Treize heures trente en trois jours
A adresser par courriel
Nos plaquettes de spectacles et de stages
Tenir le cap
Tenir le rythme
La campagne de Léon
Ressemblait à une épreuve sportive
Il y avait quelque chose de stimulant
Une sorte de challenge
Qui me rappelait
Le temps
Où je courais
Des semi-marathons
Au-moins la course m’avait appris cela
Garder le cap
Tenir sur la durée
Doser l’effort
Pour éviter le fatal point de côté
Tenir
Cette fois-ci tenir
Même si un bon nombre d’adresses me revenaient
Même si je devais faire des recherches
Actualiser mes fiches
Les étoffer encore et encore de renseignements
De contacts
De noms
De secrets chasse gardée
Garder le cap
Toujours garder le cap
On disait que les efforts finissaient toujours par payer
En attendant c’était pâtes ou pommes de terre
Et de temps en temps salade entre les dents
Quand soudain je reçus cette bonne nouvelle
La bonne nouvelle
Pas une réponse
Mais LA réponse
LA réponse
Non ce n’était pas
Ce que vous pensiez
Ma mutuation à Tahiti
Ma promotion à un haut poste
Genre direction d’un Centre dramatique national
Ou encore la mort de mon vieil oncle d’Amérique
Ou encore l’acceptation de Pénélope
A ma demande en mariage
Que je n’avais jamais formulée
A une Pénélope que je ne connaissais pas
C’était LA réponse d’une charge de programmation
A l’un des innombrables courriels adressés
LA réponse comme un ange tombé sur Terre
Bon d’accord
Ce n’était qu’une demande d’information pour un spectacle
Et pourtant c’était
C’était déjà tout pour moi
Un feu d’artifices de pépites d’or dans le ciel de Nantes
Juste ce qu’il me fallait pour me redonner de l’énergie
Juste la petit rondelle de citron
Qui nous était servie au dixième kilomètre
Pour nous rafraîchir
Nous faire repartir de plus bel
Ragaillardis
Sur les pavés de la Tour Eiffel
Les yeux au paradis
Une once de poésie
Grand félin d’Asie
Qui s’élançait
Il fallait bien ça
En tête à tête
Avec moi-même
A défaut de pouvoir trinquer
Avec ma collègue
Et toute la troupe
Cinq heure du matin
Quand la ville se réveillait à peine
Quelques voitures gelées
Je me levais
De bon pied
J’étais vivant
Phares dans la nuit
Prêt à courir
La course des courriels
Jusqu’à midi
Savourer ma pause
Je m’offrais en présent
Un repas à onze euros quatre vingt
Au restaurant du Lieu Unique
C’était festin
Salade au fromage, au thon
Et aux tomates cerise hors saison
Dont je me serais bien passé
Puis plat du jour
Poulet pâtes champignons
Et sauce à la crème
Et sauce à la crème
Et pain et pain et pain
Et sauce à la crème et sauce à la crème
Et pain et pain et pain
Et manger et grossir
Mon ventre n’était plus habitué
A une telle orgie culinaire
Au bout au coeur d’un brouhaha
Un autre festin
Longue table blanche de convives élégants
Télévision
Discours
C’était Madame la Maire
Madame La Maire de Nantes était là
Et Olivier Faure me disait-on
Qui pouvait être cet Olivier Faure
Fort inconnu à ma campagne
Petite réunion d’association de retraités, pensais-je
« Non, c’est le Parti socialiste ! » Me soufflait-on
Léon n’en revenait pas
Le Parti socialiste était là
Au Lieu Unique
Et Léon n’en savait rien
Et Léon mangeait ses pâtes, son poulet, ses champignons
Indifférent et gourmand
Son pain imbibé de sauce à la crème
Et quand il n’avait plus de pain, Léon
ET bien, il lêchait son assiette Léon
Oui, il lêchait son assiette
Comme un chat ronronnant Léon
Qui avait reçu LA réponse de sa vie
Léon
Les mots m’égaraient
Dans l’Annexe d’un mercredi
Petite marche de la garde
Autour de ma Duchesse
Et Léon gonflé à bloc
Quatorze heures pile pétantes
Au garde à vous
Reprenait sa course
Gardait le cap
Ne se laissait pas distraire
Par un poulet pâtes champignons sauce crème pain
Accompagné d’une carafe d’eau sans bulle
L’abus d’eau était dangereux pour sa santé
Léon pouvait rouiller
Qui dévouillerait Léon
Mes Frères d’Ame
Après une recherche sur internet
J’apprenais qu’Olivier Faure
Etait le Président sortant du Parti Socialiste
En pleine campagne lui aussi
Léon était un peu moins bête ce soir
Dans sa tour d’Ivoire
Juste pour la rime
Dans sa petite tour des Petits Lus
Des grands Arts
De la longue Rue
Thierry Rousse
Nantes, mercredi 18 janvier 2023
« Une vie parmi des milliards »