Tous ces rôles qu’t’avais imités
Pour exister en société
Parce qu’tu n’savais pas comment
Exister autrement
Parce qu’tu n’savais pas comment
Simplement toi tu pouvais exister
Aux yeux d’ces gens
Parce qu’toi
C’était la grande question
De qui t’étais
Au-moins toi tu t’l’étais posée
Cette question
Impossible de cerner ce grand vide
Qui t’angoissait
L’infini de l’univers
Les origines de la vie
T’avais besoin de repères
Tout détailler tout écrire
Ton seul moyen de vivre
Et quand une chose n’était pas faite
Comme c’était écrit
Alors là venaient tes cris
Face aux spectres mouvants de l’inconnu
Parce que l’monde devait être parfait
Pour exister
Etait-ce cette réponse qu’on avait apportée à ta question
La perfection pour exister
La perfection pour qu’t’existes
Le mode d’emploi décomposé
Chronométré
La perfection d’la conduite
La perfection d’la cuisson
La perfection du geste
Tout un tableau organisé
Pour exister
Comment vivre autrement
J’m’efforçais bien d’y répondre
Tout c’qu’on avait inventé
A l’appart’ager
Pour que t’sentes exister
Tout était clair organisé
Ce p’tit monde hors de la réalité
Qu’il te faudrait bien un jour affronter
Ou rester confiné dans un nid protégé
On n’était pas tous outillés
A affronter l’instabilité
L’imperfection
Qui nous renvoyait à nos questions
Pourtant dans le vide
Tu pouvais être toi aussi
Un enfant
J’ne pouvais pas toujours t’offrir la perfection
Qui le pouvait vraiment
Avais-tu rencontré ces êtres
Qu’on appellait les clowns
J’suis pas trop sûr qu’ils appartenaient à la terre
Il y avait cet abîme
Ce vertige
L’immensité de l’infini
Ce seul vide
En eux
Qui leur permettait d’accueillir le monde
Les clowns étaient comme des éponges
Le monde pénétrait en leur corps
Ils jouaient ses personnages
Et entre deux
Revenait en eux cette question
Qui suis-je
Qui est mon corps
Un être malade à soigner
Etait-ce cette vérité qu’on avait voulu t’enseigner
Inapte au monde adulte
Immature
Ces mots t’avaient enterré de murs
Diagnostic médical
Qui te jugeait bancal
Quand tu n’étais simplement qu’un ange
Tombé sur terre
Et que c’était bien toi
Qu’on devait accueillir
Dans tes fragilités
Pour apprendre à vivre
Et surtout pas te persuader
Que la perfection
Etait le seul moyen d’exister
Ton être m’intéressait bien plus
Que les répliques qu’il fallait interpréter
Pour être bien en société
On peut pas vivre toute sa vie camouflé
Dans une camisole de rôles même bien joués
C’est ce théâtre qui laisse place à ton être
Qui me plaît
Pas celui qui veut nous formater
L’illusion est pleine de compromissions
La comédie
La vraie
Est la vie
Qui se joue
Aux places debout
Shakespeare l’avait compris
On ne peut pas grandir
Dans un regard qui nous oblige
On ne peut pas grandir
Dans un regard qui toujours a à nous redire
On ne peut pas grandir
Dans un regard qui toujours
Nous prend de haut
On ne peut vivre
Que dans un face à face
Où la parole se dit
Qui suis-je
Thierry Rousse
Nantes, mercredi 11 septembre 2024
"Une vie parmi des milliards"