Avocat de la Vie, Gardien d’un phare (« Ring them Bells »)

 

Ca se compliquait pour Meredith. Une nuit d’ivresse, une nuit de désir, une nuit de folie, dans un pub de Londres. Trop longtemps séparée de l’homme qu’elle aimait, Antoine, resté à Paris, Meredith succomba aux charmes exquis de Nick. «  Je n’ai tellement pas réalisé ce que j’étais en train de faire. Je me suis laissée emporter par mes sens, par une pulsion incontrôlable… Oui, je le reconnais. J’ai désiré Nick. Pire. J’ai pris du plaisir avec lui. Avais-je le droit pour autant de céder à cette tentation ? Quel genre de femme suis-je pour ne pas même être capable de résister à mes instincts ? » (*). Une telle chose aurait pu aussi bien arriver à un homme. Aurait-il eu le même courage pour se l’avouer, se regarder, nu, dans le miroir ? Meredith regrettait cette nuit d’égarement. Elle se voyait déjà perdre l’homme qu’elle aimait si profondément, Antoine. « Nick. N’avais-je pas joué avec lui, me servant malgré moi de lui pour assouvir mes désirs ? Il ne mérite pas ça. Je vais le perdre, c’est certain ». (*). Rose, son amie, racontait tout, cette folle nuit, à Antoine, de retour à Paris. Trois cent quarante sixième page d’un « Love Tour » pour vérifier ses sentiments envers Antoine et en arriver là. Une nuit où les sentiments s’étaient envolés dans les brumes d’une piste de danse. La musique était trop forte, sans doute. Nick, trop beau, ce soir-là. Antoine, trop absent. Invisible. Qui plaiderait la cause de Meredith ? Sa meilleure amie, Rose, l’avait déjà condamnée à perpétuité. « Trahir un homme qui t’aime tant ! ». Meredith ressassait son crime. « Je comprends que ce n’est pas à Antoine que j’ai été infidèle, mais à moi-même… » (*). J’avais commencé la lecture de ce roman au début de ce deuxième confinement. Je n’étais pas encore rendu à la dernière page. Que faisais-je ? Pourquoi étais-je si lent à lire ce roman ? D’autres livres m’attendaient, impatients, une tour de Pise sur ma table de chevet prête à s’écrouler. Je m’arrêtais à chaque paragraphe, je réfléchissais. Parfois, à chaque phrase, à chaque mot. Chaque silence, Chaque vide. Je suivais pas à pas Meredith dans son « Love Tour ».Depuis un mois, je vivais avec elle. J’étais un peu son ange gardien, à Meredith. Les livres offraient tellement de vies. Les chansons aussi. J’aurais aimé savoir parler anglais, comprendre ce que Bob Dylan chantait. Ses mélodies étaient si belles, si douces, que racontaient-elles ? L’arc-en-ciel traversant la Lune ? Une neige scintillante sur deux billets d’un spectacle ? La danse d’un envol ? Litz ? Chopin ? Je songeais à devenir avocat. Peut-être parce que j’étais né un trois octobre sous le signe de la Balance. Un trois octobre mille neuf cent soixante sept, un an avant mai soixante huit. J’étais fier. Sous les pavés, la plage. Un désir de justice. Cette affaire de radiation tournait en boucle dans ma tête et venait s’ajouter aux problèmes de Meredith. Deux vies et plus s’entremêlaient dans ma tête confuse. J’en fis part à mon assistante sociale, car j’avais une assistante sociale maintenant dans ma vie. Mon réseau social s’élargissait. Une période était une période d’essai. Je ne comprenais pas pourquoi j’avais été radié de mes droits d’avoir essayé un emploi dont les conditions de travail ne me convenaient pas du tout. Mes motifs étaient pourtant légitimes. Cette rupture restait en travers de ma gorge comme un noyau d’avocat avalé avec la chair tendre. J’avais soif de justice, de justice sociale. Une égalité de pouvoir entre l’employeur et le salarié. Le Grand Chef ne nous avait-il promis un « Jour d’après » différent du « Jour d’avant » ? J’enfilais mon gilet jaune. Il n’y avait plus un seul gilet jaune dans la rue, que des masques, des voix étouffées par les règles de la distanciation sociale. Un gilet jaune, et t’embrasser, Dame de la Justice ! Mon assistante sociale m’orientait vers la Maison de la Justice et du Droit à Nantes. Des consultations gratuites. J’appelais. J’expliquais mon cas. « – Venez-en au fait, Madame ! – Je suis un Monsieur … ». J’abrégeais. Je sentais que cette brave dame n’avait point le temps de m’écouter. « – C’est un avocat du droit du Travail que vous voulez ? – Oui, c’est exactement cela, un avocat du Travail ! -Désolé, Ma… Monsieur, nous n’avons pas d’avocat du Travail en décembre . Demandez un bon derrière le Tribunal pour rencontrer un avocat à la Maison de l’Avocat ». Ma voix pouvait être légère. Je devais travailler ma voix. Une grosse voix. Pas une voix d’ange ou d’enfant. La voix de l’homme qui s’affirmait. La voix traçait la voie. J’aurais aimé avoir la voix nasillarde de Dylan, cette voix qui nous baladait des creux aux cimes des vagues. Je pris une voix grave. J’appelais la Maison de l’Avocat. « – Il faut écrire… En ce moment, nous n’avons plus de place… Si c’est urgent, prenez un avocat… – C’est payant ? – Oui. – Je n’ai pas d’argent, c’est justement pour cette raison que je souhaite rencontrer un avocat. – Alors, ce n’est pas possible, Monsieur ». Il m’avait appelé « Monsieur ». Ma voix d’homme des cavernes avait marché. J’étais content. Ma première victoire de la journée. A coups sûrs, je séduirais ma Belle des Bois aux yeux bleus qui me faisait chavirer. Je m’égarais sur le trottoir de mes rêves. Il neigeait et la vie était belle. Un lit de tendresse, des étoiles de baisers, des mots qui vous embrassaient, juste pour le plaisir de vous faire plaisir. Je n’étais pas sorti de mon affaire. Dylan chantait et mes doigts jouaient du clavier suisse. « La Solitude de Genève », un texte que j’avais écrit il y a si longtemps, et que mon professeur, Jean-Luc, éveilleur du Clown qui vit en chacun de nous, avait si bien lu lors du premier confinement. Les flots des mots qui ne cessaient de couler. Un besoin. Une libération. La parole de l’avocat. Existait-il encore un avocat ? Je cherchais dans L’Humanité Dimanche. « Que se passera-t-il lorsque, à la faveur du déconfinement généralisé, toutes les problématiques sociales accumulées émergeront de nouveau ? » (**) s’interrogeait Stéphane Sirot, historien spécialiste du syndicalisme. Toutes les manifestations depuis quatre ans avaient en commun de « se poser la question du monde que l’on veut ». (**). Le sirop des injustices. Le sirop d’un sens à notre vie. Je sirotais les paroles de Stéphane. Bobby commençait à s’agiter. Il avait troqué sa guitare acoustique pour une guitare électrique. Les puristes du folk lui en voulaient. Dire, écrire, chanter la vie des petits gens. Jean était mon second prénom. Thierry, « homme fort » en grec, le premier. Le premier soutenait le second. Un vieux réflexe d’éducateur militant. J’apprenais qu’il était nécessaire d’être un ami pour moi-même. Que ferais-je pour Jean, pour le secourir ? Je serais son meilleur ami. Je me battrais pour rétablir la justice, pour lui, et pour tous les autres gens. « Il y a trop de pour » me fit remarquer ma fidèle correctrice attentive à chaque oubli, à chaque errance. Dylan se calmait. Mes maux s’apaisaient. Je regardais l’océan. Il y avait toujours un phare quelque part. Une forêt et un phare. Un oiseau qui chantait dans mon coeur. Une fenêtre ouverte. Une rose. Un olivier. Un banc au bord d’une rivière. Et, toujours, un soleil dans le phare. La vie était belle, une nuit, à La Chaussée des Moines. Je songeais à devenir moine au milieu des oiseaux et des bois. Confiné dans la plus belle des natures qui soit. Un univers infini d’amour. Emma brillait, de son sourire, au milieu des brebis, et dansait à la lueur d’une étoile filante.

« Dans la vie tribale, on est contraint de ralentir, de vivre l’instant présent et de communier avec la terre et la nature. La patience est un impératif, personne ne semble comprendre le sens de se dépêcher » (***).

Rose avait tout dit à Antoine. Antoine avait appelé à Meredith. Antoine n’avait rien dit à Meredith, rien dit de ce que Rose lui avait dit. Antoine lui avait juste dit : « Je t’aime ». « Celui qui penserait qu’une relation d’amour ou d’amitié ne connaîtrait jamais de difficultés se tromperait lourdement » (*). Meredith continuait de s’interroger sur le sentiment amoureux. L’amour pour la vie existait-il vraiment ? N’était-il pas qu’un conte de Brocéliande ?

Il me restait à lire le dernier chapitre, les retrouvailles de Meredith et d’Antoine à Paris.

A la quête du bonheur, je me disais qu’être « avocat de la Vie » ou « Gardien d’un phare » , c’était peut-être bien après tout…

Le chocolat du soir était la pantoufle du Père Noël. Il me restait à trouver la seconde pour marcher dans la neige jusqu’à l’étoile du Nord, ce phare qui éclairait mes doutes. Ouvrir une autre fenêtre demain.

« Fais sonner ces cloches,

Toi le païen,

Depuis la ville rêveuse,

Fais sonner ces cloches

Depuis les sanctuaires,

A travers les vallées et les fleuves,

Parce qu’ils sont vastes et profonds… » (****)

Thierry Rousse

Nantes

Mercredi 9 décembre 2020

« A la quête du bonheur ».

(*) Raphaëlle Giordano, « Cupidon a des ailes en carton », Editions Pocket

(**) Stéphane Sirot, « L’Humanité Dimanche du 3 au 9 décembre 2020 »

(***) Sobonfu Somé, « Origines, 365 pensées de sages africains », Editions de la Martinière

(****) Bob Dylan, « Ring them bells »

Soleil d’hiver

 

Le ciel était bleu. Le soleil brillait. L’air était pur. J’aimais ce soleil d’hiver. Il avait quelque chose de vivifiant, ce soleil d’hiver. Des rayons dans l’azur reconstituaient ce qui était détruit. La régénération du vivant. C’était difficile à dire. Un air de reggae au milieu des sapins. Quand il n’y avait plus de mots, il y avait la musique. Je m’imaginais être au Québec, ou, au fin fond de l’Irlande, ou, encore, sur la pointe du Finistère. Danser. Au bout du monde. Chanter. Quelque part. Vivre. Nulle part. Qui aurait cru qu’un petit virus se promenait dans cet air si pur ? Les passagers du Bus-Accordéon me semblaient en bonne santé. Les passants, également. Je m’étais amusé à télécharger l’application « AntiCovid ». « Pas d’exposition à risque détectée ». Je me sentais rassuré. Je poursuivais mon chemin. Porter un document au Service Social du Département de Loire-Atlantique, puis, un dossier au CCAS de la mairie de l’île de Nantes. Etre sur une île. Protégé. Je recevais mes premières aides. Deux cents euros au titre du soutien aux professionnels du spectacle touchés par la crise sanitaire, ainsi qu’une « Aide Coup de Pouce » de la part de la Ville de Nantes. Quelle chance d’habiter à Nantes ! Mon cadeau de Noël était à retirer jeudi matin. Je découvrais le monde passionnant des formulaires, des preuves à rassembler. Une nouvelle géographie se dessinait. Suivre la ligne bleue pour sortir de la zone rouge. Je me disais que nous avions encore cette chance en France, dans certains départements, dans certaines villes, d’être écoutés, soutenus, conseillés, accompagnés. Cette chance d’être aidé lorsque nous nous retrouvions sans plus aucun revenu. Radié comme un petit enfant puni de ne pas avoir aimé la soupe qui lui était servi. Au milieu de cette junge, il nous fallait vivre au bon endroit. Le midi, je regardais sur BFMTV ces images de Washington. Des boutiques fermées. Des gens à la rue. Une tente pour maison. Le rêve américain avait un goût de cauchemar. Un chew-gum trop longtemps mâché.

Aucune nouvelle du cher employeur qui avait coché la case fatale. Se souciait-il de mon sort ? Une Camarade du PCF de Vendée m’orientait vers un camarade de FO. Les camarades se tutoyaient entre eux. L’humanité n’était pas qu’une fête chez eux. Elle avait le sens de l’engagement, de l’entraide, des luttes sociales. Le Camarade m’expliquait que les victoires ne s’obtenaient que dans le rapport de forces. Ce Camarade connaissait les conditions de travail pénibles, stressantes des aides à domicile. Difficile de rassembler ces travailleurs de l’ombre. Des journées très longues, beaucoup trop longues.. Souvent des femmes, isolées, avec des enfants. Encore beaucoup de travail après le travail. Pas le choix, Se taire et subir. Les employeurs profitaient de leur précarité. Ils jouaient la carte du sauveur. Le sauvé dépendait du bon vouloir de son maître protecteur. Dans les silences, l’ignorance, l’indifférence, tant de souffrances, d’impuissances s’y logeaient. J’avais envie de rompre cette chaîne. Un désir de crier. Où était ce jour d’après ? « Reconstituer ce qui était détruit » . La poésie dans la rue sauverait le monde.

Au terme de mon périple, de retour dans le Bus-Accordéon, un homme sans domicile s’asseyait en face de moi et me racontait sa journée. Il était heureux, cet homme, on lui avait offert une pizza et des tennis tout neufs, aujourd’hui. Il me les montrait. Le bonheur tenait à ces petites choses. Je le regardais, je l’écoutais, je lui souriais derrière ce foutu masque. Comment s’appelait-il cet homme qui s’était assis en face de moi ?

Fip consacrait sa soirée à Jim Morrison. Une porte s’ouvrait. Où dormait cet homme ? Pourquoi s’était-il retrouvé dehors , cet homme ? Quel était son prénom ? J’aurais dû lui demander son prénom. Cet homme. Certaines pensées tournaient en rond dans ma boîte crânienne. Jim Morrison aurait eu, aujourd’hui, soixante dix sept ans, et John Lennon, quatre vingt ans. Je montais le son, et, dans ma boîte, je dansais, ivre de rêves, d’espoir et d’amour, entre « Imagine » et « This is the End ». « Je veux être une lanterne pour l’humanité » clamait Jim. L’apôtre de « Peace and Love », John, avait, quant à lui, été assassiné. Folie du monde. Dans ce chaos, découvrir un sens.

Le soleil d’hiver resplendissait, dans le ciel de Nantes, à la page des faits divers. Il était beau, le soleil d’hiver. L’île, enchantée. A sa pointe, un jardin, un étang, la Loire et les tours de la ville.

« Ne jamais être trop pressé, la nature est patience » (*)

« Waiting for the Sun »

« Nageons jusqu’à la Lune… » (**)

Thierry Rousse

Nantes

Mardi 8 décembre 2020

« A la quête du bonheur »

(*) « Origines, 365 pensées de sages africains », éditions de la Martinière

(**) Jim Morrison, « Moonlight Drive »

Entre deux cases, Marcel…

 

Le Chef de la Santé s’était s’exprimé en cette fin d’après-midi. L’objectif n’était pas encore atteint. Si ne nous passions pas sous la barre du nombre de cas défini par le Chef, les récompenses promises ne nous seraient pas distribuées. Ainsi, étaient rythmées nos journées. Récompenses et punitions selon nos efforts pour le bien-être de notre pays. Je commençais, certes, à radoter. Les discours se ressemblaient. Les jours se répétaient.

J’avais été courageux durant ces deux mois de période d’essai comme aide à domicile, parcourant plus de mille kilomètres par mois, de l’est à l’ouest, du nord au sud de la métropole nantaise. Une véritable course contre la montre. Pour être défrayé de mes déplacements, chaque inter-vacation devait être de quinze minutes. Mission impossible lorsque s’affichait sur mon GPS souvent presque le double, sans compter le temps pour me stationner, me rendre chez le bénéficiaire, le quitter, reprendre ma voiture. Il me fallait rattraper le temps en accomplissant mes tâches avec vitesse au détriment d’une véritable relation humaine, selon les missions écrites pour chaque prestation. Des situations de plus en plus complexes m’étaient confiées. Les emplois du temps ne cessaient de changer. Une grande partie de mes déplacements avec ma propre voiture n’étaient pas défrayées. « C’est la convention, on n’y peut rien ». Nous devions obéir à cette convention. Qui avait écrit cette convention? N’étaient-ce pas les dirigeants de ces sociétés d’aide à domicile ? J’exprimais ce que je ressentais, ma désillusion, mon désaccord avec cette convention qui ne correspondait pas à mes valeurs, au respect que nous devions, à mon sens, porter aux aides à domicile accomplissant un noble et beau travail auprès des bénéficiaires. N’étais-je pas en période d’essai ? N’avais-je pas le droit de m’exprimer, de continuer ou d’arrêter ? La période d’essai ne servait-elle pas à cela ? N’était-ce pas rédigé sur mon contrat ? L’employeur acceptait mon départ, pourtant, il cochait la case « Fin de la période d’essai à l’initiative du salarié ». S’il acceptait mon départ, cette fin de période d’essai n’était-elle pas d’un commun accord ? « Non, c’est vous qui êtes parti, vous êtes un impulsif, un immature, vous êtes responsable de votre situation » m’avait répondu mon employeur quand j’avais réussi à l’avoir au bout du fil. Il se montrait insensible à ma situation actuelle, comme s’il me faisait une leçon de morale, du genre : « Vous êtes parti, c’est bien fait pour vous si vous vous retrouvez sans ressource ». Le fil était coupé. S’était-il senti offusqué, démasqué quand je pointais les dysfonctionnement de cette convention, ces conditions de travail indignes du respect que nous devions offrir aux salariés et aux bénéficiaires ? L’employeur, un instant, déstabilisé quand je lui fis ces remarques avant de quitter sa boutique, reprenait, à cette heure, sa toute-puissance. Il était le Géant écrasant le petit chercheur d’emplois radié de ses droits.

Il me restait quelques noisettes que j’avais réussies à cacher dans ma forêt, grâce à une gestion rigoureuse de mon budget, tel un écureuil, pour faire face aux imprévus de la vie. Les imprévus arrivaient plus vite que prévu : dépannage, changement de la batterie de ma voiture, puis des bougies, une bagatelle de deux cent soixante euros et cinquante centimes, un peu plus de la moitié de mon épargne. Nombre d’employeurs nous demandaient de posséder une voiture pour l’exercice de notre travail. Savaient-ils qu’une voiture avait un coût d’entretien ? La réglementation de l’assurance chômage en vigueur me punissait, cautionnant de ce fait des conditions de travail indignes du respect de la personne. Tous ces Chefs du Travail et ces Grands Chefs fermaient les yeux, complices de ces abus. Et tout le monde devait ainsi se taire pour survivre, accepter ce qui leur était imposé, au risque de ne plus percevoir aucun revenu. Ainsi allait le monde. Un masque sur la bouche pour se taire.

Heureusement, dans ce monde, il y avait des êtres sensibles, gentils. J’avais le bonheur de les rencontrer et de leur correspondre. L’assistante sociale rencontrée ce matin, Chloé, m’avait écouté. Elle m’apportait son soutien, accomplissant aussitôt des démarches afin de m’aider à sortir de cette mésaventure. Face aux cases de l’indifférence, de la vengeance, de l’amertume, du jugement, de l’incompréhension, des donneurs de leçons, des punisseurs, il y avait la gentillesse, celle qui n’entrait dans aucune case. « Vous avez un beau parcours, me confiait-elle, vous êtes humble, touchant, j’aimerais voir vos spectacles » . Ces mots dans le froid d’un hiver précoce vinrent réchauffer mon coeur. Je ne pus empêcher ces larmes de couler, comme une source d’eau vive. Plus je cheminais vers la quête du bonheur, plus j’avais l’intime conviction que l’avenir était à la gentillesse.

Marcel faisait partie de ces gens-ci, non de ces gens-là, avec sa belle moustache. J’aurais aimé être Marcel. Je regrettais sa disparition inexplicable. Une chance que j’avais pu le prendre, un jour, en photo, Marcel. Marcel était la gentillesse. Un savoir-faire ? Une tradition ? La gentillesse était-elle innée ou s’apprenait-elle ? Nous était-elle transmise ? Par qui ?

« Le sage est une grande parcelle de divinité égarée sur terre… ». (*)

Le chocolat du soir était le visage du Père Noël.

Je m’endormais avec sa gentillesse, ces yeux qui vous réconfortent.

La gentillesse était un regard, une caresse, un présent, un acte militant.

Marcel fabriquait des savons dans sa Provence.

Il était heureux, Marcel.

Thierry Rousse

Nantes

Lundi 8 décembre 2020

« A la quête du bonheur ».

(*) Bernard B. Dadié , « Origines, 365 pensées de sages africains », éditions de la Martinière.

L’imprévu du ciel

 

Samedi 5 décembre 2020. Ma journée était planifiée. Au fil des années, j’avais appris à organiser l’emploi de mon temps. Ce matin, il était prévu : Marché à Vertou, achat de douze huîtres de Noirmoutier auprès de mon ostréiculteur préféré qui m’en offrait toujours une de plus. Promenade à la Chaussée des Moines. Retour chez moi. Dégustation des huîtres. Marche tonique dans la forêt de Vertou. Ramassage de bois mort pour chauffer ma maison. Il ne me restait plus qu’à conduire, être l’auteur de ma vie, quand… Impossible. Ma chère 106 ne voulait plus démarrer, Elle toussait ces derniers temps au réveil, par ces froids de la nuit d’un hiver qui approchait. Pourtant, elle était abritée dans son atelier. Impossible. Son coeur était fatigué. Avait-elle  vécu trop d’émotions avec son conducteur ? Je la laissais se reposer, renonçant, non sans peine, à mon programme. Il me fallait improviser. Ce matin, je ne verrais pas mon ostréiculteur préféré. Je ne dégusterais point mes treize huîtres. La forêt de Touffou était bien trop éloignée. Je ne marcherais pas parmi ses arbres. Je ne ramasserais pas son bois. J’aurais froid. Un vide imprévu ce samedi dans ma vie. Je retrouvais le goût du Busway. Destination la Gare de Nantes. Me renseigner sur les horaires des trains pour me rendre à mon travail à La Baule au cas où… où le coeur de ma chère 106 ne veuille plus rebattre.

« On l’appelle le « Bus-Accordéon » expliquait une maman à son petit garçon. C’était drôle ce nom, le « Bus-Accordéon » ! Une guinguette s’agitait dans ma tête. Des rires. Des jambes enlacées. Des baisers. Trouver le guichet d’information. La Gare avait changée. Toute neuve, la Gare de Nantes. Des arbres blancs artificiels me hissaient au-dessus des voies. Je m’agrippais à ses branches tel un Tarzan. Aucun guichet d’information. Je déambulais, cherchais, regardais, rêvais dans un monde lisse, inhabité. Ces paroles de Jacquot trottaient de nouveau sur le bout de ma langue : « Dans la salle d’attente de la gare de Nantes, j’attends… j’attends… juste le retour du printemps » (*). Le guichet d’information était resté dans l’ancienne gare. Il n’avait pas bougé. Un cheminot fort aimable m’indiquait que quatre vingt pour cent du trafic ferroviaire ne fonctionnait pas. Il fallait attendre le quinze décembre pour espérer une reprise partielle. Le monde ne tournait plus comme avant. « Reprends vie, mon coeur, je t’en prie ! ». Le Jardin des Plantes, en face, m’ouvrait son âme. Plus d’un mois que je n’y avais pas mis les pieds, enfermé dans mon cercle de mille pas. Je retrouvais les chèvres, les canards, le lac et ses ruisseaux, le reflet de la mère et son enfant. Sur la berge, Dormaron était toujours là. Elle dormait « sans carcasse, à l’abri de toute agression, sur une plage de sable fin bien ensoleillée ». L’intensité de son rêve faisait sa perfection. (**). Je poursuivais mon chemin, longeais les verrières, pénétrais des forêts équatoriales luxuriantes, des déserts tropicaux inquiétants. Des cactus, glorieux, exhibaient leur puissance. Je me tenais à bonne distance obligatoire. Regarder, ne pas toucher. Le jardin était bien calme. Les jeux d’enfants, déserts. La terrasse du restaurant, fermée. Le monde avait bel et bien changé. J’avais envie de prendre le large. Quitter la terre. Me retrouver sur un océan, entre deux rives. Partir vers une autre vie. Gare Maritime. J’attendais mon bateau qui me transporterait au village des couleurs. Trentemoult. Les pêcheurs étaient devenus des artistes. Des places, des bancs, des tables, des fleurs, encore des fleurs, des vélos, oui, beaucoup de vélos. Les ruelles étaient inaccessibles aux voitures. Un monde silencieux, Un monde qu’on découvrait à pied, avec les yeux du coeur. Le Café du Port était clos. Une fois de plus, le monde s’était arrêté de vivre. J’attendais un bus, un autre bus, quand la Fée Emma vint me cueillir au virage, me portant sur ses ailes au coeur de Touffou. J’étais tout fou, tout fou de joie, tout fou d’amour pour ses yeux, pour ses mains, pour ses lèvres. La Fée Emma parlait aux oiseaux, les rassemblait, les faisant chanter à l’unisson. Sur les branches étaient suspendus des pains aux chocolats. « C’est pour toi », me murmurait la Fée. Et, comme elle pensait à ma santé, elle m’offrit aussi des pommes au parfum enivrant. Les lumières de ses yeux brillaient au fond de mes yeux. Nous regardions comme des enfants émerveillés les vitrines. Des bocaux de gourmandises qui nous souriaient. Nous cherchions, à la nuit tombée, dans le champ du ciel, l’étoile du Nord, celle qui nous guiderait jusqu’au chalet du Père Noël. Quand, celui-ci, avec une grosse tête traversa, soudain, la rue pour chercher du travail. Décidément, le monde n’était plus le monde. Quatre noisettes. Une nuit blanche de mots, de rêves et de pleurs, des coeurs amoureux, des coeurs brisés, des espoirs… Une botte au matin. C’était déjà le dimanche six décembre de l’Avent. Le coeur de ma chère 106 ne battait plus. Le ciel avait voulu que ma quête du bonheur soit semée d’embûches et joies aussi. La joie de ces désirs à travers l’univers qui se correspondaient, attirés l’un vers l’autre. Le nouveau monde, c’est nous qui le ferions, ni les Chefs, ni les Grands Chefs, ni les Adjudants. Nous, rien que nous.

Dormaron avait ôté sa carcasse. Elle n’avait plus peur. Son désir d’aimer l’avait ouvert à la vie. Elle croyait en la loi de l’attraction qui régissait le mouvement des planètes et des étoiles, à juste écart, l’une de l’autre, pour s’aimer sans se briser. Elle croyait en la fidélité, en l’éternité de l’amour. Elle se reposait sur une plage ensoleillée. Le proverbe africain de ce dimanche épousait ses pensées.

« La vie était belle… On n’avait pas à courir après les aiguilles d’un cadran quelconque… On prenait son temps pour jouir de tout : on ne se pressait point. La vie était là, devant soi, riche, généreuse. On avait une philosophie qui permettait de se comporter de la sorte ». (***).

Et, si le bonheur, je me disais, était une philosophie, une quête initiatique, un art de vivre ?

Thierry Rousse

Nantes,

Dimanche 6 décembre 2020

« A la quête du bonheur »

* « La rousse au chocolat », Jacques Higelin

** Claude Ponti

*** Bernard B . Dadié

Cocher la bonne case ( autorisation au bonheur )

 

Ils l’avaient imaginé, ils l’avaient réalisé. Nous tenir par des autorisations de sorties. les Chefs étaient déterminés. La crainte de l’amende nous faisait obéir. Et la confiance ? N’étions-nous  pas suffisamment  responsables pour juger de ce qu’il était bon ou pas bon de faire ? Fallait-il vraiment nous faire cocher des cases ?

La liste s’allongeait ou se rétrécissait au bon vouloir des Chefs, selon les chiffres qui leur étaient transmis, et, selon ce qu’il leur semblait bon que nous faisions ou pas.

Nous en étions rendus à cocher, sans ne plus réfléchir, des cases.

D’ailleurs, il y en avait un peu partout, dans toutes les formalités, des cases à cocher. Selon la case cochée, la vie pouvait prendre un tournant heureux ou catastrophique. Je me retrouvais dans le tournant catastrophique de la vie depuis quelques jours, depuis que la case «  Fin de la période d’essai à l’initiative du salarié » avait été signée par mon employeur d’aide à domicile. Celui-ci était pourtant bien d’accord à que je m’en aille. « C’est votre bien-être qui compte »… Je me souvenais encore de ces paroles avant ma période d’essai. Cocher la case « Fin de la période d’essai d’un commun accord » ne coûtait rien à l’employeur et ne lui portait aucun préjudice. Alors, pourquoi vouloir mon malheur ? Je me retrouvais sans aucun revenu en l’attente de mon prochain contrat.

Les cases cochées pouvaient nous être fatales. Les mots « période d’essai » n’avaient plus aucune valeur, si ce n’est renforcer, une fois de plus, la toute-puissance de l’employeur sur le salarié. Lui seul, au bout du compte, pouvait prendre une décision sans crainte pour ses revenus. Garder ou ne pas garder le salarié. Cette société de cases reposant sur la punition nous rangeait dans des cases. Ames et corps soumis.

Tout déplacement devait être justifié, tout acte, tout centre d’intérêt, tout besoin. Une durée, une distance nous étaient définies.

Bien plus tard, certains liraient ce texte et se diraient : « Et ils ont enduré ça, comment ont-ils fait ?  Pourquoi n’ont-ils rien dit ? ».  Du moins, je l’espérais…. Le contraire aurait signifié que les nouvelles générations grandiraient dans ces contraintes, ces contrôles, cette éducation conditionnée qui tracerait leurs vies. Au rythme de la déforestation actuelle, il était à craindre d’autres virus, d’autres mesures coercitives de ce genre. Ces Chefs qui n’empêchaient pas ces crimes contre la nature contribuaient à l’apparition de ces pandémies, à la propagation de la peur et à la multiplication des réponses à ces catastrophes qu’ils avaient laisser se déclarer. Quel était leur objectif final ? Nous contrôler tous ? Faire de nous leurs marionnettes ?

Ce qui se vivait à l’échelle d’une société pouvait se vivre à l’échelle d’un couple, d’une famille.

De toutes ces cases, il en manquait une : « Autorisation au bonheur ». Il restait à nous de la dessiner et la cocher.

J’avais regardé, ce soir, « Donne-moi des ailes », un magnifique film de Nicolas Vanier. Un père et son fils avaient ouvert une nouvelle voie dans le ciel pour les oies sauvages migratrices. Une voie à l’abri de toutes les nuisances lumineuses, de toutes les pollutions, de tout ce béton qui s’étendait. J’avais les larmes aux yeux, ému par tant de beauté, par la force de cet enfant, sa conviction, et cette douce complicité entre lui et les oiseaux. Emu par cette famille qui se retrouvait autour de l’essentiel. Le bonheur était là. Sur Fip, j’écoutais cette belle chanson : « Amoureux de vous ». Seul et sans argent, il me restait à cette heure cette plume pour m’envoler avec eux.

Ecrire pour survivre à une certaine bêtise humaine, écrire pour me relier aux êtres que je chérissais. Ecrire pour laisser une trace. Ecrire pour nous rassurer : « Une autre vie est possible , je l’ai vue, je l’ai touchée, sentie, écoutée, ressentie».

J’avais ouvert la quatrième fenêtre. Le chocolat de minuit était un joli pain. L’écureuil, l’arbre, les noisettes… le pain. Le pain se partageait. Il était autrefois l’aliment principal du foyer. La saveur du pain, aujourd’hui, se retrouvait, le signe qu’une autre vie existait bien. Une vie dont les actualités nous parlaient peu. Les Chefs n’avaient-ils rien à gagner pour leur pouvoir de nous savoir libres et heureux ? L’être libre et heureux ne pouvait plus être manipulé. Je comprenais maintenant pourquoi cette forêt proche de chez moi portait le nom de « Touffou ». Le Tout Fou échappait à la raison du dominateur. Les saltimbanques l’avaient compris. Les enfants, aussi. Dessiner notre case et la cocher.

Le bonheur était proclamé, et, plus rien dès lors, nous ferait reculer. Le bout du monde nous attendait. Notre case était infinie, éternelle.

Un bon vieux Rolling Stones sur Fip, et cette sagesse africaine : « La chute est soeur de l’ascension » (*). Je me sentais léger à présent, sans doute parce mes cheveux avaient été coupés, ce vendredi 5 décembre 2020.

Thierry Rousse,

Nantes,

Vendredi 5 décembre 2020

« A la quête du bonheur »

(*) Irénée Guilane Dioh, « Origines, 365 pensées de sages africains », édition de la Martinière.

Etre du bon côté de la fenêtre

 

J’avais raté la conférence de presse du Chef de la Santé. Raté l’allocution du Grand Chef. Monsieur Giscard d’Estaing venait de nous quitter, Où avais-je la tête ? De belles flammes rougeoyaient dans l’âtre de ma cheminée. Trente huit mille mots dans mon Mini-Larousse à connaître par coeur. Je jetais un oeil par la fenêtre. Le Soleil s’était couché pour me laisser contempler la Lune et ses étoiles. Il était gentil, le Soleil. J’étais à des années-lumière de l’actualité. Une fenêtre s’ouvrait, puis une autre, puis une autre. Trois délicieux chocolats qui me racontaient leur histoire de l’Avent. Un écureuil. Trois noisettes… et… le trois décembre, je ne savais pas ce que c’était. Un arbre ? Fip me berçait de ses douceurs suaves, de la voix chaleureuse de Rodolphe Burger au pop rock britannique, une mèche rebelle et salutaire de liberté. Il avait plu toute la journée. Une pluie londonienne romantique. Je m’étais affairé ce matin à ranger mon premier casier. Un carnet de deux mille treize se rappelait à mes souvenirs. Des photographies de représentations théâtrales et circassiennes. Presqu’IL, Les Cabotins, Les Arlequins, L’Agora de Vésines, Les Bagattelli, Passage Clowns… Des cartes postales reçues de la pointe du Finistère… Ce tri qui devait me prendre tout au plus un quart d’heure se multipliait au-moins par quatre. Chaque trouvaille était une retrouvaille avec tous ces moments de bonheur. L’émotion était intacte. Les souvenirs encore présents. Ma mémoire tenait bon. J’envisageais d’écrire le passé, au cas, où ma mémoire, une nuit, s’en irait par la fenêtre vers l’avenir. L’histoire du Savon de Marcel et de Jean Ferrat m’intriguait. L’énigme n’était pas résolue. Mon casier était enfin rangé. Des feuilles blanches, des enveloppes et des crayons. J’étais prêt à correspondre, Je me préparais au jour où il n’y aurait plus de SMS, plus de Messenger, plus de Mail, qu’une feuille, qu’un crayon, qu’une enveloppe pour s’échanger des mots. Au-moins, je pourrai les relire, ces mots. Ils resteraient, tout près de mon coeur, dans le tiroir de ma table de chevet, ces mots. Monsieur Google ne les ferait pas disparaître de mon écran. L’après-midi, je les consacrais à l’emploi, quelque peu dissipé à relire des lettres. Les chiffres me rappelaient à l’ordre. J’étais du bon côté de la fenêtre, aujourd’hui. La Ville de La Baule m’appelait pour me transmettre le planning du Père Noël. La grande tournée s’annonçait. Puis, c’était la Ville de Rezé. Un deuxième entretien d’embauche, cette fois-ci, sans écran pour nous séparer, un poste en janvier qui me plaisait fort également. Transmettre le goût des livres aux enfants. La pluie pouvait être joyeuse, le soleil, intérieur. Je venais de prendre rendez-vous chez le coiffeur. Une nouvelle vie m’attendait demain. Un écureuil, trois noisettes et… tout ce qu’il était possible d’imaginer, de beau et de tendre. Etre du bon côté de la fenêtre, et, voir le Petit Prince s’entretenir avec son Renard. « Dans la forêt, quand les branches se querellent, les racines s’embrassent » (*). « Fip, gardien de l’optimisme depuis cinquante ans ». J’étais du bon côté, du bon côté pour ouvrir ma fenêtre. Des perles de pluie aux étoiles de neige, ton écharpe me réchauffait. L’infirmière du bilan de santé de la CPAM m’avait autorisé des petits plaisirs de temps en temps, rien que des petits plaisirs. Un chocolat caché derrière chaque fenêtre que j’avais tant de joie à ouvrir avant de m’endormir. Il nous fallait écrire avec le coeur, oui, rien qu’avec le coeur. Il était une fois, une nuit, au bord d’un champ de vignes… Quand, « All you need is love » chantaient les quatres garçons dans le vent, juste avant mon point final provisoire. 

Thierry Rousse

Nantes

jeudi 4 janvier 2020

« A la quête du bonheur ».

(*) Tradition orale d’Afrique de l’Ouest

Des chiffres et des lettres

 

Une campagne massive de vaccins allait débuter en Angleterre. C’était dit, et déjà, presque servi à l’heure du thé glacé. De l’autre côté de la Manche, en notre cher Village de Gaulois irréductibles, le Grand Chef prenait ses précautions et avançait sur la pointe de ses sabots. D’abord, les plus fragiles pour Noël. Les stations de montagne, elles, seraient ouvertes et les remonte-pentes fermés. C’était au tour, des gérants de stations de skis d’exprimer leur colère, et, de tous ces professionnels qui vivaient de leurs retombées économiques. L’argent était au coeur des préoccupations. Des chiffres, toujours des chiffres, encore des chiffres. Je me souvenais de cette émission « Des Chiffres et des Lettres ». L’émission préférée de mes grands parents maternels. Tous les week-ends, nous leur rendions visite à Saint-Denis, la capitale des rois déchus et enterrés. Notre famille se retrouvait autour du petit écran, noir et blanc. Des chiffres, des lettres jaillissaient de toutes parts, murmurés, criés, chantés. Aux chiffres, je préférais les lettres. Il avait bien fallu, pourtant, que j’y suis confronté, adulte, à ces chiffres.

« Fin de la période d’essai à l’issue du salarié ». Cette case cochée par mon employeur m’avait valu, en cette fin du mois de novembre, la radiation de mes droits à l’allocation d’aide au retour à l’emploi. Ce qui signifiait « zéro euro ». Plus aucun revenu face à la colonne où s’additionnaient mes charges, chiffre après chiffre. Le cadeau de départ était fort joli. C’était pourtant bien d’un commun accord, que je les avais quittés, accomplissant avec rigueur et dévouement mes missions jusqu’au dernier jour de ma période d’essai. Cocher l’autre case « d’un commun accord » ne leur coûtait rien et ne leur portait aucun préjudice. « C’est la réglementation, nous n’y pouvons rien », m’écrivaient les accompagnatrices de Pôle Emploi. Ma vie présente reposait, à cette heure, entre les mains du bon vouloir du directeur général d’une société d’aide à la personne dont le siège était à Paris. Ecrire, expliquer, demander. Des lettres et des lettres au service des chiffres.

Cette épisode inattendu surgissait au début d’une quête du bonheur. Un signe ? J’étais ramené à des réalités concrètes, pragmatiques. Calculer, additionner, gagner ma vie pour équilibrer deux colonnes. Le bonheur semblait débuter dans cette nécessité vitale. la nécessité de survivre dans une société marchande, où le dieu « Argent » était vénéré.

Peut-être, le bonheur, après la première joie d’une rencontre, était là. Traverser ensemble des moments éprouvants, s’aider l’un et l’autre, se soutenir. Notre joie en serait plus forte encore. Des sourires retrouvés. La légèreté de deux âmes libérées au seuil d’une forêt. « Nous y sommes parvenus ! ». Le bonheur traversait des épreuves qui le fortifiaient et le faisaient grandir. La sérénité se gagnait au milieu de la tourmente des villes.

Des lettres et des chiffres, une belle vie nous attendait, quelque part…

Thierry Rousse,

Nantes,

Mercredi 2 décembre 2020

« A la quête du bonheur »

Les absences

 

Ce matin, j’avais commis un rêve étrange. Une voix joyeuse aux actualités annonçait que le virus avait disparu. La pandémie était finie. Nous pouvions reprendre notre vie comme avant. Plus besoin de vaccin. Ce rêve était doux et me mit de bonne humeur, une partie de ma journée. Mon objectif de ce jour était mon rendez-vous avec le dentiste au Centre dentaire du Centre hospitalier universitaire de Nantes. Le dentiste était assisté d’un étudiant. J’ai eu le droit à toutes sortes de photographies et de radios de ma mâchoire. Je repartais avec mon devis. Huit mille cinq cents euros pour cinq implants. J’oubliais le montant et me voyais déjà avec toutes mes dents, souriant au ciel resplendissant. Certaines absences pouvaient être source de joie, comme la disparition des chiffres ou du virus, et, pourtant… Ne nous avait-il pas laissé, entrevoir, ce virus, surtout durant le premier confinement, une autre vie ? La Terre avait pu se reposer un peu. Les animaux avaient pu retrouver leur territoire naturel, quelques temps. L’Homme avait vite repris possession de ses terres et océans conquis. Les absences des possessions humaines n’avaient été qu’éphémères. Les Grands Chefs du monde contrôlaient la situation. Le vaccin serait d’abord administré aux plus fragiles, les premiers cobayes. On ignorait encore les réactions du corps à ce virus. Il fallait essayer, essayer sur ces êtres qui ne pouvaient pas se défendre, pas s’opposer. Je poursuivais ma quête du bonheur. « Nous vous rappellerons suite à votre candidature… ». J’attendais… Je relançais… J’attendais. La recherche de contrats m’avait enseigné la patience, une prise de recul essentielle. Je définissais mon nouvel objectif pour demain. Après ce joli savon « Marcel » que j’aimais tant, disparu, c’était le tour du numéro spécial de L’Humanité Dimanche consacré à Jean Ferrat. Impossible de le retrouver. Un vide dans mon cerveau. Une absence. Un trou. Où l’avais-je rangé ? Emporté ? Oublié ? Des absences étranges commençaient à surgir dans ma vie. Ces absences qui me révélaient la joie des instants présents. Je mesurais, hélas, toute l’importance d’un être cher, d’un moment, d’un lieu, d’une chose quand cet être, ce moment, ce lieu, cette chose n’étaient plus là. Les absences, avaient,au-moins, cette vertu. Tous ces vides attisaient le désir du bonheur.

Thierry Rousse

Nantes,

Mardi 1er décembre 2020

« A la quête du bonheur »

Comment vas-tu ?

 

Ecrire, rien que quelques mots, être fidèle à mon rendez-vous quotidien. Quelques mots à la quête du bonheur. Quelques mots partagés.

Tout commençait par le réveil. Je me souvenais des paroles d’un ami. Chaque matin, devant sa glace, il s’envoyait deux ou trois compliments, histoire de bien commencer sa journée. « Ce qui est pris n’est plus à prendre » était sa devise. Et il partait ainsi, confiant en lui, à la recherche de nouveaux tournages, de nouveaux casting. Cela lui réussissait plutôt bien. Il avait obtenu son statut d’intermittent du spectacle. Quatre années consécutives déjà. « Le positif attirait le positif ». La loi de l’attraction nous l’enseignait. Depuis que j’avais lu ce livre, je m’efforçais de toujours aller bien, quoiqu’il m’arrive. A la question « Comment vas-tu ? », je répondais toujours « bien ». Dire qu’on allait « Pas bien » pouvait faire fuir les autres. Certains livres nous encourageaient à fréquenter les personnes qui allaient « bien ». Le « bien » attirait le « bien », il était contagieux. Le contraire était également contagieux, D’où l’importance de prendre ses distances avec celui qui n’allait pas « bien ». Le fameux « geste barrière », la célèbre « distanciation sociale ». « Etre bien » en toutes circonstances était un choix résolument tourné vers le bonheur. Le bonheur se décidait. Je choisissais d’être heureux. J’allais « bien ».

Que faisais-je du reste ? Refoulais-je mes émotions lorsque je me sentais affecté, triste ? Ne pouvais-je confier mes états d’âme mélancoliques qu’à une personne rémunérée pour m’écouter, me comprendre, me soutenir ? Le bonheur n’était-il pas aussi la possibilité , sans transaction d’argent, d’exprimer ce que je ressentais, la joie comme la tristesse, à une personne qui m’ appréciait. Une écoute, juste me sentir écouté pouvait suffire à retrouver le sourire. Et réciproquement. J’éprouvais autant de joie à me sentir écouté qu’à écouter. Le bonheur était plus grand que nous ne le pensions.

Ce matin, le nouveau dentiste que je rencontrais était d’une attention remarquable. Il prenait son temps à m’examiner et m’expliquer les soins nécessaires à accomplir. La gentillesse qui était associée parfois à une faiblesse, une simplicité d’esprit, une naïveté, contribuait, en réalité, au bonheur. Je poursuivais ainsi ma quête par un rendez-vous à la Maison des Confluences, m’entretenant avec la directrice suite à un appel à projets auquel j’avais répondu. Là, aussi, ce moment fut très agréable, une belle écoute. Tous ces petits instants d’attention pouvaient changer le cours d’une journée. Echanger, prendre des nouvelles, correspondre, téléphoner, entretenir les relations. Plus j’entendais les autres messages, plus je les voyais apparaître placardés un peu partout dans les rues, les lieux publics jusqu’aux réseaux sociaux, « veiller à maintenir les gestes barrières », plus j’avais le désir d’entretenir et d’approfondir des liens. Ces confinements à répétitions m’avaient révélé l’importance des relations et du soin à leur apporter.

L’arrêt brutal du Busway suite à une voiture qui avait failli le percuter me propulsa contre une barre. Un choc inattendu, violent contre ma poitrine. Une femme était tombée dans l’allée. Plus de peur que de mal. Cet accident qui pouvait sembler banal me fit prendre, une nouvelle fois, conscience de la fragilité de la vie.

Le bonheur était fragile. Sa fragilité nous invitait à en prendre le plus grand soin.

« Comment vas-tu ? »

Thierry Rousse,

Nantes,

Lundi 30 novembre 2020

« A la quête du bonheur ».

La vie pouvait être si belle

 

Je comptais, en ce samedi 28 novembre 2020, au matin, six arbres abattus. Six arbres abattus, le long de la Sèvre, à la Chaussée des Moines. De nombreux autres arbres, dont trois magnifiques sapins, tendus vers le ciel, étaient marqués d’une croix rouge. Seraient-ils également abattus ? J’apprenais par des habitants que le crime avait été accompli un jour de la semaine à six heures du matin avec des tronçonneuses silencieuses pour ne pas réveiller les alentours. Le Chef de Vertou n’avait pas attendu la réunion de concertation suite à un recours déposé par les défenseurs des arbres. Sur une grande pancarte, près de l’une des souches, était écrit : «  Révéler ce lieu historique, naturel et touristique… Réaménagement du quai de La Chaussée des Moines… préservation de la biodiversité… ». Révéler ce lieu naturel en abattant des arbres qui faisaient son charme , était-ce cohérent ?

Le ciel était bleu. Les couleurs de l’automne chatoyantes. L’eau de la rivière si paisible. Tout pour être heureux, ou, presque. Je ne comprenais pas tout à certains comportements humains. Six arbres avaient été abattus par l’unique décision d’un Chef élu par des habitants qui, aujourd’hui, regrettaient d’avoir voté pour lui. A Nantes, les commerces étaient de nouveau ouverts. Il y avait foule en ce samedi après-midi dans les rues piétonnes. J’attendais mon tour, au bout d’une longue file, devant la Fnac. J’espérais me procurer les deux DVD que j’avais repérés juste avant le confinement. « Un homme pressé » et « Le goût des merveilles ». « Un homme pressé » et « Le goût des merveilles » avaient disparu. J’avais beau chercher, ils n’étaient plus sur le présentoir. L’espace DVD avait changé de place et de nouveaux films avaient fait leur apparition, Je fouillais désespérément dans les rayons, quand, ces deux DVD, à dix euros, l’exemplaire, se glissèrent dans mes mains : « Donne-moi des ailes ! » et « Un monde plus grand » . Sans doute, étaient-ce ces deux films que j’avais besoin de voir en ce moment ? Après avoir acquitté mon dû, je me dirigeais à grandes enjambées à ma voiture. La forêt m’appelait de toute urgence. Quitter la métropole. Sentir la bonne odeur des feuilles humides sous mes pas, ces épines de pin, cette mousse si douce… Me laisser émerveiller par le jeu des rayons du soleil à travers les feuilles, un tableau aux cinquante nuances de vert, de jaune, de marron. L’or brillait à la pointe des arbres. L’étang était le reflet d’un monde de toute beauté. Les promeneurs étaient nombreux en de jour de libération conditionnelle. Vingt kilomètres et trois heures de sortie autorisés autour de chez soi. Les enfants jouaient, riaient. Les parents coupaient des branches de houx pour les décorations de Noël. Je ramassais quelques morceaux de bois le long du chemin. Les chiens s’en donnaient à coeur joie. Je me souvenais de mes balades avec mon chien Tostaky à travers la forêt de Fontainebleau. J’avais marché dans ma vie, beaucoup marché. Les arbres étaient mes amis, et mon chien, mon compagnon fidèle. Le soleil se couchait à présent. J’avais organisé ma soirée : une raclette au fromage accompagnée de pommes de terre et de salade autour d’un bon feu de cheminée. Puis je regarderais « Un monde plus grand ».

« Un monde plus grand » est inspiré d’une histoire vraie. Fabienne Berthaud a réalisé ce film. Cécile de France interprète le rôle de Corine. Corine avait perdu son grand amour, Paul, atteint d’une maladie. Avant qu’il ne disparaisse, ils s’étaient promis l’un à l’autre qu’ils se reverraient. Dans le cadre d’une mission en Mongolie afin d’enregistrer des chants traditionnels, Corine rencontre la chamane Oyun. Celle-ci lui annonce qu’ « elle a reçu un don rare et doit être formée aux traditions chamaniques ». Corine est d’abord incrédule et quitte ces éleveurs de rennes avec empressement. De retour à Paris, elle prend conscience qu’elle possède véritablement un don, la capacité à ressentir ce qui vit l’autre. Corine retourne auprès d’Oyun et s’initie. Elle apprend l’importance d’accorder de l’attention à chaque petit geste accompli, et, finira, après son premier rituel, par revoir Paul.

Cette histoire était triste et belle à la fois. La capacité à ressentir ce que vivait l’autre. Il y avait, je pressentais, une part de mystère, un savoir oublié, le langage des arbres. Pourquoi je me sentais aussi bien dans la nature ? Qu’y trouvais-je ? Une part de moi-même ? Une communion ? Une harmonie ? Les arbres, pouvaient-ils nous enseigner l’amour ? Après avoir visité mon Papa, le lendemain, dimanche 29 novembre 2020, je retournais marcher dans la forêt de Touffou. Cette forêt avait bien des choses à m’apprendre. La vie pouvait être si belle …

Thierry Rousse,

Nantes,

Dimanche 29 novembre 2020

«  A la quête du bonheur »