Le temps d’un week-end estival pour oublier ces deux années sous le Covid.
Le temps de rêver au retour à la vie normale.
Oter mon masque blanc et marcher au bord des rivières dorées.
De la Sèvre à l’Erdre.
Un trajet en tramway de Pirmil à Saint-Mighiel me permettait de rejoindre la Sèvre à l’Erdre.
L’île de Versailles m’attendait, patiente.
Depuis un certain temps, je n’avais pas franchi son joli pont.
L’île de Versailles fut mon premier coup de coeur quand j’ai découvert Nantes, en 2014, si mes souvenirs étaient bons. J’étais arrivé à La Roche-Sur-Yon un 31 décembre 2013 après avoir quitté le charmant Rocamadour de la Seine-et-Marne, Château-Landon. Nantes m’apparaissait comme un nouveau Paris.
L’île de Versailles était une île nantaise au nom trompeur.
Cette île n’avait rien de la froideur rectiligne d’un jardin à la française et tout du charme d’un jardin de thé japonais. Ce charme m’inspirait des histoires que je griffonnais sur mon petit carnet, des histoires, depuis, introuvables. Où étaient enfouies ces histoires? Des recherches archéologiques s’imposaient parmi mes innombrables carnets.
Je rebaptisais cette île: « L’île aux arbres à nuages ».
En cette île, la joie côtoyait une certaine tristesse.
Joie de tout ce qui me reliait à la vie, l’eau, les fleurs, les arbres, la maison du thé, les bateaux, le marchand de glaces à la vanille délicieuse.
Tristesse de ce qui m’évoquait la perte, la disparition, la mort, ces gros blocs de pierre dispersés un peu partout sur l’île. Je songeais à chaque fois aux proches que j’avais perdus, et aux proches que mes proches avaient perdus.
Je songeais à la vieillesse. L’être vivant qui, au bout d’un certain temps, perdait ses capacités physiques et mentales.
La vie dans l’éclat de sa naissance portait déjà en son premier cri sa fin tragique. Vivre était une aventure aussi joyeuse que malheureuse.
Je traversais la mare aux lotus d’une pierre à l’autre. La vie pouvait ressembler à cette traversée d’une rive à l’autre. Chaque pierre était alors un point d’appui. L’âme sur laquelle je pouvais compter pour vivre. Les morts n’étaient pas morts. Leur âme vivait au coeur de ce jardin. Des pensées invisibles l’animaient. La vie était bien plus que ce que je pouvais me représenter d’elle. Une vie intérieure jouait à cache-cache entre ces rochers. Subitement, je comprenais la raison de leur présence. Vivre avec les âmes de mes proches.
Au bord de l’eau, je finissais de lire « Le château de ma mère » de Marcel Pagnol, le premier roman que je découvrais de cet écrivain. Je me réjouissais de débuter un chemin à ses côtés. Marcel Pagnol contait au fil des pages ses souvenirs d’enfance à la cime des collines provençales de la Treille, au-dessus de Marseille. Quatre heures de marche après avoir pris le tramway pour rejoindre avec son papa, sa maman, son frère et sa petite soeur leur maison de campagne. Cette expédition avait tout d’une épopée joyeuse, palpitante, drôle et si tendre. Il me restait à lire: « La gloire de mon père », « Le Temps des secrets », « Le Temps des amours », et bien d’autres romans et pièces de théâtre pour apprendre à mieux connaître Marcel et « L’île aux arbres à nuages »…
L’écrivain, plusieurs années après, venait de retrouver sa maman.
« Il me sembla que je respirais mieux… » (*)
Thierry Rousse,
Nantes, dimanche 23 avril 2021
« A la quête du bonheur »
(*) Marcel Pagnol, « Le château de ma mère », Editions de Fallois