Les plans s’activaient à la Cour de Roi César ! Omicron prêtait renfort à Delta. Ce tout nouveau fantassin gagnait du terrain, d’après les sources des renseignements officiels. Omicron venait d’assiéger l’île des Beatles. Il ne lui restait plus qu’à traverser une Manche pour serrer notre main. Quelques Microns s’étaient déjà infiltrés sur notre territoire hexagonal. Le Coronavirus pouvait maintenant rentrer au chaud derrière ses murailles, il n’était plus à la mode, ou, plutôt, « La Covid », car c’était le prénom que les Hautes Autorités lui avaient donné. Un mot apparemment plus sérieux, plus scientifique. Etrangement un mot féminin. Quelque sorcière sans doute. L’homme était passé par là dans sa puissance conquérante. Le Delta avec ses origines indiennes, exotiques, touristiques, apocalyptiques l’avait détrônée. On voyait déjà les fleuves déborder, les risques d’un naufrage, d’une noyade. On se voyait emporté par les déluges impétueux des eaux dévalant les montagnes. Mais ce n’était rien face à cet Omicron. Avec ce petit dernier, minuscule, on passait à un stade supérieur, planétaire. L’Omicron microscopique s’infiltrait dans nos micro-ondes, invisible. La guerre des étoiles avait commencé. L’ennemi était partout, dixit, tous les Césars de l’humanité, nos gentils protecteurs.
Les responsables de la propagation de ces ennemis étaient publiquement pointés du doigt par César et ses acolytes : les « Non-vaccinés ». Oubliés, depuis belle lurette, les pangolins vendus sur les marchés chinois, les vilaines chauve-souris suspendues aux toits des cavernes, les déforestations et les expériences en tous genres au fond des laboratoires protégés par les lois du secret professionnel. César et sa toile hautement efficace avaient le don de nous rendre presque tous amnésiques. Nos Chefs, habiles en tours de passe-passe, envisageaient de transformer le passe sanitaire en passe vaccinal. Leur volonté était clairement énoncée : « Tous vaccinés ! Le vaccin est la seule arme pour lutter contre l’ennemi ! « . Les Chefs avaient toujours raison et peu de sujets osaient remettre en question leurs paroles ou chercher les fondements de leurs discours. Les bras de Noël changeaient de couleur à vue d’oeil. Quatrième dose verdâtre d’une vie sous assistance et sous dépendance. Tatouages des Empereurs indélébiles. Nos peaux se durcissaient. Bientôt une corne pousserait sur nos fronts. Je tendrais mon bras une fois de plus à César, la dernière fois, avant de rejoindre le ciel vers Noël.
Quel sens restait-il à cette fête ? La satisfaction d’une mission accomplie en ce samedi matin ? Malville était au fond une belle ville, ou, plutôt un beau village au milieu des prés et des bois. Il ne fallait pas se fier à certains mots. Les enfants me regardaient, s’approchaient, certains, hésitants, d’autres confiants. Les parents souriaient, photographiaient cet instant éphémère. Il y avait comme un goût de bonheur en cette matinée, peut-être le goût du bonheur de l’amour, des joies simples et champêtres de la vie. Un ciel bleu en ce premier jour de vacances. L’odeur d’un vin chaud, d’une fanfare exaltée, des corps qui se libéraient sous les notes entraînantes d’un jazz américain. Mon Père Noël était aux anges dans son habit rouge et sa longue barbe. Tout semblait aller bien sur la Terre.
Dans les couloirs blancs de l’art contemporain, sur l’île des anneaux nantais, les étoiles, cet après-midi, étaient plus distantes. Des regards chaotiques sur les chaos du monde. Tissus entrelacés de membres gonflés, déformés, cousus. Instants de métiers comptés sur un tarmac désoeuvré. Bouches qui n’en finissaient pas d’avaler. Cadillac de paille et de torchis. Vestiges d’un progrès sans fin. Que resterait-il de cette humanité moderne insensée ? Une cabane de couleurs oubliées ? Voir ce qu’on voulait y voir. Un peu plus loin, un peep-show d’automates sous les Nefs. Voir ce qu’on deviendrait ? Des sculptures de glace ou la naissance d’un désir chaleureux ? Une tronçonneuse ou un baiser ?
« De l’effondrement à l’émerveillement ( … ). Il est du devoir des consciences éveillées de promouvoir cette mutation » . (1)
Sur la Loire, au soleil couchant, à travers la brume d’un port, d’une brasserie et d’un regard, le ciel rose embrassait, simplement, la Lune étincelante.
Un bateau, doucement, me ramenait au sens de l’existence.
« Je lui dirai les mots bleus, les mots qu’on dit avec les yeux… ces mots qui rendent les gens heureux… « . (2)
Thierry Rousse,
Nantes, samedi 18 décembre 2021
« A la quête du bonheur »
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Pierre Rabhi, « La tristesse de Gaïa, de l’effondrement à l’émerveillement », édition Actes Sud, 2021.
- Christophe, « Les mots bleus »