Une page
Une seule page
Imprimée de travers
Les débuts de mots
Alignés à gauche
Dans la revue numéro 19 de la Grappe
Avaient disparu
Page numéro
Il n’y avait pas de numéro de page
Aucun
Juste la deuxième page de ton texte
Un froid de canard
Qu’une seule page de travers de la revue
Cette page
Ta deuxième page
Et cette liste de moitiés de mots disparues
Les retrouverais-tu dans ta mémoire
Trente sept après
Ce jeu de reconstitution t’avait été donné
Le début d’une moitié de ta vie à la trappe à retrouver
Théophile dans les cieux ne manquait pas de malice
Dernier troubadour ou presque
Poète anarchiste
Qui s’amusait
Complice des mots
Il se jouait de leurs lettres
De leurs sons
Et même de leur orthographe
Clin d’oeil à tes vingt ans
Rimbaud sa besace trouée riait aussi
Déambulant dans le temps
Ambulance poétique
1987
A semer
Les raisins de la jeunesse
Sur les bords de la scène
Maison de la jeunesse et de la culture de ton quartier
Tu déclamais tes mots inachevés
Hachés par la cisaille de la censure
En étais-tu vraiment bien sûr
Ta raison escaladait les murs
Guettant la moindre fissure
Y faufilant ta voix
Tu construisais ta révolte d’être banni
Un froid de canard
Deuxième épisode
Sous les pavés la plage
On a les cheveux au vent quand on a vingt ans
Et l’envie d’un feu de joie
Pour se réchauffer avec toi
Ila
En grattant les cordes d’une guitare désaccordée
Au clair de la lune déjà tard
Tu avais écrit cette bafouille d’étudiant dégouté d’économie
Ratatouille d’idées mixées
Au hachoir du grand poète Théophile
Cultivant l’espoir d’un vin nouveau
Mange tes mots
Marcel
Mange tes mots
Marcel
Rifie
Dans un train qui avance sans nous
Sur un rail politique
And
Profit
Oh non
Ce serait
De ne pas dire tout haut
Quel
Notre profit en ce monde
Trop bête comme quoi la flamme
Vie
Prend le devant avant même que les mots ne soient inscrits
Le papier
Pétrifié
Ila
Donc je suis un écrivain de l’avant
Je fais avant d’écri-
Ou je fais et j’écris
Ou j’écris et je fais
Truffaut disait
E
Le cinéma était sa vie
Maintenant nous allons faire en
R.T.E.
Que son cinéma soit notre vie
C’est à dire
Notre
E
Soit une passion
Exprimons donc notre désir
Créons un
U
De nous-mêmes dans un monde qui a trop vite tendance à ne
S
Penser à nous
Faisons du théâtre
Jouons au cinéma
Organi-
N.S.
Des actions pour aider les plus défavorisés
Broyons les
Aines
De la solitude
Ce que tu fis
Tu laissas tout
Trois années plus tard
Les études d’économie
De philosophie
Et même le théâtre
Pour servir la soupe aux sans-logis de Paris
Tu clamais tes vingt ans militant
A la face de Madame
I
Il y a toujours une Madame qui dit que ces jeunes sont
En
Trop jeunes pour avoir une activité de jeunes et que le
Nema
Le théâtre la solidarité sont pour les grands
Mais
Mment
Être grands si on nous empêche de devenir grands
Non
Est bien nous la génération de demain
L’art de demain
Que
Bureaucratie le sache
Et qu’elle nous fasse confiance
Ila
Etait hilare
Dans un coin de la cheminée
Elle dégustait tes mots mâchés
Et s’en délectait
Marcel
R
Sans l’art
Je ne vois pas ce que je ferai là
Non
Pas
Tout
Entre les automobiles et les banalités de
Ça va
Oui
I
Non plus
Et toi un peu plus
Glissant sur des courbes écono-
Ques
Qu’est-ce
Caisses de vide
Car l’économie quelle belle connerie
Oui quelle belle
Nnerie
Un piège à cons
J’y suis tombé
Et je n’y retomberai
Us
Us des coutumes libérales
Productivité
Compétitivité
L’argent doit rapporter aux actionnaires
Côté en bourse
Non
Maintenant
Je vais voir des films
Ila
Le dernier était
Tarkovski
Il s’intitulait
Le miroir
Une petite merveille
L’évocation de la nostalgie de l’enfance
Du manque de spiri-
Ila
Alitée
Et de profondeur sentimentale et affective dans les
Opos échangés
De la difficulté d’exprimer par les mots tout
Qu’on éprouve
Les limites du langage
Et de l’aspiration
L’éternité
Valoriser l’âme du corps
Quelques particules de mots
Coincés dans la gorge
Tu accouchais d’un souffle
Un coup
Mon sang de canard était réchauffé
Tu seras mon coin coin
Ila
L’écran qu’on
Nsait
Pensait
Être une fenêtre
Était désormais ouverte
Ouvrez les guillemets
Points de suspension
Libération des sons
Théophile jubilait
Art ouvre grand les yeux
Grand le coeur
C’est une flamme
I
Ila
Apporte chaleur et lumière
C’est une grande illusion qui
Ila
A l’arrière d’une deux chevaux
Vient réalité
Dans tes bras
C’est un verbe qui a son silence
Festoyer
Après avoir vendangé
Le fruit d’un baiser mûr
Gorgé de jus
O
Doit bien y réfléchir dans son ministère mais son art n’aura
Mais le même son que celui des artistes
Ila
Était comblée
Artiste suce son pouce au matin
L’artiste met la main dans
S
Cheveux dans le train
L’artiste regarde avec un air triste
Paysage du soir défiler
L’artiste voudrait se blottir
L’art-
Fin de la deuxième page
Ila était enjouée
Tu gardais la troisième
L’ultime page de cette grappe
Pour la nuit des lectures
De ta belle
Ila
C’était donc
Toi
Qui avais coupé
Mes mots
Toi
Qui désirais
Leur donner
En cette nuit
Une saveur inconnue
Imprévue
Ces mots à la trappe
D’une Grappe d’été 87
Vingt ans
Et toute la vie devant
A toi
Mon Ila
Je t’appelais
La fille du coupeur de mots
La fille du coupeur de mots
Thierry Rousse Nantes, mercredi 6 mars 2024 "Une vie parmi des milliards" La Grappe Numéro 19, été 1987