Comme autrefois…

 

« Comme autrefois… » , cette expression aurait sans doute déplu à Monsieur Eckhart Tolle, ce sage qui nous enseignait à vivre dans l’instant présent. En ce mercredi 20 janvier 2021 à 21 heures pour faire court, une odeur de feu de bois remontait l’escalier jusqu’au nez de Mémé Zanine. Puis, une chanson de Jean-Louis se glissait en boucle dans ses oreilles. « Va où ton coeur te dit ». Tout pour être heureux, ou, presque. Et pourtant, la nuit entraînait le songeur que j’étais dans les doux rêves d’un jour fabriqué des bonheurs du passé. J’aimais, dans le froid, la pluie, le vent de l’hiver, visiter ces palais d’autrefois, ces palais où nous sortions à découvert, le visage nu de rires, de sourires ou de larmes. Ces palais, où accoudés au bar d’une guinguette, nous refaisions le monde. Ces palais, où nous allions, libres, au gré de nos envies, au théâtre, au cinéma, ou, encore, flâner dans les allées d’un musée, admirer les beautés de ces corps impressionnistes. Ces palais, où je jouais Harpagon, Le Malade Imaginaire, Amédée le Jardinier, ou encore, Gros-René dans les jardins des châteaux de toute splendeur, Vaux-le-Vicomte, Fontainebleau, Chantilly, Champ de Bataille, ou, sur les scènes des théâtres à l’Italienne ou à la Française, les cours des festivals, d’Avignon à Richelieu, les estrades des écoles et des collèges, des plus petites aux plus grandes cités, ces plages d’or des villages de vacances, de Lille à Marseille jusqu’à Essaouira en faisant une escale sur l’Ile de Beauté, des rêves qui se vivaient, d’aventure en aventure, aux pas de l’esprit d’une troupe, hélas brisée. Comme autrefois. Lutte de pouvoirs et de querelles. Une malle de souvenirs enfouis. Des toiles d’araignées étincelantes. A peine, quelques photographies, jaunies, que me restait-il de cette vie d’arlequin ? Qu’un songe d’autrefois? Le costume avait pâli. Un bonheur perdu pour toujours?

Je ne savais trop quoi penser du passé, du présent, de l’avenir, du théâtre de mon pays et du monde. Où en étions-nous ? Couvre-feu ? Mille pas ? Vingt mille pas ? Autorisations de sortir ? De se blottir ? De s’aimer? Se parler ? S’enlacer ? Danser ? Chanter? Rire aux éclats? Les amoureux ne s’étaient pas vus depuis des lustres. Le plancher couinait. Confinement ? Masque ? Vaccin ? J’étais parti un peu loin, un dimanche, au coeur d’une lande. L’on y servait des pâtisseries dignes des plus grands pâtissiers de Versailles, des Vatel aux percing qui nous faisaient rêver à nos châteaux d’enfants. Une demoiselle, toute en noir, accompagnée d’un pianiste, tout en blanc, lui, logé au grenier d’une grange, elle sur une pile de planches juste en dessous, nous enchantait de ses chants lyriques. Un magicien dissimulé au fond d’herbes folles nous faisait croire à l’impossible, pendant que tournait en rond dans le ciel bleu un hélicoptère solitaire, bien incapable de nous attraper. La poésie échappait à toute raison. De cette illusion, je ne voyais rien qu’un prodige. Monsieur Eckhart, de son présent, parvenait à m’extirper de mon palais d’autrefois. Je n’aurais jamais connu toutes ces merveilles, songeais-je, ces rencontres et ces moments inoubliables, si mon rêve, une nuit, ne s’était rompu. Tous ces nouveaux présents emplissaient inexorablement ma malle d’autrefois. A peine vécus, ils étaient déjà souvenirs. Je prenais racine dans son bois. L’arbre grandissait, unique de toute une vie, de toutes ces vies, les pièces d’un puzzle qui s’assemblaient jour après nuit. L’âme de Notre-Dame, malicieuse, Emma, habitait ses landes sauvages. Je le savais. Aucun hélicoptère n’atterrirait sur sa mousse, qu’un avion en papier. Sur ses ailes, un enfant y avait dessiné un trèfle à quatre feuilles et une pâquerette.

Ces temps de guerre, ces vies de résistants, camouflés parmi les fougères, devaient nous ouvrir à la paix du coeur, à l’élévation de l’âme, à la véritable santé mentale et physique, à la fraternité d’une croyance, à la culture d’une confiance, à l’audace des sentiments, des mille et un et une chevaliers et princesses de ces landes enchantées. J’étais ce qui me nourrissait. Chaque cloître était le berceau de l’Amour. Comme autrefois au milieu du Morvan. Un lac. Une pierre. Une feuille. Comme autrefois, en ses forêts obscures, il était une fois une histoire merveilleuse où les loups étaient nos amis fidèles et sincères, où leurs cris, leurs pleurs, leurs rires, au coeur de la nuit, nous montraient le chemin des étoiles, « cette confiance en qui tu es, en qui tu aimes ».

« Puisses-tu vivre, continuer.. puisses-tu aimer…continuer… puisses-tu puiser un peu d’eau dans le puits de nos nuits… puisses-tu sourire et même rire quand le pire est à venir… Puisses-tu aimer qui tu es… qui tu aimes…  » (*)

Thierry Rousse

Nantes, Mercredi 20 janvier 2021

« A la quête du bonheur »

(*) Jean-Louis Aubert, « Puisses-tu »

Du bal masqué de nos désirs

 

Nous étions un million sept cent vingt et un mille auditrices et auditeurs à écouter France Culture. Un record jamais atteint. Ce chiffre ne cessait d’augmenter. J’avais rejoint les rangs. J’étais ce « un million sept cent vingt et un mille un » qui me ruais sur chaque opportunité, un trajet en voiture, un temps de la vie quotidienne, de la douche au petit-déjeûner, du repas du soir au coucher, pour me nourrir de toutes les cultures locales et universelles. Les sujets étaient infinis, vastes comme le monde, légers ou profonds, obscurs ou lumineux. De Lewis Caroll à Claude Chabrol, de la vérité à l’illusion, de la poésie à la science, les émissions se succédaient les unes aux autres. Je passais, affamé, « Du grain à moudre » à « Politique », de « Concordance des temps » à « L’Esprit public », de « Matières à penser » à « Affaires étrangères ». Mes oreilles parcouraient le globe, avides d’entendre ce qui se disait, se pensait, se vivait sur toutes les faces de l’humanité, à tous ses étages, dans tous ses éclats, tous ses murmures, ses silences, ses doutes, ses questions. La Covid, puisque le virus avait changé de sexe, ne devenait plus qu’une information parmi tant d’autres, noyée dans la masse et la légèreté de l’être. La joyeuse France, de sa voix sensuelle et cultivée, m’aidait à prendre du recul. Je respirais enfin. Il y avait tellement de sujets bien plus passionnants que La Covid qu’il n’était jamais trop tard pour apprendre. A cinquante trois ans, j’embrassais ma fougue du jeune homme de vingt ans, étudiant à l’université des heures libres, et toute la vie devant, devant les pas de mon coeur diamant, pierre précieuse dansant au clair de Lune d’un Quartier Latin des bords de Seine. Sous ses pavés contaminés, je devinais déjà la plage d’une guinguette ensablée, ses dunes, ses coquillages et ses algues, les embruns du grand large, une sirène, nue, aux cheveux longs, sur les récifs escarpés, qui chantait au matin, et, ce pêcheur, tenant sa voile, fidèle, de retour à son port. Je compensais par mes songes la fermeture des théâtres, des cinémas, des musées. « Juste une illusion », ou, rien que la Vérité ? J’avais cette sensation que le monde continuait à vivre, se rencontrer et s’aimer. Mon petit transistor me reliait à ses ébats. Il m’invitait au grand bal masqué de ce nouveau siècle.

Quel serait mon masque? Celui du loup ou du mouton? Quelle femme croiserais-je au bal ? Les yeux radieux de Juliette me souriaient. Les masques éveillaient des désirs secrets. Qui se cachait derrière? « Tous deux sont sous le charme d’un regard échangé » (*). La passion n’avait jamais été aussi présente qu’en ces temps de distanciation sociale, les préliminaires amoureux, jamais aussi longs, jamais aussi prudents, respectueux, délicats, romantiques. Roméo avait trouvé la parade, déclamer des vers à sa belle au pied d’un balcon. Juliette en était tombée amoureuse. Le peuple latin vivait à l’heure britannique. Une côte brisée. Pourrions-nous, dès lors, nous passer de ces masques, les doux refuges de nos sentiments, ces masques qui nous protégeaient si bien des autres ? Les regards, grâce à eux, pouvaient tranquillement s’enlacer, sans crainte d’une déception. Les aveux des amoureux les engageaient à la fidélité et la confiance. « Tu ne regarderas que moi, je ne regarderai que toi ». La peste entraînait la fermeture des théâtres à Londres. Sur son île, Shakespeare composait ses sonnets. Cinq ans plus tard, au sud de la Tamise, le Théâtre du Globe jaillissait de la terre. Les plus beaux amours et les plus sanglantes guerres s’y joueraient. Il en était ainsi du monde, masqué. Un bal qui retentissait au coeur des éclairs de la nuit. Les silences contenaient bien plus de mots.

Le couvre-feu avait sonné son glas.

Dix huit heures à partir de ce samedi.

Le pêcheur murmurait à mon coeur :

« Prends garde, jeune homme, que le feu de ta plus belle passion reste en vie … ».

Thierry Rousse,

Nantes,

Vendredi 15 janvier 2021

« A la quête du bonheur ».

(*) Shakespeare, « Roméo et Juliette ».

Des imperfections du bonheur sur le green

 

Débuter. Par quoi débuterais-je ? Quel premier mot déposerais-je en ce jeudi sept janvier deux mille vingt et un à dix neuf heures trente et une sur le vieil écran de mon ordinateur portable suisse? Mon premier cri ? Ma première larme ? Mon premier rire ? Mon premier baiser ? Mon premier « Je t’aime » ? Ma première caresse ? Mon premier réveil ? Sept heure trente du matin. J’allumais mon petit transistor tout neuf. Trompe en était toujours à s’accrocher à sa canne. Le Grand Chef du monde ne digérait pas sa défaite. « C’est ma Maison Blanche! J’ai gagné la partie de golf, tu as triché, Joe, c’est moi l’ invincible, pas toi ! « . Trompe appelait ses camarades militaires républicains à la rescousse. Des durs de durs qui en avaient connu des guerres. Les Cow-Boys donnaient un coup de pied dans la démocratie américaine. Le trou de la Liberté était pris d’assaut. Un étrange drapeau de Coup d’Etat flottait sur le green. Habituellement, ces insurrections étaient réservées à des sauvages d’Afrique ou d’Amérique du Sud, ou, de Chine. Les moeurs évoluaient au vingt et unième siècle. Trompe poussait son cri de bête blessée au vif de son orgueil. J’avalais d’un trait ma Chicorée et pris la route après avoir bien gratté le givre sur la vitre de ma voiture qui avait dormi cette nuit dehors. Journée de formation. « L’importance du jeu pour les enfants ». Dix huit heures. De retour chez Mémé Zanine. Un froid glacial me disait « Bonsoir, entre, sois chez toi ! « . Je me précipitais à allumer un feu. De vives flammes ressuscitaient le bout de mes doigts. J’allumais de nouveau mon petit transistor tout neuf. « Le soldat augmenté ». France Culture avait de la suite dans les idées ! Les chercheurs de l’Armée réfléchissaient à augmenter les capacités du soldat : lui permettre de voir la nuit, décupler ses forces, ne plus avoir besoin de dormir, être invincible voire immortel. Le Soldat en avait marre de mourir loin de sa famille. Les armes étaient de plus en plus puissantes et le Soldat se devait d’être de plus en plus résistant. Alors, les médecins changeraient ses cellules. Son corps serait transformé. La science-fiction ne serait bientôt plus une fiction. « L’homme qui valait cent milliards » quitterait le petit écran pour devenir une réalité XXL sur le champ des guerres. J’achèterais mon bonheur. Les progrès commençaient toujours au sein de l’Armée, par nécessité vitale, nous disait-on, puis s’étendaient, à coups de charme, au large public, à toi et moi. Qui avait envie de nous deux d’être l’enfant surdoué? L’homme parfait ? La femme parfaite? Qui rêvait d’aimer l’être idéal de ses rêves? Il suffirait de changer nos cellules à la demande. Un garage d’organes satisferait tous nos désirs de pouvoir, d’immortalité, de jouissance, d’affection, de savoir. Le bonheur parfait nous attendait sur le green. L’Armée nous promettait la paix éternelle. Pourquoi ne souriais-je pas à cette félicité promise? J’aurais dû me réjouir à l’idée d’être l’homme parfait désiré et aimé par la femme parfaite. Un goût aux notes imparfaites, pourtant, me retenait. Tant que nous étions imparfaits, songeais-je, nous pouvions nous compléter, apprendre et nous enrichir l’un de l’autre. L’imperfection n’était-elle pas le chemin du désir, d’une vie à bâtir ensemble ? La perfection, au contraire, nous figeait, toi et moi. Si nous avions tout, qu’avions-nous à désirer, à aimer ? La solitude de la perfection finirait par nous lasser dans notre Maison si Blanche. Deux statues si tristes, si vides au milieu d’une partie déjà jouée.

Avouer ma défaite pour apprendre de mes erreurs, et progresser, tout simplement, pas après pas, était tout autre, une aventure palpitante. J’avais encore des yeux pour contempler ton corps imparfait, des oreilles pour t’écouter chanter, un nez pour sentir ta présence, même absente, des papilles pour goûter tes baisers, sucrés ou salés, au goût de chocolat, de citron ou de menthe fraîche, des mains pour parcourir ton pays, de collines en vallées jusqu’à la source de ta vie. O imperfection, tu étais si belle, libre et folle de ces jeux de mots ! Il nous restait à jouer notre partie de scrabble et à en rire, en rire comme deux enfants imparfaits, regarder les pâquerettes sur le green.

Débuter ? Par quoi débuterais-je ? …

« L’Etre suprême a créé avec l’Eau et le Feu. L’Eau et le Feu sont la Vie. » (*)

… par l’ouverture d’un rideau de théâtre.

La vie n’était qu’une grande comédie.

Thierry Rousse,

Nantes,

Jeudi 7 janvier 2021

« A la quête du bonheur ».

(*) Cosmogonie Bantoue, « Origines, 365 pensées de sages africains », Editions de la Martinière

La Fée du Coeur (Tout était passé si vite, trop vite).

Je n’avais pas écouté l’actualité ce mercredi, tout semblait être passé si vite. Entre rendez-vous présentiel et non présentiel. Budget. Emploi. Voeux. Découverte de jeux pour les Apprentis Lecteurs. Tout était passé trop vite. J’apprenais lors d’un échange téléphonique avec mon ancienne professeure de théâtre que la vilaine sorcière sévissait vraiment autour de ses connaissances. Je me sentais plutôt à l’abri dans le Grand Ouest. Les Fées de Brocéliande, sans doute, protégeaient nos deux familles, bretonne et vendéenne. En fin de matinée, j’avais investi dans un petit transistor que j’installais près de ma jolie bouilloire pour me relier à France Culture. Une façon de me cultiver à défaut de pouvoir me rendre dans un théâtre ou dans un musée. Denis Podalydès parlait de son métier. Le corps était un bien essentiel au comédien. Je me penchais sur la question. J’ouvrais ma première Encyclopédie.

Le corps était une « machine complexe, constituée d’os, de muscles, de nerfs, de sang, d’organes, et surtout de beaucoup d’eau »(*). Pas étonnant que j’étais toujours attiré par les fontaines, les rivières, les océans. Je n’avais pas dit les vignes, bien que j’appéciais leurs charmantes collines. Plus de la moitié de mon corps était « constitué d’eau ». Mes os, ma peau, mon sang renfermaient de l’eau et je ne la voyais pas. Cette eau était invisible à mes yeux. Tant de trésors en moi que je ne pouvais pas voir ! Il me fallait respirer pour vivre. Y pensais-je ? Cela se faisait plutôt naturellement. Faire entrer l’oygène de l’air dans mes deux poumons. L’oxygène se glissait ensuite dans mon sang qui circulait partout dans mon corps. Sous mon crâne, il y avait mon cerveau, encore de l’eau, qui commandait et contrôlait tous les mouvements de mon corps. Un Grand Chef vivait en moi et je l’ignorais. Mon cerveau me permettait de ressentir des émotions, il me disait si j’étais triste ou joyeux, fatigué, en colère ou amoureux. Grâce à mon cerveau, je pouvais m’exprimer et me souvenir. Je remerciais pour une fois ce Grand Chef. Des milliers de nerfs le reliaient aux autres membres de mon corps. Des genres de fils électriques en miniature. L’idée était qu’ils ne s’emmêlent pas, tous ces fils. Un court-circuit pouvait tout chambouler à l’intérieur de mon corps. Les nerfs transmettaient aux membres de mon corps les ordres de mon cerveau et lui rapportaient tout ce qui se passait au dedans de moi. Adjudants et journalistes à la fois. Mon cerveau prenait connaissance des actualités de mon corps. Comment allaient mes pieds, mes mains, ma bouche, mes yeux, mon coeur? Sous ma poitrine, à gauche, je le sentais battre. Etait-ce en raison de son emplacement que j’avais toujours voté à gauche et souvent été déçu? Mon coeur était un gros muscle. A chaque battement, il envoyait du sang dans tout mon corps. Il ne s’arrêtait jamais, mon coeur, jour et nuit, il battait mon coeur. Je n’y prêtais guère attention. Je l’oubliais souvent mon coeur. En prenais-je vraiment soin de mon coeur ? L’aimais-je? Mon coeur continuait à battre, fidèle à sa mission. Mon sang, lui, se promenait à travers mes veines, mes artères, mes vaisseaux. La circulation semblait fluide. Quand il était à court d’oygène, mon sang, il revenait faire le plein dans mes poumons. Une station service ouverte en permanence. A toute heure, sous le Soleil ou la Lune. Je remerciais les arbres et toutes ces algues au fond des océans qui m’offraient ma nourriture quotidienne. Le plein d’oygène.

Tout était passé vite, trop vite.

Je m’arrêtais sur ce dessin. Des traits reliés les uns aux autres. Tout semblait allait de soi comme la vie. Mille et un traits comme un seul trait. Un fil infini. Mon coeur battait la chamade.

« Ferme les yeux et tu verras ».

Joseph Joubert.

Les papillottes en chocolat me révélaient, décidément, mille et un trésors au coeur de l’hiver.

La Fée du Coeur.

Thierry Rousse,

Nantes,

Mercredi 6 janvier 2021

« A la quête du bonheur »

(*) Ma Première Encyclopédie Larousse, édition Larousse Jeunesse

Une vie encyclopédique si belle

 

Un mot en remplaçait un autre. Le mot de ce début d’année n’était plus « masque » mais « vaccin ». Produire, acheminer, administrer le vaccin. Les reproches fusaient. Que faisaient le Grand Chef et les Chefs? A croire que tout le monde aspirait à ce vaccin. En finir une bonne fois pour toutes de cette guerre. En sortir vacciné ou ne pas en sortir. Avions-nous encore le choix ?

Vaccin: « Substance d’origine microbienne qui, inoculée à une personne ou à un animal, lui confère l’immunité contre une maladie ».

Ce vaccin serait notre bouclier invincible contre la vilaine sorcière. Un mot parmi les trente huit mille mots de mon Mini dictionnaire Larousse. Des mots à apprendre, des mots à savoir. Je préparais ma nouvelle mission: animateur dans les écoles au sein des Ateliers Apprentis Lecteurs. Quelle belle mission, transmettre le goût de la lecture aux enfants ! Les écrits avaient encore une vie. Je me plongeais dans « Ma première encyclopédie Larousse ». Premiers regards sur le monde, premières connaissances. Un ouvrage qui répondait à toutes nos questions d’enfants, de la naissance aux étoiles. Pour faire un bébé, il fallait un homme et une femme. L’amour n’était pas cité. Il était supposé, je supposais. L’enfant vivait neuf mois dans le ventre de sa maman. Il s’en passait des aventures pendant neuf mois. Plus rien ne semblait secret. Une drôle de caméra avait tout filmé. Le bébé naissait d’une rencontre, celle d’un spermatozoïde et d’un ovule. Exprimée ainsi, la vie n’avait rien de romantique. Une probabilité, un hasard, un phénomène biologique. Un oeuf se formait et se divisait en deux, puis quatre, puis huit, puis seize cellules,…. Le bébé était le fruit de cette multiplication de cellules, un résultat purement mathématique. A deux mois, il ressemblait déjà à un petit être humain. Son coeur battait. On le nommait « embryon », étrange prénom. A trois mois, il mesurait sept centimètres, et nous pouvions à présent connaître son sexe. Fille ou garçon?  » Qu’attendais-tu ? Tu es déçu? Tu es ravi? ». Au quatrième mois, on pouvait voir ses doigts s’agiter. « Coucou, je suis là ! » La maman souriait. « Je suis deux maintenant ». Au cinquième mois, le bébé jouait au judo ou au football dans le ventre de sa maman. Ses cheveux poussaient et il suçait son pouce, peut-être pour occuper son temps. « Quand est-ce que je sors de là ? Y’en a marre d’être confiné ! « . Au sixième mois, il pesait un kilo. Un beau bébé sur la balance du bonheur. Il découvrait toutes sortes de goûts en avalant le liquide amniotique qui lui tenait compagnie. Aux septième et huitième mois, il avait tellement grossi qu’il pouvait à peine nager dans sa mer. L’aquarium était devenu trop petit. Il était vraiment temps d’en sortir. Qu’y avait-il de l’autre côté? « Neuf mois, je suis près! J’ai hâte de découvrir votre monde ! ». La maman avait beaucoup lu sur le sujet, s’était inquiétée sans doute. « Tu accoucheras dans la douleur ». Stupide, cet Ancien Testament ! Fallait-il absolument passer par la souffrance pour donner la vie? Le bébé criait-il de joie, ou, de peur? La maman le serrait contre son sein. Le médecin coupait le cordon ombilical. Tout commençait pour cet enfant, grandir dans le monde des grands. Quel monde lui avions-nous préparé ? Tout était-il bien rangé, propre, chaque chose à sa place? Tout était-il vie, envie, désir ? Tout était-il beauté, douceur? Tout était-il tendresse ? Où était le papa? Ma première encyclopédie se terminait par « Les hommes dans l’espace ». Six fois déjà, des astronautes étaient allés sur La Lune. Qu’y cherchaient-ils ? Une autre Terre ? Vivre en apesanteur? Flotter, blottis dans le ventre d’une Mère Univers ? Ils emportaient leur oxygène, dans leur combinaison scaphandre. Confinés. Confinés dans l’infiniment grand de l’espace, pendant que sur Terre, les Capulet et Montaigu s’affrontaient.

Je rêvais d’une autre vie pour le bébé où les étoiles se rencontraient et s’aimaient.

Fragile, un amour fragile qui m’invitait à en prendre soin à chaque souffle.

Inspirer. Expirer.

La Vie.

Si mystérieuse.

Un « Refuge ».

J’écoutais le nouvel album de Jean-Louis Aubert.

Des chansons si belles.

« Va où ton coeur te dit » (*)

Je me retrouvais le coeur sur La Lune, bercé de songes. Tout était prêt. Je pouvais enfin sortir, montrer mon nez à la vie. M’envoler jusqu’à toi.

Thierry Rousse,

Nantes,

Mardi 5 janvier 2021

« A la quête du bonheur »

(*) Jean-Louis Aubert

Roméo 2021

 

 

 » – Combien de vaccins aujourd’hui, Adjudante ?… – Euh… – Que faites-vous? Vaccinez, que diable ! ».

J’imaginais le Grand Chef rouge de colère. Songeait-il déjà aux prochaines élections ?

Peu avant Noël, le Grand Chef avait été testé positif à La Covid. Oui, maintenant, nous disions « La Covid » et j’en ignorais la raison profonde. Encore un coup du sexe masculin ? La femme avait bon dos, coupable de tous les maux des hommes. Le Grand Chef s’était isolé dans un joli Pavillon de Chasse à Versailles. Tout le monde ne chassait pas. Il allait mieux, le Grand Chef. Après cet épisode royal et champêtre, des vacances l’attendaient avec sa Dame dans un Château Fort, sur une île bleue en Méditerranée, à l’abri de la vilaine sorcière de notre siècle. Le Grand Chef avait proclamé ses voeux. Je ne les avais pas écoutés. J’avais décroché, à dire vrai, depuis quelques temps.

France Culture et une nouvelle rentrée prenaient le pas sur cette guerre contre le virus. Mes pensées s’ouvraient sur d’autres sujets. Je me sentais plus libre, plus léger. Préserver ces moments d’écriture, ces temps de lecture m’étaient essentiels. Une bulle d’oxygène dans la brume hivernale. Apprendre de nouveaux mots. Les explorer. En saisir tout leur sens, en goûter leur saveur. Continuer d’évoluer dans cette quête du bonheur infinie, exaltante.

J’avais décidé d’aider notre Roméo de Clisson, enfin, l’aider à s’aider lui-même.

Roméo était parvenu à regarder tout ce qui était beau sur le chemin qu’il avait parcouru jusqu’à ce jour. C’était déjà un premier pas vers le bonheur. Ne considérer que ce qui avait échoué, râté, ne voir que ses erreurs, ses négligences, ne ressasser que ses failles, n’aidaient en rien. Et tout ce qui n’aidait pas était inutile. Il paraissait bien plus constructif à Roméo de regarder ces quelques pierres qui lui permettraient de bâtir que ce toit effondré, des heures et des heures, le regard dans le vide. Au lieu de continuer à dégringoler et dégringoler de son arbre, Roméo avait décidé de s’élever.

« Je voudrais être ton oiseau ! » (*)

Il n’était jamais trop tard pour être heureux. Le bonheur était l’addition de toutes ces joies semées, cueillies et partagées sur les sentiers, même en temps de guerre. Même au temps de la vilaine sorcière, l’amour fleurissait.

« Il faut toute la vie pour apprendre à vivre » disait Sénèque.

Thierry Rousse,

Nantes,

Lundi 4 janvier 2021

« A la quête du bonheur »

(*) « Roméo et Juliette », Shakespeare

Des voeux passés, présents et à venir ( Roméo de Clisson)

 

Depuis deux jours avait commencé le mois des voeux. Les voeux étaient liés au nouvel An, une tradition qui remontait à Babylone, deux mille ans avant Jésus- Christ. A l’origine, cette fête avait lieu au printemps pour « honorer le dieu Mardouk qui protégeait les récoltes ». La saison du printemps me semblait plus propice à célébrer une nouvelle année. Nous devions ce regrettable changement à Jules César en 46 avant Jésus- Christ. La nouvelle année commencerait le premier Janvier, César l’avait décidé.

Au Moyen-Age, cette tradition fut déplacée selon le désir de chaque peuple. Les Anglais fêtaient le nouvel An en mars, les Français, le dimanche de Pâques, les Italiens, à Noël. Les Russes et les Slaves avaient deux jours de l’An, le premier janvier et les treize et quatorze janvier, le « Nouvel An ancien ». Le Nouvel An fut même fêté un premier septembre, célébrant la fin des travaux agricoles.

Pierre Le Grand décréta le 19 décembre 1699 que le Nouvel An serait dès lors fêté le premier Janvier.

Je profitais de ce temps pour accomplir le bilan de mon année écoulée et définir mes objectifs pour l’année à venir. Ce temps était également marqué par l’habituelle formule de voeux que j’adressais à mes proches et que je recevais de ceux-ci ou de connaissances plus éloignées. A la formule habituelle, « Bonne et heureuse année », je cherchais à personnaliser mes voeux en fonction de mes destinaires. Il était question de bonheur, de santé, de réussite avec des mots plus précis. Le bonheur, la santé, la réussite pouvaient être vagues. Ces souhaits apparaissaient comme un regain d’énergie, une renaissance. Quitter le vieil habit, ce qui s’était brisé, ce qui avait échoué, ce qui avait été douloureux, pour revêtir le nouvel habit de lumière. Chaque premier de l’An était l’occasion de croire que tout irait mieux à présent, que je ne ferais pas les mêmes erreurs, que je tirerais un enseignement de mes erreurs, que je choisirais, cette fois-ci, de bons objectifs et que je m’y tiendrais pour réussir. Chaque premier de l’An était une nouvelle chance qui m’était offerte pour être heureux.

Il me restait à définir chaque mot. Qu’est-ce que j’entendais par « bonheur », « santé », « réussite », « erreur », « tromper », « briser », « quitter », « revêtir », « enseignement », « vieil habit », « habit neuf »… ? Me suffisait-il de changer d’habit pour changer ? Cela pouvait m’aider. M’aimer, prendre soin de moi pour être en capacité d’aimer les autres et prendre soin d’eux. La réussite était peut-être là.

Je regardais Roméo assis sur un banc, au bord de la Sèvre, dans un jardin italien à Clisson. Un jardin reconstitué de toutes pièces. Un jardin antique, romantique, d’un calme érotique. Une rose effleurée. Juliette avait disparu de ce banc.

Roméo avait dégringolé depuis quelques années. L’arbre du jardin lui avait pourtant offert de belles branches auxquelles s’accrocher pour l’aider à s’élever. Les avaient-ils trop vite quitter pour un autre arbre qui lui semblait plus intéressant, plus beau, plus fécond, plus robuste, plus grand, plus moderne ? Avait-il voulu trop vite tout oublier de sa vie afin de renaître à une nouvelle vie? Le Nouvel An lui avait-il tourné à ce point la tête ?

Roméo détournait à cet instant la tête, et, regardait, derrière lui, tout ce chemin parcouru. Il vit que ce chemin était beau et qu’il ne regrettait rien de ce chemin, qu’il avait vécu ce qu’il avait à y vivre, qu’un jour, il comprendrait, le secret du bonheur.

Un moulin et une guitare, sur l’autre rive, l’attendaient.

Thierry Rousse,

Nantes,

Samedi 2 janvier 2020

« A la quête du bonheur ».

Entre fromage et théâtre

 

J’avais décroché. Décroché des discours des Chefs et du Grand Chef. Où en étions-nous ? Maintien du Couvre-feu ? Troisième confinement ? Libération conditionnelle ? Travail d’intérêt général ? La campagne de vaccination avait débutée par les plus fragiles dans les Ehpad. Le nombre de cas positifs, quant à lui, augmentait dans certaines régions. La menace d’un reconfinement semblait planer. Des maires le réclamaient. Les Chefs paraissaient hésitants. L’économie ne devait pas s’arrêter. Le confinement devait être utilisé à des fins exceptionnelles. Notre moral devait être pris en considération. Les vacances de Noël n’étaient pas finies. Les âmes des Chefs étaient-elle soudain animées de bonnes intentions tels des anges-gardiens bienveillants ? Il ne fallait pas lasser l’opinion, décourager les mains des travailleurs. La Chine, quant à elle, se glorifiait de ne plus avoir aucun cas sur son territoire et d’avoir obtenu un nombre minime de morts. Le Chef de la Santé de notre beau pays parlerait ce soir. Je n’avais plus envie de l’écouter. Le sujet avait fini par me lasser malgré ses bonnes intentions.

Le ciel bleu m’appelait à une marche dans la forêt. Oter ce masque, respirer, ramasser du bois. Des besoins simples. Essentiels. Le programme que j’avais prévu ce jour, étudier les livres et les jeux pour les ateliers que j’animerais dans les écoles à partir de janvier, avait été chamboulé. Je m’étais accordé ce temps entre deux emplois. Appuyer sur la touche « Pause ».

Pause.

Après la forêt de Touffou, je fis une halte à ma chère Chaussée des Moines. La Sèvre avait débordé. Les allées étaient interrompues par des mares. Je n’avais pas songé aux bottes ni à ces entraves. Les cyclistes, fiers, fendaient l’eau. J’aurais aimé être un cycliste. J’accueillais l’imprévu du piéton. Je rebroussais chemin, tentais une autre allée. Une autre mare, de nouveau, m’arrêtait dans mon élan. Il y avait des journées où rien ne se passait comme je l’avais désiré. Un peu comme la vie. Ces mares rappelaient à ma conscience que j’habitais une Terre vivante. L’heure du retour était venue.

Sur la route, France Culture poursuivait mon instruction. J’apprenais que Lewis Caroll ne s’appelait pas Lewis Caroll mais Charles Dogdson. Charles Dogdson enseignait les mathématiques. Il s’était pris d’affection pour une petite fille de quatre ans, Alice. Seize années plus tard, âgé de trente six ans, il la demanda en mariage à ses parents. Alice avait seize ans. A cette époque, une telle demande était légale et normale. Les parents d’Alice s’y opposèrent catégoriquement. Charles écrivait « Alice au pays des merveilles » pour Alice en souvenir de leurs moments partagés. Il n’avait aucune intention de rendre publics ses écrits. Etrange histoire. Je sortais ce livre de ma bibliothèque, Ce récit m’avait toujours paru obscur. J’envisageais de le relire. Comprendre qui était Alice et qui se cachait derrière Lewis Caroll. « Mais alors, dit Alice, si le monde n’a absolument aucun sens, qui nous empêche d’en inventer un ? » (*).

Inventer un monde ? Le théâtre avait inventé de nombreux mondes où toute ressemblance avec la réalité, nos désirs, nos peurs, nos révoltes, nos souffrances, nos utopies, nos passions n’était pas que pure coïncidence. J’aimais incarner des personnages aussi différents les uns des autres, porter la voix d’auteurs, leurs interrogations, leurs réflexions, leur poésie, leur humour, leur fantaisie. Sur la scène d’une salle, la place d’un village, ou, à l’ombre d’un arbre. Le théâtre était une grande partie de ma vie. J’aimais également écrire, composer et jouer mes textes. Inventer un monde, inventer des mondes, donner un peu de sens, peut-être, à la vie. Une marre. Un imprévu. Un chemin interrompu. Des répétitions suspendues. Des projets en attente. « La ferme des animaux » de George Orwell, « Mon Pote âgé », « Le grain de sable »… Plus aucune date en perspective. Quand retrouverais-je la joie d’une rencontre avec le public ? « Notre moral devait être pris en considération » . Le théâtre n’était pas un bien essentiel, à en croire l’avis de nos Chefs. Les théâtres comme les cinémas et les musées constituaient de hauts lieux à risque pour la propagation du virus. Tous les efforts, pourtant, avaient été réalisés dans les théâtres et les cinémas pour assurer la sécurité du public. Une chaise sur deux inoccupée. Une entrée progressive et espacée des spectateurs dans la salle. Le port du masque obligatoire. Une sortie également progressive et espacée. Je regardais les longues files d’attente devant les boutiques, aux étals du marché, ou, aux caisses des supermarchés. Les distances avaient été oubliées. Que comprendre à ce que je voyais ? Je doutais des bonnes intentions de nos Chefs. Inventer un autre monde que le monde pensé par nos Chefs pouvait-il être dangereux ? Christophe Alevêque, interwievé par L’humanité Dimanche, exprimait sa colère. Il devait retrouver son public le 17 décembre. « On a supprimé tout ce qui avait trait au plaisir et au bonheur. Ce n’est pas quantifiable mais cela se paye à un moment ou à un autre. Le plus dangereux est notre résignation, la vitesse à laquelle nous avons obéi. Nous avons aujourd’hui le choix entre la psychose et la névrose. Nous nous retrouvons dans un cercle vicieux de pensée duquel on ne sort pas ». (**).

J’étais sorti du cercle. Le monde semblait me sourire depuis Noël. Une cordonnière réparait ma chaussure. Au fil du temps, la semelle s’était décollée. L’agent de SFR m’adressait un nouveau câble d’alimentation pour ma Box internet. Le cadre de Santé de l’Ehpad m’autorisait à visiter mon papa. Le contact avec la vie était rétabli. Je servais des fromages lors de ma vacation à Scopéli. Je parcourais le tour de France.

Comté, Saint-Véran, Roquefort papillon, Fourme d’Yssingeaux, Beaufort d’été, Brie fermier, Saint-Nectaire laitier, Cantal entre-deux, Saint-Paulin, Munster, Pigray aux graines de poivre vert, Tomme des ailerons, Entrammes Tradition, Curé Nantais, Persillé, Rebignon, Tomme des trois mois, Reblochon, Belchamp, Chèvre Chabichou, Raclette… Mon coeur était en appétit, et, j’imaginais déjà les douces soirées qui nous attendaient au coin du feu.

Et si je jouais un spectacle, « Les fromages ont du coeur », sur l’étal d’un marché ?

Le théâtre était un bien-être essentiel.

Thierry Rousse,

Nantes

Lundi 29 décembre 2020

« A la quête du bonheur »

(*) Lewis Caroll « Alice au pays des merveilles »

(**) L’Humanité Dimanche du 24 décembre au 6 janvier

De Laponie à La Bôle, le plus beau des Noël

 

Laponie. La glace fondait. Décidément, l’esquimau glissait entre mes doigts. Je sauvais le petit Ours de la fatalité. Je l’emmenais dans mon panier rempli de cadeaux. « Je retrouverai ta maman, promis ! ». Nous nous laissions porter par le courant des étoiles, accrochés à une pomme de pin dansant sur les vagues. Un surfeur nous accueillait sur sa planche au milieu d’une baie classée. La plus longue plage d’Europe. Un sable fin avait recouvert le village d’Escoublac. Des années s’étaient écoulées depuis. Des villégiatures étaient nées sous les pins. Le Chemin de Fer acheminait de la Capitale des vacanciers fortunés. Grand-parents, parents, petits-enfants. Mille sept cents villas qui se rivalisaient d’originalité, de beauté, de charmes séduisants. De génération en génération. Une douce vie familiale, paisible se transmettait d’âge en âge. La culture d’un art de vivre, d’une certaine réussite professionnelle et personnelle entre Deauville et Biarritz. Tout était si romantique , si pittoresque derrière ce long mur de béton. Petit Ours et moi le traversions. Nous aimions tant nous perdre dans les sentiers, entre les fissures, à la recherche d’une maison. Il ne restait qu’une villa, face à l’océan, tout près du Casino. Les autres avaient été rasées pour élever ces immeubles sans âme. Nous regardions cette villa. Elle nous plaisait bien avec sa tour, Petit Ours et moi. Il y a des maisons qui ressemblent à des contes de fées, et, celle-ci, en faisait partie.

« Certes, je t’avais menti. Je ne venais pas de Laponie. Toi, non plus Petit Ours. D’ailleurs, tu étais un Ours Brun. Tu n’avais connu que les forêts, les épines de pins, les cerfs, les sangliers, les écureuils, les lapins, peut-être, les loups » .

Qu’importe, nous étions passés de l’autre côté de ce mur de béton, une nouvelle vie nous attendait, une chanson de Cabrel. « Hors Saison ». Quelle villa choisirions-nous pour être heureux ? Une maison en bois avec un piano ? Petit Ours hochait la tête. « Ta maman avait vécu en Laponie. Un bloc de glace s’était détaché. Ta maman dérivait sur son île, solitaire. Quel Chef s’en souciait ? ». J’apprenais qu’elle avait échouée parmi une tempête de sable, quelque part, à La Bôle. Il me fallait mener l’enquête. J’avais envie de trouver une maman pour ce petit Ours bien triste. « Je serai, aujourd’hui, ton Père Noël ! ».

Ma Laponie ressemblait à une pièce exigüe tout au fond d’un parking souterrain, une pièce aux murs décrépits équipée d’un lavabo, d’un miroir, d’une chaise, et d’un WC. Tout ce qu’il y avait de moins fééerique pour permettre à la magie d’opérer. « Pour toi, Petit Ours ». Le passage de l’autre côté du miroir sollicitait la plus grande précision. Un esprit méthodique. Une concentration. Le temps m’était compté. Enfiler le pantalon rouge. Les bottes. Le maillot blanc aux manches longues. Le gros ventre factice. L’écharpe blanche. Saupoudrer mon visage et mes sourcils de talc. Enfiler la veste rouge. Serrer mon gros ventre de la large ceinture noire. Coller les rubans adhésifs double face. L’un sur mon menton. L’autre au-dessus de ma bouche. Fixer la longue barbe blanche. Protéger mes oreilles de coton. Poser mes lunettes puis mon masque de zorro blanc. Enfiler le long manteau rouge épais. Les cheveux blancs bouclés. Le bonnet rouge sans pompon. Les gants blancs. Prendre le panier avec Petit Ours. Monter dans le traîneau du vingt et unième siècle électrique. Nous étions prêts, prêts à accueillir les acclamations des enfants qui se précipitaient aux grilles des écoles visitées. Prêts à offrir les sourires de nos yeux et en recevoir.

Petit Ours et moi n’avions pas de chalet cette année, ni de chocolats à distribuer. Le Noël Magique avait été annulé à cause du virus. Où était-il ? Se cachait-il sur l’emballage d’un chocolat ? Le virus ? Pas de contact tactile que le contact du regard et de la parole. Combien de temps pourrions-nous vivre sans nous toucher ? Roméo et Juliette ne s’embrassaient plus depuis belle lurette. Il leur était dès lors interdit de s’asseoir sur un banc face à la Lune. Couvre-feu sur un amour qui s’éteignait peu à peu. La braise du désir pouvait à tout instant le faire rejaillir.

Petit Ours et moi arpentions les marchés, les avenues, du Guézy au Casino en passant par Lajarrige, Escoublac et la place de la Victoire, affrontant les rafales de vent et les pluies du grand large. « Y a le Père Noël !  Y’a le Père Noël ! ». Le long défilement des voitures nous saluaient, l’émerveillement au fond des yeux. Certaines s’arrêtaient pour la joie de leurs enfants, de leurs parents et grands-parents.

Du Noël Magique, il restait le Père Noël. Fidèle au poste. La fête du divin Enfant était sauvée. Le Père Noël était masqué. Dieu s’était fait Homme pour sauver l’humanité. Nous avions tous envie d’y croire. Une bulle de tendresse au coeur de la tempête des éléments nous abritait. Les lapins, les écureuils, les loups, les rennes étaient là. Le traîneau aussi. Le Marin Solitaire, grand voyageur des mers, Loïc Peyron dédicaçait son livre sous le chalet de la librairie Lajarrige. Un cadeau géant d’Amour avait été déposé un peu plus loin, au rond-point de la rue du Général De Gaulle, face à l’église. Sur le marché central, une jeune journaliste m’interrogeait. La vie d’un Père Noël au temps du virus. Petit Ours était fier de moi. Une épicerie, une pharmacie, une galerie d’art, une boutique de haute couture, un salon de coiffure très à la mode, toutes les portes s’ouvraient à nos sourires. A la nuit tombée, sur la Place de la Victoire, les enfants, depuis le manège et l’aire de jeux, affluaient vers nous deux, sous la boule géante de lumières d’or scintillantes. Noël était bel et bien au rendez-vous. « Et ma maman ? ». C’était dans ce quartier discret, caché derrière le grand Hôtel du groupe Barrière, fermé pour cause de virus, ce quartier où tout n’était que « luxe, calme et volupté », ce quartier où hommes, femmes, enfants étaient si élégants, une élégance qui me donnait l’envie d’être Baudelaire, que je retrouvais la maman de Petit Ours. Cette rencontre était si touchante, si délicate de tendresse. Petit Ours avait enfin une maman, la plus belle des mamans. Je quittais Petit Ours, une larme de bonheur à l’oeil suspendue. Je savais qu’il serait heureux à présent. Je descendais dans mon souterrain, ma Laponie. J’ôtais ces bottes, ces habits, cette longue barbe blanche, ces cheveux bouclés qui avaient fait de moi pendant douze jours une star. Une lumière continuait de briller dans mon coeur. Il y avait toujours une Fée sur Terre pour me faire croire aux contes. Sur la route du retour, confiné dans ma 106, derrière ses essuie-glace, France Culture avait pris la place de BFMTV. Les histoires y étaient tellement plus belles, plus vraies que ces actualités en boucle. Des histoires intimes pour raconter l’humanité, des histoires de joies, de pleurs, d’espoirs, d’amour perdu et retrouvé.

Noël aurait bien lieu. Je débouchais ma bouteille de chocolats au coeur fondant de tendresse. Mon masque blanc était devenu une voile, un étendard. Je parcourais le tour du monde des maisons. Près d’une cheminée, l’amour riait, s’enlaçait. Une maison pour Petit Ours et sa maman. Le plus beau des Noël.

Thierry Rousse,

Nantes,

Dimanche 27 décembre 2020

« A la quête du bonheur »

Un Noël sans Rois Mages, le Noël d’un enfant

 

Le Premier Chefs et ses Chefs avaient parlé. Il en manquait un à l’appel. Un seul. La Cheffe de la Culture. Une pure coïncidence, sans doute. Une femme. Les théâtres, les cinémas resteraient fermés. Les grands temples de la consommation, ouverts. Nous n’aurions plus besoin de cocher les cases à partir du quinze décembre. Plus d’erreur possible. Entre-deux. Une petite récompense pour mieux nous faire passer le couvre-feu. Rentré vingt heures à la maison. Des dérogations étaient permises pour contempler les étoiles. Noël resterait Noël et nous pourrions nous déplacer librement. En dehors de Noël, chacun resterait dans son périmètre de sécurité. Pas de fiesta pour le passage à deux mille vingt et un. Ce serait un jour comme un autre. Nous fêterions plus tard l’an chinois. Il fallait savoir changer nos habitudes, oser sortir de notre zone de confort. Noël se ferait dans l’intimité de nos cinq personnes les plus proches. « Am stram gram, pique et pique et collé drame… Ce sera toi qui sera invité… ». Je voyais déjà des disputes en perspective. « Pourquoi lui et pas moi ? Tu le préfères à moi ? ». Noël, aussi, n’était plus ce qu’il était. Les Rois Mages resteraient en Orient, avec l’or, l’encens et la myrrhe. Six seulement dans l’étable, Joseph, Marie, le petit Jésus, le mouton, l’âne et l’ange Gabriel. Le boeuf faisait la tête. Le chameau restait dans ses dunes. Le berger, seul, marchait avec son bâton en contemplant sa belle étoile.

La consommation était sauvée. Le parking de l’Auchan de Saint-Sébastien-Sur-Loire était complet. Tout n’était pas confiné et les queues étaient très longues et rapprochées. Nous n’avions pas eu le temps de nous interroger sur l’essentiel. Noël ?

« Le port du masque est obligatoire, terminus ». Le Bus-Accordéon m’emmenait place Foch, là où trônait tout en haut d’un pylone un pauvre Général bien isolé. Confiné sur son piedestral, il ne risquait pas d’attrapper cet invisible virus farceur. C’est qu’il ne devait pas avoir bien chaud là-haut, le Général. Je venais de déposer ma voiture chez Norauto. Je marchais et songeais à elle. Des bougies toutes neuves. Prête à s’élancer de nouveau sur les routes de la vie. Mes pas me menaient au jardin zen de l’île de Versailles, entre les rochers, les bambous, les sapins, la pagode. Les couleurs d’automne émerveillaient mon coeur. L’eau de ce pays des lotus était si paisible. Mes pensées flottaient sur les arbres-nuages. Le temps d’une pause. La Cocotte Solidaire attendait une ouverture reportée de jour en jour. Triste une ville où tous ses restaurants, ses troquets, ses théâtres, ses cinémas étaient fermés. Les sirènes hurlaient à n’en plus finir. Nantes brûlait-il ? Je marchais… une France en marche… vers mon rendez-vous à la Régie du CCAS recevoir mon Aide Coup de Pouce. Un bon Coup de Pouce plutôt qu’un coup de pied. Nantes était une ville sensible. Elle ne laissait pas sous les ponts les identifiants radiés de Paul Emploi. Paul s’en débarrassait. Nantes les accueillait. Un joli sourire. Première fois de ma vie. Une étrange sensation de me retrouver, soudain, de l’autre côté. Le côté des gens à la dérive. « Merci, Madame ». Nous étions de plus en plus nombreux, apparemment, de l’autre côté de la rive. Un jour, le nombre l’emporterait. La justice serait rétablie. Je me défendais d’entrer dans une librairie. Ces tickets, c’était pour manger. Je ne pouvais m’en servir que dans les grands supermarchés, ces grands supermarchés que j’avais fuis au profit des petits producteurs locaux. Il me faudrait retourner chez l’ennemi avec mes tickets, trahir mes convictions. Ce Coup de Pouce me rappelait un jeu très amusant : Le « Pouce Poucette », petit duel que la Fée Emma m’avait appris une nuit de pleine Lune. Mes pas dansaient un Madison devant l’imposant Tribunal de Justice. J’avais envie de tout connaître du droit. « Nul n’est censé ignorer la loi » et nul ne nous l’enseignait vraiment dans ses subtilités, ses finesses, ses détours, ses travers. J’entrais dans ce Monument aux marches imposantes. Un tapis rouge se déroulait sous mes désirs, des tables rondes, des coupes de champagne et deux charmantes hôtesses vêtues de robes noires derrière leur barre me souriaient. J’étais seul dans ce hall gigantesque, haut de plafond, décoré de volutes antiques. « -Vous cherchez ? – Un avocat. – Aux crevettes ? – Euh… – Je crois que vous êtes au mauvais endroit, Monsieur … ». Le Tribunal avait changé de place. Il se trouvait maintenant sur l’île de Nantes. Hideux. Tout noir. Une tombe. L’illustre Tribunal historique de Nantes, tout au contraire, éclatant, s’était métamorphosé en un hôtel-restaurant somptueux. J’imaginais déjà ses suites, ses draps de soie, ses doux oreillers, ses lits à baldinquin et ses petits déjeûners gargantuesques… euh… raffinés. Ma distraction me jouait des tours amusants. Il était midi et je doutais que mes tickets furent acceptés par ces deux charmantes hôtesses, quoique… Je descendais les marches en riant. Des ailes me poussaient dans le dos. L’enfance était notre plus beau chemin. Des ours étaient attablés à l’angle du restaurant de la Place du Commerce. L’animal avait repris sa place. L’humanité avait conquis ses bois et en était, aujourd’hui, à se confiner. Les sirènes continuaient à hurler à tue-tête. La « Une » de Ouest France m’informait que les policiers nantais étaient en colère. Je vis effectivement près du Château de notre Duchesse bien-aimée un long défilé de gyrophares. La police manifestait. Le monde était vraiment à la dérive. Bobby continuait de chanter « Forever Young ». C’était si beau, toutes ces notes, tous ces cris du coeur. Je marchais sur les étoiles de neige de mes Noël. Quel était mon plus cadeau ? … «  – Une orange. – Pourquoi ? – On peut la partager ». Les bougies de ma cent six étaient toutes neuves. Ils étaient tous magnifiques à Norauto, jeunes et sportifs. La vie était belle. J’en oubliais le prix. De retour au coin du feu, l’Application Anti-Covid m’annonçait : « Pas d’exposition à risque détectée ». J’étais sauvé pour aujourd’hui. Demain serait un autre jour. Petit Virus farceur me rappelait que la vie était éphèmère. Pile ou face. Fragile comme le verre.

J’aurais aimé être un ours, un gentil ours. Brun ou polaire, j’hésitais. La banquise fondait et les forêts brûlaient. A Noël, il était bon d’avoir des ailes. La petite fille l’avait compris. « La vérité venait de la bouche des enfants ». Nous envoler et voir ce monde sur les ailes d’une oie sauvage. Dylan continuait d’écrire et de chanter. Ce qu’il voyait tout autour de lui. Ce qu’il ressentait. Je suivais les traces d’un Prix Nobel contesté. Un Prix Nobel indifférent à son Prix. Seule, la vérité, comptait.

« Here comes the story of the Hurricane
Voici l’histoire d’Hurricane(1)
The man the authorities came to blame
L’homme que les autorités sont venues blâmer
For something that he never done
Pour quelque chose qu’il n’a jamais fait
Put him in a prison cell but one time he could’ve been The champion of the world
Ils l’ont mis dans une cellule de prison mais il aurait pu etre le champion du monde » (*)

Noël serait Noël, parce qu’un enfant était né, et que cet enfant avait besoin de notre amour pour ne pas finir sur une croix…

L’essentiel ?

Thierry Rousse

Nantes

Jeudi 10 décembre 2020

« A la quête du bonheur »

(*) Bob Dylan, « Hurricane »