« Ce n’était pas pareil… ». J’avais entendu cette phrase quelque part. Oui, ou, non. Ce n’était pas pareil. Non. Il n’y avait plus ces applaudissements à vingt heures pour le personnel soignant, comme il n’y avait plus ces concerts de Jean-Louis Aubert dans son salon rien que pour moi. Oui. Comme il n’y avait plus ces vidéos amusantes de comédiennes, ces textes lus à haute voix de comédiens, ces réflexions philosophiques d’illustres femmes et hommes et d’illustres inconnus sur le fil de mes actualités « Facebook ». Non. Il n’y avait plus ces rues, ces avenues, ces boulevards périphériques sans voiture. Oui. Il n’y avait plus ces écoles fermés, ces entreprises à l’arrêt, ces services publics inaccessibles. Non. Ce n’était pas pareil. Oui. La vie semblait continuer. La seule différence se résumait à des librairies, des théâtres, des cafés, des restaurants et d’autres commerces dits « non essentiels », fermés. Oui. C’était déjà beaucoup, certes, mais pas assez pour réfléchir au « Jour d’après ». Non. Peut-être était-il d’ailleurs là le « Jour d’après ». Oui. Non. La vie continuait à l’intérieur des théâtres. Les artistes et les techniciens travaillaient, répétaient. Les retransmissions via des chaînes privées You Tube, les achats en ligne, les livraisons à domicile ou en drive avaient pris le relais des rencontres physiques, histoire de continuer à faire tourner la boutique, de ne pas mettre la clé sous la porte. Non. Oui. Chacun avait déployé des stratagèmes pour survivre. Oui. Non. Les multinationales, elles, s’arrangeaient bien de cette crise sanitaire et en tiraient parti. Oui. Je me sentais déçu pour le « Jour d’après ». Une désillusion. Oui. Le Grand Chef m’avait vendu du rêve. Oui. J’avais commencé à croire en un nouveau monde. De l’avenir de la planète, des êtres vivants, nul ne semblait en parler. Non, Le sujet était relégué aux dernières pages du journal. Oui. Le « Black Friday » paraissait plus essentiel que l’avenir de la planète et des êtres vivants. Oui. Le Grand Chef entouré de ses Chefs traitaient des effets non des causes. Oui. Ce n’était pas pareil. Oui, oui, oui.
Je revenais de ma première vacation, au rayon « fromagerie » d’un supermarché coopératif, bio et local. Les adhérents donnaient trois heures de leur temps par mois pour faire fonctionner ce supermarché. Cette participation bénévole avait, pour but, entre autres, de faire diminuer le coût de revient des produits. Je ne voyais pas grande différence avec les prix de chez Biocoop. Des choses m’échappaient, sans doute. Il devait me manquer des pièces dans le puzzle du monde pour tout comprendre au fonctionnement de son économie. Si, au-moins, ma participation volontaire pouvait servir au maintien et au développement des producteurs locaux, c’était déjà un pas de gagné sur ces grandes multinationales. Ce n’était pas pareil. Oui. Ce supermarché coopératif, bio et local, était peut-être l’avenir des supermarchés ?
Oui, ce n’était pas pareil. Roméo ne voyait plus sa Juliette. Il ne voulait pas lui transmettre le virus. Alors, il s’était mis à écrire à sa Juliette. Non, pas sur les touches d’un clavier d’ordinateur ou de Smarphone. Non, il s’était vraiment mis à écrire. Une feuille, un stylo, une enveloppe, un timbre. Et, pour la première fois de sa vie, Juliette recevait une lettre de son amoureux dans sa boîte aux lettres. Oui. Ce n’était pas pareil. Juliette prenait une feuille, un stylo, une enveloppe, un timbre pour répondre à son Roméo. Leurs boites aux lettres à tous deux revivaient. Ce n’était pas pareil. Oui, le facteur reprenait goût à son métier. Il pédalait avec entrain, s’envolait presque. Oui. Enfin, des lettres d’amour à porter ! Ces lettres étaient autre chose que des avis d’imposition, des amendes, des factures à régler, et toutes sortes de papiers administratifs. Oui, ce n’était pas pareil. Oui, oui, oui.
J’avais choisi un monde pas pareil. Un monde différent. C’était peut-être bien, au fond. Ne pas se sentir pareil de ce qui n’était pas pareil ? Avoir toujours un pas d’avance pour aller plus loin vers l’essentiel . Ce n’était pas pareil. Une cigale s’était éprise d’une fourmi au pied d’un olivier.
Mardi 17 novembre 2020,
Nantes
« De retour chez Mémé Zanine » de Thierry Rousse