Il avait fallu…

 

Vingt mille pas autour de chez moi.

Demain, s’élargirait mon cercle.

Je respirais.

Une sensation de liberté.

Une porte s’ouvrirait à minuit. Je serais sans doute encore éveillé.

Ce deuxième confinement avait été plus difficile à vivre que le premier.

Il avait fallu un sursaut, des mots croisés, un feu allumé, une famille réunie, des gestes d’attention, des présents inattendus.

Il avait fallu ces belles et douces chansons de Fip qui m’accompagnaient le soir, ces lectures, ce sentiment d’exister pour un autre.

Il avait fallu ces échanges téléphoniques, ces messages si touchants.

Il avait fallu tous ces partages.

Il avait fallu ce bilan de santé, ces cinq fruits et légumes, ce lait, ce bon fromage frais, ce tendre pain, ces féculents, ces huîtres, et s’y tenir.

Il avait fallu cette joie de retrouver ma forme d’athlète. J’étais un peu de Marseille bien que mes origines étaient de Franche-Comté.

Il avait fallu ces bons souvenirs, me les rappeler, les écrire.

Il avait fallu ces projets, les concrétiser pas après pas : l’Amap artistique, la réédition de mon livre « Le grain de sable et la perle magique » et ma première commande. Les graines semées commençaient à porter leurs fruits. Des emplois, des contrats étaient en vue.

Il avait fallu un déclic, un papier, une allumette, une brindille, une branche, une bûche.

Il avait fallu ce bois mort qui donnait la vie.

Il avait fallu un pudding, un gâteau au chocolat, une crêpe, un poème.

Il avait fallu une plancha.

Il avait fallu ces marches toniques.

Il avait fallu noter le nom des rues.

Il avait fallu des jeux, des défis, des buts.

Il avait fallu le sourire de mon papa.

Il avait fallu un marché à Vertou.

Il avait fallu les vaches écossaises et nantaises. Toujours là.

Il avait fallu le rangement de ma maison presque parvenu à son terme.

Il avait fallu de nouveaux arbres miniatures dans ma maison, un if, un palmier, un avocatier.

Il avait fallu la lecture de ce roman « Cupidon a des ailes en carton ».

Il avait fallu écrire pour tenir. Tous ces instants légers, mélancoliques, joyeux, ces instants de doutes, d’interrogations, d’apaisement, de confiance.

Il avait fallu passer de l’ombre à la lumière, du froid à la chaleur.

Il avait fallu fermer le journal et ouvrir les yeux.

Il avait fallu une bonne étoile.

Il avait fallu renouer avec l’essentiel.

Il avait fallu toi, et toi, et toi… et moi.

Il avait fallu serrer un arbre, sentir sa force me consoler.

Il avait fallu des pleurs et des rires.

Il avait fallu la vie. Un puits et une source.

Il avait fallu l’automne. Le ciel bleu et la pluie.

Il avait fallu tes larmes et mes larmes pour engendrer ce fleuve si beau.

Il avait fallu cette barque si paisible.

Il avait fallu Roméo, il avait fallu Juliette pour oublier la guerre.

Demain les librairies ouvriraient. Demain, des livres m’attendraient. Demain, je partirais à l’aventure dans mon nouveau cercle. Vingt mille pas. Je découvrirais en explorateur la forêt de Touffou. Je caresserais les arbres, je les aimerais, ces arbres, ces arbres qui me protégeaient. Je laisserais l’écureuil vivre libre et heureux. Je laisserais l’Amour renaître tranquillement de ses cendres. Les dessins d’enfants étaient les plus beaux. Je laisserais mon masque et je t’embrasserais. Je n’aurais plus peur, je sauterais les océans pour rejoindre cette île parsemée de braises.

Vingt mille pas.

Les mots s’étaient libérés.

Ils étaient venus comme ils avaient choisi de venir, les mots.

Je leur avais juste permis de se poser sur l’écran de mon clavier.

Telle une sage-femme, je prenais le chemin du Sage-homme.

Il avait fallu ce deuxième confinement pour tracer un cercle qui nous rassemblait.

Un cercle infini.

Il avait fallu la tisane des petits lutins.

Il avait fallu l’imaginaire.

Il avait fallu…

Thierry Rousse

Nantes

Vendredi 27 novembre 2020

« De retour chez Mémé ZaninE »

Réconfort d’un feu

 

Le froid avait l’art de pénétrer tout notre corps jusqu’à notre âme, jusqu’à notre coeur. L’art de nous attirer vers des pentes glissantes, une image de la déchéance, une vulnérabilité, une misère matérielle et affective. L’art de nous dire : « Tu es seul, si seul , profondément seul». Le corps, l’âme, le coeur ne parvenaient point à se réchauffer. Une dégringolade vertigineuse. Je pensais à ces enfants, ces femmes, ces hommes, ceux qu’on nommait « les migrants » , expulsés avec force de leurs tentes sur la Place de La République, à Paris. Où dormaient-ils à cette heure ? Dans le froid ? Sous un carton ? Sous un pont ? Cachés dans les bois à la périphérie comme des bêtes qu’on traquait ? Où en était notre République ? Le migrant était-il assimilé à un potentiel terroriste ? N’avait-il pas fui son pays parce qu’il était menacé par des terroristes ? Ne méritait-il pas notre accueil, notre protection, notre aide ? La bonne nouvelle, parce qu’il y avait toujours de bonnes nouvelles, c’était qu’un grand nombre d’entre nous avions à coeur d’aider notre semblable. Cette devise de « faire à l’autre ce que j’aimerais qu’on me fasse » donnait sens à ma vie. Une loi de l’attraction. Faire le bien attirait le bien.

J’avais le sentiment que, ces derniers temps, trop d’expressions comme « nous sommes en guerre », « nous allons nous battre », « nous allons gagner », finissaient par propager la peur, la violence, la méfiance, les sombres pensées, un état de tensions permanent. L’air était devenu irrespirable et il était temps d’en changer. Ouvrir la fenêtre sur le chant d’un oiseau.

Je recevais au seuil de ma porte des brindilles, des brindilles pour allumer un feu. Sans brindilles, les bûches ne pouvaient s’embraser. Le fort avait besoin du faible pour resplendir. Le feu m’apprenait la vie, l’amitié, l’amour. Une flamme s’entretenait sinon elle s’éteignait. Elle sollicitait mon attention, ma présence, lui donner juste ce dont elle avait besoin, brindille après brindille, branche après branche, bûche après bûche. Suffisamment l’alimenter en bois sans l’étouffer, sinon, elle mourrait. Le froid de nouveau reprendrait alors sa place.

Pour l’heure, la chaleur avait soudain habité tout mon corps, toute mon âme, tout mon coeur. Je me sentais riche, riche d’amour, riche de l’autre. Je me sentais ensemble. Je me disais : « C’est cela, faisons des feux ensemble, retrouvons-nous, réchauffons-nous ! Cessons de nous faire du mal, apprenons à nous faire du bien ! » . N’étions-nous pas tous des migrants sur cette Terre qui nous accueillait ? Connaissions-nous nos origines ? Avons-nous oublié que nos ancêtres étaient des nomades ? Qu’ils cueillaient sur le chemin les fruits de la vie ? Avions-nous oublier de regarder le ciel ? Etions-nous devenus à ce point fous pour piéger les oiseaux avec de la glu ? Il était temps de faire resplendir l’amour, ouvrir nos bras, danser, chanter ! Il était temps de faire revenir les beaux jours…

Thierry Rousse

Nantes,

jeudi 26 novembre 2020

« De retour chez Mémé Zanine »

Qu’avions-nous gagné ?

 

Le Grand Chef avait parlé hier soir, à vingt heures précises.

Qu’avions-nous gagné ?

Nous avions gagné trois heures de promenade au lieu d’une, vingt kilomètres au lieu d’un kilomètre.

Nous étions heureux et le chien remuait la queue.

Clisson se trouvait à trente et un kilomètres de Nantes. Il me faudrait encore être patient pour une nouvelle parenthèse italienne.

J’avais gagné la patience d’attendre.

Qu’avions-nous encore gagné ?

Nous avions gagné l’ouverture des commerces, des bibliothèques, des services à domicile ce week-end.

Nous étions heureux.

Qu’avions-nous gagné si tout allait mieux ?

Nous avions gagné l’ouverture des cinémas, des théâtres, des musées, le quinze décembre, si tout allait mieux.

Nous serions heureux si tout allait mieux.

Qu’avions-nous gagné si tout allait bien ?

Nous avions gagné l’ouverture des restaurants, des cafés, des salles de sport, le vingt janvier, si tout allait bien.

Nous serions heureux si tout allait bien.

Qu’avions-nous gagné les soirs de Noël et du Jour de l’An ?

Nous avions gagné l’autorisation de nous réunir en cercle privé.

Appartenais-je à l’un de ces cercles privés ? Lequel ?

Je serais heureux si j’appartenais à l’un de ces cercles privés les soirs de Noël et du Jour de l’An.

Qu’avions-nous gagné , aujourd’hui ?

Nous avions atteint le pic et maintenant nous allions descendre du pic.

Nous avions gagné le devoir de tout faire pour éviter une troisième vague.

Nous avions tous gagné un rôle à jouer.

La vie était devenue un grand théâtre, dramatique ou tragique. Très peu comique hélas. Le théâtre, nous y étions, des deux côtés, à la fois dedans et dehors. Plus besoin de nous y rendre. Nous devions restés masqués même avec nos amis et nos proches venus de l’extérieur. Un mètre entre toi et moi. Roméo et Juliette se voyaient de moins en moins. La distance avait fini par les séparer. Le banc était vide. Leurs coeurs s’étaient-ils refroidis ou réchauffés au fil des jours et des nuits ?

Nous avions gagné le devoir d’aérer toutes les heures notre maison et nous laver les mains toutes les cinq minutes. Je ne retrouvais plus mon joli savon de Marcel et je me sentais très triste. Où s’en était allé Marcel ? A Marseille ? Il n’était pas bien vu depuis Paris de côtoyer notre bon vieux pote Raoul. Marcel s’était perdu. Dans quel océan ?

J’avais gagné aujourd’hui une question.

Qu’avions-nous gagné, demain ?

Nous avions gagné la vive recommandation de télécharger l’application « Tous Anti-Covid ».

Nous avions gagné la mise à l’écart et l’isolement immédiats des personnes contaminées. Un vague souvenir des léproseries remontait dans mon inconscient.

Nous avions gagné la méfiance, la peur en nous et entre nous.

Nous avions gagné la peur de demain.

Qu’avions-nous encore et encore gagné, demain ?

Nous avions gagné une lueur d’espoir, un sourire, une main tendue, un clair de lune, un amour ? Non, un vaccin. «  Je ne rendrai pas le vaccin obligatoire » avait déclaré le Grand Chef ?

«  – Vous êtes vacciné ? – Non- Désolé, je ne peux pas vous embaucher. Le vaccin est obligatoire pour travailler dans notre entreprise. »

« Tu es vacciné ? – Non. – Désolé, si tu veux sortir avec moi, il faut que tu sois vacciné. Je n’ai pas envie que tu me transmettes ton virus ».

Nous avions gagné encore et encore des conditions pour demain.

Qu’avions-nous gagné comme argent ?

Des aides et des aides, « en veux-tu, en voilà ! »

J’avais gagné la radiation de mes droits à l’allocation au retour à l’emploi si je mettais un terme à ma période d’essai. J’avais gagné le droit d’être puni si je ne me sentais pas à ma place dans un emploi. J’avais le droit de ne plus percevoir aucun revenu du jour au lendemain. J’avais gagné le droit de me retrouver à la rue. J’avais gagné le droit de me taire et de me soumettre. Je n’étais pas le seul.

Nous avions gagné l’argent que le Roi voulait bien nous accorder si nous lui obéissions corps et âme sans exercer notre capacité d’observation, d’analyse, de réflexion. Nous avions gagné le droit de filer droit, tête baissée. Nous avions gagné l’humilité. Etre terre à terre. Savourer la terre. Elle avait le goût du ciel.

Qu’avions-nous gagner en estime de nous-mêmes, en force, en valeur ajoutée ?

« Je suis optimiste, toute crise contient une partie de progrès » nous confiait notre Grand Chef.

Nous avions progressé. Des opérations étaient reportées. Les autres malades devaient attendre. Les hôpitaux n’étaient pas en capacité d’accueillir tout le monde. Les soignants étaient épuisés. On les rappelait de leur lieu de vacances. On saluait leur dévouement. On ne parlait plus de travail mais de vocation. « – Quand rentres-tu à la maison, maman ? – Je ne sais pas, je suis en vocation, mon chéri ».

Qu’entendions-nous par « progrès » ? Nous avons le sens de l’innovation », nous félicitait notre Grand Chef, « nous avons été solidaires comme jamais, cela nous sera utile ».

Nous avions conscience qu’il était essentiel de pouvoir compter les uns sur les autres pour survivre, et, vivre tout simplement, heureux.

Nous avions ce sentiment d’appartenir à une communauté généreuse.

Qu’avions-nous gagné en sagesse ?

Nous avions gagné ce devoir de « nous remettre au savoir et à la science ». Que savait la science ? Ce virus venait bien de ce pangolin ? Qu’était devenu ce pangolin ? Et sa forêt ? Qu’était devenue la forêt du pangolin ? Les hommes continuaient-ils à la détruire , la forêt du pangolin ? Que nous disait la science ? D’aimer et de respecter chaque être vivant ? De prononcer des lois aussi fermes que celles du confinement pour protéger le pangolin et sa forêt ?

Nous avions gagné la sagesse du pangolin et la folie de nos semblables.

Qu’avions-nous gagné en haut de ce pic ?

Nous avions gagné la bienveillance mutuelle.

Nous avions gagné de nous « tenir ensemble autour de nos valeurs ». Quelles étaient vraiment nos valeurs ?

Nous avions gagné le droit de gravir de nouveaux pics, ces vertigineuses montagnes qui nous attendaient, le « terrorisme », le « réchauffement climatique ».

Nous avions gagné une courte pause dans la vallée avant les futurs combats. « Tenons-nous ensemble, nous vaincrons ! » , proclamait notre Grand Chef, concluant avec panache son solo joliment composé par son épouse.

Qu’avions-nous gagner toi et moi ?

Le droit de m’asseoir près de toi, tout près de toi, sur ce banc, et contempler le flot ininterrompu de nos pensées ?

Le soleil n’était jamais loin, se reflétant au fond de nos coeurs.

Nous avions tenu bon, solidaires l’un de l’autre.

J’avais le droit de me replonger dans mes lectures solitaires.

Je suivais d’autres vies. Mérédith, Antoine, Rose. Mérédith avait choisi de prendre ses distances avec Antoine pour réfléchir sur l’amour. S’aimait-elle ? L’aimait-elle ? L’aimait-il ? S’aimaient-ils ? Comment l’amour pouvait ne pas être que de passage, qu’un désir de l’instant ? Comment l’amour pouvait s’ancrer dans la durée ?

La barque était solidement amarrée. Depuis longtemps. Seuls, ces voyageurs l’avaient quitté, Je la contemplais puis reprenais le cours de ma lecture .

« Comment parvenir à l’équilibre stable et heureux dans la relation, éviter les éternels hauts et bas, atteindre un bonheur plus profond et pérenne ? Le juste milieu, pas d’excès, des attentes raisonnables ». (*)

Nous avions gagné cela, des « attentes raisonnables ».

Thierry Rousse,

Nantes

Mercredi 25 novembre 2020

« De retour chez Mémé Zanine »

(*) « Cupidon a des ailes en carton » de Raphaëlla Giordano, édition Pocket

Le temps d’une pause

 

Le pic avait été atteint. Le Grand Chef parlerait demain à 20 heures. Que nous annoncerait-il , le Grand Chef ? Des voix de couloirs laissaient entendre que ses mots changeraient. Il ne serait plus question de déconfinement mais de confinement allégé. Me sentirais-je, demain, allégé ? Reprendrais-je mon envol ? Mes ailes étaient devenues subitement lourdes, très lourdes en ce samedi matin, si lourdes qu’il m’était impossible de soulever une plume de la journée pour écrire.

Nous avions atteint le pic tels des montagnards. La montée avait été éprouvante, incertaine. A tout instant, nous avons risqué une entorse, la perte de nos forces, la dégringolade. Le temps changeait vite en montagne. Nous avions beau nous préparer, nous organiser, prévoir notre équipement, nos réserves, nous n’étions pas à l’abri d’un imprévu. La nature restait l’unique maîtresse. Déterminés, nous voulions atteindre notre but, ce pic. Pourquoi ce pic ? Pour dire : « Nous y sommes, nous l’avons atteint » ? Un sentiment de réussite, de fierté. La fierté des géants. Ce qui nous paraissait immense, très élevé, inatteignable depuis la vallée, nous y étions. Nous découvrions enfin notre vie vue d’en haut. Nous relativisions. Comme nos pairs étaient soudain minuscules, à peine visibles, voire pas du tout visibles. Etais-je comme l’un de mes semblables, invisible, au regard de ce pic si puissant ? Que valait ma vie ? Ma fierté d’avoir atteint ce pic, mon émerveillement n’avait qu’une durée éphémère. Je savais bien que je ne pourrais pas vivre tout là, qu’il me faudrait redescendre en bas, dans la vallée, parmi les miens. J’éprouvais même une hâte, à cet instant, à retrouver mes semblables. La peur en haut de ce pic, tout seul en haut de ce pic, envahissait mes pensées. L’écho de ma solitude n’amplifiait que ma peur. De lui, ne pouvais-je espérer aucune réponse. Descendre, descendre, retrouver les miens ! Je n’avais plus que cette idée en tête. Ma famille, mes amis, mes êtres proches… La convivialité d’un marché avec son fromager, son maraîcher, son poissonnier, le doux parfum d’une librairie, le romantisme d’un jardin ou d’une balade au bord de l’eau, la force d’un arbre, le serrer, l’enlacer… Ecouter battre son coeur… Descendre, retrouver les torrents, les herbes, les dernières fleurs avant l’hiver, les escargots endormis, les araignées fragiles, les fruits de la Passion, la vie … Descendre était devenu mon unique but. La descente pouvait être aussi rapide que risquée, épuisante. Je le savais. La vigilance était de mise.

Dans la vallée, dormaient, paisibles, à cette heure, les vaches. Le temps d’une pause.

Thierry Rousse

Nantes,

Lundi 23 novembre 2020

« De retour chez Mémé Zanine »

Evasion au coeur des Landes

 

Les avions cargos s’affairaient, après les masques, à charger les vaccins à destination de tous les Terriens, ou, presque… Quels pays n’étaient pas concernés par le petit virus Covid ?

Le Grand Chef et le Chef de la Santé prenaient le temps de nous préparer à ce vaccin obligatoire. Etait-il vraiment efficace ? Le Grand Chef ou le Vaccin ? Tout ce qui venait de la première puissance mondiale méritait réflexion. Les Complotistes, car, c’est de ce nom qu’on les avait affublés, criaient à la manipulation. Un virus qui nous aurait été envoyé pour mieux nous asservir et nous contrôler à coups de mesures coercitives, de masques et de vaccins. Ils en venaient à remettre en question l’utilité du masque et les conséquences tragiques de ce virus. D’ailleurs, existait-il vraiment, ce virus ? Le Grand Chef en faisait trop pour certains, pas assez pour d’autres. Tantôt il fallait tout déconfiner, tantôt tout confiner, selon la rive qu’on choisissait, Une peur en affrontait une autre. Tantôt la peur de la faillite, tantôt la peur de la mort. Je me sentais ballotté d’une rive à l’autre. Depuis quelques jours, j’avais choisi une barque abandonnée, au milieu du fleuve. Je m’entretenais avec de magnifiques oiseaux blancs posés sur une branche. Au fil de nos échanges, j’avais fini par oublier l’existence de ces deux rives. Les oiseaux blancs me prenaient sous leurs ailes. Tantôt, je remontais vers la source de mes souvenirs, les plus doux, les plus joyeux, tantôt je descendais vers l’estuaire de mes rêves, les plus fous, les plus heureux.

J’avais noté sur mon carnet trois destinations : la pointe Bretonne, le Cotentin, l’Irlande. L’Italie, Vérone, Venise, je me les gardais au chaud pour plus tard. Les Guides du Routard étaient bien placés tout près de mon oreiller. Je commençais par le Cotentin. La Presqu’Ile de la Hague était une Irlande en miniature, On y trouvait le village natif du peintre Jean-François Millet, l’ « adorable petit port du Hâble, fondé à l’époque romaine », des « hameaux aux délicieuses maisons et fermes de schiste », la maison de Jacques Prévert, Saint-Germain-des-Vaux, un « bijou lové dans un écrin de verdure » où le réseau téléphonique était anglais, les « ruelles étroites et pentues de la ravissante bourgade fleurie d’Auderville », l’usine de retraitement de l’uranium et du plutonium Areva, cinq mille emplois pour la région qui en rêva, le jardin botanique de Vauville face à la mer, mille espèces, une palmeraie, un jardin d’eau, un théâtre de bambous, une demie Lune, une Voûte bleue, il n’y avait pas à me faire scier, une flûte de Pan m’irait bien, les dunes fascinantes de Bi-bi-ville, refuge de nombreux oiseaux et la centrale nucléaire de Flamenville, Flamenville … Tout y était presque parfait… Je remontais jusqu’à la source, un souvenir au coeur des Landes. Un dimanche de « Portes grandes ouvertes ». On les nommait Zadistes. Ils avaient tenu bon face à un projet d’aéroport. La lande était sauvée. Je m’émerveillais de cette sublime forêt, me frayant un passage parmi les fougères. Les cabanes en bois des Résistants avaient été brûlées par les Brigades de la Loi. Un oiseau chantait. Des baisers s’enlaçaient. Le temps s’était arrêté. Un couple d’amoureux venu d’Espagne se recueillait au milieu de ce temple de la nature. On les nommait Zadistes. Des paresseux aux cheveux longs, à la marge du progrès économique. Des empêcheurs d’avancer. Ils avaient sauvé ce qui nous était de plus précieux. Je visitais leur ferme, leur scierie. Les Zadistes travaillaient, n’en déplaisait à notre Roi. Les serfs s’étaient affranchis. Les deux mains du travail pouvaient se joindre avec plaisir, s’aider et s’aimer. Les Oiseaux blancs se posaient sur le toit de la grange de l’Avenir. Des femmes et des hommes libres dansaient. Des enfants riaient. On donnait ce qu’on avait pour un repas délicieux. Une longue table. Des amis. La vie, enfin. Une fin d’été. Un dimanche, Au coeur des Landes. Notre-Dame, Emma, avait les plus beaux yeux du monde. Il n’y avait plus d’avions cargos. Que des oiseaux. Que des oiseaux…

Thierry Rousse,

Nantes,

Vendredi 20 novembre 2020.

« De retour chez Mémé Zanine ».

Le conte et le théâtre font-ils bon ménage?(1)

 

J’avais découvert le conte par l’intermédiaire d’une amie, Mireille, il y a vingt trois ans. Mireille m’avait invité à des contées à la Maison du Conte de Chevilly-Larue. Je suis revenu au conte dix années après pour en approfondir sa connaissance et m’exercer à cet art de la parole à travers deux stages, l’un animé par Geneviève Bayle-Labouré, le second par Abbi Patrix. Je me sentais attiré par les histoires et la capacité qu’une conteuse, qu’un conteur avait de les rendre vivantes en nous les transmettant sans décor, sans costume, sans accessoire à part un instrument de musique pour certain-e-s. Elle, il nous transmettait ces histoires par sa propre voix, son corps, son regard, son souffle, par ce qu’elle, qu’il, était, sa propre nature, son énergie. Je voyais chez le conteur, la conteuse, un-e sage, un-e visionnaire, un-e prophète, une personne, en tout cas, généreuse, qui me voulait du bien, qui savait rencontrer mon regard, me traverser, me toucher, qui me connaissait d’un regard, l’instant d’une rencontre.

Certes, je découvrais une variété de manière de conter. Il y avait le conte qui était davantage joué, théâtralisé pour les enfants, et le conte pour les adultes, davantage narré. Un point commun étaient le rythme, l’engagement corporel, la musicalité.

Il y avait les contes du répertoire traditionnel et les contes inventés. Les enfants étaient captivés lorsque Boris jouait son conte « Le papillon qui ne savait pas voler » tout en faisant participer les enfants.

Les conteurs qui se revendiquaient être de « véritables conteurs », a contrario des autres qui se disaient « conteurs » mais qui ne l’étaient pas à leurs yeux, ne pouvaient pas dissocier le conte de son patrimoine originel, toutes ces histoires colportées de bouche à oreille, depuis l’apparition de l’humanité, et rassemblées dans de précieux recueils avec leurs nombreuses variantes. Un conteur se devait d’en connaître une bonne partie, d’en connaître leur sens, souvent caché, d’être habité par ces contes, nourri de ces contes, et d’enrichir chaque jour sa besace de contes. Découvrir tous ces contes me fascinait, j’en lisais un bon nombre, les contes collectés et écrits par Perrault, Grimm, Henri Gougault, les facéties de Nasreddin, les Mille et Une Nuit, les contes de sagesse… Certes, dès que le conte était écrit, il n’était plus à proprement parlé un conte. Le conte appartenait à l’oralité. Lorsqu’il entrait dans la littérature, son propos était souvent dénaturé. Lire un conte, apprendre par coeur un conte écrit, ce n’était plus conter. On basculait dans les registres de la lecture à haute voix et du théâtre. Le conte et le théâtre ne faisait pas bon ménage. Les conteurs, avaient besoin, sans doute, pour faire reconnaître leur art à part entière de dénoncer les comédiens qui s’accaparaient un conte pour le lire, le raconter, le jouer, ces comédiens attirés par le conte qui voyaient dans celui-ci, pour certains, l’opportunité d’élargir leur palette de propositions.

Naissait-on conteur ? Le devenait-on ? Un peu des deux sans doute.

Le griot africain me fascinait par sa capacité de rendre vivant un conte, de l’incarner, par son énergie, son rythme, sa musicalité, sa transformation physique. Il entrait en transe, habité littéralement par le conte dont il accouchait.

Le duo de Mouv’L’OReille, composé d’Ariel, conteuse, et de Bérangère, musicienne, m’amusait et me séduisait par son art de détourner les contes afin d’en retrouver leur sens originel. J’aimais ce côté « provocateur », « rock », à la manière d’un Hubert-Félix Thiéfaine, conteur à sa façon, à travers la chanson.

Patrick Rigault, que j’avais invité au festival « Rencontres au Théâtre des Cinq Sens », me captivait par ses récits des Mille et Une Nuits qu’il savait si bien nous faire entendre, voir, sentir, goûter, ressentir.

Mon problème avec les contes du patrimoine était que je ne comprenais pas tout. A un moment donné, l’histoire se compliquait et je perdais le fil. Peu importe, me disait-on, de ne pas tout comprendre aux contes, ils font leur chemin inconscient en toi, ils te guérissent. .Je ne parvenais pas à me sentir traversé par un conte si je n’en comprenais pas le sens, même si je lâchais prise et laissais mon inconscient prendre le relais. Me manquait-il les clefs pour entrer dans cet univers ? Les codes ? Le langage ? Les symboliques ? Le rite d’initiation ?

Je découvrais la complexité du conte, l’architecture propre à chaque genre : les contes merveilleux, les légendes, les contes étiologiques, les randonnées, les contes mythologiques,fantastiques, d’avertissement, de sagesse, les récits de mensonge, les fables… Propp mettait en lumière la structure immuable des contes merveilleux : une situation initiale, une perturbation, la quête (le héros qui va résoudre cette perturbation), la situation finale (toujours heureuse).

Pour être reconnu « conteur », je devais inévitablement passer par cet initiation, cette connaissance des contes, de leur structure et de leurs messages codés.

Tout ce long chemin restait à parcourir. J’aimais écrire des histoires, et interpréter un personnage qui racontait ces histoires, un personnage qui révélait, certes, une partie de moi, mais qui restait, malgré tout, un personnage. A ce titre, j’étais classé dans la catégorie « Théâtre » et non « Conte ».

Certains disaient qu’on pouvait être conteur et raconter des histoires actuelles, collectées, pourvu qu’on s’appuyait sur la structure du conte.

Conte ou théâtre ?

Au contact du metteur en scène Sébastien Vuillot, je fis évoluer mon spectacle « Mon Pote Agé » vers le conte. Je quittais le personnage de Barnabé le Jardinier que j’incarnais pour être moi, Thierry, qui raconte cette histoire. Ce changement de position me fit accéder, soudain, à une très grande liberté et une clarté de l’histoire. Je replaçais Barnabé comme personnage dans l’histoire, l’enfant Théo et les autres personnages évoqués. Je pouvais, grâce à ce changement de position, être en prise directe avec mes auditeurs, et leur transmettre cette histoire. Il me restait à demeurer dans l’oralité, cette oralité qui avait été à la genèse de mon récit, chose plus difficile quand les mots commençaient à se poser sur le papier… Le danger de glisser vers le théâtre, l’interprétation d’un texte était très présent. Chose ardue également, lorsque dans ce récit, j’y introduisais des passages dialogués et une scène de théâtre à la fin du récit.

Conte et théâtre, font-ils bon ménage ? La question reste posée… Une aventure à suivre !

Thierry Rousse,

Nantes,

20 novembre 2020

« Le théâtre et le conte font-ils bon ménage ? (1) »

Parenthèse italienne

 

En ce jeudi 19 novembre 2020, qu’avais-je envie d’écrire sur l’actualité ? La veille, j’avais décidé de ne parler que de bonnes nouvelles. Il m’était fort difficile de faire marche arrière. BFMTV relatait heure par heure le procès d’un meurtre atroce. Par-ci, par-là, sur les actualités en ligne et sur les journaux, j’arrivais à glaner de bonnes nouvelles. Pas suffisamment pour communiquer l’euphorie mondiale. Il aurait fallu que j’achetasse chaque jour au moins trois à quatre journaux différents pour accéder à un nombre convenable de bonnes nouvelles : « Le Monde », « Libération », « L’Humanité », « La Croix », ça se disait «  que j’achetasse » ? J’avais limité depuis le début du mois mon budget « Presse » afin d’équilibrer mes comptes. La Presse pouvait peser très lourd dans mon budget. Je m’allégeais de quelques mots et de nombreux maux. L’actualité nous appartenait qu’en infime partie. Ne pas voir les drames humains, c’était, il est vrai, un peu faire l’autruche. M’étais-je mis à faire un peu l’autruche ? Peut-être… J’avais rentré ma tête dans le sable chaud. J’avais froid en cette fin de journée. Une envie de me réfugier chez Mémé Zanine autour d’un bon potage de pommes de terre et de carottes. Un désir de chaleur, la chaleur d’une présence. Mémé Zanine m’accueillait et me contait ses histoires au coin du feu. L’histoire d’un colibri. Faire ma part. Ma petite part. Me réjouir de chaque petit pas accompli. Peu à peu, un sourire revenait. Une tendresse. La plus belle actualité était celle qu’on écrivait de notre plus douce plume. Je me souvenais d’une escapade en Italie, à trente minutes de Nantes : Clisson, la ville italienne, capitale du vignoble nantais, que je découvrais depuis la terrasse du domaine de La Garenne Lemot. Le sculpteur François-Frédéric Lemot, de retour de son voyage à Rome, de la Toscane à l’Ombrie, charmé par tant de beautés, avait choisi de les transposer ici. Au début du XIXème siècle, il dessinait en cette contrée, dernier rempart de la Bretagne, dévastée lors des guerres de Vendée, son Italie. Tuiles rouges, pins, vignes, villas, rochers, grotte, temples antiques, obélisque… paysages vallonnés où se glisse toujours paisiblement la Sèvres. Tout était là. Son rêve devenait réalité, et le mien, aussi. Il ne me restait plus qu’à m’asseoir. Emma me souriait. Nous regardions tous les deux l’eau couler. C’était simple finalement le bonheur. Un instant de silence. Regarder l’eau couler, une feuille, une fleur, un nuage, un reflet… Les nouvelles étaient bonnes. Jazz à Fip accompagnait nos soirées bleutées au bord de l’eau. Le déconfinement se ferait tout doucement, vague après vague. La vie s’écoulerait, le temps, les rêves, d’un ruisseau à l’autre. Une feuille, une fleur, un nuage, un reflet… Tout à côté, c’étaient les cris du Hellfest, un travelling qui nous faisait rire. A cette heure, je préférais une musique classique. Piano et violon. L’actualité n’avait plus d’emprise sur mes pensées. Mon journal changeait de bord et de rives. Je voyais le monde d’un autre point de vue. Du point de vue de Roméo, peut-être, déclamant des vers à sa Juliette au balcon de Vérone ? Ou, du point de vue de Cyrano, à Bergerac, écrivant ce qu’il ne pouvait vivre ? Je m’asseyais contre un arbre, blessé au coeur. Une flèche m’avait transpercé. La nouvelle était bonne. La paix était revenue dans la contrée. Nous étions venus, un dimanche, nous y ressourcer et semer nos graines de tendresse. Les roses poussaient bien le long des remparts. Le PMU, Petite Maison Utopique, nous avait ouvert ses portes sous les halles. Une artiste en contrebas sculptait un visage. Le château protégeait son joyau. Clisson, la belle italienne, à mille pas à vol de colibri. Plus douce était la vie…

Thierry Rousse,

Nantes,

Jeudi 19 novembre 2020.

Une bonne nouvelle…

 

Le ciel était bleu, le soleil brillait ce matin. Une bonne nouvelle. Il aurait pu s’arrêter de briller le soleil. D’ailleurs, jusqu’à quand brillerait-il, le soleil ? Quelle était sa date limite de consommation, au soleil ? Je l’ignorais, cela méritait bien de prochaines recherches. Il y avait du vent ce matin. Le fond de l’air était frais. Une mauvaise nouvelle. Au fond, qu’en savais-je si ces nouvelles étaient de bonnes ou de mauvaises nouvelles ? Peut-être fallait-il que le vent nous apporte des nuages gris et qu’il pleuve? Peut-être… Peut-être que la Terre et ses êtres vivants avaient besoin d’eau pour vivre, besoin de fraîcheur, besoin du froid, même ? Ce n’était peut-être pas une bonne nouvelle que le soleil brille ainsi, le signe d’un réchauffement climatique en cours ? Je l’ignorais. J’avais envie de bonnes nouvelles, aujourd’hui, rien que de bonnes nouvelles.

Une promeneuse puis un promeneur me disaient « bonjour », en me souriant, sur le chemin des vaches. Une bonne nouvelle. J’étais reconnu. « C’est lui, le marcheur tonique ! ». J’avais pourtant mis mes lunettes noires « incognito ». Etais-je reconnu parce que je portais le sweat de Tryo ? A 53 ans, il y avait, peut-être, un léger décalage, non ? Quoique. Manu Eveno avait 49 ans. Guizmo, 48. Daniel Bravo, 47. Christophe Mali, 44. Je n’étais pas si éloigné, tout compte fait. Six ans du premier. Neuf, du dernier. Ça pouvait être cohérent. Une bonne nouvelle. Cohérente. Qu’est-ce qui était cohérent , au fond ? Avoir envie de bonnes nouvelles ? Effectivement, ça semblait cohérent. « Etait-on né pour se faire scier ? ». Ce n’était pas de moi. J’empruntais cette maxime à l’Agent Eni. Les vaches nantaises avaient retrouvé leur petit pré. Elles mangeaient du foin. Bonne nouvelle ? C’était la marée basse. Bonne nouvelle ? Il était midi vingt sept lorsque j’atteignais l’entrée de ma maison. Je n’avais dépassé que de sept minutes la durée de sortie autorisée par mon Grand Chef. Etait-ce une bonne nouvelle ? J’ouvrais ma boîte aux lettres. Une bonne nouvelle ! Je recevais gracieusement un calendrier de l’année 2021 : « Vivre ici. Rezé. Nantes Sud, Prenez soin de vous en mangeant des légumes de saison ». A peine entré, j’affichais ce calendrier sur le placard de ma cuisine. Je le voyais déjà rempli de dates de répétitions, de spectacles, de stages, de projets culturels, de rencontres amicales et de voyages. L’heure était venue de commencer à manger ma salade. Elle était de saison. Bonne nouvelle !

Lors de ma pause-café au milieu du jardin, sur les conseils de l’Agent Eni, je cherchais une bonne nouvelle dans L’Humanité Dimanche, entre le 12 et le 18 novembre. Passés la couverture, la photographie d’ « un départ sans badauds », le sommaire, j’arrivais page 8 : « Génération Covid, une génération sacrifiée ». Le dossier était épais. Mauvaise nouvelle. Page 16 : « La restauration collective dégraisse sans état d’âme ». Mauvaise nouvelle. Page17 : «  Depuis le 6 novembre, la vente de repas à emporter est interdite à Paris entre 22 heures et 6 heures ». Mauvaise nouvelle. Qui commandait un repas à six heures du matin ? Page 19 : «  Bolivie. Attentat à la dynamite contre le Président socialiste ». Mauvaise nouvelle. Un espoir, juste en dessous ? « Agriculture et alimentation. Les ambitions en matière de réduction des pesticides ont été revus à la baisse avec un recul notable. Le retour des néonicotinoïdes ». Difficile à prononcer. Mauvaise nouvelle. Page 21 : « Attentats de 2015. Au plus près du procès » . Bonne nouvelle ? Les victimes et les parents des victimes pourraient, cinq ans après, obtenir réparations. Mais, comment oublier ? Les traumatismes étaient profonds. « Ils n’ont pas seulement tué mon mari, ils nous ont tués » témoignait la veuve de l’une des nombreuses victimes des attentats au Bataclan. L’histoire n’était pas finie. Terrible nouvelle. Page 26 : «  C-News, banalisation de l’extrême droite, stigmatisation des musulmans, thèses complotistes, hystérisation du débat… ». Mauvaise nouvelle. Page 31 : « Loi sur la sécurité globale, un des textes les plus liberticides de notre époque moderne ». Mauvaise nouvelle. Page 32 : « Biden remporte la Maison Blanche ». Je respirais. Enfin, une bonne nouvelle à rapporter à l’Agent Eni ! Je continuais ma lecture : « Un mandat difficile s’annonce ». Mauvaise nouvelle. Je ne dirais rien à l’Agent Eni. Page 38 : « Finance solidaire. Cette petite branche de la finance qui investit dans des projets et entreprises solidaires, éthiques et écologiques est en plein développement. Ce sont les salariés, grâce à leur épargne, qui contribuent au boom du secteur… ». Les bonnes nouvelles commençaient à pointer leur nez page trente huit. Je souriais. L’Agent Eni serait content. Page 40 . Deuxième bonne nouvelle ! « Devant le drame des migrants échoués dans les montagnes transalpines, la mobilisation des Briançonnais s’est montrée exemplaire …». Je poursuivais, radieux : « … mais ce lieu essentiel est aujourd’hui menacé d’expulsion ». Ma joie retombait. Je passais vite à l’autre page. Page 47 : « Pour son inaction devant la mauvaise qualité, la France est renvoyée devant la Cour de justice européenne par la Commission ». Bonne ou mauvaise nouvelle ? La France était punie mais la qualité de l’air français était très mauvaise. « Pourquoi tousses-tu, tonton ? ». Heureusement, les masques étaient arrivés ! « Bien joué, Adjudant ! ». Page 48 : « Télétravail. Ces employeurs qui freinent des quatre fers » . « Et la caméra pour me filmer ? Elle est où la caméra ? ». « Les caméras, Adjudant ! – Sur le tarmac chinois, Grand Chef ! ». Page 50 : « Oise. Les fermiers soignent cochons et truies au violon et à l’aromathérapie. Au final, de la haute gastronomie ». Une bonne nouvelle, comme ça faisait du bien, une bonne nouvelle ! Je courrais l’annoncer à l’Agent Eni. Les cochons et les truies étaient sensibles au violon. ! Il y avait là des cours à donner… « Aux humains, naturellement, Agent Eni ! ». Page 54 : « Reconfinement. De longs dimanches sans rencontres. Les sports collectifs amateurs sont à nouveau privés d’entraînements et de compétitions. Une situation qui met en péril le mode de vie associatif ». Mauvaise nouvelle. Ces longs dimanches sans rencontres entre Roméo et sa Juliette… Page 57 : « Che Gevara, le parcours incroyable de l’homme au béret étoilé ». Bonne nouvelle, le Che était de retour ! Ça allait changer ! Puis, il y avait les pages récréatives de L’Humanité Dimanche. Bonnes ou mauvaises nouvelles ? « Jeux vidéos : Crusader Kings III, la plus belle des machines à remonter le temps ». « Livre : Rome, berceau d’une langue poétique ». « Idées : Il faut donner priorité à l’accès universel aux biens d’accomplissement » déclarait le philosophe Pierre Crétois. Restait à définir ce qui nous était essentiel… Les nappes de pétrole ou les vertes prairies ? Avec quelles ressources m’accomplirais -je ? Suivaient les annonces classées : « Pour cet hiver, réservez maintenant ! Rendez-vous au sommet ! Des vacances à la montagne en villages vacances ». Bonne nouvelle ! Je préparais mes skis et mon maillot de bain pour rejoindre Emma. Télévision : Faux-Semblants. Vendredi 20 novembre , 21h5 ». « Faux-Semblants ». Bonne nouvelle ! J’avais tourné dans ce film comme figurant inconnu. Je me serais bien vu mais je n’avais pas installé dans ma maison la télévision. Erreur monumentale, mauvaise nouvelle ! « Radio : être survivant et réapprendre à vivre . Les attentats du 13 novembre ». Que disaient les Sciences ? « Archéologie. Néanderthal se promenait sur les berges de Seine ».Bonne nouvelle ! Et si j’étais en manque d’autres bonnes nouvelles, je pouvais toujours me défouler sur la page des mots fléchés et des Sudoku ku ku… Il n’y avait pas de mal à se faire du bien. Jouer, c’était gagner un peu de recul sur l’actualité. Cette maxime, je l’offrais en échange à l’Agent Eni. J’arrivais à la fin des nouvelles et de mon rapport. Un gros dossier : Le 13 novembre 1970, Hafez Al Hassad prend le pouvoir en Syrie ». Il était 14h30. Achèterais-je la prochaine fois La Croix ? Y-aurait-il davantage de meilleures nouvelles ? Je pouvais toujours croire au ciel. A 14h30, le ciel s’était couvert de nuages gris et il se mettait à pleuvoir. Mauvaise ou bonne nouvelle ? Au dos de L’Humanité Dimanche », il était écrit en lettres imposantes: « Pour que Noël n’oublie personne, donnez de l’argent ! Merci ! Avec le Secours Populaire et les Copains du monde, devenez Père Noël Vert ! ». Des olives avaient poussé sur l’olivier du jardin. J’annonçais le bonne nouvelle à ma propriétaire, fier, d’avoir trouvé, au terme de ma pause-café, une bonne nouvelle. « Il fait tellement doux… » me répondit-elle, tristement. L’Agent Eni aurait, peut-être, souri ? Les olives sur l’olivier du jardin, à Nantes Sud, étaient le signe que la Provence était arrivée en Bretagne, ou, le constat d’un réchauffement climatique immanent . Le début de la fin ? Ma pause-café était vraiment finie. Je reprenais mon travail. J’obtenais un nouveau rendez-vous pour les dents que je n’avais pas : le lundi 30 novembre. Bonne nouvelle ! J’apprenais, au fil des jours, à me réjouir des bonheurs insignifiants de la vie. Cet hiver, je skierais sur des pistes tendres, infinies avec Emma. Le ciel serait rempli d’étoiles. L’Agent Eni lirait mon rapport en souriant. Bonne ou mauvaise nouvelle ?

Thierry Rousse

Nantes

Mardi 18 novembre 2020

« De retour chez Mémé Zanine »

« Ce n’était pas pareil » ( Une cigale et une fourmi)

 

« Ce n’était pas pareil… ». J’avais entendu cette phrase quelque part. Oui, ou, non. Ce n’était pas pareil. Non. Il n’y avait plus ces applaudissements à vingt heures pour le personnel soignant, comme il n’y avait plus ces concerts de Jean-Louis Aubert dans son salon rien que pour moi. Oui. Comme il n’y avait plus ces vidéos amusantes de comédiennes, ces textes lus à haute voix de comédiens, ces réflexions philosophiques d’illustres femmes et hommes et d’illustres inconnus sur le fil de mes actualités « Facebook ». Non. Il n’y avait plus ces rues, ces avenues, ces boulevards périphériques sans voiture. Oui. Il n’y avait plus ces écoles fermés, ces entreprises à l’arrêt, ces services publics inaccessibles. Non. Ce n’était pas pareil. Oui. La vie semblait continuer. La seule différence se résumait à des librairies, des théâtres, des cafés, des restaurants et d’autres commerces dits « non essentiels », fermés. Oui. C’était déjà beaucoup, certes, mais pas assez pour réfléchir au « Jour d’après ». Non. Peut-être était-il d’ailleurs là le « Jour d’après ». Oui. Non. La vie continuait à l’intérieur des théâtres. Les artistes et les techniciens travaillaient, répétaient. Les retransmissions via des chaînes privées You Tube, les achats en ligne, les livraisons à domicile ou en drive avaient pris le relais des rencontres physiques, histoire de continuer à faire tourner la boutique, de ne pas mettre la clé sous la porte. Non. Oui. Chacun avait déployé des stratagèmes pour survivre. Oui. Non. Les multinationales, elles, s’arrangeaient bien de cette crise sanitaire et en tiraient parti. Oui. Je me sentais déçu pour le « Jour d’après ». Une désillusion. Oui. Le Grand Chef m’avait vendu du rêve. Oui. J’avais commencé à croire en un nouveau monde. De l’avenir de la planète, des êtres vivants, nul ne semblait en parler. Non, Le sujet était relégué aux dernières pages du journal. Oui. Le « Black Friday » paraissait plus essentiel que l’avenir de la planète et des êtres vivants. Oui. Le Grand Chef entouré de ses Chefs traitaient des effets non des causes. Oui. Ce n’était pas pareil. Oui, oui, oui.

Je revenais de ma première vacation, au rayon « fromagerie » d’un supermarché coopératif, bio et local. Les adhérents donnaient trois heures de leur temps par mois pour faire fonctionner ce supermarché. Cette participation bénévole avait, pour but, entre autres, de faire diminuer le coût de revient des produits. Je ne voyais pas grande différence avec les prix de chez Biocoop. Des choses m’échappaient, sans doute. Il devait me manquer des pièces dans le puzzle du monde pour tout comprendre au fonctionnement de son économie. Si, au-moins, ma participation volontaire pouvait servir au maintien et au développement des producteurs locaux, c’était déjà un pas de gagné sur ces grandes multinationales. Ce n’était pas pareil. Oui. Ce supermarché coopératif, bio et local, était peut-être l’avenir des supermarchés ?

Oui, ce n’était pas pareil. Roméo ne voyait plus sa Juliette. Il ne voulait pas lui transmettre le virus. Alors, il s’était mis à écrire à sa Juliette. Non, pas sur les touches d’un clavier d’ordinateur ou de Smarphone. Non, il s’était vraiment mis à écrire. Une feuille, un stylo, une enveloppe, un timbre. Et, pour la première fois de sa vie, Juliette recevait une lettre de son amoureux dans sa boîte aux lettres. Oui. Ce n’était pas pareil. Juliette prenait une feuille, un stylo, une enveloppe, un timbre pour répondre à son Roméo. Leurs boites aux lettres à tous deux revivaient. Ce n’était pas pareil. Oui, le facteur reprenait goût à son métier. Il pédalait avec entrain, s’envolait presque. Oui. Enfin, des lettres d’amour à porter ! Ces lettres étaient autre chose que des avis d’imposition, des amendes, des factures à régler, et toutes sortes de papiers administratifs. Oui, ce n’était pas pareil. Oui, oui, oui.

J’avais choisi un monde pas pareil. Un monde différent. C’était peut-être bien, au fond. Ne pas se sentir pareil de ce qui n’était pas pareil ? Avoir toujours un pas d’avance pour aller plus loin vers l’essentiel . Ce n’était pas pareil. Une cigale s’était éprise d’une fourmi au pied d’un olivier.

Mardi 17 novembre 2020,

Nantes

 « De retour chez Mémé Zanine » de Thierry Rousse

Mon Pote Agé ( dernier épisode )

 

Le jardin de Barnabé se couvrait d’étoiles de neige. Il coupait en petits losanges ses légumes, les plongeait dans sa marmite, puis, avec une grosse cuillère en bois, il les mélangeait. Les carottes, les navets, le choux, les pommes de terre mijotaient à feux doux. Une délicieuse odeur s’échappait sous la porte de sa cabane.

Théo : Je peux entrer, Mon Pote Agé ?

Barnabé : Oui, bien sûr, entre Théo, pousse la porte, tu es ici chez toi ! Installe-toi, une bonne soupe t’attend !

On pouvait entrer à 18 heures, 19 heures, 20 heures, 22 heures, 23 heures, minuit, il y avait toujours de la soupe chaude chez Barnabé ! Et le samedi soir, après le souper, c’était l’heure du… spectacle !

Barnabé: Bienvenus mes Amis au Théâtre !

Le théâtre, c’était le jardin secret de Barnabé . Il disposait des bottes de paille en demi-cercle dans sa grange. Puis, il préparait son panier, son chapeau de paille, et toutes sortes d’accessoires qu’il avait récupérés. Puis, il se cachait derrière un vieux rideau rouge qu’il avait suspendu à une grosse poutre en chêne. Son premier spectateur, celui qui arrivait toujours bien avant l’heure, c’était Théo. Théo s’asseyait toujours au premier rang. Il entendait dans les coulisses Barnabé frapper les trois coups avec ses sabots comme ça : « Toc, toc, toc ». Le spectacle pouvait, enfin, commencer !

Barnabé : A Noël, quand j’avais sept ans, mon grand-père m’avait offert un petit livre illustré : « La fabuleuse histoire de la pomme de terre ». J’ai toujours gardé soigneusement ce livre. Je l’emmène partout avec moi dans mon panier. Quand j’ai bien jardiné, je pose mon panier sur le muret d’un puits à l’ombre d’un olivier, je prends mon petit livre illustré, je l’ouvre, et je le lis.

Je le lis pour ma Fée Clochette, je le lis pour les oiseaux migrateurs qui chantent dans le ciel, je le lis pour les grenouilles, les canards sauvages, les hérons scrutant l’horizon, je le lis pour ma grand-mère Salade, pour ma petite trousse de secours, pour la richesse de mon jardin, pour le Dur à cuire, pour le Soleil de mon amour, pour ma douce amie Capucine, pour mes compagnons le vers de terre, le hérisson, pour Brillante qui ronronne toujours, je le lis pour toi, Théo, et pour vous tous qui êtes venus. « Autrefois, en hiver, les enfants allaient à l’école avec une petite pomme de terre brûlante dans chaque poche : ils s’en servaient comme d’une bouillotte pour leurs mains. » C’est amusant… Continuons ! « La pomme de terre n’est pas une racine comme la carotte ; ni un bulbe comme l’oignon, ni une tige à bourgeon comme l’asperge. La pomme est un tubercule, une sorte de renflement fabriqué par des tiges souterraines. Le plant de la pomme de terre donne aussi un fruit : il ressemble à une toute petite tomate verte, qui est d’ailleurs de la même famille, mais ne se mange pas. » (*) « Ne se mange pas ? »…Il n’est pas écrit que les enfants aimaient les pommes de terre, peut-être qu’ils n’aimaient pas les pommes de terre… Tu aimes, toi, les pommes de terre ? Tu préfères les frites ou les pommes de terre ? (…) Les frites ! Je m’en doutais ! Il y a peut-être des frites qui poussent sous tes pieds ? Non ! Les frites comme les pommes de terre viennent de loin, de très loin, de très très loin, et, plus précisément d’Amérique ! Les Incas cultivaient, il y a très longtemps, des petites pommes de terre au milieu des montagnes. Les voici ! Ils dansaient même au milieu des pommes de terre ! Mais, tu vas me demander : « Comment se fait-il que les pommes de terre soient arrivées chez nous ? Est-ce un oiseau migrateur qui les a transportées, ou, un explorateur qui nous les a rapportées ? ».  Je te laisse réfléchir…

Barnabé, pendant ce temps-là, se transformait en conquistador.

Le Conquistador : Para la conquista del Perú! … Para la conquista del Perú! …

Puis, il se cachait derrière sa chaise, et faisait apparaître un petit bateau.

Barnabé : En 1540, Pizarro et ses Conquistadors rapportaient d’Amérique cet étrange légume…

Barnabé s’amusait à jouer tous les personnages de l’histoire.

Un marchand portugais : Approchez ! Approchez !… Après la pomme du ciel, voici la pomme de terre !

Le premier paysan : C’est quoi ça ?

Le deuxième paysan :Une pomme de terre.

Le premier paysan : Une QUOI ?

Le deuxième paysan : Une POMME DE TERRE ! Et si on la mangeait ?

Le premier paysan : T’as qu’à la manger toi !

Le deuxième paysan : Bah ! C’est pas bon ! C’est bon pour les cochons !

Le premier paysan : Bon pour les cochons ?… Ah ! C’est vrai que, crue, la pomme de terre, ce n’est pas bon !

Barnabé : Il a fallu attendre le dix huitième siècle pour qu’on s’intéresse à la pomme de terre!

Germaine : Monsieur Parmentier ! Monsieur Parmentier ! Votre petit déjeuner est servi !… Mais où êtes-vous ?… Ah, je sais, vous êtes encore dans votre cabinet à observer ses tubercules de pommes de terre…

Monsieur Parmentier : Ces tubercules de pommes de terre, comme tu dis, Germaine, pourraient bien nourrir toute la Terre ! Sais-tu qu’une pomme de terre plantée au printemps en donne vingt-cinq à l’automne, n’est-ce pas merveilleux ? Et si, on plantait des pommes de terre, dans ce champ en face, et qu’on faisait garder ce champ par des soldats, de vaillants soldats ? Les paysans voyant leur champ gardé par des soldats se diront : « Si notre champ est gardé par des soldats, c’est qu’y doit ben y avoir un trésor dedans ! ». N’est-ce pas une bonne idée, Germaine ?

Germaine : ça, c’est une bonne idée, une très bonne idée, Monsieur Parmentier !

Le premier soldat : Qu’est-ce qu’on fait ?

Le deuxième soldat : On garde ce champ !

Le premier soldat  : Garder un champ ? Pourquoi ?

Le deuxième soldat : C’est Monsieur Parmentier qui nous l’a ordonné.

Le premier soldat  : Ah ! Si c’est Monsieur Parmentier qui nous l’a ordonné ! …

Le paysan : Hé, la Marie, regarde, notre champ est gardé par des soldats !  Si notre champ est gardé par des soldats, c’est qu’y doit ben y avoir un trésor dedans ! Gaston, viens, Fiston ! Cachons-nous derrière cet arbre, et, attendons que les soldats s’endorment !

Le premier soldat: Le soleil se couche ! On ferait bien d’aller se coucher nous aussi !

Le deuxième soldat : Non, Monsieur Parmentier nous a ordonné de garder ce champ jour et nuit !

Le premier soldat  : Jour…et… nuit… Ah, si c’est Monsieur Parmentier qui nous l’a ordonné…

Le paysan : Fiston, réveille-toi ! Les soldats se sont endormis. Retournons ce champ !… Des pommes de terre ! C’est donc ça le trésor ! Rentrons à la maison, Fiston !

Gaston : Papa, j’ai le bout des doigts gelés !

Le paysan: T’inquiète Fiston, je te ferai cuire des pommes de terre, t’auras qu’à les glisser au fond de tes poches, ça te réchauffera ben les mains !

Barnabé : Le paysan alluma un feu et fit cuire les pommes de terre dans la cendre chaude. Quand elles étaient bien cuites, il les donna à son fiston.

Gaston :  Merci Papa ! Et Papa ! c’est peut-être ces pommes de terre, le trésor ?

Le paysan : Ces pommes de terre, le trésor ?… Et ben, t’as qu’à le manger ton trésor, fiston !

Barnabé : Rentré à la maison, le fiston sortit les pommes de terre encore chaudes de ses pommes, en goutta une du bout de ses lèvres…

Gaston : Hmm, c’est bon…

Barnabé : Puis il la mangea toute entière, puis une autre… La famille de Gaston, voyant qu’il mangeait des pommes de terre, se mit elle-aussi à manger des pommes de terre…

La famille de Gaston : Hmm, c’est bon !

Barnabé : Les voisins d’en face des parents de Gaston voyant que les parents du Gaston mangeaient des pommes de terre se mirent eux-aussi à manger des pommes de terre.

Les voisins d’en face des parents de Gaston : Hmm, c’est bon !

Barnabé : Et tout le village des parents de Gaston se mit à manger des pommes de terre. Le village d’en face du village des parents de Gaston voyant que le village des parents de Gaston mangeait des pommes de terre se mit lui aussi à manger des pommes de terre. Et le village d’en face du village d’en face du village d’en face du village des parents de Gaston voyant que le village d’en face du village d’en face du village des parents de Gaston mangeait des pommes de terres se mit lui aussi à manger des pommes de terre. Et toute la France se mit à manger des pommes de terre ! Et la Belgique voyant que la France mangeait des pommes de terre se mit elle aussi à manger et à cultiver des pommes de terre, une fois ! Et tout le monde se mit à cultiver des pommes de terre, une fois ! On dit même que sur l’île de Noirmoutier, on cultive les meilleures pommes du monde ! Dans mon jardin aussi, je cultive les meilleures pommes du monde ! Les pommes de terre des Incas étaient aussi les meilleures pommes de terre du monde ! Pour être jardinier, il faut des sabots, un tablier, un chapeau de paille un arrosoir, un âne, et… et… beaucoup d’amour !

Barnabé ôtait son chapeau et saluait son public. Théo applaudissait de toutes ses forces.

Théo: Bravo Mon Pote Agé! … Bravo Mon Pote Agé !…

Théo était le seul spectateur. Mais les applaudissements de Théo touchaient tellement le cœur de Barnabé que, chaque samedi soir, Barnabé rejouait pour Théo son spectacle : « La fabuleuse histoire de la pomme de terre ».

Théo : Vous serez là, demain, Mon Pote Agé ?

Barnabé : Oui !

Théo : Et après-demain ?

Barnabé : Oui !

Théo : Et après après demain ?

Barnabé : Oui !

Théo : Et après après après… demain ?

Barnabé : Oui!… Si je ne suis pas là, je serai dans le jardin des graines d’étoiles. Tu pourras me contempler. Là, tu verras l’étoile du berger, au-dessus, l’étoile de la Grande Ours, tout là haut, l’étoile de Barnabé, et tout là-haut, là-haut, l’étoile de Fée Clochette ! … Bonne nuit, Théo,, fais de beaux rêves ! Et n’oublie pas, pour être jardinier, il faut : des sabots, un tablier, un chapeau de paille, un arrosoir, et… et…

Théo : … beaucoup d’amour ! … Bonne nuit, mon Pote Agé !

FIN

Dernier épisode, « Mon Pote Agé  » de Thierry Rousse

(*) in « L’aventure de la pomme de terre », édition Gallimard Jeunesse