Gare de l’est, Marcel

une vie parmi des milliards

Ce vingt huit février deux mille seize

La journée festive à la Mission bretonne

Avait coûté à Marcel la jolie somme de

Deux cafés un euro

Trois pintes quinze euros

Trois repas dix neuf euros cinquante

Deux coca et un chouchen huit euros

Marcel y avait invité ses deux amis

Marcel apprenait un peu plus tard de l’observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale qu’une personne seule avait besoin de mille quatre cent vingt quatre euros par mois pour vivre décemment

Marcel à cette époque ne vivait plus décemment

Marcel s’était retrouvé depuis trois ans

Sous la ligne de flottaison

Et se sentait à tout instant observé

Marcel lisait et partageait sur la Face du Livre

« On dit qu’il faut prendre son mal en patience

Et si on prenait son bien en urgence ? »

L’urgence était là

Étincelante à la surface de l’eau

Marcel devait s’accrocher

S’accrocher à toutes ces bouées de sauvetage

Ces soleils à la dérive

Ne pas les lâcher

Ne pas les lâcher

L’univers n’entendait que ce mot lâché

Pendant que Marcel notait

Notait tout ce qu’il lisait

Notait tous ses rendez-vous

En minuscule

Sur son petit carnet vert clair

Un crayon de bois ridicule

Quelques brins d’herbes

Des colibris et des coquelicots

Sur les pages de ses rails

Entre Longueville et Paris

Marcel quittait les locomotives à vapeur

Et le viaduc des usines d’une autre ère

Nous pouvions lire sur son petit carnet vert clair

Vendredi quatorze heure rendez-vous avec Nassira au Théâtre de la marionnette

Rue Mouffetard

Lundi dix heure trente rendez-vous avec Paulo le coach de la recherche d’emploi à Montereau

Décidément la vie était un grand jeu

Aux yeux de Marcel

Un sport

Un combat

Jouait avec lui à cache-cache son copain Job

Cet oeuf de Pâques en chocolat

La vie était belle

Fondue

Nous le savions depuis belle lurette

Marcel déplierait ses ailes un matin

A la cime de la Tour Eiffel

En attendant demain

Le lundi seize juin deux mille seize

Pauline la petite copine de Paulo savait lire entre les lignes

« Vous n’avez pas fait de mauvais choix Marcel

Vous avez fait le choix qui vous semblait bon pour votre épanouissement à cet instant donné »

Marcel réfléchissait à ses déclarations

Que voulait-elle lui signifier

Pauline poursuivait

« Tout ne vient pas de cet instant

La fragilité était là avant

Et le choc n’a fait que l’amplifier « 

Tout se voyait à la lecture de son CV

Marcel ne pouvait rien dissimuler

Pas même la vie

Pas même la vie fragile

Lavilliers chantait

On the road again

Et Marcel notait

Avidement notait

Toutes ses bouées qui pouvaient encore le sauver

Toutes ces rencontres gorgées de soleil

Et Marcel accrochait des petits drapeaux à ses crayons de bois ridicules

Tout en dévorant

Le guide du comédien

Ligne après ligne

Dans un compartiment du train provincial

Vers la capitale

Les photographies étaient le « Premier investissement de base

L’outil fondamental du comédien »

C’était le premier contact

La première impression que les gens se feraient de Marcel

De face

De profil

De trois quart

De pied

Naturel

Prenant mille pauses

Sérieux

Souriant

Sombre

En colère

A quoi

A qui

Ressemblerait Marcel

Au Cyrano de Bray-sur-Seine

Attirerait-il l’attention

Sa palette de portraits

A la manière d’un peintre

Il devait toujours l’avoir sur lui

Accompagnée de l’incontournable CV

La malette du comédien comprenait également

Des « petites démonstrations filmées » nommées « démos »

De délicieux gâteaux

Donnant à voir toutes les possibilités de Marcel

L’étude de son registre

Un monologue

Une scène

Une performance

Cinq à sept minutes maximum pour se dévoiler

Et à cela s’ajoutait le fameux fichier audio MP3

Toutes les voix de Marcel en cinq minutes

Il ne lui restait plus qu’à bâtir son site

Son château fort

Où Marcel telle une araignée

Tisseuse de rêves

Serait visible sur la toile

Connu du monde entier ou presque

Évidemment Marcel ne devait pas se rater

Tout devait être de qualité

Si Marcel ne voulait pas être enterré

Sous des tonnes de préjugés

Piètre comédien

Au bout des rails

Au bout des champs

Le soleil se levait à l’est

Gare des pas perdus

Marcel tournait

Tournait

Tournait

Dans le tumulte des trajectoires

Autour d’un café noir

Marcel avait maintenant ses habitudes

Direction rue Mouffetard

Où il consultait ouvrages et vidéos sur l’art de la marionnette

Et trouvait un peu plus haut à bons prix dans une étroite boutique des dvd

Puis il se dirigeait Place de la République où se tenaient les assemblées citoyennes

Marcel croyait encore à un autre monde possible

A une Nuit Debout

Il écoutait les prises de paroles

Les réflexions

Les positions

Les oppositions

Les décisions

Puis il longeait le canal Saint-Martin

Songeait à sa tite fée qu’il avait perdue

Puis il rejoignait la Gare de l’est

Et attendait le train du retour

Marcel achetait parfois un livre ou un cd à la mini Fnac du hall de la gare

Enfin il retrouvait Longueville

Un long chemin vers lui-même

Thierry Rousse

Nantes, jeudi 18 janvier 2024

« Une vie parmi des milliards »

Paris c’était

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

Paris c’était

Le théâtre de l’Odéon

Corneille

L’illusion comique

Paris c’était

Caroline

Paris c’était

L’amour fou

Paris c’était

Beaubourg

Paris c’était

Les saltimbanques

Qui s’allongeaient sur du verre pilé

Paris c’était

Les cracheurs de feu

Les briseurs de chaînes

Paris c’était

Le ventre moderne de Paris

Paris c’était

La Fnac du forum des Halles

Et ses innombrables disques

Paris c’était

La rue Saint-Denis

Paris c’était

Les boulevards des désirs inavoués

Paris c’était

Les trottoirs

Où toutes ces femmes

De tout âge

De toute origine

A la nuit tombée

Attendaient les clients

Les jeunes et les vieux

Paris c’était

La rue des premiers pas

Des premières fois

Des initiations

Des détresses

Des solitudes

Des débauches

Des fantasmes

Des culpabilités

Des hontes

Des remords

Des additions

Des addictions

Des perditions

Paris c’était

L’Université Tolbiac

De son joli nom

Panthéon Sorbonne

Un amphithéâtre plein à craquer

Enfumé

Des cours à toute vitesse

Impossible de comprendre un mot

A l’économie

Paris c’était

L’élite

Paris c’était

La Chinatown

Paris c’était

Les dragons et les carpes

Paris c’était

Devaquet au piquet

Paris c’était

L’Université Sorbonne

Le Quartier Latin

Paris c’était

Ses restaurants grecs

Ses longues brochettes

Ses assiettes brisées par terre

Paris c’était

Ses barricades

Ses bastonnades

Ses enfilades

Paris c’était

La nostalgie de mai soixante huit

Paris c’était

L’envie de tout bousculer à nouveau

Décapiter le roi

Paris c’était

La Bastille

La Nation

L’envie d’une nouvelle vie

Une libération

Paris c’était

L’occupation jour et nuit des amphithéâtres

La première union

Paris c’était

Un détour

Le jardin du Luxembourg

Un besoin d’évasion

Paris c’était

Des petits voiliers sur l’océan

Paris c’était

Un Guignol bien caché dans son bosquet

La révolution

Paris c’était

Ce rayon de soleil

L’envie d’aimer et d’être aimé

Paris c’était

L’éveil

Après le sommeil

T’embrasser à l’hôtel du nord

Paris c’était

Cette place vide

Le silence d’un ange

Paris c’était

L’église Sainte-Placide

Les bougies

Les pièces jaunes

Les prières

Paris c’était

Plein de livres sur des étagères

Paris c’était

Les bouquinistes

Paris c’était

Une Librairie La Procure

Paris c’était

Saint-Germain des Prés

Le Café de Flore

Paris c’était

Les ombres de Jean-Paul Sartre et de Simone de Beauvoir

Paris c’était

L’amour libre

La littérature

La philosophie

La peinture

Le cinéma

Paris c’était

Tarkovski

Truffaut

Eric Rohmer

Paris c’était

Le Louvre

Le Musée d’Orsay

Une cinémathèque

Des arts

Des essais

Paris c’était

Une pyramide en verre

Une colonne

Un port royal pour les vagabonds

Paris c’était

Le Théâtre de l’Essaion

Le théâtre des auteurs vivants

Le Théâtre de l’Opprimé

Le théâtre des auteurs engagés

Le théâtre de la cité

Le théâtre de la ville

Le théâtre de la Huchette

Et sa cantatrice chauve toujours aussi vivante

Paris c’était

Une chambre de bonne mansardée

Juste un matelas posé sur la moquette

Paris c’était

Un lavabo au bout d’un couloir

L’indépendance de tes vingt ans

La fuite des cris des disputes

Paris c’était

L’errance les heures noires

Paris c’était

Le sentiment d’être rejeté

Mal aimé

Paris c’était

Rue d’Hauteville

Et son quartier africain

Haut en couleurs

Paris c’était

Le Jazz de la Nouvelle Orléans

Paris c’était

Une île

La ville du monde entier

Paris c’était

Le rêve d’une carrière dramatique

Une nuit blanche inachevée

Une brutale séparation

Paris c’était

L’amère désillusion

Paris c’était

La Seine romantique

Et ses reflets de larmes étoilées

Paris c’était

Notre-Dame renversée

Paul Claudel

Et Camille

Paris c’était

La porte des Lilas

L’objection de conscience

Le service civil

L’Armé du Salut

Un centre maternel

Paris c’était

Ces jeunes mères

Ces nouveaux nés

Déjà éprouvés par la vie

Paris c’était

Tête en l’air

Tombé du ciel

Paris c’était

La Villette

Le canal de l’Ourcq

Une promenade écourtée

Paris c’était

Un studio mansardé

Stalingrad

La Goutte d’or

La Maison du partage

Paris c’était

Les abîmés du trottoir

Les sans logis

Les étrangers

Les camés

Les alcooliques

Les prostituées

Les travestis

Paris c’était

Pigalle

Les touristes

Les peep show

Champagne à flots

Enseignes clignotantes

Les cabarets et toutes les misères

Paris c’était

Tout en haut le ciel

Montmartre

Ses anges

Ses artistes

Ses chats noirs qui rôdaient

Paris c’était

Un Paris perdu

Un bout de vigne

Plus qu’un décor d’Hollywood

Paris c’était

Les rues cachées

Les derniers bistrots authentiques

Paris c’était

A minuit

Woody Allen

Paris c’était

La Tour Eiffel

L’arc d’un triomphe déchu

Paris c’était

Le soldat inconnu

Mort pour sa partie

Paris c’était

L’Hôpital La Pitié la Salpêtrière

Ses murs noirs

De nouveau ses prières

Ses espoirs

Paris c’était

Les derniers mots de ta maman

Son dernier soupir

Prends soin des petits chats

Paris c’était

La dégringolade

L’immense chagrin

La solitude sans fin

Paris c’était

L’Eglise Saint-Gervais

La Jérusalem céleste

Un pont entre l’enfer et le paradis

Paris c’était

Partir puis revenir

Paris c’était

La Bastille

La rue de La Lappe

La rue de la Roquette

Le Canal Saint-Martin

Les Ateliers d’écriture à la ligne

Paris c’était

La Rue Oberkampf

Les cours d’art dramatique

Paris c’était

Place Gambetta

Paris c’était

Beaujolais nouveau

Et saucisson

Paris c’était

Une presqu’îl

Un Théâtre de la Colline

Paris c’était

Gravir des marches infinies

Paris c’était

Loin le paradis

Paris un ami

Paris une amie

Paris un pari

Paris presque unis

Paris c’était

Une tite fée

Une étoile filante

Sur le bord du canal Saint-Martin

Un comptoir africain

Paris

Un refrain

Paris c’était

L’Université Censier

Le Théâtre des Bouffes du Nord

Le Théâtre de la marionnette

La rue Mouffetard

La Butte aux cailles et son restaurant basque

Paris c’était

Une escalope géante

Paris c’était

Le Jardin des Plantes

Une histoire

Une rencontre

Paris c’était

Laurent Gaudé

Paris c’était

Un Musée d’Histoires Naturelles

Un parc zoologique

Paris c’était

Tout et rien

Des pigeons

Paris c’était

Visible

Et plein de souterrains

Paris c’était

Des terriens agités

Toujours pressés

Paris c’était

Le métropolitain

Des sourires aux terrasses

Paris c’était

Poétique

Paris c’était

Déjà pris

Paris c’était

Les retrouvailles solitaires

Place de la République

Paris c’était

Les foules des Nuits Debout

Paris c’était

Un dernier espoir que tout change

Paris c’était

Les éternelles représailles

Paris c’était

Gare de l’est

Paris c’était

Belleville l’autre vue sur Paris

Paris c’était

Les ultimes souvenirs ou presque de Paris

Paris c’était

Burger King Mac Donald puis les Kebabs

Paris c’était

Qui déjà

Paris

Une mythologie grecque

Un beau garçon

Un prince troyen

Le frère d’Hector

De Déiphobe

De Polyxène

De Cassandre

Paris c’était

Le maudit

Celui qui devait être assassiné

Paris c’était

L’enfant abandonné

Recueilli par un berger

Paris c’était

Le prince qui choisissait d’offrir à Aphrodite la pomme de la discorde

Paris c’était

Celui qui recevait de sa main la plus belle femme du monde

Paris c’était

Le prince qui enlevait Hélène femme de Ménélas

Paris c’était

Par lui qu’éclatait la guerre de Troie

Paris c’était

Le vaincu de Ménélas

Paris c’était

Le sauvé d’Aphrodite

Paris c’était

L’élève obéissant d’Apollon

Paris c’était

L’assassin d’Achille

Paris c’était

L’amoureux abandonnant son épouse pour les yeux d’Hélène

Paris c’était

Une flaque de sang gisant

Paris c’était

Le corps transpercé par la flèche de Philoctète

Paris c’était

Plus que des bribes de récits

Des morceaux de Paris dispersés

Dans ta tête

Paris

C’était

Thierry Rousse

Nantes, vendredi 13 janvier 2024

« Une vie parmi des milliards »

Humanités de guerres ou d’amour

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

Paupérisation

Discussions

Manifestation

Émancipation

Expression

Opposition

Responsabilisation

Culpabilisation

Évacuation

Arrestations

Occupation

Intimidations

Aliénations

Condamnations

Déportation

Exactions

Banalisation

Résistance

Insurrection

Rébellion

Libération

Abolition

Suppression

Consolation

Paupérisation

Répétitions des mêmes rouages

De siècle en siècle

De paysage en paysage convoité

La saine occupation serait plutôt d’aimer

Être nomade

Et vouloir être fidèle

Et

Si nous passions plus de temps à aimer

Plus de temps à apprendre à aimer

Sans doute y-aurait-il moins de guerres

L’esprit, l’âme et le corps

Seraient bien occupés

Naïveté ou vérité

Marcel s’interrogeait

Où étaient les lieux où l’on aimait

Dans les amphithéâtres des universités

En temps d’occupation

De rébellion

D’émancipation

Qui aimait

Qui s’aimait

Le temps d’un printemps

D’un hiver

D’un été

D’un automne

D’une vie

Dans les jardins zen

Ou à l’anglaise

La française

La finlandaise

Ou

Dans la vapeur des hammams

Ou dans les chapelles des abbayes

Sur les plages

En haut des falaises

Sur les bords des rivières

Au fond des forêts obscures

Dans les rues

Les ronds points

Les maisons closes

Multiplier ces lieux à l’infini

Les écrire

Graffitis des coeurs transpersés

Qu’était pour toi le corps de l’autre

Qu’un territoire à conquérir

Qu’une vue sur la mer

Pour jouir de tous ses fruits

Ses privilèges

Qu’un exercice pour entretenir ta vaillance

Ta jouvence

Ta sensation de toute-puissance

Ou bien

Un temple sacré

Gardien de la lumière du coeur

Que tu savais adorer

Choyer

Protéger

Le corps de l’autre

N’était autre

Que la considération de ton propre corps

Comment tu le traitais

Ce que tu lui faisais endurer

Ou bien

Tout le soin que tu lui portais

Avec l’humilité du jardinier

Qui savait cultiver

Avec constance

Les fleurs de tendresse

Face à toi

Ton miroir

Un roi ignorant

Oui toi le roi

Comment pouvais-tu tuer

Une enfant

Une mère

Une femme

Homme indigne colonisateur

De celle qui t’avait enfanté

Comment pouvais-tu détruire la terre

Comme la mère

Comme l’enfant

Qui t’accueillaient

De leurs bras ouverts

Comment

Bien plus aveugle que cette jeune femme non-voyante

Qui se balançait au comptoir

Tu n’avais rien compris

Ame égarée

Le véritable voyage

N’était-il pas de retourner aux origines

A l’inspiration du poète

O Cantique des cantiques

Que tu avais un temps abandonné

Dans les ruelles d’un marché

Entre les tréteaux de la consommation

La sensualité était au cœur de l’élan mystique

Femme tu le savais

Tu relisais les mots du poète éveillé

Avant de te coucher

Tu entendais la voix de ton bien-aimé qui venait (1)

Il sautait sur les montagnes

Bondissait sur les collines

Quel obstacle n’avait-il pas franchi

Dans l’unique but de te revoir

Te prouver ses sentiments

Pareil à la gazelle

Au faon des biches

Il t’attendait patient derrière ce mur

Et te murmurait

Lève-toi mon amie

Viens

L’heure est venue

L’hiver s’en est allé

Les larmes du ciel sont épuisées

Les fleurs comme des perce-neige sont nées

Entre les débris d’un monde effondré

Entends l’air des chansons revenu

Porté par le ruisseau des oiseaux

La vigne a rougi

Ses feuilles ont verdi

T’offrant l’abondance de la terre

Mieux que toutes les guerres réunies

« L’éternité appartient à celui qui veille sur l’autre avec amour et sagesse »(2)

Il te suffisait d’être proche de la nature

T’éveiller avec elle

T’endormir avec elle

Te soucier d’elle

Veiller sur elle

« Sentir le souffle de la vie » (2)

Où étaient

Jésus-Christ

Gandhi

Victor Hugo

L’abbé Pierre

Mère Teresa

Nelson Mandala

Frère Roger

Où étaient les doux instants

Autour d’un thé

O champs de bonté

Transparents de beauté

Parfums précieux

Il nous fallait réveiller les morts innocents

Tu nous disais

Laurent

Réveiller la ville

De tous ses cris

Ses espoirs

Ses joies

Ses larmes

Tout ce que la ville avait vécu

Perdu

Et gagné

De Paris à Nantes

De Nantes à Marseille

De Marseille à Jérusalem

De Jérusalem à Béthléem

Partout

Changer de premier ministre

Changer de gouvernement

Est-ce que ça changeait vraiment quelque chose

Au scénario de cette pièce

Hypocrisies et mensonges

Des promesses qui n’étaient jamais tenues

Ce petit théâtre qui devait être le nôtre

Tant qu’il n’y avait pas un retournement des coeurs vers l’amour

Il n’y aurait rien de nouveau

Que la médiocrité de ces acteurs

Qui pensaient tenir le guidon de nos vies

Nous les avions déjà semé

A pied nous marchions

Main dans la main

Maintenant

Nous nous aimions

Humanité

Divinité

Liberté

Thierry Rousse

Nantes, mercredi 10 janvier 2024

« Une vie parmi des milliards »

(1) Le Cantique des cantiques »

( 2 ) »Le maître du jardin »

D’après un conte amérindien

Texte : Danielle Dalloz

Illustrations et conception : Damien Schoevaert-Brossault

Édition Kaléidoscope

Polyamour, la Finlande et la fin

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

Comment ça finirait

Comment tout ça finirait

Tu le savais

Tu t’en doutais

« Paris, mille vies »

Tu n’en étais qu’au début

Et déjà dans cette rue

Longeant le cimetière

Tu revoyais ta vie

La chute accidentelle de ton père

« C’est l’heure de l’invisible et des mots…

Et maintenant qu’apparaisse tout ce qui gronde ! » (1)

L’ombre errante t’invitait à visiter le monde

Etrange fin

Etrange début

Dans un bain de sang

La tragédie n’était pas finie

De ce récit de Laurent Gaudé

Tu sautais aux nouvelles du jour

Tu atterrissais brusquement proche de la Terre sainte

La machine infernale était lancée

Comme un chien enragé

Vingt et un milles morts répertoriés

Sur la bande de Gaza

Dont soixante dix pour cent d’enfants et de femmes

Maisons, hôpitaux, écoles, universités détruits

Extermination du peuple palestinien

Sur l’écran silencieux

Bombes à retardement

Vengeance qui relancerait le terrorisme

Histoire sans fin

Récits de ces hommes de toutes origines

Qui tenaient nos vies innocentes

Entre leurs mains

Et savaient en séduire d’autres

Les conquérir

Les acheter

Les soumettre

A leur plan diabolique

Et ce

Depuis des siècles et des siècles

Dans ce monde fou

Presque à l’abri

En Finlande

Le pasteur marié (2)

Connaissait bien sa fragilité

Impossible de résister à ses pulsions sexuelles

Cette passion qu’il nommait amoureuse

Impossible de choisir entre son épouse et son amante

Le pasteur était attaché à l’une comme à l’autre

L’une lui offrait la sécurité

L’autre le piment du désir

L’interdit transgressé

Le pasteur mentait à son épouse comme il se mentait à lui-même

Alors pour son bonheur et le sien

Elle lui proposait de continuer à la voir

A l’aimer

Forcément elle en souffrirait

Forcément elle rencontrerait aussi un autre homme

Forcément tout deviendrait très compliqué

Croisements de sentiments

D’emplois du temps

Avec qui et quand

Qui était prioritaire sur qui

Les quatre finiraient par se rencontrer

S’entendre

Se comprendre

Exprimer ce qu’ils ressentaient

Le polyamour était-il vraiment possible

Dernière issue d’un monde perdu

Etait-il si compliqué d’aimer

D’être fidèle à l’être que tu aimais

Dernier sermon sur la colline

Dieu s’était fait Homme

Jusqu’à périr sur une croix

Regrettait-il son choix

N’avait-il pas d’autre voie

Prendre chair

Pour nous montrer la lumière

Et

Comment ça finirait

Comment tout ça finirait

Crucifié

Ou

Ressuscité

Aimant

Vivant

Vivant

Thierry Rousse

Nantes, dimanche 7 janvier 2024

« Une vie parmi des milliards »

  1. Laurent Gaudé, « Paris, mille vies », édition Babel
  2. film « Amours à la finlandaise » de Selma Vilhunen

L’étranger entre deux mondes

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

De bon matin

Marcher

Le froid de l’air piquait ma gorge

Réveillait mon corps

Des bateaux vides de passagers

Traversaient le fleuve gelé

Le marché de Trentemoult

Ne comptait ce matin de janvier

Que trois marchands espacés

Et le pendule au bout du quai oscillait

Sur son silo rouillé

Un peu plus chaque année

Un corps régulier en mouvement

Au diapason des pulsations de mon coeur

S’arrêterait un jour

Sans prévenir

Comme une machine

Fatiguée de vivre

Quotidiennement

Ce long voyage imprévu

Pas l’ombre d’un Mistral gagnant en vue

Les voiliers étaient enlisés

Dans le sable mouvant

Marée basse obligeait

Je m’achetais en Inde ou en Chine

Un pantalon

Un pull

Noirs

Un jogging

Rouge

A bons prix

Pour paraître jeune

Et une belle paire de chaussures

Marron

Je songeais alors aux mains

Qui les avaient fabriqués

Aux mains ou aux engins

Qui était le mieux des deux payés

Les semelles de mes tennis étaient usées

D’avoir parcouru le monde entier de ma ville

Le jour était venu de les soulager

De me donner une autre apparence

En ce commencement d’un cycle

Récompense de mon travail accompli

Ces petites joies de la vie à savourer

Un samedi

Presque midi de l’autre côté

La médiathèque Jacques Demy

M’ouvrait ses portes

J’empruntais un nouveau livre

L’Atlas illustré

Je partais en voyage

Place de la Petite-Hollande

Un marché d’Afrique

Grouillait de pas et palabres

Nous ne sommes plus chez nous

Se plaignait Le Gaulois moustachu

A la terrasse d’un bistrot

Les portes de la France

Etaient grandes ouvertes

A toutes les misères du globe

Courants d’air

Pourquoi

Pourquoi

Pourquoi

Pour nous chasser Gaulois de nos terres

Pour nous faire trimer comme des étrangers

Je suis blanc de peau

Moi Le Gaulois

Le Muscadet

Et combien de fruits

J’aime

Qui ne sont pas de mon terroir

Comme j’aime boire mon café

Chaque matin à La Trinquette

Avec cette banane jaune trempée

Ces journaux nous mentent

Vociférait Le Gaulois

Quelle information était objective Gaulois

L’un n’y voyait que chaos

L’autre naissance d’une humanité universelle

Qu’en penser

Qui était l’étranger de qui

L’être qui ne partageait pas ma table

La Vie à cet arrêt de bus

M’annonçait la libération des cochons

Le jambon végétarien venait d’être inventé

Ma conscience était soulagée

La vie était devant mes yeux

« Paris, mille vies » (1)

Me souriait

J’avais trouvé ma prochaine lecture

Moi l’étranger en pays breton

Je traversais le pont

Entre deux mondes

Thierry Rousse

Nantes, samedi 6 janvier 2024

« Une vie parmi des milliards »

(1) « Paris, mille vies » de Laurent Gaudé, édition Babel

Paulo, France et Tracie

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

Paulo dans son bureau

Me laissait le temps de philosopher

A quoi voulez-vous employer votre vie

Quel sens désirez-vous lui donner

Paulo dans son bureau

Me proposait des parcours d’insertion

Des dispositifs pour l’emploi

Tout un éventail de solutions

Paulo dans son bureau

Me montrait son attirail de clefs

Une véritable caverne d’Ali baba

Un dédale de portes et d’allées

Paulo dans son bureau

M’écoutait parfois

Des bilans de compétences

En veux-tu en voilà il était une fois

Paulo dans son bureau

D’autres fois était pressé

Regardait sa montre suisse

Remplissait ses cases à cocher

Paulo savait qu’il serait évalué

Noté à ses résultats

Combien de chômeurs reclassés

Aujourd’hui en parfait état

France en bas résilles

Elle

Venait d’arriver

En ce début d’année

Elle déployait ses ailes

Sur le pont

Juste au-dessus des rails

France était beaucoup plus directe

Travaille

Me disait-elle

Arrête de réfléchir

Lâche tes pensées

Cesse de tourner autour de ce rond-point

Ce nombril médical

Coupe donc à l’horizontale

Trace ton chemin

Tiens

Soulève cette caisse de pommes de terre

Ça te fera les muscles

Que ne ferais-je pour France

Étais-je vraiment prêt à tout pour ses idées

Deux mille vingt quatre

Fini le temps des perpétuels bilans

Des cercles vicieux en veux-tu en voilà

L’heure était venue de foncer

De poncer

Accueillir tout ce qui venait

Traverser la rue grouillante

Aller saluer la main de Job qui m’attendait

Sur le marché forcément

De l’autre côté de la Trinquette

En Hollande

Paulo n’était plus vraiment à la page

Il avait mal vieilli dans son bureau

Le travail était une évidence

En plein jour sous la pluie ou la canicule

À foison il était dans une époque en crise

La crise de foi arrangeait bien les maîtres de ce monde

Qui l’entretenaient subtilement

En nous déracinant de nos origines

En nous faisant croire à ces nouveaux dieux

Intelligence artificielle

Pouvoir

Argent

A coup d’annonces publicitaires

La vie serait dès lors si terre à terre

Jusqu’à son cimetière

Notre dernière destination

Décorés par les vers

Après des heures à bicyclette

Livraisons en veux-tu en voilà

Bienvenue aux Indes tricolores du commerce

France jupe courte en hiver était si séduisante

Le travail à dire vrai n’était pas le problème, ma douce France

Je lui susurrais un dimanche matin

Dans le creux de l’oreille à son réveil

Je travaillais tous les jours ou presque

Le problème c’était la rémunération du travail

Quel travail était rémunéré

Et

Quel travail ne l’était pas

Et

Combien était rémunéré le travail qui était rémunéré

En comptant

Les dépenses pour m’y rendre

Tout le temps de préparation

Plus ou moins conséquent selon le lieu et la nature de ma mission

Ma France à mes questions

Se contentait de me répondre

Par une question

Tu veux travailler oui ou non

France était le genre de sujets

A ne considérer comme réalité

Que ce qui était binaire

Oui ou non

Et ne considérait que la partie visible de l’iceberg

Palabrer avec France était chose vaine

France était dotée d’une intelligence artificielle

Et tout le monde le savait

Les intelligences superficielles avaient toujours raison

Je prenais l’air un temps

Mes distances avec France

Flâner n’était pas de son goût du tout

Ses longues jambes de mannequin préféraient la marche nordique

Je marchais seul dans l’oubli d’une serre tropicale

Un peu bancal

Avais-je vraiment une jambe plus courte que l’autre

Qui s’en était rendu compte

J’ouvrais un livre de poésie entre deux cactus

Complètement futile aux yeux perçants de France

Je m’efforcais de saisir l’incompréhensible

Je n’étais pas tombé sur le plus facile

Un recueil bilingue

Tracie m’avait pourtant fait bonne impression lorsque je l’avais vue pour la première fois

Je la trouvais plutôt

Du genre je connais la vie

Je la dis comme je la vis

Alors que s’était-il passé

Le temps d’un passage

De l’oral à l’écrit

Deux mondes soudain semblant si différents

Peut-être même indifférents l’un à l’autre

L’un nature

L’autre obscur

La poésie était parfois tordue

Ou tortueuse

Une succession de mots sinueuse

D’images

De sensations

D’étranges associations de lettres

Qui me faisaient perdre le fil

Le sens de ce qui voulait être dit

Mais y-avait-il vraiment une volonté derrière ces mots

Une volonté de dire quelque chose de cohérent

N’était-ce pas plutôt un simple exercice de style autour du langage

Une forme sans contenu réel

Une forme qui était là pour me donner à voir

A entendre

A ressentir autre chose

Un monde intérieur avec toutes ses confusions

Ses contradictions

Un monde qui n’était pas accessible immédiatement

Un monde réservé aux initiés

Aux êtres qui possédaient les clés

Encore ce mot de clés

Dédales de portes et d’allées

Peut-être me fallait-il ce temps pour comprendre

Souligner d’abord ce qui était clair pour moi

Quelle porte pouvais-je ouvrir

Quelle pièce où je me sentirais chez moi

En toute sécurité

« Battons le temps

Tant qu’on le peut

Chantons des rimes quand

Le moment le veut » (1)

Forcément demeuraient des références qui m’échappaient

Des références qui n’appartenaient qu’à l’auteure

Qu’elle seule

Connaissait

Ou un ou quelques êtres qui lui étaient proches

Ou qui avaient partagé avec elle ces moments intimes

Le lit des mots sur l’oreiller

Le pire était de me dire

J’ai fini de lire cet ouvrage

Et je n’ai rien compris

Ou

J’ai fini de lire cet ouvrage

Et je ne me souviens de rien

Ou encore

J’ai fini de lire cet ouvrage

Et rien ne m’a touché

Rien ne m’a ému

Tout était bien trop loin de moi

Dans une sphère inconnue

Un langage étranger

A mon entendement

Pour éviter le pire je pouvais me rattacher

Aux quelques mots que j’avais saisis

Je sauvais ainsi la mise

Je n’avais pas l’air ignorant

Bonnet d’âne

Je me disais que ce temps dépensé

A lire les autres mots

N’avait pas été complétement inutile

Que je raccommoderais maintenant les trous

Que je poursuivrais l’œuvre amorcée

La lumière ne se voyait que dans l’obscurité

Fluide électrique de ton corps né des étoiles

As-tu seulement conscience de sa puissance

De ses mouvements danse évanescence

Juste te laisser porter par cette voix gonflant ta voile

J’étais dans ce monde

Sans être de ce monde

J’étais de ce monde des poussières

Des étoiles

De l’eau et des algues

Invisibles pierres

Fragments d’univers

A décomposer les lettres

L’origine du langage

Paulo

Avais-tu compris à quoi voulais-je employer ma vie

France adorée de mes derniers baisers

Connaissais-tu ce travail

Explorer l’infini de ton être

Le champ de tes possibles

Retourner aux origines de ta création

France en bas résille blottie dans sa chambre secrète s’endormait

Sourde à mes mots

Comme à ceux de Paulo ou de Tracie d’ailleurs

Tandem désaccordé

Lettres oubliées

Effacées

Déchirées

A quoi voulais-je employer ma vie

Quel sens désirais-je lui donner

En ce début d’année deux mille vingt quatre

Balbutiements sur la page

Brouillons de sons jetés

A l’Instant Café

Théâtre d’essais

Sans prétention

Qu’est-ce que la poésie

Qu’est-ce que la poésie

Tracie

Le travail des mots

Thierry Rousse

Nantes, vendredi 5 janvier 2024

Une vie parmi des milliards

(1) Tracie Morris, Hard Koré, poèmes, édition Joca Seria

Le dernier jour de Clémentine

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

Terminer deux mille vingt trois espoirs

Par Le Père Noël et ses histoires

ça te disait ce samedi trente décembre

C’était plutôt une bonne idée non

Pas vraiment tu disais sous ta couette à peine éveillée

Oui le vingt quatre décembre était déjà passé je savais et puis

Rêver encore un peu autour de la Terre

Tous les jours ça pouvait être Noël non

Qu’en pensais-tu

Te sentais-tu concernée

Pas plus que ça

Le Père Noël s’était égaré

Encore un coup du Professeur Bouledingue

Mais il finirait bien

Par retrouver sa mémoire

Grâce à ses fameux lutins

Qui étaient venus le voir

Tous motivés ce samedi matin

Marcel se prêtait au jeu

Enfilait son costume

La longue barbe blanche

Les bottes bien sûr

Et le bonnet rouge

Surtout ne rien oublier

Ce dernier samedi de l’année

Le clore en beauté

Marcel s’offrait un cadeau

Après avoir joué

Tout transporté et rangé

Une bonne choucroute bien chaude

Aux Trois Brasseurs de l’Ile Feydeau

Avait-il songé seulement à ce cochon

Ce brave cochon qu’on avait tué

Ce brave cochon qui avait peut-être vécu toute sa vie enfermé

Marcel s’en voulait

Les yeux au fond des poches

Du sang sur les mains

Coupable de ses envies

Il fuyait l’ïle des trois Brasseurs

La ville était si triste

Triste de toutes ces guerres

Alors

Il flânait pour oublier les cris du cochon dans son ventre

Entrait dans un musée

Pour s’abriter de la pluie

Elle était là

Là la culture française

Là en haut des marches

Le Paris des chats noirs sauvages

Une pauvre Clémentine de quinze ans

Qui se faisait appeler Marie

Fille de la Butte

Sa mère était lingère

Et elle après une chute

Devait renoncer à sa carrière

C’en était fini du cirque

Marie serait le modèle de ces peintres de Montmartre

Offrant les courbes nues de son corps à leurs regards

Aux caresses précises de leurs pinceaux

Académie des Beaux-Arts

Elle prendrait la pause des heures durant

En équilibre

Eblouissante

Fragile adolescente

Son métier était assimilé à celui de prostituée

Fille sans fortune

Modèle ou pute

Qui se louait pour quelques sous

Sur la place du marché de Pigalle

Marie la renommée

Serait l’apprentissage de ces artistes

Les chefs d’oeuvre de ces Auguste Renoir

Elle observerait leurs moindres gestes

Elle apprendrait à son tour à manier le pinceau

Etre de l’autre côté du miroir

Ses mains rendraient tout l’or

A ces corps des caniveaux

A tous les corps usés de la vie

Elle les surprendrait cachés dans leur intimité

Toulouse-Lautrec reconnaîtrait son talent

Elle la Marie des trottoirs

Deviendrait dans un portrait

Suzanne Valadon

Clémentine avait enfin un nom

Dans les cercles des Salons mondains

La pluie avait cessé

Marcel traversait le Jardin des Plantes

Perdu dans ses pensées

A la recherche du Père Noël

De Marie

De Suzanne

Et de Clémentine

Et de Clémentine

Thierry Rousse

Nantes, dimanche 31 décembre 2023

« Une vie parmi des milliards »

« Suzanne Valadon, un monde à soi », Exposition du 27 octobre 2023 au 11 février 2024, Musée des Beaux-Arts, Nantes

Pensées de la nuit

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

Pensées de la nuit

Actualités

Soixante quinze ans déjà

L’Obélix odieux des bandes dessinées

Décoré de la légion d’honneur en 1996

Mis en examen depuis 2020 pour viol et agression sexuelle

Fuyait depuis trois ans son jugement sur la terre de Poutine

Sa chair plaidait innocente devant une cour transparente

Ma victime au jardin des roses était consentante

Déclarait-il

Rien qu’un jeu d’adolescents

Rien de plus

Une valse derrière un mur

Un gros appétit d’éclats de rires entre les vignes

As-tu vu mon menhir dressé jusqu’aux étoiles

Fleuron du patrimoine français

Qui me trouve vulgaire ici

Que des féministes à la crème Chantilly

Voyez mes protectrices outrées

Moi qui ne suis qu’un petit lapin de garenne

Pourchassé par ces chiennes voraces

Voyez notre grand Chef ému à ma cause

Criant à l’imposture à l’encontre de sa cheffe inculte

Écoutez son discours d’éloquence

Moi Macaron grand admirateur d’Obélix

Fierté de notre Gaulle

Ses écarts valent bien la légion d’honneur

En vous attaquant à sa dignité

Vous vous attaquez à la culture toute entière

Qu’on le laisse reposer en paix

Dans le monde des apparences

Obélix et son menhir

Pensées de la nuit

Rêver de l’île de tous les plaisirs

Île d’yeux

Île de beauté

« Luxe, calme et volupté »

Pensées de la nuit

Île des corps opulents

Où tout était permis

Île des mondes corrompus

Dictant les règles dans leurs cours de récréation

Pensées de la nuit

Gaza

Jusqu’au dernier être vivant palestinien

Coupable ou innocent

Venger le sang de nos enfants

De ce peuple vaurien

Il ne restera rien

Pensées de la nuit

De larges banderoles

Annonçaient nos représentations

La ferme des animaux

Pensées de la nuit

Immense gâteau pyramidal

Molière et sa troupe

A tenter de regagner sa cime

Costumé et poudré

Et ne faire que glisser

Condamné à l’oubli

La déchéance d’Harpagon

Pensées de la nuit

Qui parlait encore de l’Ukraine

Qui y songeait

Une guerre en remplaçait une autre

Pensées de la nuit

Lumières de l’avenue

Comment retrouver le sommeil

Pensées de la nuit

Organiser le jour

Pensées de la nuit

Simplifier la vie

Pensées de la nuit

Noter

Bloc-notes

Bloqué

Pensées de la nuit

Taries

Tu as ri

Pensées de la nuit

Guiliguili

Comment ça s’écrit

Pensées de la nuit

Baisers volés

Chatouillis

D’étoiles filantes

Pensées de la nuit

Confuses

Chaotiques

Lucides

Clairvoyantes

Sereines

Ou agitées

Pensées de la nuit

Des démarches à accomplir au grand jour

Pensées de la nuit

Minuit à Paris

Des années folles

Coule la Seine

Des mille et une envies

Jusqu’à Brest ou Saint-Nazaire

Pensées de la nuit

Fête de la lumière

Au pays des vikings

Début d’un nouveau cycle

Pensées de la nuit

Dormir

Éteindre la lumière des yeux

Éteindre les idées

Pensées de la nuit

Vacances de l’âme

Des gens qui s’éveillaient

D’autres qui rentraient

Veilleurs des pensées

Gardiens de l’ennui

Pensées de la nuit

Quel était le plan du Grand Chef pour 2024

Nous manger tout crus

Ou cuits aux petits oignons

Pensées de la nuit

Et si le Grand Chef n’avait aucun plan

Et si le Grand Chef n’était qu’un comédien

Beau

Élégant

Jouant son rôle à la perfection

Improvisant au gré de ses humeurs à l’Odéon

Pensées de la nuit

Et si le Grand Chef ne faisait qu’accomplir les consignes de son metteur en scène

Et si le Grand Chef n’était rien qu’un petit chef

Que le portier de la Comédie française

Du Moulin Rouge

Ou du Crazy Horse Saloon

Pensées de la nuit

Le music-hall de nos grands libérateurs

Pensées de la nuit

Pôle Emploi deviendrait France Travail

Au premier janvier

Qui gagnerait la fève

Galette des rois

Pensées de la nuit

Quinze heures d’intérêt général

Pensées de la nuit

Prends-moi en selfie

Pensées de la nuit

Qui pensait encore à l’Ukraine

Tranchées d’une autre époque

Soldats transis de l’hiver

Réveillon de bombes

Une guerre en remplaçait une autre

Une guerre rentrait dans les habitudes des faits divers

Les habitudes qui finissaient par nous faire oublier l’épouvantable

L’inacceptable horreur

Comme toutes les guerres qui s’installaient dans le temps des habitudes

Vous reprendrez bien un hors d’oeuvre

Moeurs des humains

Pensées de la nuit

Que puis-je faire pour vous aujourd’hui

Pensées de la nuit matinale

Déjà six heures un vingt neuf décembre

Si peu dormi

Si peu d’oublis

Porte ouverte aux souvenirs

Pensées de la nuit

Des trains de la vie

Un dernier répit

Paysages endormis

Pensées de la nuit

Musée des Beaux-Arts

Corps gracieux et fragiles

Aux courbes généreuses

Pensées de la nuit

Parsemées de Parmesan

Et de temps

Pensées de la nuit

Surréaliste

Le Louvre de tes pensées

Pensées de la nuit

Bientôt finie

Thierry Rousse

Nantes, vendredi 29 novembre 2023

« Une vie parmi des milliards »

Tout ça pour ça

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

Écouter

Chaque fin

De journée

Le

Va-et-vient

Des pensées

De ces grains

De l’âme

Aux lames

Vives saillantes

Sensations

De ton corps

Des

Marées

Ondulantes

Interrompues

Ou suspendues

Écouter

Ce qu’elles se racontaient

Écouter

Ce que les pensées

Ce que les émotions

Se confiaient

Grains tranchés

Mesurer

Chaque fin

De journée

L’impact

Des émotions

Sur ta raison

Chaque fin

De journée

L’impact

Des raisons

Sur ton émotion

Compter tes désirs

Compter tes soupirs

Qui dominait l’autre

Le renversait

Le bousculait

Le contenait

L’un et l’autre

Désirer

Expirer

Sable mouvant

Ne plus compter

Enfin tes pieds

Respirer

Lâcher prise

Et tomber

Assumer

Tes bleus

Tes K.O.

Tes blessures

Tes pansements

Tes rebonds

Tes trophées

Tes états de grâce

Tes réanimations

Tes guérisons

Tes réflexions

Tes derniers jetons

Tes données mobiles

Tes souvenirs

Tes victoires

Tes derniers liens fragiles

Tout ça tu en étais bien conscient

La liste était longue

Long blues sky’s song

L’âme avait une influence sur le corps

Et le corps sur l’âme

En bien-être ou en mal-être

S.P.A. du corps et de l’âme

Abandonnée

Dans le bain bouillonnant

Des signes résonnant

Conter tes comptes

Encore et encore

La comptabilité

L’adaptabilité

Jeux d’articulation

Jeux d’émancipation

Tracer tes tableaux

Sur tes cahiers à petits carreaux flottant

Prévoir comment ça allait être ce mois-ci

Calculer tes revenus

Calculer tes dépenses

Sur ta balance d’être nu

Irais-tu jusqu’à la fin de ton mois

Pourrais-tu équilibrer les deux camps

Faudrait-il serrer d’un nouveau cran

Ta ceinture noire de judoka

Celle-là avait fini par lâcher un soir

Un tapis un peu plus dur

Le poids de tes soucis

D’une vie à porter sans répit

A portée de mains

Au bout d’une longue vue

Marcel ou Rimbaud

Et depuis cette chute-ci

Tu avais opté pour les bretelles vertes élastiques des champs

Les bretelles vertes élastiques de la sobriété heureuse

Marcel ou Rousseau

Tu interrogeais tes pensées

Tes sensations

En marchant sur les bords de la Loire

Comment tout ça

Se débrouillait

Bredouillait

Les unes avec les autres

Les unes confrontées aux autres

Dans un contexte de monde en ébullition

De tout ce qui pouvait se raconter

Se vivre

De ce qui était prouvé

Passager

Pérenne

Ou fabulation

Des dominations des maîtres des nations

A leurs mains qui s’étaient octroyées toutes les terres

Des élus soucieux prônant le repli sur soi

Leurs décrets commençaient à faire rentrer ça dans nos têtes pour notre bien local

L’étranger était devenu indésirable

Dans notre bocal de poissons rouges

Perçu comme un requin sans visa

Et toi dans tout ça

Serais-tu son dernier lien

Ambassadeur d’amour

Cueilleur nomade de fables

Tu avais choisi de finir ta vie en la jouant

En écrivant

En transmettant ta passion du théâtre

La scène des voix du peuple

Choeur antique

Était-ce bien utile

Bien raisonnable

Quand tout autour de toi

Ces chers experts ne parlaient que de crise mondiale

D’effondrement

De hausse des prix

De l’ère anthropocène

De l’ère des guerres

Des contagions

Des kits de survie

Toi qui vivais sous le seuil de pauvreté

Depuis presque dix ans maintenant

Toi qui voyais tes relations amicales se réduire

Ta vie sociale fondre comme un glaçon

Sous le soleil brûlant

Était-ce une vie satisfaisante

Est-ce que ça valait encore le coup de t’accrocher à cette banquise en péril

Combien te temps tiendrais-tu encore debout

Pingouin songeur

Au bout du fil brisé

Des particules disloquées

Téléphoner

A quoi bon

T’entendre pour réponse

On vous appellera si on est intéressé

Aucune possibilité de rencontrer ton interlocutrice

De te présenter à ses yeux éblouis

Aucune possibilité de lui parler de ce que tu créais

De ce que tu proposais

Échanges impossibles

Un mur d’indifférence ou d’ignorance

Ou trop de monde

Trop de candidats

Fil d’attente dans le brouillard

Question à un franc

On vous connaît

Pile ou face

Revoir régulièrement tes façons de te présenter

Communication

Action

Pitcher

Répéter

Revisiter l’ouvrage de tes créations

Comme un sculpteur sur son bloc d’argile

Au four et au moulin

Collecter

Des noms

Des lieux

Des numéros

Des adresses

Envoyer des mails

Animer des ateliers créatifs et d’expression dans les écoles

Préparer

Te déplacer

Animer

Qu’avais-tu gagné

Cet enfant qui était content de te voir

Qu’avais-tu gagné

Cet enfant qui t’offrait son gâteau

Qu’avais-tu gagné

Cet autre enfant son dessin rempli de coeurs

Qu’avais-tu gagné

Sa maman qui te demandait

Vous reviendrez après les vacances

Mon fils aime beaucoup votre atelier

Il m’en parle souvent à la maison

Qu’avais-tu gagné

La joie d’une représentation dans le Morbihan

Jouer avec tes partenaires

L’esprit d’une troupe de nouveau réunie

Qu’avais-tu gagné

Entendre les enfants à la fin du spectacle clamer

Bernard le Canard ! Bernard le Canard !

Qu’avais-tu gagné

Des perles de bonheur

Qu’avais-tu gagné

Te dire que ton passage sur Terre aura eu un sens

Qu’avais-tu gagné

Semer des graines dans ces cœurs

Qu’avais-tu gagné

La quintessence d’une naissance

Qu’avais-tu gagné

La force des vibrations

Qu’avais-tu gagné

Tout ça pour ça

La plus belle des récompenses

Qu’avais-tu gagné

Toi

Savoir pourquoi tu étais là

Pourquoi tu étais là

Thierry Rousse

Nantes, dimanche 24 décembre 2023

Une vie parmi des milliards

SUR L’ILE DU SOLEIL LEVANT

Une vie parmi des milliards Lecture-concert

Sur l’île du soleil levant

Toujours à la même heure

Hirayama se levait

Toujours le même rituel

Il coupait le petit poil qui dépassait

Sa moustache était toujours impeccable

Le teint frais lisse irréprochable

Le genre d’homme qui prenait soin de son corps

Il vaporisait ses bébés arbres

Les contemplait à genoux

Comme en prière

Avant d’enfiler sa veste de travail

Et de prendre quelques pièces dans une coupelle

Toujours la même disposée à l’entrée de son modeste appartement

Meublé de presque rien

Un matelas

Une bibliothèque

Un magnétophone

Juste ce qui lui était essentiel

Il descendait l’escalier

Glissait ses quelques pièces dans le distributeur de boissons

Ouvrait la porte de son véhicule

Buvait sa boisson

Toujours la même

Allumait le contact

Sortait une cassette

Que lui seul savait encastrer dans son autoradio

Roulait accompagné de ses voix préférés

Ces chanteurs d’Amérique

Interminable dédale de boulevards

Et d’avenues entre des successions de tours

Interminable ville

Boule de feu éblouissante jaillissant de l’océan

Soleil Levant

Et toujours son regard vers Sky Tree

L’arbre du ciel

Tour de radiodiffusion

La deuxième la plus haute au monde

Six cent trente quatre mètres

Son point de repère

Sa connexion

Au milieu de cette géante toile d’araignée

Sa métropole

Tokyo

Quatorze millions d’habitants

Quatrième la plus peuplée au monde

Ancien village de pêcheurs

La porte de la rivière

C’est ici qu’Hirayama exerçait son métier

Simple agent d’entretien

Assidu à son labeur

Toujours les mêmes gestes

La même rigueur

Rien n’était oublié

Il astiquait chaque partie des toilettes à la perfection

Comme il astiquait chaque partie de son corps

Hirayama l’homme consciencieux

Humble

Respectueux

Prévenant

Le client à ses yeux était roi

Priorité aux envies pressantes

Il attendait patiemment

Toujours le même parcours

De WC en WC

Les mêmes lieux

La même pause

Assis sur le banc de ce parc

Oasis au coeur de ce tumulte

A manger son sandwich

A observer les gens

Cet homme vagabond qui s’était installé là

Cette jeune femme assise également à la même heure sur un banc près du sien

A observer elle aussi les rayons qui transperçaient les feuilles des arbres

Le soleil qui jouait avec elles

Les faisaient vibrer

Danser

Hirayama se hâtait de les photographier

D’immortaliser ces instants éphémères

Qu’il collectionnait dans sa bibliothèque

Une quantité de dossiers et de dates

Soudain il surprenait un bébé arbre au pied d’un grand arbre

Et délicatement il l’emportait avec lui

Émotions d’une vie fragile

Attentif aux infimes détails de la vie

Était Hirayama

L’agent d’entretien des toilettes de Tokyo

Il retrouvait un enfant enfermé

La maman le récupérait sans même lui adresser un regard

Un remerciement

Hirayama souriait à l’enfant

Il réconfortait un jeune collègue amoureux

Honteux de son métier

Il était un instant le père pour cette jeune nipponne perdue dans un avenir incertain

Un monde allant à sa perte

Hirayama rentrait chez lui

Sa mission accomplie

Toujours à la même heure

Il ôtait sa veste de travail

Enfourchait sa bicyclette

Allait là où la nature pouvait encore surgir

A travers ce dédales de boulevards

D’avenues

Là où la rivière coulait encore

Là où l’herbe poussait encore

Hirayama allait là où les arbres l’appelaient

Frottait d’eau vive son corps accroupi sur un tabouret face à un robinet

Fontaine des temps nouveaux

Corps nu parmi les autres corps nus

Corps pudique de ces hommes

L’eau des bains bouillonnants le lavait de ce qui était trop pesant

Tout ce qu’il gardait

Sa souffrance qu’il ne laissait transparaître

Le poids du passé

Des erreurs peut-être

D’une culpabilité

De ses pensées

Difficile à dire

L’échec d’un homme

D’une vie

Instant de soulagement

Chaleur d’un sauna

Son corps sur un canapé face à un écran de télévision

Puis venait l’heure de manger

Affronter le vent

La pluie

La mousson

Entrer dans les couloirs du métro

Ces petits restaurants sur le pouce

Où se retrouvaient les petites gens aux petits métiers

Le monde souterrain d’en bas

De ceux qui avaient basculé

A la périphérie des beaux quartiers

Éloignés des bureaux d’hommes victorieux

Ombres des corps silencieux

Sans un bruit

Et chaque soir

Avant de s’endormir

Hirayama allumait sa lampe de chevet posée à même le sol tout comme l’était son matelas

Hirayama lisait l’un de ses innombrables livres

Jusqu’à son jour hebdomadaire de relâche

Le grand jour

Le linge sale de la semaine à porter

La balade à vélo plus longue que d’habitude

Puis le grand restaurant

Grand pour lui

Ridicule pour les autres

Les hommes d’affaires peut-être

Toujours le même restaurant

Et toujours cette même femme qui le tenait

La patronne

Toujours élégante

Vêtue à la manière d’une geisha

Cette femme digne chantait si bien

Cette chanson qu’il écoutait en boucle la semaine sur la route de son travail

Hirayama était son client préféré

Restaurant peut-être d’une ancienne maison close

Elle le servait copieusement au comptoir

Les autres hommes étaient jaloux

Qu’importe

Hirayama le méritait bien

Homme discret délicat qui n’osait lui avouer ses sentiments

Hirayama

Ce jour parfait ou presque

L’entrée était exceptionnellement fermée ce jour

Il attendait à la laverie tout en lisant

Quand il la vit

La porte entrebâillée

Se précipitant

Avec cet homme à l’intérieur

Ses espoirs s’effondraient

Homme échoué au bord de la rivière

A boire pour oublier

Pour se mentir à lui-même

Ce qu’il n’avait jamais osé lui déclarer

Hirayama

Homme seul au monde

Quelque part ici ou ailleurs

Agent d’entretien des toilettes de Tokyo

Quelle plus belle médaille pour un homme

Ou une femme

Nettoyer le monde

Le rendre propre

Beau

Étincelant

Aussi beau qu’un arbre

Aussi transparent que l’eau vive

Sur l’île du soleil levant

L’homme vint le voir

Lui parlait de sa maladie

Qu’il était venu s’excuser auprès d’elle

Avant de repartir

Le lendemain sur la route des toilettes

Des yeux d’Hirayama coulaient des larmes et des sourires

Et se dessinaient sur son visage pour la première fois un arc-en-ciel

Tant d’années sans doute que ses larmes étaient sèches

Retenues derrière le barrage qu’il s’était construit

Le soleil se levait à l’horizon peut-être d’un nouveau chapitre à écrire

Thierry Rousse,

Nantes, Lundi 18 décembre 2023

« Une vie parmi des milliards »

« Perfect Days », film de Wim Wenders