C’était quoi ces étendards
Qui flottaient ce samedi matin
Devant ta fenêtre
Ces étendards tout colorés
Resplendissant sous un fond de ciel bleu printanier
Etait-ce le rassemblement pour la Palestine
Sans doute tu te disais
Qu’est-ce que je fais à rester derrière ma vitre à observer
Tu décidais de les rejoindre
Quitter ton appartement
Descendre l’escalier
Pousser la porte sur l’effervescence de ta rue
Le monde t’attendait
De l’autre côté du tunnel
Au traditionnel miroir d’eau
Devant les remparts de ta Duchesse Anne
Tu ne reconnaissais pas dans cette foule amassée le drapeau de la Palestine
Tu te frayais un passage
Tu avais besoin de comprendre où tu étais
Des noyaux de pépins entre eux palabraient
Tu osais en interrompre un
Pourquoi êtes-vous là
Jean t’expliquait la nouvelle réforme de notre bien-aimé et vénéré Chef Napoléon
Créer des classes de niveau au collège
Les génies
Les très bons
Les bons
Les moyens
Les moins bons
Les mauvais
Les nuls
Les irrécupérables
Les intouchables
L’avènement des castes dans l’Hexagone était annoncé promu au prix d’éloquence et d’excellence après le gel des salaires, l’allongement des retraites et tant d’autres mesures autoritaires
Jusqu’où irait notre Maître absolu
Dans la folie de son plan destructeur
Dans la folie de son rouleau compresseur
Il nous voyait fourmis invisibles et bientôt terre
N’était-il qu’un pion dans cette pièce montée d’un empire mondialisé
Sous fond de guerres et de virus aux frontières européennes
Sous fond de dérèglements climatiques et philosophiques
Où se logeait la sagesse tant chérie
Incarnation du Père bienveillant de la Nation
Quelle considération avait ce protecteur de la vie et de ses enfants
Ton esprit était brouillé
Marcel
En temps de dictature
Tu aurais pu craindre la prison
L’exil sur une île déserte
La libre expression de tes mots t’était encore autorisée
De quoi te plaignais-tu
Il était temps de te mettre à nu
Te coucher sous les étoiles dorées
Demain matin
Tu jouerais à Férel
Et la vie serait si belle
Belle de ses mélanges
Belle de ses différences
Belle déjà dans tes rêves
Dimanche était venu et tu étais vivant
Marcel
Debout et vivant
Tu hissais le drapeau du partage
Le théâtre impliquait une discipline
Réveil à 5 heures du matin dans ta caserne
Chargement à 6h
Départ à 7h pour une arrivée fixée à 8h30
Durée du trajet : 1h10
Tu prévoyais toujours une marge pour les imprévus de la route
7 heures
Tout était chargé
Le timing était respecté
Tu étais fier de ta ponctualité
Marcel
Tu t’apprêtais à entrer dignement dans ta voiture
Quand une jeune femme d’environ vingt ans accompagnée de ses copines et copains Surgissait sur le trottoir frais du matin
Elle était tout juste sortie d’une nuit blanche apparemment de la discothèque d’à côté
Elle te dit
Elle est belle votre voiture monsieur
Ta voiture était une vieille Peugeot à la couleur océan délavée
Les portes avaient été cabossées par des inconnus peu respectueux
Et pourtant cette jeune femme la trouvait belle ta voiture
Soudain elle fixait son regard sur tes yeux
Mais je vous connais monsieur je vous connais
Attendez
Tu étais donc connu
Marcel
Je sais c’est vous qui prenez toujours un café dans le bar où je suis serveuse
Oui c’était toi le petit café Marcel
Je vous envoie plein d’amour Monsieur
Plein d’amour
Plein d’amour
Te chantait-elle de tout son cœur en s’en allant avec sa bande de jeunes dans la nuit du jour
Plein d’amour c’était toujours bon à prendre
Surtout ce dimanche où tu partais jouer dans le Morbihan
Ce dimanche qui était donc ton jour de chance
Le ciel était bleu
La route était belle
Peu de voitures à cette heure
Aucun camion
Tu traversais les longues et denses forêts de Bretagne
Les fées perdues de Brocéliande te souriaient
Cap à l’ouest en écoutant Lennon
“Imagine”
Au fond
La solution d’une vie meilleure était là
Tout simplement
Offerte là
Dans l’amour
La paix
La beauté de l’instant présent
Imagine
Tout ce monde à s’aimer
Imagine
Tout ce monde qui posait ses armes
Un dimanche matin
De bonne heure
Du bon pied
Et de bonne humeur
Imagine l’homme
Qui posait tous ses égos
Toutes ses rancunes
Tous ses instincts de possession
Imagine
Seulement
Un instant de libération
Férel
Le village où la vie était belle
Arrivée 8h10
Gaga avait chronométré à la perfection ton voyage
Vingt minutes de marge
Le temps de savourer un café croissant dans l’unique commerce ouvert sur la place du village
Une boulangerie qui faisait aussi salon de gourmandises
Ce dimanche de bontés exquises
Décidément
Tous tes anges
L’avaient béni de bonheurs
Un accueil chaleureux
Durée de montage et de préparation
Deux heures
Début du spectacle 11 heures
Tu étais large
Comme cela faisait du bien d’être large
Respirer
Prendre le temps de t’échauffer
Prendre le temps du grand large
Salle bien remplie
Une centaine de personnes
Enfants et parents
Les enfants étaient ravis de jouer avec toi
Le bonheur était là
Là ici
Et tu avais rendez-vous avec sa grâce ce dimanche
Fée Clochette te portait espérancesur ses ailes transparentes
Tu saluais avec les enfants le public
Vous formiez ensemble une si belle troupe
Un si bel arbre à palabres
Midi fin du spectacle
Une heure de démontage
Et un délicieux repas qui t’attendait avec l’équipe organisatrice de ce sublime événement
Là à Férel tu étais tout proche de l’océan
Et son horizon son embrun t’appelaient à Pénestin
Shakespeare avait quelques mots à te dire
Combien mon enfant d’amours brisés, de guerres, de vaines batailles, ai-je écrits
Pour dénoncer les entrailles de leurs folles absurdités
Marche donc sur cette plage de la Mine d’or oubliée
Plonge donc dans ce sable chaud tes pas alertes
Loin du triste et vieux globe globuleux des rois qui le mènent à sa perte
Suis l’élan de tes traces
L’âme libre et à l’aise
Ton cœur aimant est la lumière étincelante de ces rougeoyantes falaises
Ici
Au bout de ce tunnel
Est ma voix
Ici
Londres
La poésie te murmure ses tendres caresses à l’oreille
Que ses sonnets soient chaque mouvement d’aile de ta vie ton éveil
Ici
Londres
L’amour est résistance
Ici
Londres
L’amour est confidence
Dans le plumage des oiseaux de passage
Dans les paysages j’ai vu son visage
Être l’éclat du soleil
Son dernier éveil
Sa page
Blanche
Éternelle
Un dimanche
à Férel
Thierry Rousse
Nantes, lundi 25 mars 2024
"Une vie parmi des milliards"