Parcourir le monde

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

Parcourir le monde

Et rencontrer son âme profonde

Un doux songe espéré

Le rêve de ton être libéré

Ton voyage en Colombie raté

Tu n’avais pas osé t’envoler

Cécilia t’avait invité dans sa famille pour Noël

Cette fille de ton âge que tu trouvais si belle

Avec laquelle tu échangeais des lettres

Entre vous un commun idéal

Grâce à une association de correspondance internationale

Débarquer sur sa montagne chez des gens inconnus

A Santa Fé de Bogota dans un pauvre quartier

Ce qu’on t’en disait avait fini par l’emporter

Drogue vols violence partout dans les rues

Tu te voyais déjà embarqué

Sous le charme de ses yeux

Ligoté à son lit par son vieux

Un revolver vers ton insouciance pointé

Parcourir le monde

Et rencontrer son âme profonde

Un doux songe espéré

Le rêve de ton être libéré

Il te restait juste ce petit livre

« Colombie »

Grignotté par ton chat

Un triste jour d’ennui

Sans doute

Avait-il trouver là

Un bon moyen

De faire ses griffes

Se venger sur la Colombie

Parce que dans tes pensées tu étais déjà parti

Parcourir le monde

Et rencontrer son âme profonde

Un doux songe espéré

Le rêve de ton être libéré

Il te restait que ces images dans ta tête brouillée

De magnifiques parcs fleuris

Le royaume des orchidées

Les portes d’entrées de l’Amazonie

Ou les Indiens Guajiros

Il te restait ça

L’amour que tu avais imaginé à cet âge-là

Main dans la main avec ta Cécilia

Et cette mélodie qui dansait dans ton soleil

Corriger les paroles d’une chanson

De Simon

Et Garfunkel

Par des arcs-en-ciel

De baisers

Et de caresses infinies

O Cécilia

Une famille qui t’aurait aimé enfin

Et puis

La Colombie

La Colombie

N’était-elle qu’un pays de drogue de vols de violence

Comme on disait

Comme les rumeurs le colportaient

Ton petit livre touristique

N’en disait pourtant que du bien

A peine une page sur le sujet

Il te faisait rêver de l’Eldorado

Te faisait plonger dans un tango

Un bal de coraux

Il te faisait compter les perles fines

Du sable blanc des Caraïbes

Te glissait au fond d’une mer chaude et transparente

Ton petit livre touristique avait des ailes

Etalait les charmes des nuits de Carthagène

Là où tu pouvais “boire un verre dans une ambiance coloniale” (1)

Il savait exciter tes papilles de mets traditionnels

Le riz à la noix de coco

Le beignet de maïs fourré à l’œuf

Les haricots rouges

Aux tranches de banane douce

Les cathédrales, les parcs, les musées, les jardins botaniques étaient légion

L’or à profusion dans les coffre-fort secrets d’un siècle et plus d’Espagnols conquérants

Tu pouvais aussi grimper jusqu’à la cité perdue des premiers habitants de cette terre

Eux qui croyaient vivre au centre du monde sur la plus haute montagne du littoral

Tant la nature leur offrait sans privation

De beautés de fruits et de poissons

De tous ces trésors

De tout ce paradis

Tu n’avais rien vu

Ni précolombiens ni la famille de Cécilia à Noël

Rien

Rien

Rien que des mots écrits trop petits sur ton petit livre

Pas même vu Bolivar

Le grand libérateur

Dressé sur son cheval nu

Tu n’avais pas eu le courage non plus de lire

Cent ans de solitude jusqu’au bout

A peine le début

Une journée de solitude déjà

T’épuisait

Que valait une vie

Si aux autres

Tu n’étais pas relié

Quand

Juste avant l’automne

Cécilia

A Paris était venue

Étudier les arbres

Vous vous êtes enfin vus

Tu as parcouru du regard

A l’Arboretum des Barres

La cime des séquoia avec elle

Tu lui as fait connaître le Théâtre de La Cartoucherie

Ariane Mnouchkine et la fondue savoyarde

Au premier étage de ce chalet à la Bastille

Tu l’avais accueillie dans ta maison à Maincy

En pleine nuit elle t’avait appellé affolée

J’ai fait un cauchemar

J’ai peur de tout mon corps je frémis

Tu l’as rassurée par tes mots puis tu es reparti dans ta chambre retrouver les bras de Morphée

Tu n’avais rien compris

Une fois de plus à la Colombie

Tu laissais passer cette chance inouïe

Était-ce vraiment au fond une chance

Un signe d’amour

Cette araignée soit disant qui l’avait réveillée

Elle finirait par te dire

Si je suis venue à Paris

C’est pour retrouver l’homme

Que j’ai aimé et que j’aime encore

Disait-elle la vérité

Toute la vérité

Voulait-elle te tester

Sur ses paroles tu t’es effondré

Sans jamais te montrer sous terre

Tu étais presque à lui répondre

Je peux t’aider Cécilia à retrouver ton prince charmant

Paris n’est pas si grand

Puis elle est repartie en Colombie

Les oiseaux ont continué à échanger vos mots

Puis un jour

Tu ne sais plus ni pourquoi ni comment

Par quel vent

Vous ne vous êtes plus jamais écrits

Les oiseaux avaient disparu dans le ciel

Ton tour du globe en Colombie était bel et bien fini

Parcourir le monde

Et rencontrer son âme profonde

Un doux songe espéré

Le rêve de ton être libéré

Il te restait

Les premiers souvenirs de tes voyages

Autour d’un monde réduit en solitaire

Cette Italie que tu avais sillonnée en train

Tout seul à ta majorité

Pour fêter ton baccalauréat

Grâce à l’argent que tu avais gagné

En travaillant comme agent de sécurité à la Défense

Fortune qui fut vite volée à Venise

Dans une auberge de jeunesse

Tu dormirais alors sur les bancs

Sous les lampadaires des places publiques

Ou dans les trains de nuit

Une petit chien monterait pour toi la garde à Bologne

Aboyant au premier passant

Clin d’oeil des anges qui avaient exaucé tes prières

Au petit matin le petit chien repartirait comme il était venu

Discret comme une ombre de la nuit

Parcourir le monde

Et rencontrer son âme profonde

Un doux songe espéré

Le rêve de ton être libéré

Un périple à vélo avec ton frère Jérôme

De Vézelay au Puy en Velay

Et une marche vers Compostelle

Traverser les champs de taureaux

Reconnaître les mille vaches

Etre perdu dans les brumes de Conques

Franchir la frontière à Roncevaux

Etre éclairé d’ampoules

A travers le désert de l’Espagne

Le monde était parcouru

De sentiers si longs

Et souvent mélancoliques

Parcourir le monde

Et rencontrer son âme profonde

Un doux songe espéré

Le rêve de ton être libéré

Un trip religieux à trois en auto-stop jusqu’à Assise

Avec ta sœur Marie et ton fidèle frère Jérôme

Et un peu plus tard

Quand Soeur Marie avait poursuivi sa route à Jérusalem

Il vous restait la Sicile et Malte

Ton cœur faisait une halte

Sur l’île de Gozo

Aux côtés d’Ulysse

Captif de Calypso

Douce prison

Chaque soir

Tu donnais rendez-vous à ton frère Jérôme

Lui enquêtait la journée durant sur ses ancêtres

Et pouvait remonter ici jusqu’au Néolithique

En tournant les pages des reliques de pierre

Jusque là vous trouviez toujours un petit coin caché

Le camping sauvage était ici formellement interdit et puni

Ce jour-ci le soleil se couchait au bout de la petite île

Que les Phéniciens avaient baptisée

Lentille petit bateau rond

Et toujours pas de frère Jérôme à l’horizon

Tu angoissais à l’idée de dormir seul en terre inconnue

Tu tournais en rond comme un poisson dans une épuisette perdu

Sans doute ton frère avait raté le dernier bus

Que faire alors

Où aller

Tu te voyais déjà embarqué par la police maltaise

Dans un cachot sordide

Ulysse semblait indifférent à ton sort

Incapable de te tendre la main

Tu implorais le ciel

Ton pote François

De faire descendre de son paradis

Une douce compagnie

A Assise Claire t’avait bien plu

Quand soudain

Tu vis la plage heure après heure

Se peupler d’un tas de gens

Autour de feux allumés

Ils sortaient guitares vin et victuailles

Et toute la nuit ripaillaient

Et toute la nuit buvaient chantaient dansaient

L’hôtel luxueux d’à côté avait organisé une nuit blanche jusqu’au lever du jour

Tu ne t’étais jamais senti aussi entouré

Un peu de trop sans doute

Au milieu de tous ces vacanciers

Tu ne pouvais être qu’en sécurité

Aucun policier maltais ne remarquerait le campeur sauvage que tu étais

Le vagabond solitaire à la dérive craintif sans son frère

Noyé dans cette masse de touristes bon chic bon genre

Tu remerciais ton pote François

Qui ne manquait ni de bienveillance ni d’humour

Parcourir le monde

Et rencontrer son âme profonde

Un doux songe espéré

Le rêve de ton être libéré

Les pieds dans un Lagon tout bleu

Tu caressais les tortues les dauphins et toutes les sirènes

Tes pensées avaient coloré tes mollets de bleus

Parcourir le monde

Et pourquoi

Pour l’exploit sportif de tes muscles

Pour ne voir que les cailloux d’un chemin

Compter les blessures à tes pieds

Ou les tâches noires d’une route goudronnée

Atrocement souffrir

La dureté d’une selle

Le dos voûté

A pédaler encore et encore

Sans jamais en voir la fin

Parcourir le monde

Pour arriver au final

Aussi seul qu’avant

Et en prime

Ne rien comprendre à la langue des pays traversés

Parcourir le monde

Pour t’enfermer sur un podium de silence subi

Paniquer à chaque interminable traversée

Perdre les balises

Te rallonger

T’achever

Ou t’émerveiller le temps d’un répit

D’une pause exquise

De la beauté de la nature et des édifices de l’humanité

Sans jamais vraiment tes sensations pouvoir partager

Parcourir le monde jusqu’aux larmes salées

Jusqu’à la crise d’angoisse

Seul dans l’obscure forêt

Qui suis-je et qui m’aime

Ma vie n’est que bohème

Lourde de peines

Je ne porte pas un trophée

Mais une croix fatiguée

Je voudrais rire de mes jeux de mots

Passer des heures à regarder les vaches

Être le berger de ces moutons

Sonner les cloches de Pagnol

Je ne suis qu’un globe-trotter ignoré

D’autres que moi

Ont bien mieux réussi leur odyssée

Les serpents ils ont su charmer

Parcourir le monde

Et rencontrer son âme profonde

Un doux songe espéré

Le rêve de ton être libéré

Etais-tu prêt

Marcel

A repartir

Croire qu’un autre monde était possible

Juste aller le voir avant de ronfler

Juste te regonfler le cœur d’éternité

Pour croire encore un peu au bonheur

Parcourir le monde

Et rencontrer son âme profonde

Un doux songe espéré

Le rêve de ton être libéré

Il te restait la saveur d’un café colombien

Et tout l’or des désirs de sa petite cuillère

Parcourir le monde d’étincelles multicolores

Parcourir la nuit étoilée

Et rencontrer tes yeux

Un doux songe espéré

Le rêve de ton être

Globe trotter

Amoureux de la vie

Thierry Rousse
Nantes, samedi 6 avril 2024
"Une vie parmi des milliards"
(1) « Colombie » de José A. Ortiz Bernal, éditions Marcus

Douze kilos de soi sous le voile

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

1

Les plaisirs solitaires

En parler

Sujet tabou

Intimité des êtres

Ou dévoilés au grand jour

Plaisirs solitaires d’hommes ou de femmes

Poser quelques mots

A peine

Sur le bout de la langue

Slamés

2

Plaisirs solitaires

Plaisirs défendus

Plaisirs cachés

Plaisirs honteux

Sous le joug du péché

Le poids du repentir

A la découverte de l’adolescence

Le corps bouillonnant

Plaisirs solitaires qui se prolongent indéfiniment

La Croix des esseulés

Des corps fantasmés

Images

Vidéos

Erotiques

Pornographiques

Dans les chambres closes

Emmanuelle

Première découverte grand public

Même Bachelet ose pousser la chansonnette

Quelles représentations sur l’écran

De soi et de l’autre

Quels rapports

Fascination

Domination

Soumission

Soulagement d’une tension

Assouvissement d’un fantasme

Ou tendresse partagée

Sensualité des sentiments

Désirs et illusions

Désillusions

3

Plaisirs solitaires

Souvenirs de confessions

Alors mon Fils

Quels sont vos péchés

Racontez-moi

Combien de fois ce mois-ci

Détaillez mon fils

A quoi vous pensiez

A quoi vous pensiez

Plus précisément

Plus précisément

L’extase

Mon Père

L’extase

Vous êtes pardonnés mon Fils

Dieu vous aime dans son infinie bonté

Vous me ferez mon Fils

Je vous ferai quoi mon Père

Votre pénitence

Auprès de votre Père Bien-Aimé

Rien qu’une petite douceur mon Fils

Pour vous faire pardonner

De tous vos péchés

Le corps est le temple de l’Esprit

L’Amour est sacré

Offrez-vous tout entier à son désir sans limite

4

Plaisirs solitaires

Croiser cet autre chemin où tout est possible

Tantra

Te voilà

Donc

Apprendre à te retenir

Contempler sans toucher

Face à face

A genoux

Devant toi

Une femme

Presque nue

Faire monter vos désirs

Yeux dans les yeux

Décupler vos plaisirs

Inspirer

Expirer

Vos corps

Le plus beau des joyaux

Vos corps sans se toucher

Vos corps retombés

Vos corps frustrés

Souffles coupés

Précipices à la pointe des cimes

Où tout est possible

5

Tantra encore

Quelle partie de toi

Tu m’autorises à toucher

Puis-je t’embrasser

Te tenir la main

T’effleurer l’épaule

Te caresser le sein

6

Plaisirs solitaires

Retour à la réalité

Lis la notice des consignes

L’ordre mondial de la santé publique

7

Amour public

Ou

Amour Privé

Trouve-t-on encore des amoureux sur les bancs publics

Trouve-t-on encore des amoureux dans les transports publics

Où se cachent les amoureux

Les cœurs Joyeux

Les cœurs joyeux se montrent l’été

Sur l’herbe tendre allongés

Des lotus libérés

8

Amours épanouis

Corps en vie

Plaisir de nouveau autorisé

Récompense d’une bonne conduite

Plaisirs solitaires à deux

Ou amour des wagons-lits retrouvé

9

Un canard jaune au coin de la rue

La boutique des plaisirs solitaires

Jouets des grands romantiques

Qui ose y entrer

Un chapeau noir

Des lunettes de soleil

Attention

Tu es filmé à l’entrée

La sortie est condamnée

10

Plaisirs solitaires

Face contre terre

Aride

Dérèglements climatiques

11

Plaisirs solitaires

Contempler le coucher de l’astre

Sur la mer

12

Plaisirs solitaires

Te baigner dans les bras argentés d’une lune

Et boire un porto blanc

Dans un verre à pied

Plaisirs poétiques

Douze kilos de soi

Sous le voile amer de tes désirs

Thierry Rousse
Nantes, vendredi 5 avril 2024
"Une vie parmi des milliards"

Douze kilos de pensées de soi

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

1

Penser à la gymnastique des lèvres

Le smiley dans le bon sens

2

Penser à la joie permanente

Première image de toi

L’apparence

Parfaite

3

Un seul pas sur la photo

Toi

Pourquoi

Pourquoi toi

Le seul absent sur la photo

Toi

Une nouvelle fois

Ton corps

Marche à l’ombre

4

La chose te rend triste

Pense au smiley

L’apparence

Parfaite

Tout va bien

Tout va bien

Le photographe ne t’a pas vu

5

Le smiley est dans le bon sens

La joie est à l’envers

6

Tout va bien

Sur la balance

Triste d’un oubli

7

Ce qui compte c’est les tares

Les bonnes tares

Il n’est jamais trop tard

8

Le corps est seul

Penser qu’il est deux

Que la tête dialogue avec les pieds

Les coudes avec les genoux

Le coeur avec le reste

9

Aimer

Être aimé

Sur la balance des jours et des nuits

Il n’est jamais trop tard

10

Quelle pensée est la plus légère aujourd’hui

Quelle pensée flotte à la surface de tes yeux

11

Quelle pensée est la plus lourde aujourd’hui

Quelle pensée traîne ses pieds le dos voûté

12

Quelle pensée fleurit ton corps

Le temps d’une pause à La Trinquette

Assis sur la banquette rouge d’une gare

Tu attends le train de l’école

Ta valise remplie à bloc

De onze autres kilos de pensées

Tu t’offres un selfie

Juste pour être en vie

Thierry Rousse
Nantes, jeudi 4 avril 2024
"Une vie parmi des milliards"

L’écriture

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

Combien ça avait coûté

Ce changement d’enseigne

Et tout ce qui va avec

Tout ce tralala

Tralalère

Paulo avait été remplacée par France

France Travaille

Paulo Emploi se la coulait trop douce

France Travaille était le modèle d’une France en marche

Un train lancé à grande vitesse sur ses rails

France Travaille était active et réactive

Tout chercheur d’emploi nonchalant

Débraillé

Déraillé

Serait averti

Tout manquement à ses devoirs de chercheur d’emploi serait sévèrement puni par la loi

La loi avait été votée

Frappée quarante neuf fois

Ou quarante neuf trois

Frappée par qui déjà la loi

Par les représentants

Les représentants de qui

De quoi

De commerce

Bah

De nous

De nous

De nous tous

Quoi

Nos représentants

Elus à la majorité

Quelle majorité

Toute majorité était relative

Depuis longtemps

La plus grosse partie des citoyens ne votaient plus pour des idées

Mais contre des idées

La tête contre un mur

Par crainte du retour des extrêmes

En effet le grand méchant loup s’était glissé sur les bancs républicains

Père et fille ne faisaient plus qu’un

Sur son visage grincheux

Amandine

Avait de longs cheveux rouges

Aux yeux noirs

Certains individus patriotiques en étaient amoureux

Mais déjà dans tes pensées confuses

Qui tournaient en boucle

A l’état brut

Depuis pas mal d’années

Tu t’égarais sur un chemin pourtant tout tracé

Le chemin des non-voyants

Un soleil inattendu brillait sur le pavé

Éclatant

T’aveuglait sur tout le parvis de la gare du Nord

Brouillant tes pistes

Qui était qui

Qui pensait quoi

France Travaille cherchait sur ton profil où te caser

Te montrait tous ces sites fabuleux

De vrais labyrinthes qui te renvoyaient d’un nom à l’autre

Avec cette sensation au fond de vraiment

Vraiment mal tourner en rond

Puis France Travaille te demandait d’un air glacial

Avez-vous pensé à vous adapter au marché de l’emploi

La question était cruciale

Décisive

La page était blanche où tout semblait se jouer

Avais-tu pensé à t’adapter au marché de l’emploi

Marcel

T’adapter

Simplement t’adapter

A tes cinquante ans

Tu t’étais déjà adapté à ce monde déboussolé

A vingt ans

Peut-être pas assez

Peut-être pas assez

T’adapter jusqu’à plus être toi

Juste un corps qui se fond dans un moule

Avais-tu les compétences pour souder

Construire ces gros paquebots

Qui polluaient les océans

Pour le plaisir des yeux des gens riches

Ou vaincrais-tu ton vertige

Pour dominer les rues

Du haut de ta grue jaune

Élever la cité de demain

Jusqu’à son plus funeste destin

Flottant dans la marée haute

Ou garderais-tu la paix

Ou maintiendrais-tu l’ordre

Policière ou policier

Militaire ou militaire

Quel camp choisirais-tu

Quel sexe

Quel genre

Quel combat

La France recrutait à grands coups d’encarts publicitaires

En attendant d’entrer dans cette guerre mondiale

Comme des joueurs de foot dans leur vestiaire

Autant de questions posées

La guerre ou la paix

Les yeux dans les yeux de France

Autant de perplexités

Dans l’absurdité d’un monde depuis des siècles colonisé

Par de petits chefs têtus

Se plaisant à contempler leur nombril

Au milieu de l’apocalypse

Une coupe de Champagne à la main

Tout nus

Exhibant leurs attributs

Il te restait dans cette partouze l’écriture

Un crayon

Un stylo

Ou

Plus moderne

L’écran de ton téléphone chinois sans fil

Que tu pouvais emporter partout sur la Planète

Simple comme un bonjour

Partout

Partout

Tu pouvais te poser

Et écrire

Observer

Réfléchir

Écouter

Ressentir

Et noter

Noter

Les soubresauts

Qui traversaient

Tes pensées

Laisser la traînée des nuages s’écouler

Les percées du jour transpercer tes feuilles

Les tambours des tonnerres les froisser

Les gouttes d’eau en faire des petites bulles de papier

Petites bulles d’un jour

Petites bulles de toujours

Lorgnette où tu regardais le monde

D’un peu plus haut

Tu en cherchais les cimes

Les notes de musique

Il y avait bien une urgence à dire tous ses dérèglements avant qu’il ne s’effondre

Enseveli sous les eaux

Le monde

Un tsunami

A la moitié de ton siècle franchi

Ce n’était pas fini entre vous

Il y avait des points de suspension

Vous n’aviez pas fini de vous parler

Ton travail était aujourd’hui d’écrire

Correspondre avec elle

Te laisser emporter par tes ailes qui surgissaient

France avait été attaquée par les pirates des voies ferrées

Pleurerais-tu Marcel sur son triste sort

Les données des âmes avaient été volées

Les chercheurs dépossédés de leurs données

Un autre vivrait avec ton nom

Vivrait ta vie

Chercherait la perle d’or

Dans une Californie embrasée

Ruée vers les cendres

Te releverais-tu Marcel boulanger

Ta main d’artisan produisait chaque nuit un récit de vers ou de prose

Comme on façonne chaque jour la pièce d’un navire

Tu convoquais tous tes sens

Tu accueillais le temps d’une pause

Ce qu’une vie parmi des milliards avait à t’offrir

Le champ des rencontres en était infini

Et des mots

Tes doigts en ouvraient le débit

Tu laissais au souffle le soin des virgules

Des interrogations

Des exclamations

Tu effaçais les points

Tu écoutais l’écho des mots entre eux

Comment ils résonnaient dans ton palais

S’ils avaient le flow dans ta langue pâteuse

Tu cherchais la bonne rime

Le bon rythme

Comptant tes pieds sur tes doigts

Tu écrivais pour toi mais bien plus

Tu écrivais pour le monde et plus encore pour l’être ordinaire

Qui un matin te lirait par hasard distrait dans un bus

A cette heure tu comptais aussi les quelques ami.es

Qui suivaient sur le fil d’un blog tes écrits

Des pouces et des coeurs flamboyants

De ton vivant en vogue

Tu n’en compterais peut-être

Qu’une poignée de gens

Ton minuscule auditoire

Nourrissait tous tes espoirs

Consciencieux chaque fin de mois

Silencieux tu imprimais tes livrets

Puis comme un enfant tu rassemblais

Dans ton cartable le poids de tes lettres

Tout fier avec ce sentiment d’être

Marchant sur un trottoir de Madeleine

Vers plein de scènes ouvertes

Gourmand

A ta fenêtre dans la nuit

Tu clamais tes textes

Peut-être sous la Lune d’un éditeur

Rempli d’argent qui passerait par là

Te tendrait un mât

Et ferait de ton livre un best-seller

Le pirate du temps

Dans les derniers jours de ta vie tu verrais une lueur

Traces sur le sable rien que des mots d’amour

Les êtres perdus y accrocheraient leur voile

De tes images de tes mots leurs baisers en tisseraient une toile

France et Paulo s’enlaçeraient

Se confonderaient

Et feraient de l’amour un travail

Nonchalant

Actif

Et réactif

Un monde comme une arche renaîtrait

L’écriture

Des ratures

Des fissures

Dans un mur

Juste

Juste pour laisser passer la lumière

Et

Transparaître

Etre

Thierry Rousse
Nantes, mercredi 3 avril 2024
"Une vie parmi des milliards"

Il y a des vies et ta vie

une vie parmi des milliards

Il y a des vies qui te rentrent droit dedans

Les belles rencontres que l’on fait au printemps

Comme un œil qui s’ouvre, comme une douce épine

Les vies des femmes, des hommes qui te fascinent

Elle il ont osé le choix de leur destinée

Cet amour du vivant, la générosité

Qui motivent, chaque instant, chacun de leur pas

Aimant partager avec l’autre leur repas.

Il y a des vies qui te rentrent droit dedans

Les douces rencontres que l’on fait au printemps

Elle il te montrent leur beauté intérieure

Qui resplendit partout dans leur extérieur.

Il y a des vies qui rentrent droit dans ta vie

Des vies uniques dont tu veux être l’ami

De leurs rayons, tu tombes d’un coup amoureux

De tout ton cœur, tu plonges vite en leurs yeux.

Il y a des vies te poussant dans leur éclat

Ces êtres te font grandir de mille et un pas

Elle il ont l’éveil du soleil et de la lune

Qu’importe que tu aies trésor ou pas de tune

Elle il t’appellent à quitter là tous tes doutes

Pour te lancer voile au vent sur ta propre route

T’élancer vivant vers ce qui te fait vibrer

En train, en vélo, à la nage ou à pieds.

Il y a des vies qui te rentrent droit dedans

Les tendres rencontres que l’on fait au printemps

Elle il t’invitent à respirer cette joie

A pleins poumons, goûter le pouvoir d’être toi

Inspirer, aimer, vivre libre sans épine

Chaque instant, être ton yang et ton yin.

Il y a des vies que tu voudrais partager

Un cinéma ,une promenade, échanger

Un mot, un regard, une caresse, un baiser

Dans un jardin au printemps déjà voir l’été.

Il y a des vies, aussi, il y a ta vie

Ta vie, TA VIE, en face de toutes ces vies

Ne plus être transparent et faire une pause

Hé ! c’est le moment pour la photo, pose et ose

Tu finis par prévenir, combien de fois

L’on t’avait oublié, enfermé sous un toit

Aujourd’hui, du noir, tu veux voir les étoiles

Dessiner tes rêves d’amour sur une toile.

Il y a des vies, aussi, il y a ta vie

Ta vie, tes visages avec toutes ces vies.

A toi maintenant de trouver ton vrai chemin

Cette main qui se tend, un projet qui fait sens

Comme une évidence née dans ton existence

Avec une autre vie, avec une autre vie

Avec une autre vie, avec une autre vie

A quatre mains, construire ensemble demain

A quatre mains vos vies, à quatre mains la vie

Les yeux ardents dans les yeux éblouis

Des opposés qui s’attirent vers l’infini . . .

Thierry Rousse
Nantes, mardi 2 avril 2024
"Une vie parmi des milliards"

Brèves de vélo et moi et toi

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

Le vélo

Quelques vagues souvenirs

De mes vingt ans

Quelques morceaux de route

Quand j’avais du temps

Ou plutôt

Quand j’avais pris ce temps

A vingt ans

Étudiant

D’accomplir mon plus long parcours

Pointant mon nez au petit jour

De Vézelay au Puy en Velay

Une coquille Saint-Jacques

Sur mon chapeau de pèlerin

Souvenirs de galères sans fin

Le vélo

Une chaîne qui n’en finissait pas de dérailler

Du cambouis sur mes mains toutes tachées

Un peu plus chaque jour

Et des cris de colère

Résonnant aux alentours

Jusqu’aux creux des collines

Je déversais tout mon spleen

Jusqu’aux confins de l’atmosphère

Je criais le vélo c’est la pire des galères

Pourquoi

Mais pourquoi

Suis-je parti

Pour chercher chaque soir

Dans une bassine d’eau

Pour chercher chaque soir

Dans ce champ tout noir

Rien que des petites bulles à la surface

A la surface de mes pneux poreux

A la surface de mes pneus crevés

A la surface de mes jambes lasses

A la surface encore une fois changer

Avec des rustines de fortune

Encore une fois recoller

Les morceaux usés du bitume

Le vélo

Les pneus toujours dans l’eau

Pourquoi

Mais pourquoi

Suis-je parti

Lui bien loin devant mon ami

Bien plus loin que moi

Lui au svelte corps sportif

Et moi au corps mouton chétif

Lui déjà arrivé

Et moi à pédaler

Coq Seul

Agrippé au guidon de mon linceul

Et moi à rêver d’être toi

De tous les vélos être le roi

Mes yeux mendiant ne voyant

Que le goudron brûlant

Défiler sur mes larmes esseulées

Le vélo

Rien des beaux paysages de Bourgogne

Et cette selle en triangle des Bermudes

Un supplice pour mes fesses dure Lune

Plein de pensées dans mon cerveau qui se cognent

Pourquoi

Mais pourquoi

Suis-je parti

Sur ce vélo

Même pas beau

Tout rouillé

Abîmé

Alors que je serais bien plus heureux

A marcher les pieds dans l’eau

A goûter à la liberté

D’un océan chaleureux

Le vélo

Pourquoi souffrir le martyre

Sur cette terre

Quand je voulais juste partir et vivre

Vivre et voir la vie

A vingt ans

Etudiant

Au grand air

Le vélo

Ni ce cambouis

Ni la solitude

Tout le temps

Laissant des traces

Sur mon visage

Vélo maudit

Viens que je te casse

Le vélo

Et

Toi

Et toi

Soudain

Par tes récits

Tes pérégrinations

Tu serais presque à me réconcilier avec lui

Toi la Jules Verne des temps modernes

Que le hasard m’a fait connaître

Dans un bar de vélos à lettres

Toi la troubadour “sans cornemuse ni château” (1)

Toi qui as parcouru huit mille kilomètres face aux vents déferlant

“Frêle comme un roseau” (1)

Dix huit pays des Alpes à la Mer Noire

Sur les ailes de ton vélo miroir

Tu me transportes par tes mots scintillants

De rayons aimant

Tu m’as donné l’envie de raconter

Mes brèves de comptoir à pédaler

Au fil des dernières pages blanches de ton livre

Comme une histoire nouée qui se délivre

Affronter les vents contraires

Pour accueillir ceux qui nous portent

Le vélo

Le vélo m’avait envoyé soudain

Sur de longues nationales

J’avais frôlé de près les poids lourds

Ou plutôt les poids lourds avait ignoré

Ma toute petite existence de plume

J’avais effleuré la fragilité de mon corps

Et pénétré ma plus profonde solitude aussi

Et toi tu m’as dit

“La solitude nous rappelle

Qu’on est vivant !” (1)

C’est peut-être bien

Ce que j’ai senti dans les descentes

Le goût de vivre

De me laisser porter

Par le souffle de cette vie

Entendre mon coeur battre à cent à l’heure

J’exagère rien qu’un peu

La tête en l’air

Amoureux des dieux

Et de mon vieux vélo

Le vélo

Enfin savourer

La beauté des montagnes

C’est peut-être bien ce que j’ai appris du vélo

La descente n’existe que grâce à la montée

L’effort à grimper

N’en rend que plus belle

La saveur à me laisser aller au bonheur

La fierté d’un sommet atteint

Être un peu plus grand demain

Et me dire au-moins

Qu’à vélo

Je prends soin de ce qui est beau

Je n’écrase point un escargot

Ni même un hérisson

Je laisse la nature

Comme je l’ai trouvée

Sublime

Sur les monts des dieux

Au sommet des cimes

Le vélo

A travers la campagne

J’ai fait chair avec elle

Comme la compagne

La plus chère à mes yeux

Le vélo

Sur l’asphalte

J’ai fait une halte

J’ai couché mon vélo dans l’herbe

Et vu cette fenêtre ouverte

Un monde Fleurs de Paradis

Où nous serions toi et moi unis

Toi qui me portes moi qui te conduis

L’un sans l’autre serions au point mort

Ce qui est au dedans est au dehors

Force des mollets force de l’univers

Des étoiles brillant en nos cœurs

Nous sommes que poussières

Le vélo

Le plus beau

Le maillot jaune

Je savais bien

Que je ne l’aurais jamais

Et qu’importe

Ce n’était pas la compétition

Qui motivait ma vie

Je n’avais pas besoin

D’un vélo ultra-puissant

Ni de mollets de Titan

Ni d’un dopage fulgurant

Ni d’une caravane publicitaire

Pour ouvrir mon chemin

Ni d’un podium pour me sentir glorieux

J’avais besoin que de toi

Mon vélo

Mon compagnon

Mon ami

Pour partager

A nous deux

Le bonheur d’être heureux

Mon vélo et moi

Plus lent que le train

Cheval des Indiens

Des temps

Renaissant

A Pâques

Le vélo m’apprendra à voir

L’iris des fleurs

De Bach

A en humer toute leur saveur

Le vélo

Harmonieux

C’est pour toi

C’est pour moi

Rien qu’un monde bienheureux

Le vélo et toi et moi

Et tant pis si de nous on rit

Ce qu’on désire

Du vélo

C’est le vent de la vie

C’est un halo

Infini

Qui irradie nos yeux

Et éclaire nos visages de sourires

Thierry Rousse
Nantes, lundi 1er avril 2024
"Une vie parmi des milliards"
(1) Florence Ramel “Pérégrinations d’une nomade”

Des kilos rajeunis de soi

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

Vieillir

Et pourquoi

Vieillir

Accueillir dans le miroir

Chacune de tes rides

Les compter une par une

Tes rides

Pas étonnant que tu passais autant de temps dans ta salle de bain

Une nouvelle ride sur ton front était apparue ce matin

Pli d’une dune

Entre deux paysages

Sur ton visage

Vieillir

Et pourquoi

Vieillir

On dit qu’on compte à ses rides le nombre de soucis dans sa vie

On dit bien des choses souvent sans savoir

Vieillir

Et pourquoi

Vieillir

Tu te tartinais les joues

Chaque fin de soirée

D’un petit pot de beurre de karité

Et ce

Pour garder ta peau lisse comme un bébé

Tu ne fumais pas

Tu ne buvais pas

Que du bon vin et de la bière Bio artisanale

Avec ta copine Modération

Elle qui n’avait pas envie de ressembler à l’une de ces mines patibulaires

Burinées par les clopes, les consommations excessives d’alcool, de stupéfiants ou encore de médicaments

Les masques pathétiques quinquagénaires vous effrayaient tous les deux

Vieillir

Et pourquoi

Pas rajeunir

Les magazines en parlaient tous

Te maquiller avec outrance

Te tirer les traits de jouvence

Dissimuler trop d’abus à doses de potions magiques

N’etaient pas vraiment ta solution

L’effet était plutôt tragique

Obsolète

Ces soins esthétiques ne faisaient qu’allonger

Davantage les traits de ton vieillissement

Les creusaient

Les amplifiaient

Juste parce que tu ne voulais pas

Vieillir

Juste

Parce que tu clamais

Haut et fort

Vieillir

Et pourquoi

Vieillir

Tu aimais la nudité gracieuse des peaux

La vérité qui se dévoilait sans fard

Toujours penser à boire de l’eau

On disait pourtant que vieillir

C’était acquérir de la sagesse

On dit bien des choses souvent sans savoir

Les générations de vingt ans la vivaient depuis belle lurette la sagesse

Quel intérêt avais-tu donc à vieillir

Si ce n’était pour la trouver la sagesse

Autant mourir d’une bonne crise cardiaque

Au milieu de ton sommeil

Ou plutôt rajeunir que finir sénile

Tu ne te voyais pas jouer en touche dans la catégorie des seniors

Exilé sur leur île

Prendre ta place dans le programme d’offres réservées à cet âge décroissant

Le comble

Les voyages organisés pour les retraités

Attention un bus de vieux débarque dans vos campagnes

Sortez les clôtures et protégez vos champs

Encore une fabuleuse invention

De cette société

Répartir par classe les générations

Tu avais à cœur de bousculer ces lignes

Semer la zizanie dans le calcul des années

Tes mèches au vent

Tu te voyais senior comme Jacques Higelin

“Amoureux tête en l’air”

Tu te voyais senior comme Edgar Morin

Tu te voyais parcourir la terre

Avoir cent ans

Découvrir tous les continents

Tous les pays de l’humanité

Serrer des mains de fraternité

Avant d’explorer l’infinie galaxie

Tu te demandais

Vieillir

Et pourquoi

Vieillir

Tu reculais cet instant

Où il te faudrait enfiler ton dentier d’or

Afin de maintenir ton sourire au dehors

Tu bloquais ton compteur

A vingt ans

Un dimanche de Pâques

Renaissant

Vieillir

Et pourquoi

Vieillir

Ta vie était passée comme un courant d’air

A la recherche perpétuelle de ton être

Vieillir attendrait bien demain

La barbe d’un sage

Invisible

Tous ces kilos rajeunis de toi

Tous ces kilos

Chenille

Des plumes de soie

Papillon

S’envole

Thierry Rousse
Nantes, dimanche 31 mars 2024
"Une vie parmi des milliards"

Douze autres autres fragiles kilos de soi

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

1

Elle

Avait

Tout pour être heureuse

Une belle et grande maison moderne prolongée d’un jardin

Intérieur extérieur

Tous deux si bien entretenus et décorés

Un mari

Trois enfants

De la joie

De la tendresse

De la beauté

Plein la maison

Plein l’âme et le coeur

Elle

Était

Artiste-peintre

Et danseuse

Elle

Peignait le corps nu des femmes

Dévoilant la grâce de leurs mouvements suspendus

Quand

L’imprévu

S’est immiscé

Dans sa tranquille existence

Sclérose en plaque

Le verdict était annoncé

Et la maladie gagnait du terrain

Peu à peu la figeait

Membre après membre

Son corps se raidissait

Tu l’aidais à se vêtir

Tout en délicatesse

Son mari il y a un mois lui avait confié :

Je me sens trop fragile

Ma chérie

Pas suffisamment costaud

Pour t’accompagner jusqu’au bout

Dans cette épreuve

Permets-moi de te quitter

Pour notre meilleure amie

Je t’aimerai mon coeur pour toujours

Elle

Lui avait dit oui

Je te l’accorde

Sois heureux

Mon chéri

Avec notre meilleure amie

Elle

Ne voulait pas être un poids pour lui

Ainsi dans les bras de son amante

Il trouva appui

Elle

Était

Seule

Maintenant

Sous ses doux draps de soie

Elle

Était

Face à sa maladie

Un corps

Dans un

Miroir

Qui voulait encore vivre

Aimer

Et

Être aimé

Dans l’instant présent

Belle jusqu’au bout

Pour l’éternité

2

Lui

Charcot

L’avait saisi

La fin était écrite

La médecine impuissante

Lui

Avec résilience

Voyait chaque matin

Ses capacités diminuer

Jusqu’à ne plus pouvoir se lever

Plus pouvoir s’exprimer

Jusqu’à ce qu’il finisse un jour par étouffer

Chaque journée

De nouvelles machines

Étaient installées

Pour apaiser sa douleur

Pour améliorer son confort

Tu apprenais la précision de chaque geste

Pour l’accompagner

L’erreur

Un geste maladroit pouvait lui être fatal

Son épouse et ses enfants avaient dû se protéger

Une certaine distance leur avait été recommandée

Des séjours de répits étaient organisés

Sa chambre dans l’appartement ressemblait à présent à une chambre d’hôpital

Cette odeur particulière se répandait jusque dans tes vêtements

Une mort dont on voulait se débarrasser une bonne fois pour toutes

Ne plus voir

Tourner la page

Ne plus en parler

L’étage maudit

Des mots non dits

Lui

Tu finirais par lui dire

Au revoir

Des mots sans espoir

3

Pourquoi

Pourquoi

La vie pouvait être si cruelle

Pourquoi

Le destin

Avait choisi d’en briser certaines ailes

Pourquoi

Tu parlais à tes murs

Comme un oiseau en cage

4

Des kilos de soi

Qu’on cache

Derrière une porte

Les mots tus

Tuent

5

Lui

Cancer du pancréas

Son fils l’avait sorti de l’hôpital

Voulait vivre ces derniers instants

Avec son papounet chéri

Si tendre histoire

Un papa et son fils

Le poids de la douleur

Le poids de l’impuissance

Et là aussi

Apprendre chaque geste

De la toilette

Dernière dignité de l’être

Face à la beauté du soleil levant

Le gant

Flottait

Comme une caresse

Apaisante

6

Plonger dans l’intimité des corps

Toucher à ce qui est habituellement caché

Dire chaque geste

Dans le plus grand des respects

Aimer

Soigner

Rassurer

7

Des kilos de soi

Enveloppés

De tendresse

Démolissent les murs

8

Aimer ton corps

Jusqu’au dernier instant

Jusqu’à l’au-delà

De l’ange qui le porte

9

Des mots qui ne s’écrivent que dans le silence des nuits

10

Douze autres

Autres fragiles kilos de soi

Dis

Ce qui t’a ému

Dis

Tes larmes contenues

11

Sur la balance

La légèreté de ton âme

Un ange qui me parle

12

Prends soin des petits chats

Thierry Rousse
Nantes, samedi 30 mars 2024
"Une vie parmi des milliards"

Cendrillon la fille du pont

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

Où était-elle

A une heure du matin

La fille en bas résille

Celle qui embauchait à vingt trois heures pile

Où était-elle

La fille qui embauchait à vingt trois heures pile

Sur le pont de la voie ferrée

En plein coeur de la ville

Exposée à tous les vents

Tous les regards

Tous les brouillards des passants

Où était-elle

La fille du pont

Entre les théâtres et les restaurants

Entre les poumons du commerce

Et les coulisses du sexe

Où était-elle

La fille du pont

Si belle

Arc-en-ciel

Celle qui avait attendu

Peut-être une heure

Ou deux

Dans la peur

La stupeur

L’ennui

La routine

Où était-elle

La fille du pont

Celle qui attendait patiemment

Pas loin du quai

Tout juste face à l’hôpital

Les fleurs du mal

L’Escape Game

D’un Hôtel Dieu

Son armateur

Où était-elle

La fille du pont

Dans quels bras

Quel hôtel de luxe

Ou minable de la gare du Nord

A une heure du matin et plus

A chercher de l’or

Où était-elle

La fille du pont

Celle qui assouvirait les besoins

Les fantasmes

Les us

D’un renard

Traquenard

Salace

Ou solitaire

Où était-elle

La fille du pont

Celle qui louerait au prix fort

Les services rendus par son corps

Où était-elle

La fille du pont

Où était-elle

La fille du pont

Dehors

Avait-elle choisi son métier dans la rue

N’être qu’une poule

Qu’on déroule

Dans le poulailler

D’une cage dorée

Qui était la fille du pont

Qui était la fille du pont

Faisait-elle le plus vieux métier du monde par nécessité

Par contrainte

Une dernière chance de s’en sortir

Une dernière étreinte

Pour payer son loyer

Et manger

Une dernière étreinte

Par contrainte

Pour rester sur une terre de libertés

Et exister

Et exister

Au-delà du pont

Cette fille séduisante

Ou

Tout autre chose

A vingt ans qu’on ose

La fille du pont

Clamait-t-elle de tout son corps sa liberté

Le droit d’être une travailleuse du sexe

Place des gens et du commerce

Ne louait-on pas son corps pour d’autres métiers

Mannequin

Comédien

Escort girl des hommes d’affaires

Petite détente en temps de guerres

Que faisait la fille du pont

Que faisait la fille du pont

Rendait-elle service

A tous les vices

A toutes les solitudes

A toutes les frustrations

Depuis des générations

Qui était au fond la fille du pont

Qui était au fond la fille du pont

La muse des libérations

La muse des compensations

La fille du pont attendait cette nuit dans le froid

L’homme ou la femme qui la réchaufferait

L’homme ou la femme qui l’aimerait

Vraiment

Vraiment

Croyait-elle aux tendres braises

D’un chevalier aimant

Ou servait-elle une histoire de baise

A un chevalier errant

Sur la route

Chaotique

De ses déroutes

La fille du pont mélancolique

Je passais à côté d’elle cette nuit

Cherchant les mots que je lui pourrais lui dire

J’anticipais déjà sa réponse

Laisse-moi travailler

Marcel

Passe ton chemin

Ce n’est pas tes oignons

C’est ma vie

Et tu n’y peux rien

J’avais poursuivi mon chemin sous la pluie

Sans rien pouvoir lui dire

Juste un regard

Dans les ronces d’une rose

Au petit matin d’une pause

J’avais écrit

Un infime coin

De cette vie

Un infime coin

De ce pont

Inconnu

L’espoir d’une rue

Le trottoir d’un point de vue

Quand

La fille du pont

S’était jetée

Dans les bras d’une Lune

Dorée

Et jouait sa pièce

Ou sa malédiction

Toute la nuit

Étoilée

Ou dégoutée

Ou dégoutée

A la perfection

De ses ambitions

Il était une fois

La fille du pont

Il était une fois

La fille du pont

Il était une fois

La fille du pont

Cendrillon

Thierry Rousse
Nantes, vendredi 29 mars 2024
"Une vie parmi des milliards"

Douze autres fragiles kilos de soi

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

1

Vingt ans

Et ne plus bouger

Entre les barres du lit blanc

D’une maison d’accueil spécialisée

Ne plus bouger

2

Il ne parle plus qu’avec ses yeux

Ses yeux dans tes yeux

Douceur d’un moment

3

Instant de verticalité

Le lever

Étrange instrument

Debout

Il sera

Contre ce tronc métallique

Posé

Combien de temps

Combien de temps

4

Vingt ans

Et il vivra

Ainsi tout le temps

Entre horizontalité

Et

Verticalité

Que ses yeux pour parler

Et te murmurer

Ce qu’il vit au dedans

L’importance de chaque instant

5

Quand

Au bout du couloir

On te presse

Combien as-tu fait de toilettes

D’une chambre à l’autre

A la chaîne

Instant

Brisé

Entre ses yeux et toi

6

Elle

Elle ne mangera pas

Elle ne mangera plus jamais

Une sonde gastrique

Juste pour la nourrir

Une sonde qui la relie au monde

Elle

Qui la relie au monde

Elle

Bat ses ailes

Elle

Bat ses ailes

7

Lui

Cumule les handicaps

L’un physique

L’autre mental

Des jambes trop courtes

Un buste trop court

Et la tête beaucoup trop grosse

Trop lourde la tête

A se cogner contre le sol

A se cogner et encore et encore

A se frapper

A grands fracas

Qui n’étonne plus personne

Dans les couloirs

Le casque noir

Ne pas omettre le principal

Lui mettre son casque noir

Son casque noir

Avant que sa tête ne se brise en mille morceaux

Mille morceaux de perles d’eau

A ne plus supporter sa vie

Et son corps

Et sa tête

Lui

8

Te dépêcher

Lui

Au corps tout tordu

Qui refuse toute nourriture

Le faire manger à tout prix

Lui enfourner la cuillère de bouillie

Qu’il rejette à hauts cris

Stridents

Avaler

Quand le corps n’a plus envie de vivre

Qu’une accalmie

La quiétude

D’une présence

9

Être là

Dans une maison d’accueil spécialisée

Où partout on te presse

A cocher des cases

A noter tes heures

Combien de toilettes

Combien de repas

Quand tu entends dans le bureau des soignants

Ces mots blessants

J’en ai fait plus que toi

Plus de quoi

Plus que toi

Plus que moi

Combien de kilos de soi

Attendaient

Attendaient

Ton amour

Ces heures qui ne se cochent pas

Dans cette maison oubliée

10

Tu rentres tes kilos chez toi

Tu ne bouges plus

Tu ne bouges plus

Ton corps horizontal est vertical

Tu as traversé les opaques brouillards

Entre la vie et la mort

11

Tu parles aux cieux

Tu regardes les anges dans les yeux

Pourquoi

Pourquoi

Pourquoi lui

Pourquoi elle

Pourquoi toi

Pourquoi moi

12

Tu te frappes la tête

Tu te nourris du vide

Quelle présence le remplit

Tu portes sur ton corps disloqué

L’odeur des hôpitaux

L’odeur de tous leurs maux

Tu voudrais crier aux cieux tes mots

Les peser sur une balance

Tu te sens impuissant

Les ailes lourdes

Épuisé

Verticalité

Vertical

Alité

Douze autres fragiles kilos de soi

Dans une maison d’accueil

Spéciale

Lisez

Thierry Rousse
Nantes, jeudi 28 mars 2024
"Une vie parmi des milliards"