Quelle était ma relation à la campagne ? Etait-elle une attirance, une sensation de délivrance, d’échappatoire ? Me sentir libre, libre de retrouver le goût de la terre, libre d’éprouver le plaisir d’être ensemble autour d’un bon feu de bois, la vraie vie ! Pouvais-je en déduire que « vivre en ville » était une fausse vie ? Existait-il une vraie vie et une fausse vie ? La face du miroir ?
Mon père était originaire de Franche-Comté. Il était précisément né à Lure. Atteri à Paris vers l’âge de vingt-cinq ans, grâce, ou, à cause d’une cousine lui vantant les charmes de la Capitale et d’un emploi intellectuel qui l’attendait. Ce qui lui valait le surnom de »gai luron ». Mon père faisait rire de ses pitreries et de son nez-rouge toute la belle-famille. Etrangement, la famille maternelle nous mettait à distance de la famille paternelle. Je n’ai jamais pu véritablement connaître mon grand-père paternel. Un vague souvenir, quand il allait mourir, au fond d’un hospice, une profonde campagne perdue dans le brouillard. Ancien cheminot. Quand à ma grand-mère paternelle, elle était décédée quand mon père avait vingt ans, d’une maladie inconnue. La belle famille ne me disait pas du bien de ces gens-là, ces gens de la Haute-Saône, ce département délaissé de la Franche-Comté. Les gens de la campagne étaient à leurs yeux des bouseux, des gens peu évolués, des arriérés, peu fréquentables, plus ou moins, tous, alcooliques.
Voilà ce qu’on me faisait croire durant mon enfance. La belle famille de Saint-Denis et l’oncle Jojo de Juvisy faisaient mon éducation, m’enfermaient dans leurs préjugés, leurs mépris. Il me fallut attendre l’adolescence pour ouvrir les yeux et me rebeller contre leurs croyances, contre tous ces reproches qu’ils pouvaient dire sur mon père et sa famille en son absence. Le plus drôle, enfin, si cela pouvait être drôle, était que ma belle famille, la famille du côté de ma mère, était originaire de l’Aisne, de la campagne donc elle aussi, celle un peu plus au nord. Cerise sur le gâteau, l’oncle Jojo achetait une vieille métairie dans le Loir-et-Cher. Après les dimanches à Saint-Denis chez Pépé et Mémé, venait le temps des week-end à la campagne chez l’oncle Jojo et des perpétuels embouteillages sur la route du retour vers la Ville-Lumière et ses gigantesques tentacules, une banlieue et sa Beauce qui rasaient les derniers bocages. La belle-famille parisienne était soudainement en mal de campagne et plantait son drapeau sur la terre des bouseux. Le potager, le bricolage étaient devenus à la mode comme aller chercher son lait à la ferme ou presser ses pommes Paris s’accaparait l’air des champs.
Entre ville et campagne, mon coeur était attiré, tantôt par l’une, tantôt pars l’autre. En ville, je pouvais me cultiver, voir des spectacles, rencontrer du monde. A la campagne, je pouvais cultiver la terre, voir les étoiles et entendre une multitude d’oiseaux, faire du vélo, rencontrer des gens simples, sincères, généreux. En ville, j’étais dépendant des autres pour vivre, pour me nourrir et me loger. A la campagne, je pouvais prendre ma vie en main, vivre pour me nourrir et me loger, et bien d’autres choses, encore.
Où étais-je le plus seul et le plus entouré, à la campagne, ou, à la ville ? Le plus heureux ? Epanoui ? Satisfait ? Equilibré ?
La question se posait en cette nuit, au milieu de mon coeur.
Thierry Rousse
Mercredi 1er décembre 2021
« A la quête du bonheur »