait paisible. Je le pris dans bras enveloppé dans sa couverture, je pleurais. « Il est soulagé, me dis-je, il est au ciel, il ne souffre plus ». Mon… Je creusais un trou au fond du jardin,  l’enterrais, enveloppé dans sa couverture, et  disposais sur sa tombe un pot d’herbes, ces herbes qu’il mangeait pour se soigner, et une Vierge, une Vierge Marie  en plastique contenant de l’eau miraculeuse de Lourdes, cette eau que je lui donnais au tout début de sa maladie, une Vierge Marie en plastique qu’on m’avait offerte il y avait bien plusieurs années. Mon chat avait rejoint mon chien dans la terre tournée vers l’infini du ciel, le mystère de la vie.

Mezzanine… Mezzanine… J’avais rejoint ma mezzanine ce vendredi 13 mars 2020, de retour d’une répétition à La Roche-Sur-Yon. Dans le train vers Nantes, un jeune homme toussait très fort derrière moi. Il y avait une semaine qu’une amie m’avait alerté sur ce qui se passait en Chine. Elle me montrait les images sur BFMTV. Une ville déserte. Le virus s’était propagé dans l’est de la France lors d’un rassemblement évangélique, puis dans l’Oise. J’achetais dans un café le journal « Le Monde », je découvrais  la propagation du virus, le nombre de cas déclarés, le nombre de morts, en Chine, en France. Le Gouvernement déclarait le jeudi soir la fermeture des écoles jusqu’à nouvel ordre. Chouette, les vacances, l’école à la maison !…  Le soleil de printemps resplendissait, peu à peu les fleurs jaillissaient, les arbres retrouvaient lentement leurs feuilles, les oiseaux chantaient… Un air de douceur, de liberté… Je pensais que ce virus resterait en Chine, puis qu’il resterait en Alsace, puis qu’il resterait dans l’Oise, puis qu’il… je pensais…

Le lendemain, samedi 14 mars 2020, je me rendais à une réunion de travail, il fallait boucler un dossier de demande de subventions avant le 15 mars pour un événement que nous organisions à Nantes, un événement qui portait ce nom : « Le Village universel ». Je me sentais fiévreux, je gardais mes distances avec mes collègues. Si j’étais porteur de cette maladie, je ne souhaitais pas la transmettre. En quittant la réunion, notre mission accomplie, je portais la rallonge qui m’avait été demandée à mon Papa afin qu’il puisse avoir le téléphone près de lui, ce téléphone blanc que j’avais pu lui acheter avant que n’arrive ce drame. La porte de l’Ehpad « Beauséjour » était fermée, dès lors les visites étaient interdites. Un panneau l’indiquait. Ordre du Gouvernement. Il s’agissait de protéger les résidents vulnérables. Je comprenais. Je téléphonais. Une infirmière m’accueillit gentiment, elle prit la rallonge, je lui souhaitais « Bon courage ». La porte vitrée coulissante se refermait.

Je rentrais chez moi et je montais dans ma mezzanine…

Mezzanine (Le Petit Larousse de Poche) : « Nom féminin. Niveau intermédiaire ménagé dans une pièce haute de plafond. »

Je rentrais chez moi et je montais dans le niveau intermédiaire de ma pièce haute de plafond.

Chaque instant serait, dès lors, long maintenant.

Dimanche 15 mars 2020 : mon premier jour de confinement commençait officieusement. Je me retranchais dans ma mezzanine, allumant sur la table de chevet une lumière.

Nantes, le jeudi 9 avril 2020.

Ce qui me plait dans le clown?

J’ai découvert le clown en m’inscrivant à un atelier hebdomadaire dirigé par Jean-Luc Mordret ( Passage Clowns) à Vaux-le-Pénil, près de Melun, il y a plus de 10 ans maintenant!

Ce que j’appréciais dans son approche, c’est qu’il nous accueillait tels que nous étions et dans l’état que nous étions lorsque nous arrivions à l’atelier: heureux, enthousiastes, fatigués, épuisés moralement ou physiquement, tristes…

Il y avait quelque chose de profondément humain, de sincèrement « vrai », « unique », « original ».

Le fait d’être accueilli tel que j’étais et dans l’état que j’étais, déjà, me procurait un sentiment de bien-être.

Tout devenait matière pour le clown.

Au fil des exercices, des jeux, je repartais de l’atelier rempli d’énergie positive, avec cette envie de pouvoir transmettre ce que j’avais reçu.

J’avais le sentiment d’appartenir à un groupe profondément humain, fraternel, authentique.

Nous étions chacun différents, uniques, et nous nous enrichissions de nos différences. Je pense toujours à mes amis clowns comme Boris et à Sécotine qui nous a quitté, un jour, pour rejoindre le ciel. Atteinte d’une leucémie, Sécotine était revenue jouer avec nous et nous avait  offert un solo de toute beauté, sur un rond de lumière qui la suivait…

Jean-Luc nous incitait à découvrir d’autres approches du clown, d’autres transmetteurs, car le clown, comme le conte, est un art qui se transmet.

Ainsi j’ai participé à des stages dirigés par Agathe Poirier, à Pontault-Combault ( Poussières de vie, poussières de rires) où nous expérimentions les lâchers de clown à travers la ville.

Le clown a une existence propre, où qu’il soit, et pas seulement sur une scène, je dirais, surtout pas seulement sur une scène, là où il est et avec ce qu’il rencontre: un trottoir, une fleur, un passage piéton, un passant, un chien, une fontaine… Le clown découvre, observe, touche, explore, est à l’écoute de ce qu’il ressent, et comme un enfant, s’amuse de tout. La vie devient un grand jeu, un formidable jeu ! Cela me fait penser à ce film qui m’a beaucoup ému: « La vie est belle » de Roberto Benigni. Je vous invite à le voir.

Je me suis également rendu à Epinal pour participer à un stage dirigé par Philippe et Christel Rousseaux ( Cie Nez à Nez). J’y rencontré l’exigence, le travail…

Souvent, j’entendais répéter: il faut du temps, beaucoup de temps avant d’être clown…

Le temps peut-être d’une grossesse, une grossesse qui prendrait plus de temps que prévu?

J’ai même flirté avec le clown traditionnel en devenant Pépito, apprenant des numéros dans un cirque traditionnel et les jouant chaque soir durant un été entre Antibes et Ramatuelle. J’y ai appris à monter, démonter un chapiteau, des gradins, faire la publicité dans les camping, vivre dans une caravane… Clown polyvalent! Avant d’être clown, le clown était un garçon de pistes, il paraissait derrière les chevaux pour ramasser leurs crottes. Un jour, il se prit, un coup de sabot, fit une pirouette, et cela fit rire tout le public. Le clown était né, le clown était nez!

Par la suite, je découvrais la pléthore de formations Clown qui existaient par-ci et par-là et continuent à ce jour de se multiplier. Alors, tout devenait compliqué dans ma tête,  tout était si intellectualisé quand je lisais les intitulés et les programmes pédagogiques… Comme un besoin de parler et de parler d’un sujet qui nous est, au fond, inconnu, qu’on ne maîtrise pas vraiment, dont on ne peut faire le tour, qui nous échappe quand on veut le saisir.

C’est bien là, ce qui me plait dans le clown, cet art de la liberté , de juste m’enfuir là où on voudrait me ranger dans une case, un programme, un diplôme. Je n’ai pas encore compris comment on pouvait délivrer un diplôme de clown, tel que cela est énoncé dans le cursus du Samovar, cette école de référence dans le milieu du clown. Est-ce par humour que ce diplôme a été créé?

Il y a les clowns, les diplômés, et les pas clowns, les non-diplômés.

Reproduire cette société de castes que justement les clowns font exploser, n’est-ce pas paradoxal?

Dans une époque, et, surtout la nôtre aujourd’hui en France, où il faut savoir un tas de choses, être hyper-compétent et obtenir des résultats probants pour pouvoir exercer tel travail et espérer le garder, un travail qui sera régulièrement contrôlé et évalué, d’ailleurs, un travail souvent payé au Smic, ce qui me fait bien rire, ce qui me plait dans le clown, c’est que l’art du clown propose tout le contraire: vider ma tête, la poser à côté de moi, laisser là tout ce que je crois savoir, être, savoir-faire, laisser là tout mon paraître, et être, être vraiment qui je suis, ici et maintenant.

Les personnes simples, naïves, spontanées, celles qu’on dit handicapées, fragilisées par la vie, cabossées,  les personnes entières, authentiques, c’est peut-être bien  ces personnes qui me touchent.

Seul l’être qui a les mains vides est en capacité de recevoir.

Je dirais que le clown est l’art d’être profondément soi-même, un être de désir.

Etre tout simplement, et, désirer.

Vivre, pleinement et profondément, l’instant présent.

Creuser et creuser encore!

Le clown se nourrit de tout, et, surtout de ses fragilités, de ses failles, de ses bides, de ses imperfections.

Puis il s’en amuse, oui, surtout plus il s’en amuse, plus il en rit, il en pleure, il en fait tout un monde, un imaginaire, un voyage étonnant.

Tout est possible pour le clown. Le clown n’a pas de limites, et les règles qui lui sont fixées sont précisément ce qui lui permet d’en jouer, de s’en amuser.

Toute règle est un jeu pour le clown car le clown voit bien au-delà. Il a sans doute un sens qui échappe au monde de la raison. Serait-il un visionnaire?

Dans une société où on nous demande constamment d’être performants, le clown répond par: soyez vous-mêmes! Lâchez cette pression qu’on veut vous imposer ou que vous vous imposez vous-mêmes!

Mettez votre nez, laissez-le vous guider et tout ira bien, tout ira mieux!

Certes, le clown peut déranger, car on a bien du mal à le ranger dans une case, comme un ressort, il rebondit à chaque fois de la boîte à musique où on voudrait le ranger, il échappe  à toutes les institutions qui voudraient l’enfermer, le canaliser, l’éduquer. Et, paradoxalement, le clown attire, fascine… Pourquoi? Est-ce que je rêve d’être aussi libre que lui?

A ces multiples stages qui m’étaient proposés, faute de revenus suffisants, j’ai choisi d’apprendre en jouant.

Jean-Luc Mordre organisaient des scènes ouvertes au café de la médiathèque de Melun, L’Astrolabe… Que d’excellents moments ai-je pu y vivre avec mes partenaires de jeu et le public, orchestré par notre fameux Monsieur Loyal Jean-Luc!

Aller là où ça me faisait peur, découvrir des territoires inconnus, en moi et à l’extérieur de moi, Jean-Luc m’y encourageait.

Je n’ai de limites que celles que je m’impose.

Et le bide? Qu’importe? C’est le domaine de prédilection du clown! Le clown se nourrit du bide.

C’est cet élan qui m’a amené à partir jouer en 2010 au festival d’Avignon, dans la rue, dans le off du off, soutenu par Jean-Luc, mes ami-e-s clown-e-s et Alexis, mon pote du collège, qui m’avait dit: Si ToTTI  (le nom de clown que je m’étais trouvé, rassemblant les premières lettres du prénom de mon chien et de moi) va à Avignon, je le suis!

De cette aventure, Alexis m’avait offert un livre composé des photos qu’il avait prises de ToTTi, en toute discrétion, sans que je le sache…

Faute de moyens financiers, me retrouvant en pleine campagne, sans voiture, je ne pouvais plus me rendre à l’atelier hebdomadaire, ni participer à des stages.

Le clown m’a manqué, j’ai traversé un désert, il était là en moi, j’avais envie de le retrouver, quelque chose m’y empêchait, quoi?

Je changeais de région, quittant la Seine-et-Marne pour la Vendée puis pour Nantes.

Retrouver Jean-Luc en Vendée fut l’heureuse occasion de m’y remettre.

Nous avons rejoué « Strip Tiz » lors d’une fête à Brétignolles-sur-mer et à Nantes sous un chapiteau au « Cabaret des loups » , un festival organisé par les Barons Perchés. J’ai pensé à Sécotine qui jouait avec nous ce trio, du temps de « Passage Clowns ».

Christophe, un ami, souhaitait que je l’aide à monter son solo. Je lui répondis à l’époque: je ne m’en sens pas capable, mais jouer avec toi, je veux bien. C’est ainsi qu’était né « Les BatOclowns », un théâtre clownesque sans parole. L’occasion de nous retrouver face à un public en le jouant un été sur le Remblai des Sables d’Olonne.

Etait-ce vraiment du clown?

Peut-être du théâtre?

Suis-je vraiment clown?

Au fond, je l’ignorais.

C’est quoi être clown?

Toujours cette question qui revenait: être ou ne pas être?

Cette question me fait rire au fond et est en soi déjà un sujet de spectacle: Suis-je clown?

Je rencontrais Yann Terrien à Nantes le temps d’un court atelier de 3 heures, « comment créer son solo », puis Claudia Nottale, séduit par son approche sensorielle du clown.

Ce fut l’amorce d’un duo avec Jacky Allonville sur le thème: « Seul, on va plus vite, à deux, on va plus loin. » Plus vite ou plus loin?

Le début également d’une nouvelle aventure avec mes amis de rencontres, Julie, Christophe, Déborah…, « Le K Barré des Klowns », sous la direction artistique de Jean-Luc Mordret.

De là à songer à animer un atelier « Découvrir son clown », j’en étais loin. C’est Déborah qui me le proposa, pour les habitant-e-s de son village.

Et, ce sera ce dimanche 12 janvier, un stage organisé par l’association Acante !

Transmettre ce qui m’a été transmis, le plus précieux, comme un trésor, un nez?

Jean-Luc nous disait:

Savez-vous pourquoi le clown a un nez rouge?

A force de se prendre des portes, son nez est devenu tout rouge!

Un nez, ce plus petit masque au monde, qui me révèle, pleinement à moi-même, l’infinitude de qui je suis…

Thierry Rousse, Nantes, le 8 janvier 2020.

 

 

 

 

 

Mon Pote Agé: Théâtre côté Jardin 3 – Le Jardin de Corinne

En visitant « Le jardin de Corinne » à Grosbreuil en Vendée durant l’année 2019, je fus impressionné par la quantité et la diversité des légumes cultivés.

J’appris par Corinne qu’il y avait, auparavant, ici, qu’un pâturage.

Ces légumes ont pu pousser grâce à l’apport d’engrais naturels, le paillage et le travail manuel .

Pas de tracteur, ici ! « Mes outils ce sont mes mains, me dit Corinne, une fourchette et un plantoir ».

Corinne prit le temps de m’expliquer, autour d’une délicieuse tisane, le rôle de la biodiversité. Je découvrais que la limace avait aussi son importance dans le jardin, en mangeant les feuilles de salade abîmées. Chaque être vivant a un rôle à jouer, rendant possible l’existence des autres.

C’est en me promenant dans le jardin de Corinne que j’ai pu définir un fil conducteur pour mon spectacle « Mon Pote Agé ». Théo Brin de Paille ferait visiter son jardin à Barnabé !

Le parcours commencerait par l’eau, cet étang à l’entrée du jardin, surplombant la colline. Une eau si calme, si apaisante où le ciel venait s’y contempler. Au lointain,  les collines du bocage vendéen s’offraient à mon regard.

Un peu plus bas, sur la droite, il y avait la « cabane du jardinier » qui était en l’occurrence, ici-même, une femme ayant fait le choix de quitter la ville et son métier de libraire pour cultiver ce pré selon les principes de la permaculture et y vivre.

Derrière la cabane se cachait le poulailler.

Au bout du poulailler, un chemin menait au potager en forme de mandala.

En son milieu, était la cabane du hérisson.

Un peu plus bas, se trouvait le chêne aux abeilles.

Paraît-il que des abeilles étaient venues se réfugier dans une cavité de son tronc.

Le long de la haie, de retour vers l’entrée du jardin, je pus apercevoir, en me plaçant à l’endroit indiqué par Corinne, le visage d’une femme dessiné dans le tronc d’un arbre. Effet d’optique lié à la nature du tronc qui laissait champ libre à mon imaginaire.

Il est arrivé, une fois, qu’on me dise: « Et Théo Brin de Paille, il n’a pas de femme? »

C’est vrai qu’on ne l’entend que s’adresser à cet enfant, Barnabé, et que parler de ses légumes, ses fleurs, son âne, ses abeilles, sa terre, sa fée Clochette…

Et si la femme de Théo Brin de Paille était justement dans cette part de mystère, d’inconnu?

Cette fée Clochette qui le guide, veille sur lui, lui joue des tours.

Cette fée qui le ramène toujours à son enfance.

Et si la femme de Théo Brin de Paille était  la nature elle-même, la Terre nourricière, celle qui donne la vie?

Une femme présente en chaque élément naturel qui nous émerveille?

Cette absence apparente de la femme dans « Mon Pote Agé » révèle, au fond, sa présence permanente.

Tout dépend du lieu où je me place.

Si je me place au « bon endroit », l’invisible se fait pour moi visible.

N’est-ce pas, là, le jardin secret de Théo Brin de Paille?

Un chemin qui commencerait par la vie et finirait par la vie?

Un jardin où chaque instant, chaque pas révéleraient à l’être qui se place au « bon endroit » l’invisible ?

 

Thierry Rousse, Nantes, 28 décembre 2019.

 

 

 

Mon Pote Agé: Théâtre Côté Jardin, rencontre avec Le Jardin d’Yvonnick (2)

Théâtre Côté Jardin

Après avoir joué plusieurs saisons, de 2007 à 2013, un spectacle pour le jeune public en déambulation dans les jardins à la française du château de Vaux-Le-Vicomte, j’avais envie de découvrir les autres jardins:  les jardins potagers, les jardins où on laisse pousser la nature !

Je pris ma plume, ou, plutôt mon clavier d’ordinateur, et, j’ai écrit à des jardins dans les Pays de La Loire où je m’étais établi fin 2013.

Le premier jardinier qui m’a, aussitôt, répondu fut Yvonnick, créateur du Jardin 44 des 5 Sens à La Baule Escoublac et maraîcher bio.

Je fis sa connaissance  un jour de pluie. Par enchantement, le soleil fit son apparition en début d’après-midi.

Yvonnick me fit visiter son jardin, un jardin où il avait à coeur de se faire se rencontrer les cultures, culture des légumes et culture de notre âme d’enfant, poétique et créatrice.

Yvonnick issu d’une famille de maraîchers a travaillé depuis tout jeune dans les champs. Un métier exigeant où l’on se lève tôt et où on se couche tard. Un métier qui laisse peu de place aux loisirs, à la détente. Un métier peu rémunérateur, peu valorisé.

Un jour, Yvonnick vit le film « Peter Pan ». Ce film l’a profondément ému. Ces personnages comme Fée Clochette parlait à son coeur d’enfant.

Yvonnick avait besoin de se retrouver, de prendre du recul par rapport à son travail de maraîcher.

Il est parti en Inde, un voyage qui l’a bouleversé.

De retour, il a pratiqué la biodanza et y a découvert l’épanouissement du coeur, de l’âme, du corps.

Ce cheminement l’a amené à créer le Jardin 44 des 5 sens, ce jardin où les cultures se rencontrent autour de nos cinq sens.

Dans ce jardin, il a souhaité introduire la poésie au coeur de ses serres, partager l’art de son métier aux enfants, leur parler des graines, les amener à toucher la terre, y planter des graines, les voir grandir, puis en cueillir les fruits et les savourer.

Fée Clochette est devenue l’emblème de son jardin, la Fée protectrice du jardin, la guide, cette Fée qui nous invite à retrouver notre âme d’âme, libre et créatrice, en communion avec la nature, dans la pleine conscience de l’instant présent.

Je partageais à Yvonnick mon projet: m’inspirer de son jardin pour créer mon nouveau spectacle: « Mon Pote Agé ».

Yvonnick a accueilli avec joie mon projet.

Notre enthousiasme nous amenait à voir plus loin: accueillir d’autres artistes, conteurs, clowns, musiciens, marionnettistes, poètes… créer un théâtre de verdure… monter un festival !

L’esprit de l’ouverture, des rencontres, du partage nous animait.

Ce projet  s’est réalisé durant l’été 2018 après trois mois de préparation dont plusieurs chantiers participatifs et la formation d’un collectif nommé « Le Kollect’IF » en référence au poème de Kipling: « IF ».

Durant ce festival, j’y ai présenté « Mon Pote Agé » inspiré du Jardin d’Yvonnick.

De ce belle rencontre, est apparu dans mon spectacle le personnage de Fée Clochette, l’amie de Théo Brin de Paille.

J’y parle de l’eau, de la terre, des graines, des légumes, et de notre âme d’enfant. J’y fais se rencontrer les cultures.

Théo Brin de Paille est un jardinier-poète, attentif à ses plantes, reconnaissant à la nature pour tout ce qu’elle lui apporte.

Théo Brin de Paille transmet à Barnabé, un enfant, son amour de la terre, son art d’être jardinier.

Théo Brin de Paille aime aussi raconter à Barnabé des histoires que lui souffle sa Fée Clochette, des histoires inspirées de ses légumes: la citrouille, le carrosse de Cendrillon; le petit pois, la princesse aux petits pois… des histoires qu’on se transmettait de génération en génération et qui se transmettent encore aujourd’hui.

La tradition orale, le conte, est le patrimoine du peuple, des gens qui étaient souvent peu considérés, peu reconnus, pauvres.

Un patrimoine aujourd’hui très riche en histoires colportées, un patrimoine universel qui nous relie les uns aux autres de génération en génération.

Théo Brin de Paille aime aussi s’amuser, jouer, jouer des personnages, jouer au théâtre pour raconter à Barnabé la « fabuleuse histoire de la pomme de terre » ou encore l’histoire de la tomate, originaire des Andes, cette tomate qui ressemblait à une cerise jaune, qui poussait à l’état sauvage, cueillie par les Incas, qui était appelée la « pomme d’or » ou encore la « pomme d’amour ».

Dans le spectacle, la tomate devient un nez de clown, un clin d’oeil à l’enfant libre et créatif qui continue de vivre en chacun de nous.

Il ne tient qu’à nous d’aller le retrouver et l’autoriser à s’exprimer!

« Mon Pote Agé », un spectacle de conte et de théâtre, à la rencontre de deux disciplines, inspiré de ma rencontre avec Yvonnick et de ma découverte son jardin.

Un spectacle qui a continué d’évoluer au fil de mes rencontres…

Suite au prochain épisode avec le Jardin de Corinne !

Thierry Rousse,

Nantes, 30 novembre 2019.

 

 

 

 

 

 

Mon Pote Agé, rencontre avec les jardiniers -1

« Mon Pote Agé »…

Qui est-il?

Existe-t-il?

Comment s’appelle-t-il?

Théo Brin de Paille, un drôle de nom !

Théo Brin de Paille est peut-être le grand-père rêvé de Barnabé, celui qu’il aurait aimé rencontrer, étant enfant, ce grand-père qui nous transmet son savoir-être, son savoir-faire, sa sagesse, son amour pour le Vivant.

Un Pote Agé imaginaire donc? Qui serait le fruit de l’imagination de cet enfant dont je parle, Barnabé? Une part de nos rêves, de notre jardin secret?

Sans doute…

Un rêve lointain qui remonterait à la sagesse des Anciens, peut-être à celle des Amérindiens considérant la nature comme sacrée.

Un jardin idéal, utopique rêvé depuis des siècles…

Et peut-être un peu la réalité aussi? La réalité de ces jardiniers, qui, un jour, ont voulu réaliser leur rêve?

Des jardiniers? Des femmes et des hommes comme vous, comme moi… certain-e-s connaissant le milieu de la terre, d’autres, pas…

J’ai commencé par les connaître dans mon entourage en me promenant dans leur jardin, en les voyant jardiner, en jardinant moi-même, bien humblement… car il faut avoir du temps pour jardiner, être constant, régulier, être présent à son jardin, temps, hélas, dont je manque.

Ce fut une rencontre , un coup de coeur pour tous ces jardins désordonnés où tout pousse dans la joie et la bonne humeur, les bonnes comme les « mauvaises » herbes, où une salade soudain apparaît entre les poireaux, où les courges aiment à gagner du terrain, où un pommier vient se planter là au milieu des légumes, tout ce monde, ma foi, s’entend bien, et les fruits comme les topinambours abondent, délicieux, de l’été à l’hiver…

Mes premières découvertes, le jardin de Danielle, Présidente de la Compagnie L’Arbre à Palabres, en Vendée, puis le jardin partagé où j’habite à Nantes, un jardin clos, un havre de paix, un coin de paradis…

J’ai cultivé mon goût du jardin à travers des lectures également, notamment les livres de Pierre Rabhi.

Lire est une chose importante et m’a donné l’envie de rencontrer tous ces jardiniers épris d’une autre vie, d’un idéal pour eux-mêmes et pour les autres.

Je me suis mis à écrire à des jardiniers en leur exposant mon projet.

Le premier jardinier qui m’a ouvert son jardin fut Yvonnick…

Je vous le ferai découvrir dans mon prochain article…

A bientôt !

Thierry Rousse

Nantes, 20 novembre 2019

 

Le p’tit grain de sable et les océans

Conte et théâtre miniature "Le p'tit grain de sable"

Le p’tit grain de sable et les océans

conte et théâtre miniature

« Le p’tit grain de sable »

Spectacle à partir de 3 ans

« … ça fait des jours et des jours que Pierrot ne pêche plus aucun poisson, quand, soudain… »

… apparaît un joli petit poisson qui découvre dans l’eau l’épuisette de Pierrot.

« Qu’est-ce que c’est? se demande le poisson, un jardin au fond de l’océan? Chouette! »

Le poisson se faufile dans l’épuisette.

Pierrot sort son épuisette: « Un poisson! Mon Amélie va être heureuse¨ »

« Relâche-moi, supplie le poisson, je veux remonter le courant de la rivière pour grandir moi-aussi ! ».

A travers cette histoire, je souhaite alerter le public sur l’état actuel des océans et de la vie de ses habitants.

Julien Wosnitza rapporte dans son ouvrage « Pourquoi tout va s’effondrer » (édition Les Liens qui libèrent) les faits suivants constatés par les chercheurs: « on estime (…) que les océans seront vides en 2048. On ne parle pas d’une annihilation totale de la vie marine, mais de l’impossibilité de pratiquer tout type de pêche sur le globe pour cause de populations de poissons trop faibles. C’est principalement à cause de la surpêche, qui tue chaque année environ 950 milliards de poissons, dont quasiment la moitié sont rejetés par-dessus bord, morts, car ils ne correspondent pas aux espèces recherchées. »

Peu à peu, l’océan devient un désert.

Par ailleurs, l’eau y est de plus en plus acide du fait de notre surproduction de CO2: « …lorsque l’eau absorbe du CO2, elle s’acidifie (…) le phytoplancton ne survit pas dans des eaux trop acides. De plus, une eau acide fait simplement se dissoudre le corail, autre pilier de nos océans. »

Pierrot décide de relâcher le petit poisson. Celui-ci remonte le courant de la rivière des marais jusqu’à sa source, là où l’eau disparaît dans la montagne. Grâce à sa persévérance, il est récompensé, il s’envole, et est nommé « La Dragon du ciel et des océans ».

Dans ce passage, relevant à la fois de la réalité et de la science-fiction, je fais référence aux poissons de la mer des Sargasses traversant l’océan atlantique pour pondre dans les rivières des marais bretons-vendéens, et, à une légende asiatique: les carpes remontant le courant des rivières, récompensées pour leur courage, s’envolent et se transforment en dragons. Certains dragons ont pour mission de veiller sur l’océan.

Le rêve des poissons, à travers mon histoire, est de pouvoir s’envoler, quitter leur milieu naturel, l’océan, qui est devenu, pour eux, de la faute de l’espèce humaine, un lieu hostile, où il ne fait plus bon vivre. C’est leur seule échappatoire.

Cette fable, qui peut sembler amusante, souligne la gravité de la situation, un réel état d’urgence de l’espèce animale.

L’espèce humaine est responsable de cet état de fait: elle a rendu le milieu de vie d’une autre espèce invivable.

Le petit poisson voyant l’épuisette verte pense qu’il s’agit d’un jardin, il y entre, tellement heureux de retrouver de la vie, et le voici piégé.

Heureusement, dans cette histoire-ci, Pierrot réfléchit et fait passer l’intérêt du poisson avant son propre intérêt.

Pierrot sera récompensé. Le petit poisson, transformé en dragon,  donnera à Pierrot pour son Amie Amélie, une huître géante. Dans cette huître géante, se cache une perle magique. Grâce à cette perle magique, Pierrot et Amélie retrouvent leur enfance: la capacité à s’émerveiller et s’aimer.

Et si l’espèce humaine redécouvrait le monde, la beauté de la Terre, ce milieu qui l’accueille pour y vivre, y grandir?

Et si l’espèce humaine retrouvait sa capacité à s’émerveiller, à faire passer l’intérêt de l’autre avant son propre intérêt?

Et si l’espèce humaine ré-apprenait à vivre en harmonie avec les autres espèces?

Et si l’espèce humaine ré-apprenait à être humble?

Et si l’espèce humaine ré-apprenait à aimer?

« Le p’tit grain de sable » nous montre ce chemin.

Respecter l’océan, c’est respecter la Terre, l’Univers et toute Vie qui y apparaît.

Thierry Rousse, Nantes, dimanche 2 décembre 2018

Conte et théâtre miniature "Le p'tit grain de sable"
« Le p’tit grain de sable » Répétition à La Goutte de Lait, 27 novembre 2018- Photographie Francis Lempérière

 

Le p’tit grain de sable « Pareils, pas pareils? »

Conte et théâtre miniature Pêcheurs d'histoires

Les thématiques développées à travers le spectacle « Le p’tit grain de Sable » apparaissent sous une forme ludique, accessibles à des enfants à partir de 3 ans.

Elle se présentent comme des pistes de réflexion qui peuvent être reprises sous forme d’échanges après le spectacle avec les enfants et les adultes dans le cadre par exemple d’un « atelier-philo ».

 

L’une des thématiques du spectacle  aborde le sujet: « Pareils, pas pareils ».

« Pareils » : ce qui nous est commun, universel, ce qui nous rassemble : l’enfant qui vit en nous.

Les atouts de l’enfant sont notamment son esprit de curiosité, son imagination, sa créativité, sa découverte du monde, des objets qui l’entourent, sa capacité à détourner les objets de leur utilisation usuelle. Les objets deviennent un partenaire de jeu avec lesquels l’enfant aime inventer et raconter des histoires.

Cet enfant « libre et créatif » demeure à travers nous, à travers les âges, si nous prenons le temps de nous reconnecter à notre « enfant intérieur ».

La pratique du Clown, « découvrir notre clown » est l’un des chemins qui nous permet de nous reconnecter à l’enfant qui vit en nous.

La forme du spectacle repose sur cette proposition : ce qui nous rassemble, ce qui est commun, universel, « l’enfant qui vit en nous ».

L’interprète joue avec des figurines autour d’un théâtre miniature, invente et raconte des histoires avec ces figurines et les objets.

Un béret de marin, par exemple, devient pour lui un « petit chapiteau bleu avec son nez de clown ». « Si j’entrais dedans ? » demande-t-il avec complicité au public.

Les deux personnages de l’histoire, Pierrot et Amélie, ayant vieilli, se retrouvent également « enfants » grâce à la perle magique.

L’enfance nous permet de passer de la réalité à la fiction, et, de regarder également autrement la réalité, avec un regard neuf, émerveillé, enjoué, créatif.

 

« Pas pareils » : ce qui nous différencie, ce qui peut nous faire peur, ce qui nous permet de nous découvrir, nous enrichir mutuellement.

A travers l’histoire, le personnage de Pierrot découvre « l’autre » qui n’est pas pareil que lui, ces êtres qui appartiennent à un autre univers, un univers imaginaire avec la Sirène et le Dragon, un univers marin avec le poisson, les fruits de mer, l’huître, un univers mystérieux avec la perle au fond de l’huître.

Ce qui n’est pas pareil peut nous faire peur parce qu’il nous est inconnu et qu’on ne connaît à son sujet que ce qui nous a été raconté sur lui.

Pierrot se méfie de la Sirène quand elle l’invite à le suivre dans le Palais du Dragon au fond des mers. « Tu veux me séduire et m’engloutir au fond des mer, n’est-ce pas ? » lui dit-il. « Qui t’a dit cela ? » lui demande-t-elle. « Les marins sur le port » lui répondit-il.

Ce qui se dit, se colporte de bouche à oreille peut engendrer de fausses croyances, des peurs qui persistent à travers le temps. Longtemps, la Sirène fut représentée comme une menace pour l’être humain.

La peur vient de l’image qu’on peut se faire d’un autre être, de ce qui nous a été dit sur lui ou de la manière dont on se le représente. Nous avons par exemple la vision occidentale, médiévale du « Dragon », un être terrifiant qui crache du feu. Pierrot est peu rassuré quand il rencontre le Dragon. « N’aies pas peur, je suis un Dragon gentil, je veille sur l’océan et tous ses habitants » dit le Dragon à Pierrot.

L’histoire « Le p’tit grain de sable » librement inspiré d’un conte coréen « le chien, le chat et la perle magique » nous invite à découvrir une autre culture différente de la nôtre, la culture asiatique avec ses légendes, ses symboliques, où le Dragon a une toute autre signification.

 

Ce « Pas pareils », nous le retrouvons aussi à travers chaque être. Nous sommes amenés à évoluer, à changer. Pierrot et Amélie vieillissent. Lorsque Pierrot découvre Amélie rajeunie, il ne la reconnaît pas : « Tu as changé, tu n’es plus pareille ». Amélie, de même, est surprise quand elle découvre Pierrot rajeuni : « Toi aussi, tu n’es pas pareil ». Chacun-e peut expérimenter cela, cette sensation de ne pas reconnaître l’autre tellement il-elle a changé, que ce soit sur un plan physique que psychologique. Le « Pas pareil » provoque la surprise, l’étonnement et peut susciter de nouveau l’attrait de redécouvrir l’autre.

Le « Pas pareil » peut être source d’émerveillement et révéler la richesse de la vie. A travers l’histoire, nous apprenons que la perle Magique était autrefois un petit grain de sable « avant qu’une huître ne l’avale ». « Qu’est-ce qui me gratouille le gosier ? » se demande l’Huître incommodée. « Un petit grain de sable ? ». « Afin que le petit grain de sable glisse mieux dans le gosier de l’huître, l’huître l’enveloppe de sa nacre, et c’est ainsi que le petit grain de sable est devenu une jolie perle ».

Ce qui nous dérange, n’est pas pareil, peut être l’occasion de nous grandir, nous enrichir, découvrir des capacités en soi qu’on ne soupçonnait pas.

« Pareils pas pareils » :

Ce qui, au final, nous rassemble est que nous sommes à la fois pareils et pas pareils. Nous sommes différents, nous changeons, en nous coexistent plusieurs êtres, comme ce petit poisson devenu Dragon, ce qui est source d’enrichissement, d’évolution : en cela nous sommes « pareils », appelés à devenir, à être « autre », à « grandir », à « vieillir » aussi.

A travers le temps, demeure cette part d’intemporalité, de présence à l’instant présent, la « conscience », « l’enfant qui vit en chacun de nous » et qui nous permet de nous retrouver à travers l’essentiel.

De nombreux asiatiques ont une toute autre approche de la vie et de la mort, la vie est perçue comme une perpétuelle renaissance, et, de ce fait, éternelle.

La Perle Magique a retrouvé le Palais du Dragon. « Nous ne pourrons plus jamais retrouver l’île de notre enfance » dit Pierrot à Amélie (sous-entendu, « rajeunir »). « Oui, lui répond Amélie, mais il nous reste une Perle, la Perle de notre Amour, et celle-ci restera toujours avec nous ».

 

Notes « Pistes pédagogiques autour du spectacle Le p’tit grain de sable »

Thierry Rousse,  Saint-Nazaire, le15 novembre 2018.