Ciel gris et d’escargots toute la journée. Un temps à rester sous mon toit, un temps à travailler avec moi. Ce genre de temps que j’aimais parfois. Ce temps qui m’éloignait de la tentation irrésistible d’embrasser les fleurs. J’accueillais cette grisaille et ces gouttes d’eau comme une aubaine. Cocher les cases de ce que j’avais à faire. Chaque case cochée me remplissait de joie. J’avais cette sensation d’avancer. Avancer vers quoi, ça, je l’ignorais. Cet ami qui venait de perdre son papa s’ajoutait entre deux éclaircies à mes nuages. La météo extérieure jouait sur la météo de mon âme. Quelle météo était le reflet de l’autre ? Laquelle décidait de sa semblable ? Je laissais un temps mes questionnements météorologiques pour m’engager dans l’action. Agir, la recette pour percer les nuages! Prendre ma vie en mains. Rédiger mes propositions à cette nouvelle guinguette qui pointerait son nez cet été sur les bords de la Sèvre. « Rêver Sèvre ». Mon enthousiasme peu à peu retombait, le doute s’immisçait au creux de mes rêves. Mes projets seraient-ils retenus? Mon travail, rémunéré? Combien d’heures consacrerais-je à quelque maigre pitance? Heureuses étaient ces compagnies subventionnées qui pouvaient rémunérer leurs artistes ! Heureux étaient ces artistes qui bénéficiaient du graal de l’intermittence et d’une année blanche ! J’étais à côté de ces hors-d’oeuvre après avoir connu mes heures de gloire à Avignon, Vaux-le-Vicomte, Fontainebleau, Richelieu… J’étais, aujourd’hui, un troubadour au fond d’un trou. La pluie gagnait mon âme. Tant pis, je sortirais. J’avais besoin de respirer. D’une bouée de secours. La pluie, aussitôt, lavait mes idées noires. De retour, après une marche normande, je m’offrais un copieux goûter. Confiture, chocolat, brioche, tout ce qui m’était défendu. Mon ventre en prenait un sérieux coût. J’observais ce bébé sucré qui m’avait consolé. Mes nuages s’étaient dissipés. Un regain d’énergie me remit au labeur. De nouvelles idées jaillissaient sous un ciel bleu. J’installais mon théâtre miniature devant ma cheminée. Sept mois qu’Amélie et Pierrot n’étaient pas sortis de leur boîte. Ma dernière représentation remontait au dimanche 13 septembre 2020 à la Guinguette Ensablée pour la Fête de l’Humanité de Vendée. Dernier bonheur de jouer pour un public. Deniers sourires, derniers applaudissements. Je les regardais, Amélie et Pierrot qui me regardaient. Ils me semblaient heureux, ma foi. Leurs visages me remerciaient de les avoir déconfinés. Quelle brute, avais-je été, les avoir laisser si longtemps enfermés dans cette boîte, sans aucune explication valable. « Promis, je reviendrais jouer avec vous! ». Le pas m’était encore difficile à franchir. Jouer pour qui? Jouer pour mes chaises? Pour ma table ? Pour mes plantes ? Pour mes livres ? Pour mon chauffage qui fonctionnait enfin maintenant au sortir de l’hiver? J’avais coupé toute musique, toute voix, Fip, France Culture. Le silence de la solitude résonnait si fort dans mes oreilles. Jouer pour Amélie et Pierrot ? Je repensais aux Bigoudis, à ce « K Barré des Klowns » que nous avions répété et que nous n’avions jamais pu offrir à un public. La mélancolie de tous ces rêves échoués, de tous ces bébés qui n’étaient jamais nés au monde. Quelle sage-femme me montrerait le chemin de l’accouchement ?
En ce samedi de pluie et de grisaille, mes yeux ne virent aucun escargot. J’en aurais pris soin. Ma besogne était accomplie. Le ciel, toujours gris. Un soir de raclette pour nous trois. De quoi réchauffer nos coeurs. Un jour, la vie renaîtrait, un 17 août, je le savais. Nous pointerions nos nez. Ce lundi, débuteraient cinq jours de répétitions de « La ferme des animaux ». Le théâtre n’avait pas dit son dernier mot. Ni, le soleil…
Thierry Rousse
Nantes, samedi 10 avril 2021
« A la quête du bonheur »