Tu tombes de soleil
Tu luttes entre deux sommeils
Pour rester éveillé
Sous un ciel aujourd’hui voilé
Tu demandes
Un café deux cafés
Et déjà
Trop de sons
Emplissent ta tête
Impossible d’entendre tes pensées
Pas vraiment le genre de musiques
Que tu désirais écouter
Là en ce début d’après-midi
Alors te contemple pensive
Ta page blanche
Ta douleur est vive
Encore cette foutue rage de dents
Elle ne veut plus te quitter
Elle t’a adopté sur sa liste des abonnés
Au bistrot du temps retrouvé
Elle perturbe tes idées
Tu ne manges plus de chocolats
Tu restes là
La vie est triste
Quand
Lui et elle
A cette table
A côté de la tienne se sont assis
Face à face
Les yeux dans les yeux
Elle s’était faite jolie pour lui
Il s’était fait lui pour elle
D’abord commander
Que choisir sur les cartes
Puis
De quoi parler
Du temps éboulé
De politique
De voyages
D’artifices échoués
Ou tout simplement de soi
Le sujet qu’on maîtrise sans doute le mieux
Que deviens-tu
Depuis toutes ces années
T’avais déjà écrit un truc là-dessus
Du genre écoulé
Je crois
Le temps avait viré
En une seconde
De l’été à l’automne
Il s’était empiré
Alors
Trinquer à la fin du monde
A la dissolution de l’Assemblée
Aux cris des ours polaires
Non
Prends pas ce ton monotone
Il se corrige
Il lui sourit
Elle
A plutôt bien réussi
Une maison
Et sans doute un mari
Un emploi fixe
Bien payé
Tu t’imagines
Les enfants
Le chien
La grosse voiture
Et la tortue
Lui
Lui sourit toujours
Elle aussi
Il
Plutôt évasif
Sur sa vie
Ça vacille
Un peu artiste à mi-temps
Il se recentre sur ses yeux
Les pupilles s’émoustillent
Les mots frétillent comme des anguilles
Ils ont tant de choses à se dire
Elle balance son pied sous la table
Jupe courte
Bas résille
Talons pointus
Presque à se frôler
Les verres contiennent tant de souvenirs ravivés
Alors
Faire du tri
Parler du meilleur de sa vie
Leur histoire leur appartient
Tu te défends de les écouter
Lire sur leurs lèvres les mots qui les unissent
Elle et lui
Un dernier verre de vin à la main
Un défilement de chansons
Entre Woodstock et Hellfest
Un ultime Muscadet
Et peut-être des regrets
N’arrivaient pas à se laisser
Un dernier baiser sur la terrasse
Lui et elle
Un trottoir de rires
D’au revoir
C’est drôle on va dans la même direction
Coïncidence
Connivence
Pure évidence
Semblable destination
Disparus
Tu tombes de soleil
A la Trinquette
Ta page blanche s’est noircie
De quelques lignes écrites
Entre deux vies
Face à toi-même
Les miroirs reflètent ta solitude
Tombée du soleil
Tu luttes entre deux sommeils
Pour rester éveillé
Tu regardes le monde défiler
S’arrêter et causer
Pause d’une vie
Instant fragile
Il pleut sur Nantes
Et le tramway t’attend
Sur la Butte Sainte-Anne
Une dizaine d’enfants
Tu leur donneras le goût du théâtre
En fait ils l’ont déjà
Le goût du théâtre
Tous à vouloir jouer
A vouloir s’évader
Ils ont bien compris
La grandeur d’une cage
Quel était le sens de la vie
Dans l’épuisette de leurs rêves
Un océan d’or
Sur le stade
Tu voudrais bien t’endormir
Tu tombes de soleil
Thierry Rousse
Nantes, vendredi 14 juin 2024
"Une vie parmi des milliards"