Retraite
Me retirer du monde quelques temps
Ce temps m’était nécessaire
Pour observer
Comprendre
Ecouter
Ecouter le silence
Ecouter la petite voix intérieure
Qui me montrait une direction
Là où il m’était bon d’aller
Une évidence
Là où tout s’alignait
Les planètes
Les oiseaux
Prenaient forme
Se correspondaient
Comme les pièces d’un puzzle
Là où ça avait un sens
Une raison d’être
Ce ça qui me remplissait de joie
De paix
De satisfactions
Alors quand le roi
Touchait à nos retraites
Dans nos coeurs
Ca faisait des bonds
Les drapeaux rouges de notre sang s’agitaient
Sous la pluie de l’hiver
Les gens se rassemblaient
Un à un
Convergeaient vers le miroir d’eau
Se comptaient et étaient fiers
Enfin nous étions nombreux et forts
Tout autour des remparts du château
A défendre nos retraites
A les protéger
Ce privilège
Qui n’était autre
Que la part de notre travail
Mise en commun
Notre trésor public
Notre doudou
Nous retirer du monde quelque temps
M’arracher à mon travail
Rejoindre les drapeaux de la colère et de la fête
Les rattrapper
Du dernier au premier
Du tracteur et de sa remorque balai
Au camion sandwichs et petits verres de vin rouge
Cette discrète locomotive en tête
Que nous suivions
Sur des airs de révolutions
Dégoulinant d’eau glaciale
Des siècles d’histoires
De combats, de victoires
De défaites
Marcher pour dire que nous étions là
Que nous méritions le fruit de notre ouvrage
La retraite pour nous reposer de nos efforts
La retraite
Peut-être pour vivre
Pour exister enfin
Alors
Autant que nous soyons jeunes et en pleine santé
Pour en profiter
Le Roi
Avait-il vraiment envie que nous en profitions
Que nous nous retirions du monde
Pour mieux savoir qui nous étions
J’ignorais les intentions du Roi
Moi le saltimbanque
Sur les pavés à marcher
Je rêvais d’un sable fin doré
Etre un Edgar Morin
Né un 8 juillet 1921
101 ans
Philosophe résistant autodidacte
Qui brillait encore de son intelligence
De sa lucidité à voir le monde
Le comprendre, l’analyser
Me dire que j’avais
Le même nombre d’années à vivre que lui
Cinquante ans devant mon nez
De jours et de nuits
Pour vivre tout ce que je n’avais pas vécu encore
Je me voyais écrire
Créer, jouer, transmettre
M’imaginer à son âge
Imaginer que le travail était ma retraite
Que, déjà, je la savourais
A pleines mains
Les yeux et le coeur grand ouverts
Que le Roi ne pouvait pas me la voler
Ma retraite
Que deviendrait-il sans saltimbanque
Pour le distraire
Une sorte de robot
Déconnecté de la vie
Dans un mortel ennui
Alors
Je chantais
En liesse
Vive nos retraites
Dans les repaires de la tendresse !
Thierry Rousse
Nantes, dimanche 22 janvier 2023
« Une vie parmi des milliards »