Elles avaient fini par m’écoeurer ces nouvelles, des nouvelles que je n’écoutais quasiment plus.
Nos Chefs continuaient à enfoncer les plus pauvres d’entre nous. Ils concoctaient une réforme de l’assurance chômage, allongeant la période de travail pour l’ouverture des droits et réduisant le montant journalier. Les chômeurs n’auraient guère le choix que d’accepter des emplois sous-payés aux conditions précaires. Une main d’oeuvre malléable qui faisait le bonheur de certains. Travailler et consommer. Nous étions leur chair à saucisse.
Je voyais bien tout ce beau monde en haut d’un balcon signer de secrètes alliances pour se partager le pouvoir et les richesses, politiciens corrompus, actionnaires, banquiers… Le peuple, ces Gens d’en-haut le voyaient en tout petit comme une masse insignifiante, dérisoire dont les prises de paroles, les manifestations ne seraient qu’éphémères, inoffensives à leurs yeux.
Nos agitations les divertissaient.
Les Gens d’en-haut savaient si bien envoyer des casseurs cagoulés au moment venu, quand ils se sentaient irrités par les chants et les danses, pour diviser et briser ces forces populaires qui se rassemblaient dans l’espace public.
Ils avaient trouvé dans ce virus, là, une belle opportunité pour nous manipuler à leur guise dans le sens de leurs convoitises. D’ailleurs, qui communiquait sur les résultats de l’enquête ? Comment était apparu ce virus? Quelle en était la cause ?
Les gens de pouvoir communiquaient sur ce qui servait leur pouvoir.
Le vaccin était devenu une nouvelle source de bénéfices, un marché mondial à conquérir.
Il nous était rabâché chaque jour à présent ce mot « vaccin ». Un à un, par tranche d’âge, par catégorie professionnelle, nous étions appelés à nous faire vacciner comme on appelle des bêtes à l’abattoir.
La communication en était réduite à cette répétition de syllabes qu’on nous enfonçait depuis un an dans le crâne: « distanciation sociale », « masque », « test », et maintenant, « vaccin »…
Ces mots m’étaient indigestes. Mon cerveau en avait assez. Il n’aspirait qu’au vert des prés, retrouver la diversité des cultures, des échanges, des débats, la saveur de la poésie et des émotions, la joie d’un spectacle, d’une lecture, d’une promenade dans la nature, la joie d’aimer et de me sentir aimé.
Au fond, les Chefs manquaient de tout ça, leur politique était si ennuyante, si pauvre d’imagination et de tendresse, si terne.
Le « jour d’après » était une véritable tromperie, la promesse d’un plat nouveau, délicieux, jamais servi car leurs cuisiniers n’avaient jamais pris le temps de le préparer. Tout était vite fait, dans l’urgence, pour leur propre jouissance. Une nourriture fade, réchauffée depuis des siècles, depuis que l’Homme brandissait sa quête égocentrique comme un glaive tranchant.
J’avais tenu cette pancarte tout au long de notre marche: « Non à la réforme de l’assurance chômage », cette pancarte qui m’avait été offerte par une jeune fille place Graslin. Je me sentais utile, heureux d’être ici, dans la foule d’un peuple, présent, aligné à mes valeurs, fier de tenir cette pancarte. Je savais que les Gens d’en-haut la méprisaient cette pancarte, mais, moi, je l’aimais, cette pancarte. Au fond, c’est ce qui leur manquait à ces Gens d’en-haut, l’amour, et, leur balcon était bien triste.
J’apaisais ma colère après avoir traversé par le Navibus la Loire. Je contemplais ce large fleuve qui aurait raison, un jour, de ces Gens-là. Le soleil, sur l’eau et les toits, chantait, et annonçait, de son bourdon, le joli mois dansant de mai.
« Fais ce qu’il te plaît ! « .
Thierry Rousse,
Nantes, vendredi 23 avril 2021
« A la quête du bonheur »