Une autre fin pour Juliette et Roméo et l’humanité ?

 

Le Conseil de Défense se réunissait ce soir, composé du Grand Chef et de sept de ses Chefs attablés pour décider de notre destin. Pur exercice de rhétorique ou de diction ? Quelle serait la fin de cette grande comédie ? Fin heureuse ou fin tragique ? Mon ventre s’offrait une soirée « Restaurant Cinq étoiles à domicile », composée d’une pizza bio du Pays Basque, accompagnée d’une savoureuse bière d’abbaye, d’une salade verte et d’un kiwi. Tête à tête avec ma tête embrumée d’Angleterre, d’Irlande, d’Italie et de Bretagne, songeais-je aux récifs de Roméo et Juliette.

Bel amour de jeunesse qui se concluait dans un bain de sang. Juliette dormait dans un caveau. Son âme espérait rencontrer les yeux et les mains de son bien-aimé qui la délivrerait de son mariage forcé avec Pâris, comme le lui avait promis le Frère Laurent. Roméo, n’ayant pu être informé à temps du stratagème de ce moine bienveillant et fûté, se précipitait au tombeau de son coeur chéri. Il tuait sur son passage son rival en larmes et découvrait le corps inanimé de sa belle Juliette. La croyant morte, il s’empoisonna : « Ainsi, dans un baiser, je meurs » (1). Juliette se réveilla peu après. Le Frère Laurent avait tenu sa promesse. La potion magique de la Belle au Bois dormant n’avait duré que le temps de ses noces avec Pâris. Elle découvrit hélas son tendre Roméo gisant sans vie. Accablée de chagrin, elle se poignarda, sourde aux mots consolateurs de Frère Laurent. Vivre sans son amour n’était plus vivre. « Tes lèvres sont chaudes » (1) étaient les dernières paroles de Juliette à son Roméo.

Chaque épisode de cette sombre histoire, par concours de circonstances, impulsivité, manque de discernement et de réflexion, passion, vengeance ou autoritarisme de l’entourage des héros, avaient contribué à l’aggravation de l’amour éperdu de deux jeunes appartenant à deux familles, les Capulet et les Montaigu. La véritable cause de cette fin tragique était à trouver au commencement, acte un, scène un, exprimée par Grégoire: « La querelle est entre nos maîtres et entre nous, leurs valets ».

Samson: « Grégoire, ma parole, on ne va pas se laisser marcher sur les pieds ».

Grégoire: « Sûr, autrement on pourrait nous traiter de pieds plats ».

Samson: « Je veux dire que si on nous chauffe le sang, on va tirer l’épée ». (1)

Etrangement, cette sotte rivalité me fit penser au drame de l’époque actuelle. Deux maisons s’affrontaient, celle de l’Humanité et celle de la Nature. La Maison de l’Humanité s’était installée sur le domaine de la Maison de la Nature et avait pris peu à peu ses aises, élargissant sans cesse son territoire. L’époque de la douce cueillette était depuis longtemps révolue, l’Homme chassait, cultivait, construisait, abattait des arbres, dérobait sans scrupule et souvent avec une extrême violence la cave comme le jardin ou le grenier de la Maison de la Nature et ses habitants. La Maison de la Nature au terme de tant d’humiliations commençait à se défendre. Les Grands Chefs de la Maison de l’Humanité auraient pu reconnaître leurs torts et déclarer à leurs citoyens : « Nous sommes allés trop loin dans notre désir inassouvi de produire et de consommer. Il est temps de ralentir nos désirs et retrouver une juste entente et harmonie avec la Maison de la Nature ». Au lieu d’un tel aveu empreint de sagesse, les Grands Chefs de la Maison de l’Humanité n’avaient d’autres préoccupations que de sauver l’économie et les pontes qui la dirigeaient, s’engraissant jour après jour de ses malheurs et réjouissances. Pure folie qui ne pouvait mener qu’à une fin tragique, pareille à celle de Juliette et Roméo !

Si nous ne pouvions compter sur nos maîtres érudits, il ne restait qu’à nous, simples valets, d’écrire une autre fin.

Samson: « Grégoire, ma parole, on va leur demander pourquoi ils nous haïssent tant ».

Grégoire: « Sûr, on va leur ouvrir nos oreilles et notre coeur, qu’importe s’ils nous insultent ou nous considèrent femmelettes, notre véritable force est celle de la tendresse ».

Samson: « Oui, Grégoire ! Je veux dire que si on nous chauffe le sang, on leur dévoilera la puissance du sang de l’Amour qui donne Vie ».

Mon esprit était ainsi visité en cette nuit par la lueur de cette intime conviction : plus la Maison de l’Humanité persisterait en ses erreurs, son aveuglement, son déni des besoins essentiels de la Maison de la Nature, plus les virus muteraient afin de se défendre d’une colonisation exponentielle d’une Humanité vraiment sans gêne, ivre d’orgueil, de puissances, de richesses, d’un narcissisme vraiment démesuré.

La sagesse n’était-elle pas de tirer leçon de nos excès afin de sauver la vie de nos enfants ?

« Au ciel il y a beaucoup d’étoiles; il y a des tribus entières, hommes, femmes, enfants, depuis longtemps devenus étoiles ». (2)

Thierry Rousse,

Nantes, vendredi 29 janvier 2021

« A la quête du bonheur »

(1), Shakespeare, « Roméo et Juliette », Le Livre de Poche

(2) Tradition bochiman, Origines, 365 pensées de Sages africains, Editions de la Martinière

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *