Quand tu ne savais plus quel ouvrage choisir
Parmi tous ces livres de la librairie Coiffard
Quand tout n’était plus
Pour toi
Que brouillard
Dans la cohue des visages
La chaleur des corps à corps
Les allées et venues
Les embouteillages
Les mares des lectrices
Des lecteurs de tout âge
S’étalant un samedi
De la place Royale
A la rue de la Fosse
Flots avides de pas et de mots
Quand tu te frayais avec peine et détermination un chemin périlleux
Vers ce sentier exigu de la littérature
D’îlot en îlot
De table en table
Amoncellement de noms
De titres
Et de prix
Quel éditeur
Quel jury
Imposerait ses livres
A coup de renforts médiatiques
De salons
De rencontres
Quel.le auteur.e était en vogue
Quels sujets
Quelles questions
Quelles réponses
Quand tu étais perdu
Incapable de choisir
Il te restait Bobin
Bobin
Comme l’assurance d’une évasion
Bobin
Comme une douce drogue pour l’esprit
Bobin n’était pas encore condamné au pilori
Bobin était mort
Et vivait encore par ses mots
A la vérité
Tu n’y comprenais rien
Ou pas grand chose à Bobin
A toute sa bobine de pensées emmêlées
Et curieusement tu étais toujours attiré
Fasciné par ses écrits
Bobin faisait partie des collections de ta bibliothèque
De tes trous noirs
De tes mystères
De tes clairières de lumière
De tes quêtes
De tes pelotes de laine
Un air de sainteté
Planant à chaque mot né du néant ou des anges
Chaque image
Chaque son
Chaque sensation
Chaque impression
Bobin
Et son air serein
La maison où toujours tu reviens
Pour espérer le comprendre
Un peu mieux
Demain
Bobin
Bobin
Pareil aux arômes subtils d’un vin
Aux parfums de l’ivresse
Aux couches superposées des visions
Tu ne savais plus très bien
Beaune
Coiffard
Bobin
Quelles bouteilles
Quelles merceries
Quels livres tu avais lu de lui
Dans ta cave
Ta cuisine
Ton grenier
Ta chambre
Les noter pour t’éviter d’acheter deux fois trois fois quatre fois le même
Les noter pour chercher en bon détective les pièces manquantes à son puzzle
Celles qui te permettraient de comprendre les autres
Où à la fin tout s’éclairerait
Où tout ne serait qu’évidence
Porte vers le ciel
Dîner aux chandelles
Pull pour les rudes hivers
Bobin
Tu avais rencontré à ce jour de ce philosophe
La part manquante
Une petite robe de fête
Le très-bas
L’inespérée
Louise Amour
Les ruines du ciel
La grande vie
La nuit du coeur
L’homme joie
Que te restait-il
Ce premier février deux mille vingt quatre
A découvrir
Tant à vrai dire
La femme à venir
La folle allure
Donne moi quelque chose qui ne meure pas
La plus que vive
Autoportrait au radiateur
Geai
Ressusciter
L’enchantement simple
La lumière du monde
La dame blanche
La présence pure
Un assassin blanc comme neige
La prière silencieuse
Noireclaire
Autant de livres
Autant de motivations
Pour continuer à vivre
Autant de buts à atteindre
De cimes à gravir
D’abîmes à franchir
Passerelles de mots
Entre obscurité et clarté
Contrastes bourguignons
Densité du Morvan
Les chants de la nuit des étoiles
La femme aimée au bord du lac
« Je crois que j’ai toujours écrit pour sauver quelque chose ou quelqu’un » (1)
écrivais-tu Bobin
A la quarante huitième page d’ « un bruit de balançoire «
Balançoire de la Terre à la Lune
Pousse-moi Bobin un peu plus loin
Je voudrais m’élancer jusqu’à ton regard ravi
Qu’avais-tu envie de sauver
L’humanité
Les animaux
Les végétaux
Les minéraux
Toute vie qui te semblait si belle
Qui avais-tu envie de sauver
L’être qui trouvait sa vie si ordinaire
L’être qui se sentait si seul
Transparent aux yeux des gens
L’être qui s’apprêtait à mettre fin à sa vie
C’est pour lui que tu écrivais
C’est à lui que tu disais
Promets-moi de me lire demain
Demain
Demain
Moi et Bobin
Egarés sur une île
De la librairie Coiffard
A peine visibles dans le brouillard
La ville était traversée à nouveau par des manifestations
Des professeurs aux agriculteurs
Deux mondes sous pression
Et tant d’autres
Et dans cette librairie
Il y avait Bobin
Juste une évasion
« La lecture est un billet d’absence, une sortie du monde ». (1)
Thierry Rousse Nantes, jeudi 1er février 2024 "Une vie parmi des milliards" (1) Christian Bobin, "Un bruit de balançoire", édition L'Iconoclaste / Gallimard