Le ciel était bleu, le soleil brillait ce matin. Une bonne nouvelle. Il aurait pu s’arrêter de briller le soleil. D’ailleurs, jusqu’à quand brillerait-il, le soleil ? Quelle était sa date limite de consommation, au soleil ? Je l’ignorais, cela méritait bien de prochaines recherches. Il y avait du vent ce matin. Le fond de l’air était frais. Une mauvaise nouvelle. Au fond, qu’en savais-je si ces nouvelles étaient de bonnes ou de mauvaises nouvelles ? Peut-être fallait-il que le vent nous apporte des nuages gris et qu’il pleuve? Peut-être… Peut-être que la Terre et ses êtres vivants avaient besoin d’eau pour vivre, besoin de fraîcheur, besoin du froid, même ? Ce n’était peut-être pas une bonne nouvelle que le soleil brille ainsi, le signe d’un réchauffement climatique en cours ? Je l’ignorais. J’avais envie de bonnes nouvelles, aujourd’hui, rien que de bonnes nouvelles.
Une promeneuse puis un promeneur me disaient « bonjour », en me souriant, sur le chemin des vaches. Une bonne nouvelle. J’étais reconnu. « C’est lui, le marcheur tonique ! ». J’avais pourtant mis mes lunettes noires « incognito ». Etais-je reconnu parce que je portais le sweat de Tryo ? A 53 ans, il y avait, peut-être, un léger décalage, non ? Quoique. Manu Eveno avait 49 ans. Guizmo, 48. Daniel Bravo, 47. Christophe Mali, 44. Je n’étais pas si éloigné, tout compte fait. Six ans du premier. Neuf, du dernier. Ça pouvait être cohérent. Une bonne nouvelle. Cohérente. Qu’est-ce qui était cohérent , au fond ? Avoir envie de bonnes nouvelles ? Effectivement, ça semblait cohérent. « Etait-on né pour se faire scier ? ». Ce n’était pas de moi. J’empruntais cette maxime à l’Agent Eni. Les vaches nantaises avaient retrouvé leur petit pré. Elles mangeaient du foin. Bonne nouvelle ? C’était la marée basse. Bonne nouvelle ? Il était midi vingt sept lorsque j’atteignais l’entrée de ma maison. Je n’avais dépassé que de sept minutes la durée de sortie autorisée par mon Grand Chef. Etait-ce une bonne nouvelle ? J’ouvrais ma boîte aux lettres. Une bonne nouvelle ! Je recevais gracieusement un calendrier de l’année 2021 : « Vivre ici. Rezé. Nantes Sud, Prenez soin de vous en mangeant des légumes de saison ». A peine entré, j’affichais ce calendrier sur le placard de ma cuisine. Je le voyais déjà rempli de dates de répétitions, de spectacles, de stages, de projets culturels, de rencontres amicales et de voyages. L’heure était venue de commencer à manger ma salade. Elle était de saison. Bonne nouvelle !
Lors de ma pause-café au milieu du jardin, sur les conseils de l’Agent Eni, je cherchais une bonne nouvelle dans L’Humanité Dimanche, entre le 12 et le 18 novembre. Passés la couverture, la photographie d’ « un départ sans badauds », le sommaire, j’arrivais page 8 : « Génération Covid, une génération sacrifiée ». Le dossier était épais. Mauvaise nouvelle. Page 16 : « La restauration collective dégraisse sans état d’âme ». Mauvaise nouvelle. Page17 : « Depuis le 6 novembre, la vente de repas à emporter est interdite à Paris entre 22 heures et 6 heures ». Mauvaise nouvelle. Qui commandait un repas à six heures du matin ? Page 19 : « Bolivie. Attentat à la dynamite contre le Président socialiste ». Mauvaise nouvelle. Un espoir, juste en dessous ? « Agriculture et alimentation. Les ambitions en matière de réduction des pesticides ont été revus à la baisse avec un recul notable. Le retour des néonicotinoïdes ». Difficile à prononcer. Mauvaise nouvelle. Page 21 : « Attentats de 2015. Au plus près du procès » . Bonne nouvelle ? Les victimes et les parents des victimes pourraient, cinq ans après, obtenir réparations. Mais, comment oublier ? Les traumatismes étaient profonds. « Ils n’ont pas seulement tué mon mari, ils nous ont tués » témoignait la veuve de l’une des nombreuses victimes des attentats au Bataclan. L’histoire n’était pas finie. Terrible nouvelle. Page 26 : « C-News, banalisation de l’extrême droite, stigmatisation des musulmans, thèses complotistes, hystérisation du débat… ». Mauvaise nouvelle. Page 31 : « Loi sur la sécurité globale, un des textes les plus liberticides de notre époque moderne ». Mauvaise nouvelle. Page 32 : « Biden remporte la Maison Blanche ». Je respirais. Enfin, une bonne nouvelle à rapporter à l’Agent Eni ! Je continuais ma lecture : « Un mandat difficile s’annonce ». Mauvaise nouvelle. Je ne dirais rien à l’Agent Eni. Page 38 : « Finance solidaire. Cette petite branche de la finance qui investit dans des projets et entreprises solidaires, éthiques et écologiques est en plein développement. Ce sont les salariés, grâce à leur épargne, qui contribuent au boom du secteur… ». Les bonnes nouvelles commençaient à pointer leur nez page trente huit. Je souriais. L’Agent Eni serait content. Page 40 . Deuxième bonne nouvelle ! « Devant le drame des migrants échoués dans les montagnes transalpines, la mobilisation des Briançonnais s’est montrée exemplaire …». Je poursuivais, radieux : « … mais ce lieu essentiel est aujourd’hui menacé d’expulsion ». Ma joie retombait. Je passais vite à l’autre page. Page 47 : « Pour son inaction devant la mauvaise qualité, la France est renvoyée devant la Cour de justice européenne par la Commission ». Bonne ou mauvaise nouvelle ? La France était punie mais la qualité de l’air français était très mauvaise. « Pourquoi tousses-tu, tonton ? ». Heureusement, les masques étaient arrivés ! « Bien joué, Adjudant ! ». Page 48 : « Télétravail. Ces employeurs qui freinent des quatre fers » . « Et la caméra pour me filmer ? Elle est où la caméra ? ». « Les caméras, Adjudant ! – Sur le tarmac chinois, Grand Chef ! ». Page 50 : « Oise. Les fermiers soignent cochons et truies au violon et à l’aromathérapie. Au final, de la haute gastronomie ». Une bonne nouvelle, comme ça faisait du bien, une bonne nouvelle ! Je courrais l’annoncer à l’Agent Eni. Les cochons et les truies étaient sensibles au violon. ! Il y avait là des cours à donner… « Aux humains, naturellement, Agent Eni ! ». Page 54 : « Reconfinement. De longs dimanches sans rencontres. Les sports collectifs amateurs sont à nouveau privés d’entraînements et de compétitions. Une situation qui met en péril le mode de vie associatif ». Mauvaise nouvelle. Ces longs dimanches sans rencontres entre Roméo et sa Juliette… Page 57 : « Che Gevara, le parcours incroyable de l’homme au béret étoilé ». Bonne nouvelle, le Che était de retour ! Ça allait changer ! Puis, il y avait les pages récréatives de L’Humanité Dimanche. Bonnes ou mauvaises nouvelles ? « Jeux vidéos : Crusader Kings III, la plus belle des machines à remonter le temps ». « Livre : Rome, berceau d’une langue poétique ». « Idées : Il faut donner priorité à l’accès universel aux biens d’accomplissement » déclarait le philosophe Pierre Crétois. Restait à définir ce qui nous était essentiel… Les nappes de pétrole ou les vertes prairies ? Avec quelles ressources m’accomplirais -je ? Suivaient les annonces classées : « Pour cet hiver, réservez maintenant ! Rendez-vous au sommet ! Des vacances à la montagne en villages vacances ». Bonne nouvelle ! Je préparais mes skis et mon maillot de bain pour rejoindre Emma. Télévision : Faux-Semblants. Vendredi 20 novembre , 21h5 ». « Faux-Semblants ». Bonne nouvelle ! J’avais tourné dans ce film comme figurant inconnu. Je me serais bien vu mais je n’avais pas installé dans ma maison la télévision. Erreur monumentale, mauvaise nouvelle ! « Radio : être survivant et réapprendre à vivre . Les attentats du 13 novembre ». Que disaient les Sciences ? « Archéologie. Néanderthal se promenait sur les berges de Seine ».Bonne nouvelle ! Et si j’étais en manque d’autres bonnes nouvelles, je pouvais toujours me défouler sur la page des mots fléchés et des Sudoku ku ku… Il n’y avait pas de mal à se faire du bien. Jouer, c’était gagner un peu de recul sur l’actualité. Cette maxime, je l’offrais en échange à l’Agent Eni. J’arrivais à la fin des nouvelles et de mon rapport. Un gros dossier : Le 13 novembre 1970, Hafez Al Hassad prend le pouvoir en Syrie ». Il était 14h30. Achèterais-je la prochaine fois La Croix ? Y-aurait-il davantage de meilleures nouvelles ? Je pouvais toujours croire au ciel. A 14h30, le ciel s’était couvert de nuages gris et il se mettait à pleuvoir. Mauvaise ou bonne nouvelle ? Au dos de L’Humanité Dimanche », il était écrit en lettres imposantes: « Pour que Noël n’oublie personne, donnez de l’argent ! Merci ! Avec le Secours Populaire et les Copains du monde, devenez Père Noël Vert ! ». Des olives avaient poussé sur l’olivier du jardin. J’annonçais le bonne nouvelle à ma propriétaire, fier, d’avoir trouvé, au terme de ma pause-café, une bonne nouvelle. « Il fait tellement doux… » me répondit-elle, tristement. L’Agent Eni aurait, peut-être, souri ? Les olives sur l’olivier du jardin, à Nantes Sud, étaient le signe que la Provence était arrivée en Bretagne, ou, le constat d’un réchauffement climatique immanent . Le début de la fin ? Ma pause-café était vraiment finie. Je reprenais mon travail. J’obtenais un nouveau rendez-vous pour les dents que je n’avais pas : le lundi 30 novembre. Bonne nouvelle ! J’apprenais, au fil des jours, à me réjouir des bonheurs insignifiants de la vie. Cet hiver, je skierais sur des pistes tendres, infinies avec Emma. Le ciel serait rempli d’étoiles. L’Agent Eni lirait mon rapport en souriant. Bonne ou mauvaise nouvelle ?
Thierry Rousse
Nantes
Mardi 18 novembre 2020
« De retour chez Mémé Zanine »