La liberté de marcher / Henri David Thoreau

 

En cette fin de journée toute bleue, je glissais au fond de mon sac à dos ma gourde, trois pains au chocolat et  rejoignais avec impatience mon ami le Séquoia. Direction  la cale de Beautour, puis le port de Vertou. Les barrières étaient rangées sur le côté. Les rubans jaunes avaient disparu. Je respirais. Enfin, nous étions libres de marcher au gré de nos envies. Pour la deuxième fois, après ce mardi 12 mai 2020 inoubliable,  je marchais sur le chemin vers Saint-Jacques de Compostelle qui se situait à 1500 kilomètres de la cale de Beautour. Une heure trente de marche, aller-retour. De nouveau, je croisais de nombreux cyclistes, des joggeuses et joggeurs, des marcheuses et marcheurs, des enfants avec leur papa ou avec leur maman, ou avec les deux, chaque être itinérant allant au rythme et avec le moyen de locomotion de son choix, les pieds, le vélo, la poussette… Les parties de pétanque avaient repris sur la cale de Beautour. Les joueurs étaient moins nombreux et plus espacés ce vendredi soir. Chaque joueur avait son terrain et jouait contre lui-même avec ses boules et son cochonnet. C’est alors que je découvrais cette nouvelle pancarte suspendue à un piquet : « Tout rassemblement au-delà de dix personnes est interdit sous peine de sanction ». La prudence était de mise. La joie des retrouvailles serait pourtant difficile à contenir ce week-end estival annoncé.

J’aimais ce nouveau chemin que j’avais découvert il y a quatre jours. Ce chemin était bordé de bois et de prairies humides où vivaient, heureux, les vaches, les chèvres, les oiseaux, et sans doute, bien d’autres animaux. Une vaste étendue sauvage longeant la Sèvre inaccessible à toute construction. En contre-haut, sur les terrains habitables, de jolies demeures y avaient trouvé place, en harmonie avec l’environnement, donnant à ce pays discret un air de Provence et de vacances. Je retrouvais, en arrivant au port de Vertou, le fleuve sauvage de la Sèvre, serpentant, tantôt avec douceur, tantôt avec vigueur,  au rythme des marées.

Je songeais à Henry David Thoreau. J’avais fait sa connaissance durant la guerre, en lisant son livre « Marcher ».

« Je souhaite considérer l’homme comme un habitant ou une partie intégrante de la nature plutôt que comme un membre de la société ». (1)

Un « habitant ou une partie intégrante de la nature ». Cette idée de me sentir appartenir à la nature plutôt qu’à la société, me plaisait bien, et me permettait de considérer la vie d’un autre point de vue fort intéressant. Je faisais partie du monde des vaches, des chèvres, des oiseaux et de bien d’autres animaux, comme je faisais partie du monde des prairies, des bois, des rivières, de toute cette richesse et cette diversité de faune et de flore. Il me restait à découvrir mes semblables, leurs langages, leurs coutumes.

« Le jour d’avant ne serait pas comme le jour d’après ». Sur BFMTV, on ne parlait que de la reprise de la vie économique, produire et consommer. La Presse, elle, faisait grève. Plus aucun journal, ni au Tabac-Presse de Beautour, ni au Tabac-Presse de Sèvre.  J’étais à l’avant-dernière étape de mon bilan de compétence : « Les enquêtes Métiers ». Et, à l’aube d’un nouveau monde, j’avais découvert ce merveilleux chemin. Je m’entrainais dès lors à savourer l’instant présent.

« Durant mes promenades, j’aimerais bien retrouver l’usage de mes sens. A quoi bon être dans les bois si je pense à ce qui se passe à l’extérieur ? » (1).

Thierry Rousse, Nantes, vendredi 15 mai 2020.

Les chroniques de « Et après ? »

  • Henry David Thoreau, « Marcher », édition Le mot et le reste

 

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