359 décès, 2202 nouvelles hospitalisations, 327 entrées en réanimation, telles étaient les nouvelles de ces dernières vingt quatre heures en France. Les nouveaux chiffres étaient communiqués sur BFMTV. Retour amer à la réalité après douze heures où j’avais tout ou presque oublié de ces drames, comme de cet anniversaire tragique hier des attentats au Bataclan, au Stade de France et aux terrasses des cafés parisiens. Un acte manqué comme si mon inconscient avait besoin de s’évader, loin, très loin.
Retourner au marché ce matin. Ce n’était pas le marché sur la place du village à l’ombre des platanes, ce marché provençal que j’aimais tant, mais c’était un marché sur un vaste parking, derrière l’église de Vertou, et c’était déjà bien. Il y avait si longtemps que je n’avais pas contemplé ces étalages colorés de fruits, de légumes, de poissons, de crustacés, de fromages de toutes nos belles régions. 2,30 euros six huîtres de Vendée, de quoi faire le bonheur de mon midi et songer à tous ces rires avec mes amis. Je savourais mes six huîtres tantôt avec du citron, tantôt avec du vinaigre et des échalotes, accompagnées d’un Chardonnay bio. Puis, suivaient la truite servie avec du riz au beurre et un fromage blanc fermier en dessert. Un vrai repas de fête avec vue sur l’olivier du jardin de ma propriétaire. Les douze heures étaient loin d’être finies. Je m’amusais avec l’Agent Eni à répertorier les noms des toutes les rues dans l’intersection de nos deux cercles des mille pas. Le confinement nous amenait à des jeux auxquels on n’aurait jamais pensé en temps ordinaire. C’était étonnant le nombre de rues et de sentiers près de chez moi que je n’avais jamais empruntés. J’y découvrais de jolies maisons et une grotte en l’honneur de la Vierge Marie qui avait sauvé les habitants du quartier d’une épidémie. Grotte improbable face à une belle demeure ressemblant à un manoir britannique. La voisine fort aimable nous faisait la visite. Les fleurs et les fruits de la Passion, le long du chemin, tout près de la grotte, s’offraient à nos regards. Cette intersection de nos deux cercles ressemblait à un pays neutre, une parenthèse de liberté et de paix. Il se mit à pleuvoir et le soleil était dans nos coeurs, le long de notre zone commune à défendre.
D’autres projets se préparaient : un livre illustré de « Mon Pote Agé » avec Fabula, une ré-édition de « Le grain de sable et la perle magique », une Amap avec mes deux camarades de théâtre. Il y avait un « après », une vie qui me tenait en vie après le Covid. Le documentaire censuré « Hold Up » faisait parler de lui. Une poignée de milliardaires auraient décidé d’éliminer les vieux et les plus fragiles en propageant ce virus mortel, et, de s’enrichir en vendant leur vaccin. Qu’est-ce qui était vrai ? Qu’est-ce qui était faux ? Le personnel soignant était usé du peu de crédibilité qu’on leur portait, comme si personne ne pouvait mourir du Covid, hormis les malades… Les restaurateurs, eux, haussaient le ton pour de nouveau ouvrir leurs tables. Paul Mc Cartney, âgé de 78 ans sortait un nouvel album. Il était bientôt 21 heures. Je mangerais mes moules à la crème et regarderais « La Zizanie » avec Louis De Funès. Décidément, mon inconscient avait encore envie de respirer. Grand Corps Malade avec son compagnon Rachid Taxi chantaient : « Ah Yemma, je vais te raconter pourquoi un soir j’suis pas rentré, sans faire exprès je l’ai croisée… c’était un soir à Paris, et elle s’appelle la Vie »(*). Nantes était devenu mon Paris. Je savais ce soir pourquoi je n’étais pas rentré, pas rentré dans la réalité. J’avais croisé la Vie et elle m’avait souri. Tous deux, nous marchions, main dans la main, et, ma foi, nous étions heureux.
Thierry Rousse,
Nantes,
Samedi 14 novembre 2020
(*) « J’suis pas rentré » de Grand Corps Malade et Rachid Taxi