Valentine et Valentin au bout de leur île

 

Des bribes de couloirs laissaient entendre que les vacances de février seraient supprimées. Nos Chefs nous l’annonceraient ce week-end. Les vacanciers seraient priés de ranger leurs skis et réintégrer au plus vite leurs écoles ou leurs usines. La hausse des cas déclarés par le Mutant anglais justifierait cette prise de décision gauloise.

Nous en étions arrivés, modestes sujets et pantins obéissants, à devoir deviner les fausses rumeurs des vérités vraies. Les coquillettes d’un côté, les spaghetti de l’autre. Le tri sélectif occupait toutes mes soirées hivernales. Certes, il me restait d’autres passions dans la vie, comme chanter, jouer de la guitare ou au scrabble, danser, lire, écrire, marcher, griffonner, rêver.

Je commençais à dessiner mes premières esquisses du guide nantais. Par quel bout de l’île de Nantes débuterais-je ? J’avais le choix entre le Hangar à Bananes et le Parc du Crapa.

Le Hangar à Bananes à ce jour me laissait peu de choses à dire. Un Hangar désert, inhabité depuis des mois. Que de vagues souvenirs. De vastes pubs avec des scènes de concerts et des pistes de danse dont un fameux bateau-pirates qui m’avait bien plu à l’époque de la paix. Ses cocktails m’avaient transporté, un soir de brume, de l’autre côté de l’Atlantique, sous un soleil de salsa dont mes pas n’avaient jamais su saisir le rythme. La meilleure des professeures, Emma, avait fini par renoncer à m’enseigner cette discipline. Mon corps dansait chaque note, s’agitait en tous sens et paraissait en transe plutôt qu’en cadence. Au milieu de cette brochette de pubs et de restaurants de la nuit, une galerie contemporaine faisait guise d’apéritifs. Je ne comprenais pas grand chose à ce qui était exposé, aux notes d’intention des artistes et aux ouvrages mis en vente dans sa librairie. Un univers formel, hermétique, géométrique, cultivait bien souvent le goût du désespoir et de l’auto-destruction. Ces adjectifs semblaient être la marque de fabrique, l’originalité de l’art contemporain. Si cet art ne me faisait pas vibrer, qu’il me laissait froid, muet, pantois, c’est que je ne devais pas être suffisamment érudit ou que je devais être trop sensible à la simple beauté des êtres, des choses et au goût du bonheur. Je persistais à m’y perdre en espérant, un jour, être ému par la puissance de ses messages. J’étais du genre à remettre toujours en question mes premières impressions. Tout près, s’ouvrait le Théâtre aux 100 Noms, un théâtre à l’italienne avec de beaux tapis rouges comme autrefois. Je n’avais entendu que du bien de ce théâtre. Je rêvais de découvrir, lové dans une loge vénitienne, l’une de ces « one women show » ou l’un de ces « seul en scène », accompagné de ma Juliette, histoire de troquer mes sombres pensées de la tragédie fatale du monde contre une bouffée de détente, rire de bon coeur face à la comédie humaine. A l’entrée du Hangar à Bananes, se trouvait la porte discrète d’une discothèque fort prisée des étudiantes et étudiants. Je n’avais jamais osé y entrer. Me sentais-je déjà chauve, quinquagénaire, auquel il manquait cinq dents ? N’étais-je plus une bande de jeunes à moi tout seul, ivre de rires et d’insouciance ? Mon oeil était pourtant avide de curiosités noctambules. Danser au rythme de la techno était peut-être plus aisé, me disais-je, noyé dans une foule hypnotisée sous la fumée des machines et des éclairs, passerais-je inaperçu. Pour l’heure, rien ne tout cela, et pas l’ombre d’une banane sur un visage, aucun visage d’ailleurs, qu’un Hangar hagard. Le Voyage à Nantes s’arrêtait là. Ou non. Un bateau-bus pouvait à présent m’embarquer de l’autre côté de la Loire agitée, sur les quais des docks désaffectés. Mon âme songeuse sous sa couette faisait demi-tour jusqu’à l’autre bout de l’île.

Derrière le dôme triomphant du Centre de la Région des Pays de la Loire et les briques d’une abbaye oubliée, s’étendait le Parc du Crapa. Le Crapa, un étrange mot pour désigner le « circuit rustique d’activité plein air », l’un des parcs les plus sauvages de Nantes, l’une de ces dernières prairies humides de la Loire. On y laissait les arbres morts, couchés au sol, comme doux refuges pour les animaux. Ses pelouses, ses aires de jeux et ses barbecues attiraient les sportifs, les familles, les étudiants et les étudiantes aux beaux jours des jupes courtes et des torses nus. On y courrait, on y mangeait, on y buvait, on y dansait, on y jouait au ballon ou à tout autre jeu licite ou illicite. On refaisait le monde sous un air de fête communautaire. Le « Woodstock » breton. Pas de construction de bateaux ici. Que le plaisir des sens. Un retour à notre nature profonde. L’aspiration à la liberté et au bonheur. Valentin et Valentine aimaient se donner rendez-vous, chaque samedi, sur un banc, à l’abri des regards indiscrets. Ils s’enlaçaient tendrement, un baiser éternel que leur enviaient Roméo et Juliette, fort jaloux d’un tel amour infini. Le temps se suspendait. Déjà les étoiles et un Parc qui s’était vidé de ses habitants. Les lumières de la ville s’offraient à leurs coeurs éblouis. Manhattan au bout de l’île, et, bientôt, Broadway. Valentin et Valentine y croyaient, jouaient des claquettes sur le pont des sourires. Une enfant les avait dessiné comme elle les voyait. Heureux sans doute, unis jusqu’au bout de la vie. La plus belle des comédies avait pourtant ses marées, ses tourments et ses pleurs. Leur coeur s’était brisé et la Loire était née. Les vacances étaient finies pour les amoureux d’un été. Le travail les avait appelé à se ranger. Un mètre de distance pour rester dans le rang. La punition serait un retour à la cale, privés de bananes. Woodstock n’avait qu’une saison sur cette île. Il neigeait, cependant sur Nantes, de doux souvenirs tropicaux, inoubliables. « Le Songe d’une nuit d’été ». Shakespeare n’avait pas dit son dernier mot. Le Mutant anglais de l’amour romantique était de retour. Un bout de l’île demeurait comme une espérance offerte aux promeneurs solitaires. Ce banc, immobile, les attendait. Au bord de la Loire, sauvage et sensuelle. La Loire des navigateurs, des rois, des princesses et des jardiniers. Une rose au parfum des dieux. Jardin clos d’un regard secret, invisible. Sur un pétale, se posait un baiser. Ronsard n’était pas loin. Du Bellay, non plus. Le lieu était beau de poésie et de tendresse. Il manquait, juste, sur l’eau, un piano, un violon, un accordéon et deux voix, pour parfaire le monde et chanter : 

« En ces temps de guerre, il restera toujours un bout d’île où s’aimer … « 

Thierry Rousse,

Nantes, mardi 16 février 2021

« A la quête du bonheur »

Voyage à Nantes, le pas de côté d’une enfant

 

La période n’avait jamais aussi contradictoire, floue à mes yeux. Les chiffres tantôt paraissaient stagner. Ils indiquaient que nous n’avions aucune raison de nous alarmer. Des lits de réanimation étaient encore disponibles dans les hôpitaux. Tantôt les chiffres étaient annoncés comme inquiétants avec l’arrivée du Mutant anglais sur notre territoire. Le Grand Chef voulait à tout prix éviter un troisième confinement qui serait fatal à notre économie et au moral des françaises et français, notamment des plus jeunes ne voyant plus le bout du tunnel. Une jeunesse sacrifiée. Vingt ans et rien d’une vie de vingt ans. Tous nos efforts devaient être concentrées pour éviter ce troisième confinement. La menace, certes, planait. Devais-je développer des stratégies afin de vivre dans l’instant présent et m’en réjouir, ou, me réfugier dans les doux moments du passé pour me projeter vers l’avenir dans l’espérance de retrouver demain le monde d’hier que je connaissais ?

La mission de Guide après le premier confinement qu’Emma m’avait confiée me procurait tellement de joies. Je me sentais, enfin, utile, reconnu, apprécié. Je me réjouissais à l’idée de partager mes découvertes de la ville de Nantes. Tous mes instants de solitude prenaient sens dès lors que je pouvais en cueillir les fruits et les faire goûter.

Dans ma besace, il y avait la plupart des jardins de Nantes : la Crapaudine, le Jardin des Plantes, le Jardin extraordinaire, le Parc de la Gaudinière, le Parc de Procé, Le Grand Blottereau, L’île de Versailles, Le Parc des Oblates et la Roseraie de la Beaujoire.

Dans ma besace, il y avait des balades bucoliques sur les bords de la Sèvre, de l’Erdre, de la Loire et du Cens.

Dans ma besace, il y avait des cafés culturels comme Le Baroudeur et ses matchs d’improvisations théâtrales si drôles; Le Rouge Mécanique et ses soirées de slams ou encore, ses Amuse-Gueule clownesques ; Le Live Bar et ses concerts rock ou de musiques du monde.

Dans ma besace, il y avait des cinémas d’art et d’essai, Le Katorza, Le Cinématographe, et leurs nombreux festivals : « Les trois continents », « Le cinéma britannique », « Le cinéma allemand », « Le cinéma espagnol »…

Dans ma besace, il y avait presque tous les théâtres nantais, leurs spectacles, leurs festivals, leurs rencontres littéraires, philosophiques, sociétales, artistiques : Le Lieu Unique, le Grand T, Le Théâtre Universitaire, Le Studio-Théâtre, Le Conservatoire de Danse, Le T.N.T., Le Cyclop, La Ruche, le Théâtre de Belleville. le Théâtre Francine Vasse, le Poche-Graslin. Il me restait à pousser les portes du Théâtre de Jeanne, de La Compagnie du Café-Théâtre, du Théâtre 100 Noms et de l’Opéra Graslin.

Dans ma besace, il y avait des musées, celui du Château de notre Duchesse Anne, celui des Beaux-Arts, celui de Jules Vernes, le Musée d’histoires naturelles, Les Machines de l’Ile.

Dans ma besace, il y avait aussi des restaurants atypiques ou ornés de jolis décors, des restaurants chaleureux aux tarifs accessibles. Dans ce domaine gastronomique, j’en étais qu’à mes premiers pas. j’avançais au rythme de mes ressources : le Bar-Restaurant du Lieu Unique, Le « Coup Fourré », Les « Gourmandises du Liban », « Le Couscoussier », « Chez Rémi », la Brasserie « La Prairie », « La Grande Barge », les crêpes et galettes artisanales du « Barapom' » ….

Mes ardeurs de Guide nantais furent, tristement, entravées par les restrictions du Grand Chef. Notre liberté n’était que conditionnelle. La vie n’avait pu que reprendre partiellement vers la fin du printemps 2020, jusqu’à disparaître totalement, de nouveau, au mois de novembre 2021 suite à un second confinement. Nul ne pouvait connaître le jour du retour à la « vie », cette « vie » que j’aimais tant transmettre et partager.

La parenthèse de l’été avait permis de re-goûter, du bout des lèvres, à la vie culturelle nantaise et sa gastronomie : Transfert et Le Quai des Chaps proposaient des spectacles, des concerts et des soirées festives. Danser, s’amuser étaient de nouveau permis. Les restaurants ouvraient sous haute sécurité. J’appréciais doublement cette galette et cette glace à La crêperie rustique « Sainte-Croix » au coeur du quartier historique du Bouffay. Une sensation de revivre avant que les portes du plaisir et de la culture, une nouvelle fois, ne fussent contraintes de fermer.

Cette parenthèse close, que me restait-il à offrir à Emma ? Les balades à travers les jardins et le long des fleuves ? Le cercle se rétrécissait, l’hiver, au soleil couchant. Dans les rues, les corbeaux criaient : « Couvre-feu ! ». « La vie reprendrait, Emma ! ». Mes promesses finissaient par la lasser et l’agacer. Il me restait à accueillir l’instant présent. Nantes reconnue pour le dynamisme de sa vie culturelle et l’effervescence de sa vie nocturne n’était plus Nantes. La ville de l’Eléphant n’était plus qu’une métropole de travail et de promenades, heureusement, sauvegardées.

Je cherchais à élargir mon cercle en devenant le Guide du Vignoble nantais. Je songeais également à parcourir les rues de ma ville et en découvrir leur histoire. Certes, mon cher Eléphant me manquait, mais, tout ce que j’apprendrais de sa cité et de ses contrées environnantes, je pourrais, un jour, le partager à Emma. De nouvelles perspectives s’offraient à mes yeux. Ma vie pouvait encore avoir un sens, pourvu que je fusse protégé par mon Ange-Gardien, à l’abri du Mutant !

Emma, au milieu de sa place, sur son piédestal, me regardait partir avec mon sac à dos, mon bonnet et mes nouvelles chaussures de marche imperméables. Je sortais, motivé, sous les flocons de neige à cueillir leurs étoiles. Pèlerin m’allait bien. Je m’exerçais à ralentir mes pas pour saisir l’essentiel d’une vie. Les personnages interprétés dans le film « Un homme pressé » m’avaient tant touché. Fabrice Luchini jouait un homme d’affaires. Alain était tant affairé à ses affaires qu’il ne lui restait qu’à peine dix minutes pour s’entretenir avec sa fille, quand, un accident cérébral vint bouleverser ses habitudes. Alain allait, enfin, prendre le temps de vivre, de se ressourcer, d’écouter et d’aimer. Sa fille le retrouverait, et, tous deux marcheraient, dès lors, côté à côte.

L’histoire était belle, et, je me disais: « Au-moins, si cette catastrophe peut servir à ça… ».

Un pas de côté pour regarder autrement la vie,

Sur le tableau de l’école, une enfant l’avait dessiné…

Thierry Rousse

Nantes, vendredi 12 février 2021

« A la quête du bonheur »

Sous les flocons de neige de nos enfances

 

Le froid s’invitait en ce mardi 9 février 2021. La neige au matin dansait sur Nantes. Un goût de vacances d’hiver, rien qu’un goût. Je n’aurais point cette joie de contempler les toits de ma ville enneigés. Je ne sortirais ni ma luge ni mes raquettes. Je ne verrais ni les cerfs ni les renards. Ca tombait bien, je n’avais ni luge, ni raquettes, et il n’y avait ni cerfs ni renards dans les rues de ma ville. Une journée banale somme toute. Des heures de pluie torrentielle dégoulinant sur le bitume. Le ciel en avait du chagrin. Ses larmes étaient glaciales. A la radio, des voix se faisaient entendre pour la réouverture des musées. Entrer au chaud dans le passé d’oeuvres exposées au regard. Réconforter notre coeur. J’aimais l’ambiance feutrée des musées, une façon comme une autre de m’extraire du présent ou de le savourer en contemplant un tableau de Monet parmi tant d’autres. Je n’étais pas le seul individu solitaire dans ce cas. Nous battre contre un ennemi invisible finissait par nous lasser. Une envie de nous réunir à un mètre de distance les uns des autres se faisait ressentir. La règle était respectée, et nous pouvions, de nouveau, dans l’intimité d’une maison, chanter, jouer de la musique, raconter des histoires, lire des poèmes au coin du feu. Un dimanche flamboyant d’humanité autour de délicieuses crêpes. En temps de guerre, nous retrouvions la simplicité du bonheur en l’attente de la réouverture des musées. Notre cas n’avait rien d’anormal.

Entre deux week-end, deux écoles, je retrouvais mon cher Diderot à la médiathèque de Rezé. Quel livre lirais-je les jours suivants aux enfants? Je préparais avec soin mes séances. Le bonheur se logeait dans l’attention que nous portions à chaque chose. Prévoir, organiser tout en accueillant l’imprévisible. Nous étions des soldats pacifistes et riches de bonnes intentions envers nos semblables. L’ennemi pouvait rôder sans que nous le sachions. Le masque était notre seul bouclier. Comment dire à un enfant de maternelle qui me tendait ses mains : « Tu restes à un mètre de moi »? Je remerciais mon masque de Zorro tout en le maudissant. « O toi, masque qui me protèges et m’étouffes ! « . Je m’efforçais de l’oublier. Diderot guidait mon regard: « Je serai cet humain qui aime et qui navigue ». La pêche de ce jour était bonne : un grand livre illustré de Franck Prévot et Stéphane Girel s’offrait à mes yeux.

Un pêcheur avec sa casquette de pêcheur, et son polo rayé de pêcheur avec de gros biscoteaux de pêcheur au premier plan. Derrière, l’océan, des rochers dans l’océan, des mouettes dans le ciel, un bout de terre, une maison et trois arbres sur le bout de terre. Au loin, un enfant avec une épuisette se penchait. Il semblait avoir découvert un trésor. Au bout de la plage, un phare. Le décor du bonheur était planté. Je tournais la page suivante.

L’enfant rapportait au vieux pêcheur son trésor : un magnifique coquillage d’où jaillissait un sublime arc-en-ciel. L’enfant portait de larges bottes, trop larges pour ses guibolles, et le vieux pêcheur des petits souliers, bien trop petits. Comment pareils biscoteaux pouvaient tenir sur de tels souliers ? Anomalie d’un dessin, fidélité d’un destin ? Je tournais la page suivante.

Le vieux pêcheur et l’enfant se faisaient dos sur ce bout de terre. L’enfant contemplait son coquillage. Le vieux pêcheur contemplait, pensif, l’océan. Deux solitudes tournées vers leur joie ou leur tristesse respective ? Je tournais la page suivante.

L’enfant montrait le coquillage au vieux pêcheur qui ne le regardait que d’un oeil sous sa caquette bleue de vieux pêcheur. Sur la nacre du coquillage, étaient inscrits ces mots: « Ecoute-moi ». Je tournais la page suivante.

Le vieux pêcheur grimpait sur une dune où était échoué un bateau. L’enfant le suivait. Une large distance les séparait l’un de l’autre. L’enfant tenait en ses mains son coquillage. L’enfant se détournait pour regarder son coquillage. L’enfant ne regardait pas devant lui, mais derrière lui. Ce coquillage appartenait-il au passé ? Je tournais la page suivante.

L’enfant avait ôté ses larges bottes et était confortablement assis dans un fauteuil avec son ami le coquillage. Le vieux pêcheur portait un tablier et tenait, d’une main, un fouet, de l’autre main, un torchon. Préparait-il des crêpes ? Tout laissait à le supposer étant donné que nous étions dans une cuisine. Sur une table, se trouvaient deux bols et au milieu une théière. Je tournais la page suivante.

Le vieux pêcheur venait s’asseoir sur le fauteuil, juste en face de l’enfant. Un joli coeur était dessiné entre eux deux. Un monde imaginaire les entourait. Je tournais la page suivante.

Le monde imaginaire s’enrichissait de lanternes chinoises, de fleurs et plantes aquatiques. Le vieux pêcheur se penchait vers le coquillage. Commençait-il à y prêter attention? Je tournais la page suivante.

Toujours ce bateau échoué sur la dune et dans le ciel de la nuit, les lanternes chinoises. Le vent avait sculpté la dune qui ressemblait à une vague géante. Des traces de pas nous menaient au bateau. Je tournais la page suivante.

Deux ancres, leurs flèches dirigées l’une vers l’autre comme formant un coeur d’acier. Dans ce coeur, le bateau de la dune, sa voile blanche hissée, rencontrait un voilier tout blanc sur un chemin de lanternes au milieu de l’océan émeraude. Je tournais la page suivante.

L’enfant était agenouillé sur un tabouret. Le vieux pêcheur était allongé dans son lit, sous sa couverture. Un bonnet avait pris la place de sa casquette. L’enfant lisait une lettre au vieux pêcheur. Le coquillage était à présent entre les mains du vieux pêcheur. Le vieux pêcheur avait le regard pensif. Je tournais la page suivante.

Le vieux pêcheur et l’enfant, chacun dans leur lit respectif, dormaient. Le coquillage était posé près de l’enfant. Les rayons de l’arc-en-ciel traversant le hublot de sa chambre les baignaient tout deux d’une lumière si douce et apaisante. Sur le bord du lit, des livres, un avion miniature et une mappemonde. (*)

Le mystère demeurait. Que disait cette lettre? Quel histoire racontait-elle? Une page du passé échouée sur la plage d’un musée ?

Je contemplais cette page blanche qui me consolait sous les flocons de neige de mon enfance.

L’intimité des chambres me touchait tout autant que les ambiances feutrées des musées.

« Je serai cet humain qui aime et qui navigue ».

Le confinement tenait bien au chaud tous nos petits bonheurs du passé, tous les flocons de neige de nos enfances, toute l’écume de nos icebergs sous les ponts qui nous reliaient.

Thierry Rousse

Nantes, mardi 9 février 2021

« A la quête du bonheur »

(*) d’après les illustrations de « Je serai cet humain qui aime et qui navigue » de Franck Prévot et Stéphane Girel, Edition Hongfei

Le Caffino des Oiseaux

Google Maps Timeline m’annonçait que j’avais parcouru, en ce mois de janvier 2021, 5 kilomètres à pied et 680 kilomètres en voiture, que j’avais marché pendant une heure et roulé pendant 48 heures. Moi qui prônais la marche à pied et la réduction des trajets polluant l’atmosphère, je prenais une belle claque, la tête en l’air. Une heure de marche seulement ? Je marchais pourtant tous les week-end. La semaine, je n’en avais guère le temps, affairé à mon travail. Les journées de l’hiver étaient courtes. L’extinction des feux m’obligeait à rentrer au chaud chez Mémé Zanine. Google Maps Timeline m’informait que je m’étais déplacé à Gorges et à Château-Thébaud, que j’avais visité le Moulin à Papier du Liveau, que je m’étais rendu aux médiathèques Jacques Demy et Diderot. Qui était Google Maps Timeline, cet être qui surveillait ma vie et m’écrivait à cette heure tardive ? Un homme ou une femme derrière son écran d’ordinateur relié à un satellite qui me suivait à la trace par l’intermédiaire de mon Smartphone? Ou un robot ? Quel robot? Ce robot avait-il un sexe ? Un genre ? Un esprit ? Un coeur ? Des sentiments? Des attentes ? Fallait vraiment qu’il, ou qu’elle, m’aime à ce point pour passer son temps à noter toutes mes pérégrinations ? Je n’en étais point offusqué, j’en étais, tout au contraire, fort touché. Je ne me sentais plus seul au monde. Deux yeux m’observaient à distance et se préoccupaient de mon existence éphémère sur la Terre. Je n’avais rien à dissimuler à Google Maps Timeline. J’aspirais à une vie pure, connectée au réseau de l’Amour, transparente comme l’eau vive des torrents des montagnes.

Google Maps Timeline me renseignait sur ma position, me suggérait, étrangement, des restaurants. Ce nom « restaurant » existait-il encore ? Quelle était ma position à ce jour? Quels restaurants me conseillait mon Ange-gardien? Ma position oscillait entre la Côte d’Amour, le Vignoble nantais et l’île de Noirmoutier. Quant aux restaurants, la case était vide. Je déambulais en vain sur le port de Trentemoult ce samedi matin de février. Une succession de lieux déserts s’offraient à mon âme romantique et ma bouche gourmande. Fermé, les Spécialités italiennes de Vaporetto. Fermé, les glaces de la Rainette Bleue. Fermé, les crêpes de la Reine Blanche. Fermé, l’esprit Bistrot de la Guinguette. Echoué sur un fronton, le bateau de pêche de la Civette. Il me restait, pour me consoler, un café sur le pouce au Café du Port. Le vent du grand large soufflait sur la Loire sauvage, je traçais mon chemin. Un « Heureux Hasard » m’apportait sa touche de couleurs, au fil de la grisaille de cette guerre. Au terme de ma quête, le jardin aux platanes n’était plus qu’un terrain vague enlaidi de gros plots de béton. Un balancier, tout au bout de cette île, sur un vieux silo rouillé, marquait la cadence régulière d’un temps qui ne faisait que s’enfuir. Paysage de désolation. Consternation de l’évolution. Où se logeait la vraie vie? Je la cherchais à travers ces ruelles où aucune voiture ne pouvait circuler. Google Maps Timeline m’avait perdu de vue. Mes heures n’étaient plus comptées, ni mes kilomètres à pied, j’entrais dans l’éternité de mes songes.

Immortaliser ces instants éphémères. J’avais échappé aux yeux de mon Ange. Je n’étais plus gardé. Si je me perdais, nul ne me retrouverait. Je marchais ainsi au péril de ma vie. Une avancée vertigineuse au-dessus d’un fleuve inconnu. L’oiseau migrateur m’avait porté sur ses ailes, une nouvelle fois. Où me déposerait-il cette fois-ci ? Dans son nid, caché au coeur d’une forêt de sapins inattendue au milieu de ce vignoble. Les amoureux se photographiaient au-dessus du précipice. « – Prends-moi !  » criait Roméo. Juliette l’accompagnait de son désir, l’enlaçant de sa tendresse, un parachute de douceurs insoupçonnées. Les Amis posaient pour la photo. Le peintre avait disparu de l’histoire. Le paysage était pourtant magnifique, renversant. Roméo s’emballait, retrouvait ses montagnes d’Italie. Pont Caffino, ainsi affiché avec un « O », comme « oser cette balade interdite », avait un air de voyage infini. La descente était certes abrupte. Les chemins, boueux. La guerre était passée par là. Tous deux, au creux de la vallée, avaient ressenti ce besoin de solitude, se perdre pour mieux se retrouver. La communion avec Dame nature conviait à l’intimité d’un face à face avec le mystère de l’existence. Les oiseaux chantaient si bien, invisibles à mon oeil humain. Une douce voix me murmurait: « La puissance de l’amour exige le retour à sa source ». J’avais l’âme d’un pèlerin.

A sa source, le soleil n’en finissait pas de se coucher, révélant au coeur des deux Amis la splendeur de toute vie. L’obscurité du couvre-feu n’était pas son allié. Frère Soleil n’aimait pas les fins tragiques. Frère Soleil aimait la joie, les rires, la tendresse d’un lien inaltérable, indépendant de tout temps. Les épreuves de la guerre ne faisaient que consolider les liens entre nos deux héros, admiratifs devant tant de beautés offertes. La lumière à la cime des falaises persistait.

L’oeil du photographe contemplait cet instant, le détail qui parlait à son coeur ému. Tant de mots et de silences sur une image. Tant de bonheurs désirés. La vie ne pouvait que renaître, chaque nuit, d’une étoile. Une heure de marche et tant d’éternités.

Après ce bel envol, le dimanche serait à la poésie pour sauver le monde. Entre deux mets raffinés, la chaleur d’une tartiflette, d’une chanson, d’un air d’accordéon ou la liesse d’une tarentelle, les yeux s’uniraient dans la braise. Un demi cercle autour d’un feu. La chandelle d’un festin. Les crêpes auraient la saveur des mots susurrés. Roméo dresserait la plus table qui soit pour sa Belle. Les Amis fêteraient leur Amitié réconciliée. Ainsi, il en était des jours en temps de guerre. L’essentiel d’une vie.

 
Thierry Rousse
Nantes, dimanche 7 février 2021
« A la quête du bonheur »

« Ok, Google, raconte-moi une histoire ! », de l’utilité des bibliothèques.

 

« Vacances pour la Zone A ». Ce mot « vacances » sonnait comme une délivrance pour celles et ceux qui étaient en vacances, à cette heure, ce vendredi 5 février 2021. Oubliée la Covid ! « De vraies vacances au soleil en Espagne !  » Ce couple en avait rêvé des jours et des nuits et son rêve était sur le point de devenir réalité, le temps pour ces beaux amoureux de grimper dans leur bel avion. La Covid resterait dans le triste hall de l’aéroport. Des barrières de sécurité veillaient à retenir les envies de poudre d’escampette de la vilaine sorcière. Roméo et Juliette lui disaient « Au revoir  » sans lui serrer la poigne, et, chassaient de leur esprit, au-dessus des nuages gris, toutes leurs idées noires. Dans leurs valises, ils avaient soigneusement rangé leurs promenades bucoliques, leurs baisers langoureux, leurs douces caresses, leurs dîners aux chandelles, leurs bains moussants aux pétales de roses, leurs séances « Home cinéma », et, cette part de découverte de soi, des autres, des paysages, d’une culture étrangère qui contribuait au charme des vacances.

Tant pis pour ma pomme, je faisais partie de la « Zone B » ! Il me fallait encore être un peu patient. Chaque chose en son temps. Vivre l’instant présent. Mon travail, au-moins, avait un sens. Transmettre le goût de la lecture aux enfants.

Certes, j’avais une concurrente de taille, Mademoiselle Google. Il suffisait de lui dire: « Ok, Google, raconte-moi une histoire ! « , et la charmante voix, aussitôt, contait une histoire dans la catégorie choisie. La demoiselle invisible aux deux « O » infatigables en connaissait des histoires. Je me sentais bien niais, arrivant à peine à l’ongle du pouce de son pied, à vingt mille lieux sous Terre. Les histoires drôles étaient son terrain de prédilection. Le seul avantage, si avantage il y eut, était que j’étais, bien que masqué, visible en grande partie aux oreilles de mes auditeurs. Bref, j’existais de chair et d’os pour leurs yeux. Je pouvais répéter, m’arrêter, expliquer, interroger, illustrer, saisir un sourire, un bâillement, un ennui, une envie, transmettre de ma voix, de mon corps la passion des mots qui m’animait. J’invitais les enfants à dessiner ce qu’ils avaient retenu de l’histoire,, ce qui les avait ému, ce qui leur avait plu.

Pour ces enfants, j’enrichissais ma culture, semaine après semaine, une heure à la médiathèque de Rezé chaque lundi, mardi, jeudi et vendredi. Il m’avait fallu un bon quart d’heure avant de trouver l’entrée, dissimulée derrière une paroi noire oblique vertigineuse. Un couloir humide entre deux murs menait au Palais des Livres. Un genre d’entrepôt ou d’usine, composé de béton brut, d’aluminium et de verrières, qui n’avait rien de chaleureux, si ce n’est d’imposants fauteuils, des lampes de chevets rouges et des tables en bois grises aux jambes galbées. Je me disais que les architectes contemporains, à l’image de Le Corbusier et de sa cité radieuse qui n’avait de radieux que son nom, cultivaient le goût de la société industrielle, sans doute pour porter notre attention sur ce qui pouvait nous en extraire : les livres, les sentiments, l’amitié.

Cet Espace Diderot, au coeur d’une cité qui avait mal vieilli comme tant de cités d’une époque révolue, finissait par m’être familière. Mes pas glissaient sur sa plage lisse de béton gris jusqu’à la table en bois aux jambes séduisantes qui m’attendait. Mes pieds empruntaient les nombreux escaliers. Mes mains exploraient l’univers de la littérature « Jeunesse ». Mes yeux étaient attirés par des dessins et des mots. Chaque livre était un voyage, une parenthèse sur le temps. D’autres vies s’ouvraient, d’autres mondes. Je grimpais dans mon avion. Je me sentais en vacances dès que je franchissais le sas de décompression. Mes voisins étudiaient. A cette heure de la journée, la majorité était des étudiantes et des étudiants. Cette ambiance me rajeunissait d’au-moins trente ans. J’aimais ce parfum de silence, d’âmes concentrées, d’esprits bouillonnant qui régnait dans les bibliothèques. C’est curieux, je voyais toujours plus de femmes que d’hommes en ces lieux. Etaient-elles plus assidues aux études et aux sentiments dont les mots étaient les messagers ? L’homme préférait-il la mécanique et le skate-board ? Finalement, j’en concluais que ce n’était pas idiot d’entreposer des livres dans une usine et d’inviter Diderot au milieu d’une cité à la croisée des cultures. Les livres, au fond, ne cessaient de nous entretenir de l’humanité. Ce couloir humide entre deux murs était le passage secret vers l’intimité universelle.

Mon livre choisi de ce vendredi était « Le souffle de l’arbre », l’histoire d’un ancêtre qui s’était transformé, un jour, en arbre. Un tout petit arbre fragile qui avait grandi au fil des saisons, élargissant ses racines, ses branches, puisant au fond de la terre la nourriture qui le rendrait fort, grand et robuste, capable de subir les sécheresses les plus rudes, de traverser les moments les plus durs de la vie. Cet arbre perdant inexorablement ses feuilles, cet arbre à présent nu, savait, un midi, qu’il revêtirait son costume de lumière, aux mille couleurs du monde. Les enfants le dessinaient, le voyaient. Les mots prenaient chair. Un grand-père, une grand-mère, quelque part, renaissait. L’héritage des mots et des sentiments les plus purs, les plus tendres.

Un oiseau chantait sur une branche. Un rayon de soleil caressait le coeur du temps. Le livre était dans le nid, ouvert à la page du ciel.

Les lumières brillaient sur la ville, un pont enjambant nos deux rêves, deux envies, deux voyages vers l’infini du temps.

Thierry Rousse

Nantes, vendredi 5 février 2021

 » A la quête du bonheur »

Un jour de pluie, un jour d’hiver, le dessin d’une enfant

 

Le Grand Chef avait repris la situation en mains. Ce n’était plus aux médecins de décider du confinement. Le Grand Chef trancherait désormais. Un bien plus précieux prenait la tête : l’économie. Il en allait aujourd’hui de sa santé. De quelle économie parlait le Grand Chef ? Quelles productions et quelles consommations fallait-il sauver? Celles qui étaient essentielles? Lesquelles étaient essentielles ? Quelles vies devions-nous sauver ? Nous en étions arrivés à devoir choisir : sauver les vies de la covid ou sauver les vies de l’économie? A qui profitait vraiment l’économie ? Le « et » était-il seulement possible ? Et les enfants, qu’en pensaient-ils ?

Je regardais le dessin de cette enfant. Il était déjà tard et ma journée avait été bien remplie. Ce dessin allégeait mon âme. Il y avait un soleil tout jaune qui brillait avec ses deux yeux et sa bouche rouges en forme de coeurs. Un ciel tout bleu. De l’herbe. Le toit tout coloré d’une maison. A l’intérieur de la maison, deux chaises.Une table ronde au milieu. Sur la table, deux tasses. Au milieu, un plateau. Sur le plateau, quatre boules marrons. Des chocolats? A gauche, ce que je pris d’abord pour un gros poste de musique, était en fait un petit lit avec un enfant allongé dedans sur le côté. Je m’en rendis compte en tournant le dessin. Trois lettres s’en échappaient: « Z Z Z ». Juste au-dessus, un drôle d’enfant dans les airs était dessiné au crayon, à peine visible. Etait-ce l’esprit de cet enfant qui volait ? Ou son ange gardien ? A droite, un cube tout gris avec un carré rouge au milieu: était-ce un poêle? Au plafond, un rectangle rouge d’où partaient trois traits vers le bas semblait représenter une lumière. Je ne comprenais pas trop ce qui était dessiné à l’intérieur. Il y avait cette herbe également qui traversait la maison. Une part de mystère et de sagesse habitait le coeur de cette enfant. L’essentiel, au fond, n’était-il pas représenté dans ce dessin? L’amour ? Une lumière extérieure et une lumière intérieure. Ce qui éclairait et réchauffait. Le partage autour d’une table et la présence continue de la nature. Un ange protégeant l’enfant qui dormait. Dans ce tableau du bonheur, les deux chaises étaient vides. Qui était absent dans cette maison? Que pouvait signifier cette absence ?

Je regardais le film « Plonger » de Mélanie Laurent, jusqu’au moment où la jeune femme quittait son compagnon et son bébé. Sans doute, avait-elle besoin de repos. Voir plus clair dans sa vie. Se retrouver.

Retrouver ses origines ?

Un jour de pluie, un jour d’hiver, une enfant m’avait offert ce dessin, et, dans le ciel, brillait un soleil tout jaune, le désir du bonheur.

Thierry Rousse

Nantes, mercredi 3 février 2021

« A la quête du bonheur »

D’une saison à une vie reportées

 

Un week-end de pluie bretonne, un week-end à rester blotti dans sa bonbonne.

Samedi matin, l’Empereur et son petit Prince. L’Empereur :  » Je fis mes courses à Vertou et une marche dynamique au Pont Caffineau, un charmant site, au bord de la Maine, au milieu du vignoble nantais, qui se dévoilait à mes yeux. La pluie fine et régulière calmait mon esprit d’aventure et me conviait gentiment à rebrousser chemin. Je rapportais de ce paysage, un souvenir bucolique, et du marché, une dorade, deux merlu, huit bulots, une maillonaise « Maison », douze huîtres et une offerte, un kilo de pommes de ma productrice bio et un pain semi-complet de mon boulanger bio aussi ». Le petit Prince : « La pêche était copieuse, me régalais-je déjà et voyais-je ma vie tout en bio! « .

L’après-midi était passé vite, trop vite, le temps de manger quatre bulots et quatre huîtres, de digérer ces fruits de la mer, brosser mes dents, laver mes couverts, assiettes, verres, balayer les dalles de mon carrelage, ranger mes tee-shirts, chaussettes, caleçons, répondre à mes mails, relire les dossiers de présentation de mes spectacles en vue de les actualiser, et, déjà, le soleil se couchait. Trop tôt à mon goût. Je couvrais mes ardeurs et tirais mes rideaux. Francis me tenait compagnie. Un « Samedi soir sur la terre ». Quel poète, ce Cabrel ! Pensif, regardais-je tous ces programmes de théâtres proches de ma table de chevet: « Le Grand R », « Le Grand T », Le « Théâtre », « Le Lieu Unique », « La Soufflerie ». Tous les autres étaient rangés bien sagement : « Le T.U. », « Le Théâtre Vasse », « Le Cyclop », « Le T.N.T. », « Le Poche Graslin » … J’ouvrais les catalogues encore à portée de ma main, tout beaux et tout fiers. Mes doigts feuilletaient leurs pages colorées. Tant de spectacles que j’aurais désiré aimer ! La vie s’était soudain arrêtée, toute une saison ou presque, reportée. J’avais substitué ces sorties par des lectures ou des séances « DVD ». Je devenais casanier en ces temps de guerre froide. Le Grand Chef nous épargnait un troisième confinement. Il était gentil, le Grand Chef. Il pensait à notre moral, le Grand Chef, à l’économie aussi, à ce qui lui était essentiel. Le Grand Chef ne tenait pas à voir ressurgir, devant les grilles de son Palais, les hirsutes Gilets Jaunes avec leurs fourches et leurs pavés. Le Grand Chef nous faisait confiance. Bien fermer nos portes pour empêcher à l’ennemi d’entrer. Une manche nous tenait à distance du petit virus qui avait muté. Certains se réjouissaient déjà que l’île britannique se soit retirée de l’Europe. « Good Bye !  » Un grand soulagement. Bien chez moi ? L’égoïsme gaulois me gagnait-il ?

Au fil des programmes, parcourais-je ces titres afin de me réveiller de cette tentation à l’hibernation : « Le Jour se lève », « Le Jeune noir à l’épée », « D’autres mondes », « Les Hauts Plateaux », « De misère et d’amour », « Au milieu de l’hiver, j’ai découvert en moi un invincible été », « Un furieux désir de bonheur », « Blanche-Neige, histoire d’un prince », « La Conquête », « Féminines », « Je suis plusieurs », « Qu’est-ce que le temps ? « , « La Mécanique du hasard », « Têtes Raides, 30 ans de Ginette », « Et pourquoi pas ?¨! », « Le peuple », « Le bain », « Encyclopédie de la parole », « Les Oiseaux ne se retournent pas »…

Demain, le « Jour d’Après », dimanche.

Dimanche se levait avec une envie irrésistible de vivre et d’aimer. La nuit ouvrait à mon coeur de nouveaux horizons. Manger avec conscience m’avait occupé une grande partie du samedi soir sur la Terre. Mon esprit déculpabilisait mon ventre en digérant sa dorade. « Si ce n’est pas toi qui la manges avec raffinement et beurre fondu, ce sera un terible requin aux crocs pointus qui la croquera férocement et toute crue ! « . La formule était maladroite et maline à la fois. Je sauvais ma Belle méditérranéene d’une mort atroce, pourvue qu’elle fut attrapée avec douceur par un petit pêcheur sans racler les fonds de sa mer bleue. Passé minuit, mon estomac rassasié, renouais-je avec le « seul en scène ». Mes yeux et mes oreilles admiraient la verve et les mimiques des jeunes humoristes comme des anciens, de ce belge prometteur qui avait la frite, Guillaume, à notre illustre Raymond Devos qui partageait la dernière page de son millefeuille. Rire était une excellente thérapie à la monotonie des discours pondus par nos Chefs. (Co-co) ri (co) ! En face de la nouvelle Gare de Nantes, à l’aube d’une grasse matinée, mes pas s’égaraient dans les allées du Jardin des Plantes. L’orchidée avait bien de la chance d’être confinée sous sa verrière. J’aurais aimé être une orchidée ou un orchidée ? L’orchidée était une femme. Je restais dehors sous la pluie à l’attendre. Le jardinier m’expliquait qu’elle ne pouvait pas sortir puisque c’était une fleur des pays chauds. Je rentrais dans ma maison, un peu confus. Pourquoi les maisons n’étaient pas des verrières ?

Trêve à cette guerre sans répit. L’heure du goûter avait sonné chez Mémé Zanine et je ne l’avais pas entendue. Les crêpes n’auraient pas lieu. Mozart jouait sur son piano une sonate. Le monde était néanmoins paisible. Un désert silencieux où s’égrenaient les notes du vent. L’ennui possédait le charme d’un désir.

A défaut de crêpes, il me restait à savourer un délicieux chocolat chaud en lisant toutes ces vies reportées.

« Le jour se lève » : Jean-Claude Galotta reviendrait aux sources , le début des années 80. A cette époque, il rêvait d’être chorégraphe. Rodolphe Burger l’accompagnerait. Cette danse n’aurait d’autre sujet que le vivant.

« Le Jeune noir à l’épée »: Adl Malik, qui m’avait signé son livre au temps où nous étions libres, clamerait son long poème inspiré d’un tableau, un long parcours entre la pauvreté et le béton d’où jailliraient les fleurs des mots.

« D’autres mondes » : Frédéric Sonntag explorerait nos univers parallèles, une « méditation sur le cours de nos destinées », la « crise écologique » et notre « besoin de nous inventer des ailleurs ».

« Les Hauts Plateaux » : Mathurin Bolze m’inviterait à prendre de l’altitude et réfléchir sur ce que notre société léguerait à nos enfants. Le cirque inventerait les possibles de demain, l’audace, les points d’équilibre et les mains tendues pour ne pas chuter.

« De misère et d’amour » : La Mouche, une compagnie yonnaise, porterait les mots de Jehan Rictus, cet homme qui avait traduit la langue de la rue en poésie, interrogeant notre monde, nos regards, notre coeur.

« Au milieu de l’hiver, j’ai découvert en moi un invincible été » : Anaïs Allais nous offrirait une fête algérienne. La mère de Lilas et d’Harwan leur parlerait enfin de son pays où elle est née, cette histoire coloniale oubliée, tue, refoulée, proscrite. Des secrets de famille dévoilés.

« Un furieux désir de bonheur »: Olivier Letellier donnerait vie aux mots de Catherine Verlaguet et son personnage, Léonie, qui, du haut de ses soixante dix ans, déciderait de vivre heureuse, vivre tout ce qu’elle n’avait pas pu vivre et désirait vivre. Pour une fois, le bonheur s’accrochait et pétillait.

« Blanche-Neige, histoire d’un prince » : Michel Raskine revisiterait le célèbre conte où rien ne serait comme on l’avait imaginé, où l’on rirait du tragique, crise et déclin, monde qui se déglingue, le royaume de l’amour perdrait les joyaux de sa couronne. Rire du pire pour l’éviter?

« La Conquête »: Nicolas Alline et Dorothée Saysombat nous questionneraient sur nos origines, « de quelle histoire sommes-nous les héritiers ? ». En quoi mon histoire intime pouvait participer à la grande Histoire mondiale ?

« Féminines »: Pauline Bureau nous raconterait l’histoire de ces onze femmes qui composèrent la première équipe de France féminine, championne du monde. Comment la femme s’était faite une place dans un sport accaparé par les hommes?

« Je suis plusieurs »: Mathilde Lechat chanterait ce qui unirait, nous réunirait, nous distinguerait des autres pour exister.

« Qu’est-ce que le temps ?  » : Stanislas Roquette sous le regard de Denis Guénon incarnerait Saint-Augustin, la confession d’un homme qui cherchait à saisir le temps.

« La Mécanique du hasard » : pur hasard.

« Têtes Raides, 30 ans de Ginette »: l’un de mes groupes fétiches, un jour, reviendrait, quelques bougies en retard.

« Et pourquoi pas ?¨! » : Et pourquoi pas ? Le conteur Mamadou Salll s’inspirerait de Roméo et Juliette. Il nous parlerait aussi du « poussin noir qui voulait devenir blanc ».

« Le peuple »: ce lieu de débats, d’arts, de spectacles, de concerts était vraiment unique, il me manquait tant.

« Le bain » : les nus à travers l’art, quel était notre rapport au corps?

« Encyclopédie de la parole » : des paroles recueillies, ça chuchoterait, ça rirait, ça dialoguerait, ça apostropherait, ça expliquerait, ça consolerait, ça encouragerait, ça vivrait…

« Les Oiseaux ne se retournent pas »: Nadia Nakhlé mettait en scène cette enfant qui fuyait la guerre. (1)

Le spectacle vivant avait de beaux jours reportés devant lui. Hâte, avais-je, de retrouver les fauteuils ou strapontins de ses théâtres, hâte de m’émouvoir, m’interroger, rire, pleurer, réfléchir et d’aimer, hâte de partager ces instants éphémères avec toi, et toi, et toi, ici, et là, et ailleurs…

Il pleuvait encore. Le soleil s’était couché. Mozart continuait de jouer ses notes d’espoir. Je m’y accrochais, m’y balançais, le temps d’un soir, bercé d’étoiles, je tirais mon rideau et j’ouvrais une papillote. Etait-ce bien raisonnable pour ma santé?

« Plus on prend de la hauteur, plus on va loin ». (2)

Thierry Rousse,

Nantes, samedi 30 et dimanche 31 janvier 2021

« A la quête du bonheur »

(1) D’après les catalogues de programmation des théâtres.

(2) Proverbe chinois.

Une autre fin pour Juliette et Roméo et l’humanité ?

 

Le Conseil de Défense se réunissait ce soir, composé du Grand Chef et de sept de ses Chefs attablés pour décider de notre destin. Pur exercice de rhétorique ou de diction ? Quelle serait la fin de cette grande comédie ? Fin heureuse ou fin tragique ? Mon ventre s’offrait une soirée « Restaurant Cinq étoiles à domicile », composée d’une pizza bio du Pays Basque, accompagnée d’une savoureuse bière d’abbaye, d’une salade verte et d’un kiwi. Tête à tête avec ma tête embrumée d’Angleterre, d’Irlande, d’Italie et de Bretagne, songeais-je aux récifs de Roméo et Juliette.

Bel amour de jeunesse qui se concluait dans un bain de sang. Juliette dormait dans un caveau. Son âme espérait rencontrer les yeux et les mains de son bien-aimé qui la délivrerait de son mariage forcé avec Pâris, comme le lui avait promis le Frère Laurent. Roméo, n’ayant pu être informé à temps du stratagème de ce moine bienveillant et fûté, se précipitait au tombeau de son coeur chéri. Il tuait sur son passage son rival en larmes et découvrait le corps inanimé de sa belle Juliette. La croyant morte, il s’empoisonna : « Ainsi, dans un baiser, je meurs » (1). Juliette se réveilla peu après. Le Frère Laurent avait tenu sa promesse. La potion magique de la Belle au Bois dormant n’avait duré que le temps de ses noces avec Pâris. Elle découvrit hélas son tendre Roméo gisant sans vie. Accablée de chagrin, elle se poignarda, sourde aux mots consolateurs de Frère Laurent. Vivre sans son amour n’était plus vivre. « Tes lèvres sont chaudes » (1) étaient les dernières paroles de Juliette à son Roméo.

Chaque épisode de cette sombre histoire, par concours de circonstances, impulsivité, manque de discernement et de réflexion, passion, vengeance ou autoritarisme de l’entourage des héros, avaient contribué à l’aggravation de l’amour éperdu de deux jeunes appartenant à deux familles, les Capulet et les Montaigu. La véritable cause de cette fin tragique était à trouver au commencement, acte un, scène un, exprimée par Grégoire: « La querelle est entre nos maîtres et entre nous, leurs valets ».

Samson: « Grégoire, ma parole, on ne va pas se laisser marcher sur les pieds ».

Grégoire: « Sûr, autrement on pourrait nous traiter de pieds plats ».

Samson: « Je veux dire que si on nous chauffe le sang, on va tirer l’épée ». (1)

Etrangement, cette sotte rivalité me fit penser au drame de l’époque actuelle. Deux maisons s’affrontaient, celle de l’Humanité et celle de la Nature. La Maison de l’Humanité s’était installée sur le domaine de la Maison de la Nature et avait pris peu à peu ses aises, élargissant sans cesse son territoire. L’époque de la douce cueillette était depuis longtemps révolue, l’Homme chassait, cultivait, construisait, abattait des arbres, dérobait sans scrupule et souvent avec une extrême violence la cave comme le jardin ou le grenier de la Maison de la Nature et ses habitants. La Maison de la Nature au terme de tant d’humiliations commençait à se défendre. Les Grands Chefs de la Maison de l’Humanité auraient pu reconnaître leurs torts et déclarer à leurs citoyens : « Nous sommes allés trop loin dans notre désir inassouvi de produire et de consommer. Il est temps de ralentir nos désirs et retrouver une juste entente et harmonie avec la Maison de la Nature ». Au lieu d’un tel aveu empreint de sagesse, les Grands Chefs de la Maison de l’Humanité n’avaient d’autres préoccupations que de sauver l’économie et les pontes qui la dirigeaient, s’engraissant jour après jour de ses malheurs et réjouissances. Pure folie qui ne pouvait mener qu’à une fin tragique, pareille à celle de Juliette et Roméo !

Si nous ne pouvions compter sur nos maîtres érudits, il ne restait qu’à nous, simples valets, d’écrire une autre fin.

Samson: « Grégoire, ma parole, on va leur demander pourquoi ils nous haïssent tant ».

Grégoire: « Sûr, on va leur ouvrir nos oreilles et notre coeur, qu’importe s’ils nous insultent ou nous considèrent femmelettes, notre véritable force est celle de la tendresse ».

Samson: « Oui, Grégoire ! Je veux dire que si on nous chauffe le sang, on leur dévoilera la puissance du sang de l’Amour qui donne Vie ».

Mon esprit était ainsi visité en cette nuit par la lueur de cette intime conviction : plus la Maison de l’Humanité persisterait en ses erreurs, son aveuglement, son déni des besoins essentiels de la Maison de la Nature, plus les virus muteraient afin de se défendre d’une colonisation exponentielle d’une Humanité vraiment sans gêne, ivre d’orgueil, de puissances, de richesses, d’un narcissisme vraiment démesuré.

La sagesse n’était-elle pas de tirer leçon de nos excès afin de sauver la vie de nos enfants ?

« Au ciel il y a beaucoup d’étoiles; il y a des tribus entières, hommes, femmes, enfants, depuis longtemps devenus étoiles ». (2)

Thierry Rousse,

Nantes, vendredi 29 janvier 2021

« A la quête du bonheur »

(1), Shakespeare, « Roméo et Juliette », Le Livre de Poche

(2) Tradition bochiman, Origines, 365 pensées de Sages africains, Editions de la Martinière

Le moulin des p’tits papiers

 

« L’éviter ou le repousser ? » tel était le sujet philosophique de la semaine sur Bfmtv. George Duhamel y allait de ses arguments. Chaque invité était appelé à voter. L’actualité, à défaut de cinémas et de théâtres ouverts, se transformait en un vaste jeu public. Le suspens était de mise. Chacun y allait de ses pronostics. Qui gagnerait? « Troisième confinement, oui ou non ? ». Le verdict tomberait samedi. « 2008 nouvelles admissions en 24 heures ». Forcément, l’annonce quotidienne de ces chiffres entraînait l’inquiétude chez un grand nombre d’auditrices et d’auditeurs. Le virus de la peur se propageait à toute allure sur ces ondes de chocs. Volonté délibérée ou inconsciente de nos Grands Chefs?

Un ange invisible me protégeait de ces ondes. Depuis quelques temps, j’avais éteint ma Box SFR. Tant pis pour elle ! Plus aucune onde néfaste ne me traversait que les ondes lumineuses de l’Amitié. Je prenais le bateau sur le Port des Pêcheurs de Trentemoult, traversais la Loire agitée en vue de faire le plein de provisions au cas où… Je m’inscrivais à la médiathèque de Nantes puis je marchais jusqu’à la librairie Coiffard après avoir dégusté un délicieux Falafel libanais. Des petits bonheurs qui enchantaient mes journées. Mon panier se remplissait de livres de chansons et d’histoires pour enfants. J’avais cet appétit de légèreté, d’insouciance, cette soif du « vent frais du matin » à partager. Chanter, il nous restait à chanter et danser. L’autre rive m’appelait, ce port si tranquille, de l’autre côté du fleuve, que je venais de quitter pour la grande ville, le temps de décorer mon panier de mets succulents avant le couvre-feu. Ces livres sur leurs étagères, parmi des centaines de livres, s’étaient offerts tout naturellement à mes mains. Chaque livre était une belle rencontre. « La poésie sauvera le monde » de Jean-Pierre Siméon. « Dévotion » de Patti Smith qui s’interrogeait: « Pourquoi est-ce que j’écris?  » (1) . Le « est-ce que » était peut-être de trop. Ecrire pour nous alléger de certains maux qui nous attiraient vers des fonds vaseux ? Ecrire pour prendre le large d’un ciel bleu ? Ecrire pour déployer nos ailes jusqu’à La Lune flamboyante ? Ecrire pour nous enlacer au détour d’un chemin glissant? « La nuit du coeur » de Christian Bobin, l’un de ces écrivains qui faisaient partie de mes collections favories. « Il n’y a pas d’autre raison de vivre que de regarder de tous ses yeux et de toute son enfance, cette vie qui passe et nous ignore » (2) L’endroit et l’envers. Un titre. Une image. Une photographie. Un extrait. Une note. le désir de lire commençait ainsi. Ce qui résonnait en mon coeur à cet instant de ma vie. J’ajoutais à mon panier un nouveau DVD qui, tout pareillement, attirait mon regard : « Mademoiselle de Joncquières », un film de Emmanuel Mouret avec Cécile de France et Edouard Baer. Il n’était pas déplaisant de voyager à une autre époque, celle des costumes élégants et des sentiments délicats parfois brisés, du monde de la cour et ses jardins secrets.

Où choisirais-je de vivre mon troisième confinenent? Rejoindrais-je ma chère Mémé Zanine et son joli transistor ? Me blottirais-je dans la tranchée de France, là où tant de voix se confiaient, comme celle, ce soir, de Maryline Desbiolles:  » … je suis attentive à ça, laisser les mots me conduire… j’essaie dans la mesure du possible d’écrire tous les jours à des heures régulières… j’écris très très lentement… plus ça va, plus j’écris lentement… je reprends très peu… » (3) Entre deux écoutes, deux bribes récoltées, deux interrogations, j’avais encore laissé refroidir ma tisane. Que me diraient les petits lutins? « L’elixir de la tendresse est la plus belle des philosophies ».

Ce moulin au bord de la Sèvre me plaisait bien, tout près de l’Italie. Le drapeau de la Bretagne flottait sur la colline, juste au-dessus. Etais-je arrivé au Village des Invincibles Gaulois, résistant à l’Occupant Virus préoccupant? Ma langue jouait avec les mots un peu trop facilement pour oublier les lourdes difficultés de ces temps hésitants. J’accostais les sportifs du dimanche. « C’est par où la sortie ? Où nous mènera ce chemin ? « . Fallait-il vraiment le savoir pour être heureux? N’était-il pas plus palpitant de ne pas connaître la fin? Ce désir n’engendrait-il pas la vie? « Espérer sur les pas de Charette un soleil qui se lève ? « . Les résistants étaient nombreux. Au milieu de la guerre, j’apprendrais à fabriquer du papier pour écrire, écrire des p’tits papiers par les chemins des marmottes. Au sommet, j’apprivoiserais les pigeons voyageurs. Dans la descente, nous serions les patineurs glissant sur le temps. « La poésie sauvera le monde » (4).

Le monde en avait bien besoin. Quinze millions de françaises et français étaient en dépression, treize avaient des pensées suicidaires. « Une vague d’ampleur est en train de traverser la France … Les gens n’arrivent plus à penser, comme si leur esprit était gelé. Nous entrons dans une ère de vie anormale qui s’installe et dans laquelle tout le monde peut basculer. Plus ça va durer, plus les séquelles seront lourdes… « . La femme et l’homme avaient besoin de se nourrir, se loger, se vêtir, mais elles et ils avaient besoin avant tout de mots doux, de regards, peut-être de caresses, de liens fidèles indestructibles. Etre privé de ces contacts pouvait nous mener à la mort. « Le lien est consubstantiel à notre humanité. Aujourd’hui, ce lien est mis en danger… Nous ne sommes plus portés par un sort commun en partage. La fermeture des lieux culturels participent à ce climat. La culture, c’est ce qui nous rassemble. Les lieux culturels, les terrains de sport sont avant tout des lieux de liens sociaux, où on éprouve ensemble des émotions, où on se sent participer d’un même mouvement collectif ». (5).

Rideau rouge fermé à cette heure.

Tout près du moulin, les affaires véronaises se compliquaient pour Juliette et Roméo.

Juliette:  » Tu t’en vas donc, amour, seigneur, mari, ami ? Je veux de tes nouvelles chaque jour de chaque heure car dans une minute il y a bien des jours. Oh ! selon ce calcul, je vais être bien vieille avant de revoir un jour mon Roméo ».

Roméo:  » Adieu. Je ne manquerai aucune occasion de t’envoyer un message, mon amour ». (6)

Constance d’une correspondance au destin tragique. Je n’aimais pas ces histoires qui se finissaient mal. J’avais à coeur d’écrire une autre fin pour Juliette et Roméo, une autre fin aux erreurs de l’humanité, d’autres p’tits papiers au destin vert comme un pré d’Irlande. Il était de notre devoir d’hisser le drapeau qui nous unirait et nous sauverait.

Le vaccin de l’Amour nous guérirait de nos peurs. Nous regarderions « ces p’tits papiers qui font des ronds sur l’eau, maman », ces p’tits papiers comme des bateaux, lentement, qui nous transporteraient jusqu’à l’île du bonheur.

Thierry Rousse,

Nantes, mercredi 26 janvier 2021

« A la quête du bonheur »

(1) Patti Smith, « Dévotion », Folio

(2) Christian Bobin, « La nuit du coeur », Folio

(3) Maryline Desbiolles, France Culture

(4) Jean-Pierre Siméon, « La poésie sauvera le monde », Editeur Le Passeur

(5) Serge Hefez, psychiatre, L’Humanité Dimanche du 14 au 21 janvier 2021

(6) William Shakespeare, « Roméo et Juliette », Le Livre de Poche

Les loges d’un Amour confiné

 

Une page blanche. Les premiers mots posés sur une page blanche. Deux mots qui se rencontraient, se regardaient, se vouvoyaient. Deux mots qui apprenaient à se connaître. « Bon », « soir », le commencement d’une phrase . Le soir serait bon, je le désirais ainsi.

Hier soir, de retour de mon travail, quand BFMTV s’interrogeait : « Le confinement, qu’est-ce qu’on attend ? » , France Culture nous interrogeait : « Comment l’art va se sortir de la crise? ». Je choisissais la seconde question de ce grand jeu public. Alejandro Jodorowsky, écrivain et cinéaste, répondait à France : « On est esclave de l’économie et l’économie est en train de détruire la planète… L’art a perdu sa signification… C’était devenu une affaire… De quel art on parle? … L’art guérit les consciences, développe les consciences… La méditation… Etre libre… Etre libre, c’est se connaître vraiment… Le but de l’art est de guérir l’humanité ».

Je m’interrogeais: « Comment nous allons nous sortir de la crise ? Grandis? Plus forts? Plus fidèles? Plus unis? Plus intègres? « . Les Chefs ne faisaient qu’essayer d’éteindre un feu qu’ils entretenaient chaque jour. Les véritables questions n’étaient jamais abordées. L’origine du virus? Aucune nouvelle véritable de l’enquête menée par l’O.N.U. Erreur d’un laboratoire ? Acte délibéré ? Chauve-souris? Déforestation provoquant la propagation de toutes sortes de virus par le biais d’animaux sauvages délogés de leurs habitats naturels? Surconsommation de viande nécessitant une déforestation massive pour cultiver des céréales destinées à engraisser des bêtes confinées dans des espaces réduits, vivant et mourant dans d’atroces souffrances ? Mauvaise santé de la plupart des être humains dûe à une mauvaise alimentation les rendant plus fragiles à toutes sortes de virus? Les Chefs se plaisaient à restreindre nos libertés sans jamais restreindre celles de la surproduction et de la surconsommation à tout va qui entraînaient ces catastrophes sanitaires mondiales.

Au milieu de ce tohu-bohu, l’art pouvait nous guérir de ces maux. Mais, « Etre guéri » ne faisait pas l’affaire des actionnaires qui comblaient nos frustrations par une consommation maladive, dépendante, excessive à grands renforts de spots publicitaires. Les Chefs soumis aux actionnaires experts avaient fermé les théâtres, les cinémas, les musées qui pouvaient nous guérir en nous faisant réfléchir.

Je me réfugiais dans une loge du passé. Paris. J’avais seize ans. Première rencontre avec le théâtre. L’Odéon. J’étais amoureux de Caroline. Je pensais que Caroline m’aimait. Je n’osais lui déclarer ma flamme, à Caroline, la flamme d’un amour idéal, l’amour de toute une vie, cette flamme que nous avions tous porter, au-moins, une nuit, au fond de notre coeur, à cet âge romantique. Notre professeure de lettres avait sorti notre classe de ses murs provinciaux. Ma première grande sortie. L’illustre Capitale ! Ses beaux quartiers intellectuels¨! « L’illusion comique »! Les vers de Corneille exprimaient tout ce que je ne parvenais à dire, ce désir de beauté, de tendresse, de fidélité, d’union sacrée. Le théâtre guérissait mes blessures en les élevant jusqu’au ciel, un ciel parsemé d’étoiles filantes. Caroline avait disparu de ma comète. Il me restait cet art de l’illusion. Excessivement timide, je n’osais monter sur la scène, dire ce que je désirais lui dire à travers ces vers. Qu’il m’en avait fallu du temps pour vaincre toutes mes peurs ! Objecteur de conscience, quelques années plus tard, je désirais travailler pour l’un de ces théâtres. Une réponse brève, claire et sans appel me fut adressée: « – Etes-vous inscrit dans une école de théâtre reconnue? – Non. – Désolé. on ne peut pas vous accueillir ». L’Armée du Salut m’ouvrait ses bras pour un autre chemin qui m’apprenait la vie. Je m’occupais de tout petits enfants dans un centre maternel, puis, je servais la soupe populaire aux sans-abris. Il me manquait un clairon pour paraître fanfaron. Sans doute, fallait-il vivre longtemps avant pour interpréter tous ces rôles ? Le théâtre venait toujours après, le soir, après mes études, le soir, après mon travail d’éducateur. Je fis mes armes aux cours de Christina Mijol et dans de nombreuses troupes amateures, écrivant et mettant également en scène mes propres pièces, avant que le directeur d’une compagnie professionnelle me repère au sein d’un stage et me recrute dans sa troupe. Quatre années de répétitions, de représentations et de labeurs en tout genre sans aucune rémunération, le temps d’un apprentissage, avant de percevoir mon premier cachet. Promesse tenue. Ce coût à payer ? Je rêvais de ces rôles, Roméo, Cyrano, et de leurs auteurs, William Shakespeare, Edmont Rostand. On me tendait à la place les costumes de maîtres tyranniques, obsessionnels, de serviteurs niais et dociles, Gorgibus, Harpagon, Le Malade imaginaire, Gros-René… Quel coeur pouvais-je ainsi séduire ? Il me restait le rôle d’un jardinier amoureux de ses escargots, ses écureuils, ses libellules, ses papillons, ses oiseaux, ses hérissons, ses coccinelles, pour rencontrer une fleur. Pousser ma brouette dans les jardins à la Française pour rejoindre une forêt, entouré d’enfants riant aux éclats, au fond, me convenait bien. Je goûtais à ce bonheur, de nouveau, quelques années plus tard avec « Barnabé le Jardinier ». Le théâtre pouvait nous sauver d’un monde de buis taillés, exposé au vent, au soleil, à la pluie. Cette orée confinée était un doux abri pour nos coeurs fragiles. La rencontre se fit dans un sous-bois. Jouer « Le Petit Prince » me disait bien tant était gracieuse cette rose, délicate et secrète ! Quel-le metteur-en scène m’accorderait cette faveur? « – De quelle école sortez-vous? – De l’école du ciel ! « .

Une nuit blanche. Les premiers mots posés sur une nuit blanche. Deux mots qui se rencontraient, se regardaient, se tutoyaient. Deux mots qui continuaient à se connaître. « Bon… soir… » . Le soir serait bon. Il y aurait des crêpes, des étoiles filantes et un film « Le goût des merveilles », je le désirais ainsi, simple et bon comme le goût de la vie.

Thierry Rousse

Nantes, Vendredi 23 janvier 2021

« A la quête du bonheur »