Débuter. Par quoi débuterais-je ? Quel premier mot déposerais-je en ce jeudi sept janvier deux mille vingt et un à dix neuf heures trente et une sur le vieil écran de mon ordinateur portable suisse? Mon premier cri ? Ma première larme ? Mon premier rire ? Mon premier baiser ? Mon premier « Je t’aime » ? Ma première caresse ? Mon premier réveil ? Sept heure trente du matin. J’allumais mon petit transistor tout neuf. Trompe en était toujours à s’accrocher à sa canne. Le Grand Chef du monde ne digérait pas sa défaite. « C’est ma Maison Blanche! J’ai gagné la partie de golf, tu as triché, Joe, c’est moi l’ invincible, pas toi ! « . Trompe appelait ses camarades militaires républicains à la rescousse. Des durs de durs qui en avaient connu des guerres. Les Cow-Boys donnaient un coup de pied dans la démocratie américaine. Le trou de la Liberté était pris d’assaut. Un étrange drapeau de Coup d’Etat flottait sur le green. Habituellement, ces insurrections étaient réservées à des sauvages d’Afrique ou d’Amérique du Sud, ou, de Chine. Les moeurs évoluaient au vingt et unième siècle. Trompe poussait son cri de bête blessée au vif de son orgueil. J’avalais d’un trait ma Chicorée et pris la route après avoir bien gratté le givre sur la vitre de ma voiture qui avait dormi cette nuit dehors. Journée de formation. « L’importance du jeu pour les enfants ». Dix huit heures. De retour chez Mémé Zanine. Un froid glacial me disait « Bonsoir, entre, sois chez toi ! « . Je me précipitais à allumer un feu. De vives flammes ressuscitaient le bout de mes doigts. J’allumais de nouveau mon petit transistor tout neuf. « Le soldat augmenté ». France Culture avait de la suite dans les idées ! Les chercheurs de l’Armée réfléchissaient à augmenter les capacités du soldat : lui permettre de voir la nuit, décupler ses forces, ne plus avoir besoin de dormir, être invincible voire immortel. Le Soldat en avait marre de mourir loin de sa famille. Les armes étaient de plus en plus puissantes et le Soldat se devait d’être de plus en plus résistant. Alors, les médecins changeraient ses cellules. Son corps serait transformé. La science-fiction ne serait bientôt plus une fiction. « L’homme qui valait cent milliards » quitterait le petit écran pour devenir une réalité XXL sur le champ des guerres. J’achèterais mon bonheur. Les progrès commençaient toujours au sein de l’Armée, par nécessité vitale, nous disait-on, puis s’étendaient, à coups de charme, au large public, à toi et moi. Qui avait envie de nous deux d’être l’enfant surdoué? L’homme parfait ? La femme parfaite? Qui rêvait d’aimer l’être idéal de ses rêves? Il suffirait de changer nos cellules à la demande. Un garage d’organes satisferait tous nos désirs de pouvoir, d’immortalité, de jouissance, d’affection, de savoir. Le bonheur parfait nous attendait sur le green. L’Armée nous promettait la paix éternelle. Pourquoi ne souriais-je pas à cette félicité promise? J’aurais dû me réjouir à l’idée d’être l’homme parfait désiré et aimé par la femme parfaite. Un goût aux notes imparfaites, pourtant, me retenait. Tant que nous étions imparfaits, songeais-je, nous pouvions nous compléter, apprendre et nous enrichir l’un de l’autre. L’imperfection n’était-elle pas le chemin du désir, d’une vie à bâtir ensemble ? La perfection, au contraire, nous figeait, toi et moi. Si nous avions tout, qu’avions-nous à désirer, à aimer ? La solitude de la perfection finirait par nous lasser dans notre Maison si Blanche. Deux statues si tristes, si vides au milieu d’une partie déjà jouée.
Avouer ma défaite pour apprendre de mes erreurs, et progresser, tout simplement, pas après pas, était tout autre, une aventure palpitante. J’avais encore des yeux pour contempler ton corps imparfait, des oreilles pour t’écouter chanter, un nez pour sentir ta présence, même absente, des papilles pour goûter tes baisers, sucrés ou salés, au goût de chocolat, de citron ou de menthe fraîche, des mains pour parcourir ton pays, de collines en vallées jusqu’à la source de ta vie. O imperfection, tu étais si belle, libre et folle de ces jeux de mots ! Il nous restait à jouer notre partie de scrabble et à en rire, en rire comme deux enfants imparfaits, regarder les pâquerettes sur le green.
Débuter ? Par quoi débuterais-je ? …
« L’Etre suprême a créé avec l’Eau et le Feu. L’Eau et le Feu sont la Vie. » (*)
… par l’ouverture d’un rideau de théâtre.
La vie n’était qu’une grande comédie.
Thierry Rousse,
Nantes,
Jeudi 7 janvier 2021
« A la quête du bonheur ».
(*) Cosmogonie Bantoue, « Origines, 365 pensées de sages africains », Editions de la Martinière