Une autre vie parmi des milliards

Si la vie n’avait pas voulu de nous

Si ce n’était pas le bon moment

Si c’était trop tôt

Bien trop tôt encore

Ou pas l’enfant désiré

La fille ou le garçon

Si l’enfant-né que nous étions

Avait ce quelque chose de différent des autres

Une couleur

Un handicap

Dans la course

Un aspect chétif

Chez le coiffeur

Et si en grandissant

Il avait à supporter cette image

Qu’on se faisait de lui

Ce regard qu’on lui portait

La compassion ou le rejet

Il y avait toujours cette solution de renaître

Avec cette envie de voir le monde autrement

Avec cette envie peut-être bien aussi

De nous voir autrement

Alors, un beau jour,

J’avais osé pousser cette porte

Ou plutôt j’avais osé

Me prendre cette porte

En pleine figure

Oser être qui j’étais dans toutes ses dimensions infinies

Etre accueilli comme j’étais

Et là

Aussitôt ToTTi me tendit ses bras

Puis m’ouvrait fil après fil son coeur

Le temps de nous apprivoiser l’un et l’autre

Un peu comme le Renard et le Petit Prince

L’accoucheur de ce clown qui sommeillait en moi

Sans que je n’en sache rien jusqu’alors

S’appelait Jean-Luc Mordret

Et je lui devais un beau matin

Mes vacances au pays des cigales

Cet état d’absence à moi-même

Pour laisser place à ToTTi

Un mardi 20 juillet 2010 …

Ce matin, (1)

Monsieur ToTTi

Pointait son nez rouge

A l’extérieur de sa tente igloo

Avec sa valise bleue

Il prenait la direction du « Verger Urbain V »

Au pied du Palais des Papes


Après avoir rencontré d’autres artistes en vacances

Il était prévu que son réveil

Se fasse le lendemain en soirée

Aux alentours de 22 heures

Derrière un banc

Etait-ce le banc des amoureux

Ceux qui se bécotaient

Sur les bancs publics

A la nuit tombée

A n’en plus finir

Attirant les regards des curieux ?

Les joues gonflées

Toutes rouges

Aussi rouges que son nez rouge était rouge

Aussi rouge que son bonnet était né

Par cette belle nuit d’été provençale


Monsieur ToTTi pointait donc

Pour la deuxième fois son nez rouge

Cette fois-ci dans le « Verger Urbain V »

Sans répétition ni jeu de mots


Au pied du Palais des Papes disparus

De l’autre côté de la cour des Princes

De l’autre côté du « IN »

Dans le « OFF du OFF »

Presque comme un troubadour

Echoué dans la rue

Au fond de l’obscurité d’un visage noir

Peint sur un banc

Pour ne pas être vu

Derrière ce banc

Monsieur ToTTi


Observait les passants

Qui passaient et repassaient


Il s’émerveillait des lumières de la nuit


Doux reflets multicolores des guirlandes des cieux


Un air de fête, un air de rêve


Un goût de liberté lui était offert

Monsieur ToTTi escaladait le banc


Aventure Ô combien périlleuse


Puis se laissait glisser comme un enfant


Quel joli toboggan était ce banc

Simples rimes des anges


ToTTi pour les intimes

Posait sa valise et se reposait


Mais que faisait-il ?

Les rares spectateurs attendaient

Un geste

Une pirouette

Un mime

Une chanson

Ou des claquettes

ToTTi ne faisait rien

Rien que d’être


Il était

Et j’en restais là pour ce soir

A l’être

De mes mots

Demain

Derrière Le Lieu Unique

Ouvrirait le Bis

Demain

Y verrait-on ToTTi ?

Etait-il annoncé ?

Instants de silence suspendus

A suivre

Comme la vie

Avant que Dieu ne me rappelle à lui

Ne me cueille comme une étoile

Dans la nuit

Cité des nez éternels.

Thierry Rousse

Nantes, mardi 10 janvier 2023

« Une vie parmi des milliards »

  1. Blog « Les Vacances de Monsieur ToTTI » http://monsieurtotti.blogspot.com/

VIVRE ENCORE UN PEU . . . DU THEATRE

Vivre encore peu

Parce que je n’avais pas encore tout jouer

Moi, rien qu’une vie parmi des milliards

Il m’en restait encore des rôles à jouer

Au bord de ce Globe qui se réchauffait

Le petit-fils de La Ritournelle ( 1 ) était au placard

Gorgibus, Marphurius, Gros-René, Harpagon, Argan ce malade imaginaire (2 ) étaient en fuite dans leur malle

Amédée le Jardinier perdu dans le labyrinthe de son jardin ( 3 )

Le veilleur de nuit Hughie s’était endormi au comptoir de son hôtel ( 4 )

Toribio avait été rangé trop tôt au congélateur ( 5 )

En sortiraient-ils un jour, ces fantômes de mes coulisses ?

D’autres personnages heureusement m’attendaient impatients

Malabar, Boule-de-Neige, Brille-Babil, Moïse trépignaient dans leur ferme ( 6 )

Béranger se refusait de devenir Rhinocéros, courageux résistant qu’il était ( 7 )

Pierrot, Amélie, la Sirène et le Dragon reviendraient en février pour le bonheur des enfants ( 8 )

Barnabé espérait vivement le retour du printemps ( 9 )

Et Le Père Noël, celui des premiers flocons de l’hiver ( 10 )

Bernard le Canard avait hâte de retrouver L’Inspecteur Cornichon avec sa fille Lucie pour leur jouer de nouveaux tours dans l’usine au chocolat ( 11 )

Ainsi il en était de ma vie de comédien

Réviser régulièrement mes textes et mon jeu

M’entraîner

Me souvenir de chaque mot

chaque voix

chaque geste

chaque déplacement

chaque intention

chaque sentiment

chaque émotion

chaque regard

Oublier m’aurait été fatal

Le glas de mon trépas

Des heures et des heures de travail perdues

Non recyclées

Et puis toujours

Me projeter

M’imaginer dans un nouveau rôle

De nouveaux projets

Des territoires inconnus à explorer

Innover

Surprendre

Oser

Rester éveillé aux yeux du monde

Ecrire

Apprendre

Tracer

Construire

Créer

M’instruire

ToTTi, ( 12 ) mon clown, pointait son nez :

« Alors, quand repartirons-nous en vacances avec la valise bleue de nos rêves ? »

Les cigales chantaient encourageant les fourmis

Je fourmillais de ce désir de vivre

Rajeunir ou vieillir pour jouer tous ces rôles qui peuplaient mes nuits

Jouer pour le bonheur de jouer d’autres vies

Faire rire ou faire réfléchir

Emouvoir

Toucher les coeurs jusqu’au dernier rang

Jusqu’au dernier balcon

« L’Illusion Comique »

Premier jour de mes fiancailles au théâtre

Longue histoire d’amour

De Paris à Nantes

Vivre encore un peu pour aimer

Et peut-être être aimé, désiré, reconnu

Ou tout simplement connu

Au coin de ma rue

Pour rompre avec la redondante phrase des institutions

« On ne vous connaït pas »

Et bien, vous allez apprendre à me connaître

Aujourd’hui, je vais naître

Ici sur ces planches

Dans mon plus beau costume

Je serai peut-être bien Lustucru

Ou encore Bachir

Ou encore Saïd

Scoubidou me donnera la réplique ( 13 )

Au pied du Palais des Papes

J’adorais ne pas me prendre au sérieux

L’humilité était le plus beau blason des saltimbanques

Alors

Laissez-moi vivre encore un peu… du théâtre, Messieurs, Mesdames

De ce pain essentiel au banquet des noces.

Thierry Rousse

Nantes, dimanche 8 janvier 2023

« Une vie parmi des milliards »

( 1 ) La Ritournelle de Victor Lanoux, Production SCB

( 2 ) farces et comédies de Molière, Compagnie Les Arlequins

( 3 ) Amédée le Jardinier, Compagnie Les Arlequins

( 4 ) Hughie d’Eugène O’Neill, L’Oiseau-Naïf Théâtre

( 5 ) Les trois oranges, Compagnie L’Arbre à Palabres

( 6 ) La ferme des animaux de George Orwell, Compagnie Artscoope

( 7 ) Rhinocéros d’Eugène Ionesco, projet 2023 Compagnie Artscoope

( 8 ) Pêcheur d’histoires, Compagnie L’Arbre à Palabres

( 9 ) Le Potager des Contes, Compagnie L’Arbre à Palabres

( 10 ) Le Père Noël et ses histoires, Cies L’Arbre à Palabres et Micado

( 11 ) L’inspecteur Cornichon de Thomas Debure, compagnie Micado

( 12 ) Les vacances de Monsieur ToTTi, Les Clowns Polaires

( 13 ) Projet Scoubidou et Lustucru, adapté de Les contes de la rue Broca de Pierre Gripari

ENTRE JARDIN DES PLANTES ET MUSEE DES BEAUX-ARTS

Me glisser entre les gouttes

Me frayer un chemin

Me refugier dans une serre

Plante parmi les plantes

Retrouver le calme du temps

L’alignement

Des racines aux étoiles

Toute la sève essentielle

Le même élan qui nous réunissait

Amies et amis de coeur

Une terre

De l’eau

Du soleil

Chaque jour

Reproduire ce geste

De la création

Ce souffle qui nous animait

Tracer l’infini

Déposer l’invisible

Sur des toiles blanches

Au café du Musée des Beaux-Arts

Ames sensibles et belles

Hors du ciel

Eternelles

Une fleur sur un mur

Jailissait

A l’heure du thé

Scène ouverte

De Nantes et d’ailleurs

A tous ces mots qui se libéraient

Aux comptoirs

Se croisaient

Dans le noir

Ces mots de toutes les couleurs

Ces petits bonheurs

Et ces parapluies joyeux

Performance d’une vie

Improvisée.

Thierry Rousse

Nantes, samedi 7 janvier 2023

« Une vie parmi des milliards »

Les voyages en train miniature

Il passaient

je les voyais

derrière ma large fenêtre

dans un sens puis dans un autre

je les entendais arriver

se croiser parfois

de l’aube à la nuit tombée

au milieu

ils se faisaient plus rares

il y en avait un qui faisait beaucoup de bruit

un long, un très long avec des citernes grises toutes taguées

un long train de cérales

du moins c’est le mot qui était écrit sur chaque wagon

Ceux qui circulaient le plus

jusqu’à vingt trois heures environ

étaient les trains de voyageurs

ceux que nous nommions les TER alternant avec les TGV

l’ancien train avec des wagons à compartiments, celui que j’adorais dans ma jeunesse, avait quasiment été sorti de la circulation

le tout beau Corail, le tout moderne sans compartiment, lui aussi, avait l’air aujourd’hui d’un vieux dinosaur démodé

il avait été repeint tout en bleu et rose aux couleurs de OUI GO

la jeune génération des trains à bas prix

le genre de trains utiles à qui on dit oui ou go

je n’en voyais peut-être que deux passer chaque jour

Les trains

ils avaient été la passion de mon enfance

j’inventais toutes sortes d’histoires grâce à eux

après avoir posé les rails

construit des maquettes

de gares

de maisons

de commerces

d’écoles

d’églises

de fermes

de montagnes

de prairies

de rivières

après avoir disposé des figurines et des animaux

je faisais partir ou arrêter, à mon bon vouloir, les trains

et quand je l’avais décidé

je les rentrais dans leur hangar

les trains se reposaient

et je m’endormais avec toutes ces histoires dans ma tête

ces belles histoires

où tout le monde était heureux

de sa journée.

Les voyages en train

étaient simples et rassurants

je savais

quand ils partaient et quand ils arrivaient

d’où ils partaient et où ils arrivaient

leur destination était clairement définie dans ma tête

Je savais où j’arriverai

et à quelle heure

ou presque

les retards pouvaient être source de tensions

comme de délectation

me faisant languir à attendre mon train

ou m’offrant un peu plus de pages de lecture ou de contemplation d’un paysage

lorsque je me trouvais bloqué dans un de ces wagons

Rarement j’étais attendu à l’arrivée

quand je l’étais, cet instant n’était que pur délice

je me sentais alors attendu à un endroit précis et à une heure précise sur la Terre

au bout du quai, ou, mieux encore, sur le quai

J’aimais les trains comme j’aimais l’ambiance des gares

surtout des anciennes gares des grandes villes

ou des petites gares de campagne

Depuis Nantes

je savais que je pouvais me rendre

à Paris

à Bordeaux

à Angers

à Saumur

au Mans

à Orléans

à Strasbourg

à Marseille

à Lille

à Rennes

à Vannes

à Brest

à Quimper …

et déjà je rêvais à ces voyages, à ces destinations

je rêvais que je partais jouer là-bas

ou que j’allais lire des poèmes là-bas

ou encore que j’allais transmettre l’art du clown là-bas

sponsorisé par la SNCF

je rêvais de ces somptueuses chambres d’hôtels qui m’attendaient

de ces déjeûners copieux

de ces repas savoureux

ou tout simplement de ces soirées chez l’habitant

je rêvais de ces instants de détente

bien mérités

après mon travail

où j’allais découvrir

la ville et ses jardins

la ville et ses bords de mer

la ville et ses lieux culturels

la ville et ses restaurants

la ville et ses troquets fort sympathiques

où j’allais rencontrer

rencontrer d’autres gens

d’autres gens sur la Terre

les écouter

partager un bout de vie avec eux

puis repartir dans mon train

fantastique

à l’heure fixée

une larme à l’oeil nostalgique

élastique

avec tous ces souvenirs

tourbillonant

dans ma tête

tous ces souvenirs

inoubliables

ces sourires

ces rires

ces regards

ces mots échangés

ces valises de rêves

que j’ouvrirais à mon retour

ces parfums d’amour

1825

tout avait commencé en 1825

en Angleterre

la première ligne de chemin de fer pour voyageurs

grâce à la locomotive à vapeur

ce premier poème

que nous devions à George Stephenson

le train roulait à trente à l’heure

et j’avais tout mon temps pour observer ces vaches britanniques qui me regardaient

tout mon temps pour vivre

Ce n’est qu’en 1981 que tout s’accéléra

que le Train à Grande Vitesse sillonnait les champs

traversait les forêts

séparaient les animaux

les maisons

se glissait sous les montagnes

tel un vers de terre

ou un bulldozer

tout allait vite, trop vite pour arriver

pour nous rejoindre

trop vite

pour regarder le temps passer

les livres étaient plus courts

peut-être aussi un peu

les histoires d’amour

bien qu’on ne sut jamais si c’était des histoires d’amour les histoires d’amour

peut-être fallait-il marcher au fond à côté des rails

quitter le train-train d’une vie en train

La gare de Nantes s’ouvrait sur le Jardin des Plantes

Le Musée des Beaux-Arts

avait ouvert ses portes

à la modernité

cette dame s’invitait dans l’oeil impressionné

des peintres impressionnistes

quand la vie surréaliste bientôt s’imposait.

Ne restait des tableaux

que la nostalgie des petits trains de campagne

aujourd’hui

miniatures.

Thierry Rousse

Nantes, vendredi 6 janvier 2023

« Une vie parmi des milliards »

L’agenda et la disparition

Deux mots qui n’avaient rien à voir.

Agenda.

Disparition.

Le premier : agenda.

Ainsi commençait ma journée.

La liste de mes tâches à accomplir pour la journée.

C’était une répétition.

Rayer ce mot.

Noter mes tâches, sur un grand cahier

inséparable de mon agenda

bien trop petit pour tout écrire.

Je l’avais choisi jaune comme le soleil.

Lisse

Agréable à toucher

comme la peau d’une orange

mon agenda.

Une case vide devant chaque tâche

attendait d’être remplie

par la fameuse croix.

Fait.

La joie de tracer cette croix.

Fait.

La tâche était faite.

Je notais la durée passée pour chaque tâche

souvent

bien plus longue que prévue.

Il pleuvait

toute la journée

il pleuvait.

Et face à ma large baie vitrée

j’accomplissais sutudieusement

mes tâches

comme un élève sage.

Les tâches étaient variées.

Elles allaient d’une réponse à donner

pour un spectacle demandé

puis pour un autre

à

des appels reçus

questions au sujet de mon métier

nouvelles d’un ami de longue date

point administratif

point financier

réunion à câler

à

mon actualisation

à

mes mises à jour

à

le classement de mes bulletins de salaire

Quand

venait l’heure fatidique

préparer le repas

manger

un couscous en boîte

ne pas perdre de temps

ne pas regarder en l’air

avaler une pomme

boire un jus d’orange

et reprendre

comptes

budget

tentative de virement refusé, une fois, deux fois, trois fois

appel de nouveau reçu

attente d’un paiement

trouver une solution au problème

dialoguer

expliquer

écrire la trame du spectacle pour des enfants auprès desquels j’intervenais dans une école

« Sindab sur l’île Plastic »

noter les prochains ateliers clown

écrire un message de remerciement

à la personne qui m’avait permis

d’en être là aujourd’hui

Quand

venait l’heure fatidique

préparer le repas

manger

oeufs

carottes

petits pois

en écoutant France Culture

Et après…

Le message reçu d’un autre ami

« Ma maman est décédée »

Disparition

Le temps s’arrêtait

Un vide

Retrouvée inanimée

chez elle

au lendemain des fêtes

Ce n’était pas écrit sur mon agenda

ce mot que je n’osais prononcer

la fin de la vie

Une case vide

qui attendait sa croix

tâche faite

vie accomplie

Je refermais mon agenda

J’écrivais un mot à mon ami

Que dire

sinon que je pensais très fort à lui ?

Quels autres mots trouver ?

Je me sentais bien idiot avec mon agenda

mes tâches, mes cases et mes croix.

Il en aurait fallu d’autres

d’autres

de nombreuses cases

toutes les cases pour mes proches

toutes les cases pour mes amis

à appeler

pour leur dire

combien je les aimais

avant notre disparition

avant notre disparition

avant notre …

Thierry Rousse

Nantes, mercredi 4 janvier 2023

« Une vie parmi des milliards »

Bonne année

C’était là

la nouvelle année

à nous dire

« Belle et heureuse année ! »

et pour les plus courageuses

et les plus courageux d’entre nous

un mot personnalisé

adapté

ciblé

qui nécessitait une certaine connaissance de ma ou de mon

destinataire

une certaine vision

une certaine intuition

dirais-je même

dans l’obscurité d’une forêt

l’oeil averti d’une sorcière.

Garder la tradition

l’entretenir

la tradition qui pouvait

susciter en moi cette sensation

de me sentir obligé d’adresser mille messages

et de répondre à mille messages

jusqu’à ne plus savoir à qui j’avais écrit

à qui j’avais répondu

où étaient ces serpents

qui sifflaient sur nos têtes

suspendues.

Tête

tête à tête

tête en l’air.

Il y aussi le message adressé à toutes et à tous

la phrase identique destinée à chacune et à chacun.

Tout l’art consistait à rédiger un message universel

qui pouvait s’adresser à chaque âme

et à chaque coeur

de l’univers.

C’est qu’il en fallait

un sacré temps pour écrire

ces bons sang de voeux

jusqu’à, épuisé,

être à court d’idée

une page blanche

de voeux

gardés au fond de mes pensées.

Et, à moi

quels voeux pourrais-je bien m’adresser ?

Me voulais-je du bien

et quel bien ?

Quel chemin tracer jusqu’au bout

des galaxies

parmi le chaos d’un monde en déclin

d’une apocalypse annoncée ?

Des voeux

quand tout déraillait

Des voeux

quand le Chef d’Etat

paradait

Des voeux

quand il nous faisait peur

tout en nous rassurant

Des voeux

quand ses mots se contredisaient

Des voeux

pouvions-nous encore écrire des voeux ?

La caresse d’un baiser

La longue étreinte des amoureux

qui se promettaient fidélité

sur le Pont des Arts ?

Des voeux

qui ressemblaient fort à un adieu.

Et pourtant

elle était là

l’ardente envie de vivre

de dire que cette année serait la bonne année

que tout changerait

que tout irait mieux.

L’envie d’y croire

deux mains sur le clavier des mots

à écrire leur histoire

un soir

et un matin

dix pour cent de batterie

et un fil pour la vie.

Des voeux

Bonne année !

Puisque la bonté

au fond

était au commencement

de tout.

Thierry Rousse

Nantes, mardi 3 janvier 2023

« Une vie parmi des milliards »

Entre les lignes, héroïnes méconnues

« Exposition

Médecins du Monde présente

Unsung Heroes

elles brisent le silence » (1)

Des visages de femmes, que des visages de femmes ou d’hommes se reconnaissant femmes.

A côté de chaque portrait, en bas, un texte.

Chaque texte est le témoignage de la femme photographiée par Denis Rouvre.

Des femmes de Palestine, de Syrie, du Gabon, du Vénezuela, d’Iran, d’Inde et de France aussi.

C’était à Nantes, un jeudi vingt neuf décembre deux mille vingt deux.

Quitter mon doux confort.

Traverser la pluie pour m’y rendre.

Me faire violence.

La porte transparente coulissante

de l’espace blanc de Cosmopolis

s’ouvrait à mes yeux.

Regarder chaque photographie.

Lire chaque texte.

Premier texte.

Le choc.

Récit d’un viol.

Deuxième texte.

Deuxième choc.

Violences, prostitutions forcées, viols encore, accusations de sorcellerie, condamnations pour orientation sexuelle défendue par la loi, viols encore, et toujours violences, prostitutions forcées, accusations, condamnations, expulsions, disparitions …

Et ainsi, de texte en texte, jusqu’au visage défiguré d’une femme après qu’on lui ait jeté de l’acide…

Et encore des textes, et encore, jusqu’au bout du couloir, et encore à l’étage, des textes qui hurlaient, jusqu’où… Des textes ! … Ces maux n’étaient donc pas finis ?

Comment tenir encore debout ?

Comment lire encore jusqu’au bout ?

Viols, violences, prostitutions forcées, accusations, condamnations, disparitions …

Des corps de femmes brisés, des vies saccagées.

Lire entre les lignes.

Sauter des mots, encore sauter des mots, accélérer ma lecture.

En finir

Ne plus tenir

Sortir

Sortir

Sortir

Quitter cet espace blanc

Retrouver la foule des rues piétonnes

La frénésie des fêtes

Les rires au fond des pubs

La lumière des manèges

Entre Noël et le Jour de l’An

Là où l’esprit n’avait qu’une envie, s’amuser, tournoyer, quitter le réel

Voir dans la pluie des gouttes de Champagne

Grimper sur le toit de l’Opéra

Et, pourtant c’était bien là

Derrière

A mes yeux

Cosmopolis

Que des gouttes de sang, de larmes et de cris

Sur les murs blancs

Là à mes yeux

Ces mots-là dans la pluie intérieure de leurs confidences

Entre les lignes le silence

Fuire ou rester ?

Et pourtant, leurs visages étaient dignes

Leurs corps droits

Presque une lueur dans le fond de leurs yeux

Une force retrouvée

L’envie d’aider, de soigner, d’éduquer

Dans le coeur de ces femmes déchiré

Le jour où elles avaient pu rencontrer sur leur chemin

Réconfort, écoute, compassion

Un regard qui les considérait

En dévoilait leur beauté, leur courage

Les aimait, les aimait, les aimait…

Héroïnes méconnues

Croisées peut-être dans la rue

Elles méritaient

Bien leur place

Entre une bûche de Noël et une coupe de Champagne …

Thierry Rousse

Nantes, vendredi 30 décembre 2022

« Une vie parmi des milliards »

(1) Exposition Unsung Heroes, photographies et témoignages Denis Rouvre, Nantes, Cosmopolis, du 9 décembre 2022 au 15 janvier 2023.

Les deux moutons d’Ouessant

Là, ils étaient là

Au pied du château d’Anne de Bretagne

Deux moutons d’Ouessant

Je les avais aperçus, un jour, par hasard

Deux moutons d’Ouessant.

Après les vaches écossaises et nantaises

depuis que j’avais dû quitter les bords de la Sèvre

et ma jolie maison et sa Mezzanine

c’était les moutons d’Ouessant qui m’attendaient

là,

juste de l’autre côté du chemin de fer et du miroir d’eau

en contrebas

dans les douves de ma chère Duchesse Anne.

Alors,

à l’heure de la pause

dès que je pouvais

je leur rendais visite

à ces deux moutons d’Ouessant.

Mais

aujourd’hui,

ils n’étaient pas là

mes deux moutons d’Ouessant.
Qu’étaient-ils devenus ?

Quel vent les avait emporté au loin ?

Avaient-ils retrouvé leur Bretagne natale

à la pointe de l’océan

contre les vagues déferlantes

les deux moutons d’Ouessant ?

Je me sentais triste

comme un vide

comme un vide

que j’emportais avec moi

dans les douves du Château.

Faire revenir les animaux en ville

là où ils vivaient autrefois

là c’était une bonne idée

je me disais

pour une fois

que l’homme faisait un pas de côté

acceptait de ne plus se sentir le seul maître du monde

l’unique conquérant.

Les animaux étaient bien là avant nous

N’est-ce pas eux, après tout, qui nous permettaient de vivre

qui nous offraient une place sur cette Terre?

Je poursuivais mon chemin

le long des remparts

songeant à mes deux moutons d’Ouessant

puis, fis demi-tour.

Là, de ce côté

je les aperçus

Ils étaient là

bien là

ils n’avaient pas disparu

mes deux moutons d’Ouessant

juste cachés dans leur cabane

sous le pont-levis

dans l’obscurité du jour

à l’abri des regards

ils venaient de sortir de leur repaire

pointant leur museau.

Je souriais

La joie de ces retrouvailles

me remplissait le coeur.

Deux moutons d’Ouessant.

Je décidais de les nommer.

Ainsi, je penserais davantage à eux.

Ainsi, ils ne seraient plus des êtres anonymes.

« La sagesse de l’herbe » d’Anne Le Maître m’avait gagné l’âme.

J’appelais le plus clair, Hector, et le plus foncé, Berlioz.

J’ignore pourquoi.

Ces deux prénoms m’étaient venus

instantanément

comme une évidence

Hector et Berlioz

Il y avait quelque chose d’élégant en eux

de puissant, de fier

de simple

et de symphonique à la fois

Hector et Berlioz

comme deux compagnons inséparables.

Hector me regardait

mâchant un brin d’herbe

Je le regardais

nous nous regardions

sans un mot

sans rien dire

juste un silence

juste un regard.

Que savait de moi Hector ?

Que savais-je d’Hector ?

Rien, sinon, que nous nous regardions en silence.
Que pensait-il de moi ?

Que pensais-je de lui ?

Quelles pensées nous traversaient ?

D’innombrables,

ou, peut-être, aucune

juste une présence.

Hector me quittait,

alla faire un tour dans son abri

avant de rejoindre son copain Berlioz.

Berlioz

lui

avait filé tout au bout de l’enclos

là où il restait

encore

un peu d’herbe de l’hiver.

Berlioz ne me regardait pas.
Berlioz mangeait

d’un appétit insatiable.

Comment pouvait-il ingurgiter autant d’herbes ?

Berlioz me donnait faim à cette heure.

Tout ce que j’appris aujourd’hui d’Hector et de Berlioz

était qu’Hector et Berlioz était sensibles aux voix stridentes.

Un éclat de rires au-dessus des douves

et, aussitôt, Hector et Berlioz détournaient la tête vers la même direction

un instant, suspendus.

Que se passait-il ?

Un ennemi à l’attaque du château ?
Hector et Berlioz en étaient les dignes gardiens.

Ma Duchesse pouvait dormir en paix.

Le silence se fit.
Hector et Berlioz retournaient à leur besogne bucolique.

Je les enviais.

Etre un mouton d’Ouessant

emmitouflé dans un gros pull-over en laine

un véritable écrin de douceurs.

Je les quittais

me promettant de les revoir

Hector et Berlioz

mes deux moutons d’Ouessant.

Thierry Rousse

Nantes, jeudi 29 décembre 2022

« Une vie parmi des milliards »

Reprendre le stylo

Reprendre le stylo

Peut-être le plus difficile

Du désir de le reprendre

à …

Je suis trop fatigué

Je n’ai pas le temps

Je dois faire autre chose de plus important…

Demain, je le reprendrai

Et demain

De nouveau…

La page blanche des petits carreaux

Ecrire, écrire quoi ?

Le confinement était fini

Ma liberté m’avait été rendue

Ecrire quoi ?

Le quotidien du travail

La spirale du temps

entrecoupé de moments de détente?

Détente

D’où venait cette expression ?

Etais-je tendu au travail ?

Concentré ?

Oppressé ?

Est-ce que le travail au contraire me rassurait,

me donnait un cadre, des repères?

J’aimais m’y réfugier

y trouver un sens, une utilité, un but, une nécessité

Le travail pour mieux savourer au bout le moment de détente mérité.

La détente devait-elle à chaque fois être méritée ?

Travailler pour gagner mon beurre

que j’étalais sur mes tartines de pain complet

En conserver

Ne pas tout dépenser

Epargner

Prévoir

Prévoir

C’était encore imaginer un avenir

Voir devant le bout de mon nez

Un pré et des sourires

Me dire que

Demain

Je vivrai

Encore

Que je n’avais pas fini

Pas fini de vivre

Exister encore un peu

Ne pas terminer mes phrases

Gommer les points

Ranger le beurre au frigo

Il en restera encore

Bien une louche

demain matin

Et puis lire

« Sagesse de l’herbe »

Anne Le Maître

« Quatre leçons reçues des chemins »

Lire

C’était rencontrer

Celle ou celui qui écrivait

Rencontrer sa vie

A travers ses mots

A travers ses notes

Deviner son visage

Peut-être se tromper

Les mots

Que pouvaient dire les mots

De nos pensées

De notre âme

N’étaient-ils qu’une annexe

A la périphérie de la vie ?

Rien

Ou si peu

Ou peut-être tout

Une cime

Un précipice

Une rivière

L’étendue d’une forêt obscure

Laissant par-ci, par-là traverser la lumière des astres

Ou juste une clairière

Un miroir d’eau

Une forteresse

Le ciel bleu du Québec

Un froid ensoleillé

Qui nous faisait revivre

Une boule de neige qui nous faisait danser et rêver

Autour du brasero des Nefs

Tout près d’un éléphant en exil

Les effluves d’un vin chaud n’étaient pas loin

Juste à portée de main

Ivresse d’un ailleurs

Inde aux mille visages

Un lieu unique pour le coeur

Chapiteau inondé

Chantiers Navals abandonnés

Et déjà, la nuit

La nuit étincelante de l’hiver

Reflets des candélabres

Lumières jaunâtres

La pluie avait son charme

Petite pause à Taïwan

Rien d’important

Un comptoir

Une table et des feuilles

La femme devant son écran

Elle, juste, reprenait son stylo

Obsever

Relever

Se relever

Apprendre

Se souvenir

Vivre

Vivre encore

« Reconnaissons à chaque oiseau, chaque papillon, sa place sur la planète et nous aurons alors peut-être un jour la joie de le surprendre au détour d’une promenade, comme dans la foule on tombe sur un ami ». (1)

Thierry Rousse

Mardi 27 décembre 2022

Nantes

« Une vie parmi des milliards »

  1. « Sagesse de l’herbe, Quatre leçons reçues des chemins » d’Anne Le Maître

édition Transboréal

Reprendre son stylo

Reprendre le stylo

Peut-être le plus difficile

Du désir de le reprendre

à …

Je suis trop fatigué

Je n’ai pas le temps

Je dois faire autre chose de plus important…

Demain, je le reprendrai

Et demain

De nouveau…

La page blanche des petits carreaux

Ecrire, écrire quoi ?

Le confinement était fini

Ma liberté m’avait été rendue

Ecrire quoi ?

Le quotidien du travail

La spirale du temps

entrecoupé de moments de détente?

Détente

D’où venait cette expression ?

Etais-je tendu au travail ?

Concentré ?

Oppressé ?

Est-ce que le travail au contraire me rassurait,

me donnait un cadre, des repères?

J’aimais m’y réfugier

y trouver un sens, une utilité, un but, une nécessité

Le travail pour mieux savourer au bout le moment de détente mérité.

La détente devait-elle à chaque fois être méritée ?

Travailler pour gagner mon beurre

que j’étalais sur mes tartines de pain complet

En conserver

Ne pas tout dépenser

Epargner

Prévoir

Prévoir

C’était encore imaginer un avenir

Voir devant le bout de mon nez

Un pré et des sourires

Me dire que

Demain

Je vivrai

Encore

Que je n’avais pas fini

Pas fini de vivre

Exister encore un peu

Ne pas terminer mes phrases

Gommer les points

Ranger le beurre au frigo

Il en restera encore

Bien une louche

demain matin

Et puis lire

« Sagesse de l’herbe »

Anne Le Maître

« Quatre leçons reçues des chemins »

Lire

C’était rencontrer

Celle ou celui qui écrivait

Rencontrer sa vie

A travers ses mots

A travers ses notes

Deviner son visage

Peut-être se tromper

Les mots

Que pouvaient dire les mots

De nos pensées

De notre âme

N’étaient-ils qu’une annexe

A la périphérie de la vie ?

Rien

Ou si peu

Ou peut-être tout

Une cime

Un précipice

Une rivière

L’étendue d’une forêt obscure

Laissant par-ci, par-là traverser la lumière des astres

Ou juste une clairière

Un miroir d’eau

Une forteresse

Le ciel bleu du Québec

Un froid ensoleillé

Qui nous faisait revivre

Une boule de neige qui nous faisait danser et rêver

Autour du brasero des Nefs

Tout près d’un éléphant en exil

Les effluves d’un vin chaud n’étaient pas loin

Juste à portée de main

Ivresse d’un ailleurs

Inde aux mille visages

Un lieu unique pour le coeur

Chapiteau inondé

Chantiers Navals abandonnés

Et déjà, la nuit

La nuit étincelante de l’hiver

Reflets des candélabres

Lumières jaunâtres

La pluie avait son charme

Petite pause à Taïwan

Rien d’important

Un comptoir

Une table et des feuilles

La femme devant son écran

Elle, juste, reprenait son stylo

Obsever

Relever

Se relever

Apprendre

Se souvenir

Vivre

Vivre encore

« Reconnaissons à chaque oiseau, chaque papillon, sa place sur la planète et nous aurons alors peut-être un jour la joie de le surprendre au détour d’une promenade, comme dans la foule on tombe sur un ami ». (1)

Thierry Rousse

Mardi 27 décembre 2022

Nantes

  1. « Sagesse de l’herbe, Quatre leçons reçues des chemins » d’Anne Le Maître

édition Transboréal