Les résultats sont bons ( « mais tout peut repartir… »)

 

En ce lundi 16 novembre 2020, le Chef de la Santé annonçait derrière son masque noir : « Nous reprenons le contrôle, on tient bon, mais ne lâchons rien, tout peut repartir ! ». Sur Fip, Neil Young chantait une chanson de son album « Harvest », un album fétiche de ma jeunesse. Tout pouvait donc repartir. Nous tenions bon la barre. Gestes barrières. Distanciation. Masques. Savons. Gel. Les résultats étaient bons. Quelques indisciplinés pouvaient suffire à faire repartir les chiffres à la hausse. On avait repéré quelques fêtards dans le quartier. Qui les dénoncerait aux Brigades des Mille pas ? Le petit virus sans abri continuait à se faufiler entre nous, discret, en quête d’une maison et de nourriture pour survivre. Deux entreprises revendiquaient avoir trouvé le vaccin. Elles s’affrontaient sur le ring du fric. Qui aurait la belle part du gâteau pour protéger la population mondiale ? Qui serait le libérateur officiel de nos vies ? Les Gaulois étaient méfiants. « Je suis en bonne santé et on va m’injecter ce virus pour en être protégé ? ». Les vaccins, ce n’étaient pas, à vrai dire, mes meilleurs copains. J’avais des doutes sur l’intégrité de ces Romains à la conquête de ma santé. Etais-je l’un de ces irréductibles Gaulois à la pointe bretonne? J’aimais les crêpes. Y-avait-il un rapport ? « Tu seras vacciné de gré ou de force , tel est ton destin !». Une attachée commerciale finirait par me convaincre, de ses lèvres pulpeuses mâchant du chewing-gum, que c’était pour mon bien, appuyant sur ma corde sensible, la « peur de mourir », ou, me culpabilisant : « Vous pouvez tuer les autres si vous ne vous faites pas vacciner » . Avais-je le choix ? Les non-vaccinés seraient montrés du doigt comme des pestiférés ou des assassins. Je me rassurais, ce déferlement de vaccins n’était pas pour demain. Peut-être pour le sur-lendemain. Une journée de répit pour réfléchir. J’attendais mes résultats, ceux prescrits par la docteure : cancer, diabète, cholestérol, sida… Non, pas le Covid, « pas besoin » m’avait-elle répondu. Chaque jour, mourraient des gens à l’hôpital. C’était curieux, le Chef de la Santé ne parlait que de ceux qui mourraient du Covid. Pas de chance pour les autres. Ils mourraient dans la plus totale indifférence médiatique. Les petits commerçants fermés n’en pouvaient plus de ces grands supermarchés ouverts. Ils revendiquaient leur « Black Friday ». La ruée vers l’or commencerait le 27 novembre, piétinant tous ces virus indésirables. Mes pensées se brouillaient, comme un nuage qui en chassait un autre. J’étais tombé dans la toile de la génération « Zapping ». J’avais la sensation que tout tournait autour de la santé et de l’argent. Il me restait à construire un récit cohérent, une suite logique à mes mots, la douceur d’un chalet en montagne, loin du monde, un feu de bois peut-être, des brebis, peut-être aussi, l’ombre d’Emma, une vie, une vie simple, peut-être.

Les résultats étaient bons ce matin, Tout était présent dans mon assiette : le café, la pomme, la tartine beurré, le fromage blanc. Tout pour commencer la journée en bonne santé. Mais, tout pouvait repartir, je ne devais rien lâcher. J’avais de bons compagnons, mais tout pouvait repartir. Tout. Repartir. Le Chef de la Santé me rappelait cette précarité du bonheur. cette fragilité de la vie. Ma vigilance était de mise, me tenir à chaque petite chose. Coeur fidèle. Continuer mon rangement. Trier, structurer, organiser, répartir toutes ces paperasses par dossiers. Je commençais à y voir plus clair. En bas, l’emploi, d’un coté, à gauche, la santé, de l’autre, à droite. Sur l’étagère du haut, le théâtre. En repos. Juste en dessous les chaussettes et les caleçons. Il fallait bien leur faire une place, aux chaussettes et aux caleçons. Les livres avaient envahi presque toutes mes étagères. Je devais porter une autre définition de l’essentiel. Je savais que tout pouvait repartir, s’écrouler sous la tornade du temps. Mon corps n’était qu’éphémère, comme une vieille voiture. Je passais en révision, depuis 2015, tous les deux ans. Mes pièces tenaient bon. Certes, je n’étais plus la « Formule Un » que j’étais. L’avais-je vraiment été ? Certaines fois. Les autres fois, j’étais plutôt hérisson ou escargot, avançant lentement mais sûrement sur le chemin de la vie. Je rêvais d’une mort vers cent vingt ans environ, à l’ombre d’un olivier, histoire de me convaincre que j’avais toujours vingt ans. Mourir tranquillement en dormant, la plus belle mort, disait-on. Une cigale se poserait sur ma joue. Pour l’heure, il était question de mes dents, et cela me prit bien tout l’après-midi en appels téléphoniques. Ces fameux implants, le must en la matière, n’étaient ni remboursés par la mutuelle, ni par la CPAM, à croire qu’il fallait un compte en banque dodu pour être doté de jolies dents. Aux autres, les dentiers des sans-dents. Y-aurait-il des bons et des moins bons vaccins ? Tout pouvait repartir, je ne lâchais rien. Plutôt le désir de vivre que la peur de mourir. Je m’endormirais en vivant. Les résultats seraient bons. Un nuage en chasserait un autre.Le ciel serait bleu d’étoiles, cette nuit. Un aviateur sèmerait ses roses au-dessus de la baie de Cassis…

Thierry Rousse,

Nantes,

Lundi 16 novembre 2020

« De retour chez Mémé Zanine ».

Mon Pote Agé ( Episode 11 )

 

A la fin de l’été, se dévoilait l’automne, la saison des peintres.

Théo : La saison des peintres impressionnants ?

Barnabé : Non, impressionnistes, Théo !  La saison des peintres impressionniste, ces artistes qui, au milieu de la forêt, posaient leur chevalet pour peindre ses feuilles et leurs mille couleurs, comme Jean-François Millet ou Théodore Rousseau.

Théo : Ou comme vous, mon Pote Agé  !

Barnabé : Euh, tu vas me faire rougir, je n’ai point leur talent ! Et puis, le plus grand des artistes, c’est quand même Dame Nature ! Regarde ces feuilles comme elles sont ravissantes, comme elles inspirent notre âme ! Ce cadeau vivant et rougeoyant est le cadeau d’adieu que les feuilles font à leur arbre, cet arbre qui les a vu naître et grandir depuis le printemps. Elles se détachent avec délicatesse de ses branches, virevoltant dans le ciel avec liesse pour se poser sur la terre entre ces énormes citrouilles.

Théo : Les carrosses de Cendrillon ?

Barnabé : Tu n’as pas oublié mes histoires, Théo !

Théo : Non, qui pourrait les oublier vos histoires, mon Pote Agé ?

Ces énormes citrouilles, on aurait dit des soleils qui avaient atterri entre les carottes, les navets, les pommes de terre…

Théo comparait les citrouilles aux glands de ces énormes chênes.

Théo: Barnabé !

Barnabé : Oui, Théo ?

Théo: Pourquoi ces énormes citrouilles sont accrochées à ces fines tiges rampant dans l’herbe, alors que ces tous petits glands pendent à de grosses branches? L’auteur de tout cela a bien mal placé ses citrouilles ! Moi, je les aurais pendues à l’une de ces grosses branches ! Tel fruit, tel arbre ! La citrouille, le chêne. Les petits glands, les fines tiges rampant dans l’herbe !

Barnabé : Aïe !

Théo : Que vous arrive-t-il, mon Pote Agé ?

Barnabé : Rien, c’est un gland qui m’est tombé sur la tête.

Théo: Heureusement que ce n’était pas une citrouille !

Barnabé : Comme tu dis, heureusement que ce n’était pas une citrouille ! Tu comprends maintenant pourquoi l’auteur de cet ouvrage-là a placé ses citrouilles par terre ?

Théo : Oui, je comprends, le ciel a bien pensé à nous : les petits glands au-dessus de nos têtes, et les énormes citrouilles à nos pieds ! La nature est vraiment bien faite !

Barnabé : Oui, et si belle, Théo! Et, maintenant, il est temps d’aller préparer les confitures du raisin que nous avons cueilli ce matin, et la bonne soupe de carottes, de navets, de poireaux, de choux, de pommes de terre, de citrouilles !

Avis de tempête ( Conte merveilleux ? )

 

Le vent soufflait puissamment en ce dimanche matinal du 15 novembre 2020. Des rafales de pluie s’abattaient sur la vitre de ma lucarne, si fort qu’elles me réveillaient d’un bond. Que se passait-il ? Etait-ce la fin du monde ? Le déluge annoncé? Je n’avais point de luge pour échapper à mon destin ni à l’apocalypse. Je consultais l’actualité sur mon smartphone : tempêtes annoncées sur la pointe bretonne. Ma première pensée allait aux skippers du Vendée Globe. Qu’allaient donc faire ces solitaires dans cette galère ? A croire qu’ils aimaient jouer avec l’enfer. Je me réfugiais sous mon paradis, une couette blanche. Le dimanche, tout était permis. Je pouvais rester là des heures à écrire, à lire, à penser, à m’instruire. Une parenthèse entre deux emplois. Je pensais aux premières lignes, je pensais aux malades, je pensais à la Terre, à cette planète flottant dans l’univers. L’avais-je oublié , qu’elle flottait dans l’univers, notre planète ? Elle avait sa vie, sa force, sa fragilité. Tout n’était qu’éphémère. Le vent la chahutait, la secouait, l’ébranlait. Rien qu’un tour de Merlin L’Enchanteur ? Je m’étais rendu, un jour, au coeur de sa forêt, à Brocéliande, là, au pied de la Fontaine Barenton. Quelques gouttes de son eau jetées par le Magicien sur le perron suffisaient à déclencher d’effroyables tempêtes. Les contes se nourrissaient de ces tempêtes. La douceur du début d’une histoire ne durait jamais. Il y avait une menace, soudain, qui surgissait, puis la peur qui rôdait, s’immisçait dans nos maisons, dans nos coeurs, dans nos rues, dans nos bois. Il était question alors de fuir, de trouver mille stratagèmes pour survivre. Mille épreuves qui nous apprendraient la vie, qui nous feraient grandir. Un chemin initiatique dont nous avions toujours une leçon à retenir. Au final, nous nous en sortions toujours grâce à l’intervention d’un pouvoir magique. C’est ce qu’ils avaient de « merveilleux » ces contes, au fond, tragiques, qui racontaient la vie quotidienne avec son flot de joies et de malheurs.

Ma seule sortie du jour était ce rendez-vous que j’avais pu obtenir à 14 heures pour rendre visite à mon Papa. Des inscriptions à l’entrée de l’Ehpad me replongeaient dans les contes d’autrefois, les contes qui faisaient très peur, pour de bonnes raisons sans doute, pour nous éviter le pire, pour nous aider à vivre. « Circulation DANGER pour les résidents ». Il y avait des plus, plus, plus à n’en plus finir. « Respect incontournable des gestes barrières sous peine d’ ARRET DES VISITES ». Les mots en grandes lettres ressortaient. La suite, en petites lettres, je la connaissais par coeur: « Garder son masque ». « Pas de selfie, pas d’embrassade ». « Ne pas partager une collation ». Gel et masque étaient à ma disposition. J’en faisais bon usage. J’avais bien appris mes leçons. J’étais un élève consciencieux. A aucun moment, je n’aurais voulu transmettre ce virus à mon Papa ou à d’autres personnes âgées, nos anciens si précieux, dépositaires de la sagesse. D’ailleurs, où était-il ce virus ? Il circulait si vite que je ne pouvais point l’attraper. J’aurais pu le saisir, m’entretenir avec lui, les yeux dans les yeux. « Dis-moi, qui t’a envoyé ici ? Merlin ? ». Non, Merlin n’y était pour rien. Ce conte n’avait rien de merveilleux. Les pouvoirs magiques avaient disparu de nos raisons. Notre relation sacrée au vivant avait été remplacée par l’argent. Brûler des forêts, encore et encore, vendre sur le marché des pangolins, tuer les contes merveilleux. Les humains s’étaient attribué des pouvoirs qui ne leur appartenaient guère. La tempête s’apaisait. Le ciel était bleu. Mon Papa écrivait pour nous. Que pouvait-il bien écrire ? Un marin solidaire dans sa chambre. Les humains construisaient leurs barrières, l’une après l’autre, pour se protéger, pour s’aimer. La peur rôdait. A tout moment, les visites pouvaient être suspendues. La porte, fermée. C’était pour le bien de chacun. La solitude était notre compagne. J’appliquais un geste barrière avec ma solitude, au cas où… Je ne comprenais plus rien à tout ça, tout circulait trop vite dans ce monde, il était temps de nous poser. Nous asseoir sur le talus d’un chemin, le long d’un ruisseau. Fermer les yeux. Ne plus rien dire. Ecouter le vent. Les oiseaux, Ecouter un murmure de l’eau. Merlin l’Enchanteur enchantait mon coeur. J’aurais voulu m’appeler  « Petit coeur malade » pour slamer aussi bien que les grands. Les mots et l’élixir des petits lutins apaisaient mes maux.

Thierry Rousse,

Nantes,

Dimanche 15 novembre 2020.

Mon Pote Agé (épisode 10)

 

La boite à musique de Barnabé contenait un véritable trésor.

Barnabé : Ici, se trouvent réunies des graines du monde entier. Il y a des graines de courges, de salades, de lentilles, de tomates… Ce que je trouve merveilleux, c’est que dans une minuscule graine se trouve cachée toute une vie, une tige, des feuilles, des fleurs, des fruits… un haricot géant qui grimpe jusqu’au ciel si nous savons en prendre soin. Regarde, cette petite graine, c’est une graine de carrosse, la citrouille qui mena Cendrillon au bal, ce bal où elle rêvait tant d’aller après son travail.

Barnabé aimait raconter toutes sortes d’histoires à Théo. Il adaptait à sa manière les contes traditionnels où on y parlait de ses légumes. De son panier, il en faisait un théâtre de marionnettes si simple et si beau à la fois.

La marâtre : Et là, c’est propre ?… Allez, on frotte !… Et là !… Plus vite Cucendron !… Et maintenant, du balai !

Barnabé : Sa marâtre riait aux éclats et, chaque soir, déversait toujours un petit plus de petits pois dans la cendre, jusqu’au jour, où un petit écureuil, sur une branche, parut et transforma la citrouille en carrosse. Ting !

L’écureuil : Cendrillon ! Cendrillon ! Où es-tu Cendrillon ?… Vous ne l’avez pas vu ?

Barnabé répondait à sa marionnette.

Barnabé : Je crois bien qu’elle est là, tout au fond du panier, et qu’elle pleure, Cendrillon, mon Ami l’écureuil…

L’écureuil : Merci Monsieur ! Cendrillon ! Cendrillon !…

Barnabé : Cendrillon était si belle, vêtue de sa robe de lumière, que les musiciens cessaient de jouer, et le prince, de manger. Ding, ding, ding, ding, ding…

Cendrillon : Minuit ! Je dois rentrer avant que mon carrosse ne se transforme en citrouille !

Barnabé: Sur mon chemin, Théo, j’ai retrouvé la pantoufle de Cendrillon. Tiens, je te l’offre, elle est pour toi !

Théo : Merci mon Pote Agé ! Si j’ai la pantoufle, je vais pouvoir trouver ma princesse !

Episode 10 , « Mon Pote Agé » de Thierry Rousse

Zone commune à défendre (« J’suis pas rentré »)

 

359 décès, 2202 nouvelles hospitalisations, 327 entrées en réanimation, telles étaient les nouvelles de ces dernières vingt quatre heures en France. Les nouveaux chiffres étaient communiqués sur BFMTV. Retour amer à la réalité après douze heures où j’avais tout ou presque oublié de ces drames, comme de cet anniversaire tragique hier des attentats au Bataclan, au Stade de France et aux terrasses des cafés parisiens. Un acte manqué comme si mon inconscient avait besoin de s’évader, loin, très loin.

Retourner au marché ce matin. Ce n’était pas le marché sur la place du village à l’ombre des platanes, ce marché provençal que j’aimais tant, mais c’était un marché sur un vaste parking, derrière l’église de Vertou, et c’était déjà bien. Il y avait si longtemps que je n’avais pas contemplé ces étalages colorés de fruits, de légumes, de poissons, de crustacés, de fromages de toutes nos belles régions. 2,30 euros six huîtres de Vendée, de quoi faire le bonheur de mon midi et songer à tous ces rires avec mes amis. Je savourais mes six huîtres tantôt avec du citron, tantôt avec du vinaigre et des échalotes, accompagnées d’un Chardonnay bio. Puis, suivaient la truite servie avec du riz au beurre et un fromage blanc fermier en dessert. Un vrai repas de fête avec vue sur l’olivier du jardin de ma propriétaire. Les douze heures étaient loin d’être finies. Je m’amusais avec l’Agent Eni à répertorier les noms des toutes les rues dans l’intersection de nos deux cercles des mille pas. Le confinement nous amenait à des jeux auxquels on n’aurait jamais pensé en temps ordinaire. C’était étonnant le nombre de rues et de sentiers près de chez moi que je n’avais jamais empruntés. J’y découvrais de jolies maisons et une grotte en l’honneur de la Vierge Marie qui avait sauvé les habitants du quartier d’une épidémie. Grotte improbable face à une belle demeure ressemblant à un manoir britannique. La voisine fort aimable nous faisait la visite. Les fleurs et les fruits de la Passion, le long du chemin, tout près de la grotte, s’offraient à nos regards. Cette intersection de nos deux cercles ressemblait à un pays neutre, une parenthèse de liberté et de paix. Il se mit à pleuvoir et le soleil était dans nos coeurs, le long de notre zone commune à défendre.

D’autres projets se préparaient : un livre illustré de « Mon Pote Agé » avec Fabula, une ré-édition de « Le grain de sable et la perle magique », une Amap avec mes deux camarades de théâtre. Il y avait un « après », une vie qui me tenait en vie après le Covid.  Le documentaire censuré « Hold Up » faisait parler de lui. Une poignée de milliardaires auraient décidé d’éliminer les vieux et les plus fragiles en propageant ce virus mortel, et, de s’enrichir en vendant leur vaccin. Qu’est-ce qui était vrai ? Qu’est-ce qui était faux ? Le personnel soignant était usé du peu de crédibilité qu’on leur portait, comme si personne ne pouvait mourir du Covid, hormis les malades… Les restaurateurs, eux, haussaient le ton pour de nouveau ouvrir leurs tables. Paul Mc Cartney, âgé de 78 ans sortait un nouvel album. Il était bientôt 21 heures. Je mangerais mes moules à la crème et regarderais « La Zizanie » avec Louis De Funès. Décidément, mon inconscient avait encore envie de respirer. Grand Corps Malade avec son compagnon Rachid Taxi chantaient : « Ah Yemma, je vais te raconter pourquoi un soir j’suis pas rentré, sans faire exprès je l’ai croisée… c’était un soir à Paris, et elle s’appelle la Vie »(*). Nantes était devenu mon Paris. Je savais ce soir pourquoi je n’étais pas rentré, pas rentré dans la réalité. J’avais croisé la Vie et elle m’avait souri. Tous deux, nous marchions, main dans la main, et, ma foi, nous étions heureux.

Thierry Rousse,

Nantes,

Samedi 14 novembre 2020

(*) « J’suis pas rentré » de Grand Corps Malade et Rachid Taxi

Mon Pote Agé ( épisode 9 )

 

L’été, c’était le temps des récoltes .

Théo aidait son Pote Agé, cueillant une cerise par ici, une fraise par là, écrivait des poèmes pour remercier les plantes.

Théo : Hmm, qu’elles sont bonnes vos cerises, elles ont le goût du ciel ! Et vos fraises, le goût de la terre ! Quel délicieux dessert quand le ciel rencontre la terre ! O, une salade !

Barnabé : Non, Théo, ne la cueille pas, c’est ma Grand-Mère Salade ! Je la laisse fleurir !

Théo : Fleurir ?

Barnabé : Oui, ma Grand-Mère Salade va grandir, grandir, grandir puis fleurir . Je récolterai chacune de ses graines.

Théo : Mais… ça ne se mange pas les graines de salades !

Barnabé : Oui, mais ça se sème ! Je sèmerai les petits-enfants de Grand-Mère Salade au printemps prochain.

Barnabé rangeait précieusement chacune de ses graines dans sa boite à musique.

Vendredi 13, le jour du poisson et d’une autre vie

 

Etait-il possible de prendre du recul avec l’actualité ? Vendredi était le jour du poisson. Une ancienne tradition dans ma famille. J’aimais le poisson et j’attendais avec impatience ce jour-là. Etait-ce vraiment le poisson que j’attendais avec impatience ou tout simplement la fin de la semaine , le vendredi ? Le poisson devenait la fin de la semaine et il était attendu avec bonheur, le poisson. Je renouais avec cette tradition ancestrale. Où trouver du poisson à mille pas de chez moi ? Dans la Sèvre? J’avais bien appris à pêcher avec mon Papa dans la Seine et au bord de la mer, mais les hameçons, ça faisait mal au bout des doigts, les hameçons. Je n’arrivais jamais à accrocher un hameçon à ce pauvre petit asticot qui gigotait. J’imaginais sa souffrance. Et puis, quand je parvenais enfin à attraper un poisson grâce au petit asticot harponné, après une quantité d’herbes ou d’algues au bout de ma ligne, le plus périlleux se présentait à ma conscience: tuer le poisson, l’assommer d’un bon coup en saisissant sa queue pour frapper sa tête contre une pierre. « Fais-le, Papa , tu es fort! ». Je fermais les yeux, je redoutais cet instant. Je me mettais à la place du poisson, ma tête frappée contre cette pierre. Et, pourtant, je me régalais quand nous passions à table. Une bonne « sardinade », rien de telle pour partager un moment de convivialité ! Une nouvelle fois, j’avais honte de mon ventre face à ma conscience. Je ne voulais pas tuer ce poisson et je me régalais à le manger. Une chose était certaine, je n’irais pas pêcher. Je n’avais ni canne à pêche, ni asticot, ni épuisette, ni l’autorisation de pêcher dans la Sèvre. J’irais chez le poissonnier à mille pas. Il se trouvait tout au fond du Super U, le poissonnier à mille pas. Ce vendredi, je n’assisterais pas à la mort des poissons, ils étaient déjà morts, exposés à la vue du client sur leur lit de glace. C’est la docteure qui m’avait conseillé de manger du poisson, sardines, maquereaux… des poissons gras et pas chers. J’obéissais à ses ordres, puisque c’était bon pour ma santé, manger du poisson. Je voyais déjà les frétillantes sardines qui m’attendaient. Elles me rappelaient la fête de l’Humanité avec mon camarade Boris. Nous trinquions un verre de muscadet à la main, l’autre une sardine grillée, à l’amitié et à la joie, trente trois ans d’amitié déjà avec mon camarade Boris, un excellent acteur qui avait tourné un court-métrage sur l’histoire des poissons, de l’homme et de la femme. Trente trois ans, l’âge de Jésus cloué sur la Croix. Nous étions le vendredi 13. M’égarais-je ? La tradition du poisson le vendredi serait liée à la crucifixion de Jésus. Au passage, je glissais « L’Humanité Dimanche » et le journal du jour dans mon panier. Les rayons « livres », « chaussettes, caleçons, petites culottes » , « jouets » « vaisselle et bibelots en tout genre» à ma droite étaient clos. Ces objets étaient identifiés comme « non essentiels » à la vie. Les sardines, elles, étaient essentielles. Les journaux, aussi. J’étais sauvé. « L’Humanité Dimanche » titrait : « Avoir vingt ans au temps du Covid ». J’avais déjà cinquante trois ans, étais-je concerné par le Covid ? Où se situait la différence : Avoir vint ans ans ou cinquante trois ans au temps du Covid ? Dans l’espérance de vie ? Devant l’ampleur des catastrophes ou des merveilles qui s’annonçaient ? Le journal parlait, lui, en première page du terrorisme : « Nouvelles menaces, nouveaux défis ». J’étais presque arrivé. La poissonnière me guettait. Elle était bien seule, la poissonnière derrière ses poissons morts, seule rescapée d’un carnage. La poissonnerie du Super U n’avait pas le charme d’un étalage sur le quai d’un port, ou, sur la place d’un marché villageois. « – Vous désirez ? – Des sardines ! – Désolé, monsieur, je n’en ai pas aujourd’hui ». Plus de sardines  aujourd’hui, un vendredi 13 ? N’y avait-il plus de sardines dans l’océan ? Qui les avait pêchées ? Un gros cargo chinois sans pitié ? Je passais de la joie à la tristesse. Un grand vide se fit dans mon ventre. «  Bien… je prendrai deux maquereaux, une truite et des moules ».

La pêche avait été bonne. Je rapportais mon filet bien rempli à mon Amélie. « – Et les sardines ? – Je les ai relâchées, elles étaient trop petites. Laissez-nous grandir, m’ont-elles dit. – Comme tu es gentil, mon Pierrot ! ». Dans l’histoire, le petit poisson s’était envolé et transformé en dragon, le dragon des océans. Le pêcheur avait été récompensé. Le dragon lui avait offert une huître géante. Pierrot avait rapporté l’huître à son Amélie. Dans cette huître, il y avait une perle, et, grâce à cette perle, Amélie et Pierrot avaient retrouvé l’île de leur enfance, cette île, chantée par Jacques Brel, où ils s’étaient rencontrés et aimés. J’avais joué cette histoire avec mon théâtre miniature, une fois à la Fête de l’Humanité de la Courneuve au stand de la Vendée, et, l’été dernier, deux fois à La Guinguette Ensablée puis une fois à la Fête de l’Humanité de Vendée en cette même Guinguette, à Sion-sur-Mer. De délicieux souvenirs au milieu des dunes et des pins. Le bonheur de rejouer pour les enfants et leurs parents. Une autre vie était possible « au temps du Covid ». Il était possible de prendre du recul avec l’actualité en écrivant notre propre actualité. Je remerciais mes deux maquereaux, ma truite, mes moules d’avoir donné leur vie pour moi. L’avaient-ils vraiment choisi ? Serais-je capable, un jour, de ne manger que des légumes, des céréales et des fruits ? Les plantes ne vivaient-elles pas également ?

C’était l’heure de Jazz à Fip, et, déjà, une autre vie. Emma dansait, jouait, de son violon, une valse infinie, sur les trottoirs du temps. La Lune scintillait. Un couloir argenté indiquait un chemin au milieu de l’océan. La place d’un village. Un banc. Une guinguette. Un arbre. Une rivière. Une plage de coquillages. Des poissons qui sautaient. Une huître. Une perle, au temps du Covid.

Thierry Rousse,

Nantes,

Vendredi 13 novembre 2020

« De retour chez Mémé Zanine ».

Mon Pote Agé ( épisode 8 )

 

Barnabé n’utilisait pas tous ces pesticides, ces insecticides, ces « naturo-ticides » qui empoisonnaient les abeilles.

Il laissait la nature se protéger elle-même, et parfois, l’aidait quand c’était nécessaire.

Barnabé : Dame Nature, puis-je cultiver votre terre ?

Dame Nature : Soyez le bienvenu, mon Ami Jardinier!

Avec une serpette qu’il avait bien aiguisée, Barnabé fauchait doucement l’herbe puis la laissait sécher au soleil, puis il attendait qu’un gros orage éclate, et, quand la pluie avait, enfin, cessé, il écartait la paille, semait un petit pois, et entre chaque petit pois, plantait un grain de lin pour protéger ses petits pois.

Théo : Je peux vous aider, Barnabé ?

Barnabé : Si tu veux !

Théo avait vite compris.

Théo : Ecarter la paille, semer un petit pois.

Ecarter la paille, planter un grain de lin.

Ecarter la paille, semer un petit pois…

Chaque geste était semblable et pourtant si différent, unique comme chaque instant.

Ecarter la paille, planter un grain de lin.

Ecarter la paille, semer un petit pois.

Ecarter la paille, planter un grain de lin…

Barnabé et Théo avaient, tous deux, pour compagnon de travail un chat qu’ils avaient nommé « Brillante ». Brillante aimer se faufiler entre leurs jambes.

Le chat Brillante :

Miaou !

Que la vie est belle, ici !

Miaou !

Que la vie est douce, ici !

Miaou !

Que la vie est vie, ici !

Miaou !

Le potager de Barnabé ressemblait à un escargot géant.

Barnabé : Si on tourne dans ce sens, on s’élève vers le ciel  Si on tourne dans l’autre sens, on pénètre dans le cœur de la Terre ! Tu veux essayer ? … Suis-moi, Théo !

Barnabé et Théo s’amusaient comme deux enfants.

Jardiner était un vrai jeu avec Barnabé

Barnabé : Viens, suis-moi, j’ai une autre surprise pour toi !

Marche tranquille

 

Le Premier Chef du Grand Chef parlerait à 18 heures. Les nouvelles seraient-elles bonnes ? Serions-nous libérés le 1er décembre ? Les commerces seraient-ils ouverts ? Noël aurait-il lieu ? Avions-nous été bien sages ? Avions-nous bien respecté les mesures de distanciation sociale ? Serions-nous récompensés de nos efforts ? Une bonne fois pour toutes ?

7 heures. J’avais programmé le réveil de mon smartphone à 7 heures. Je m’autorisais cinq minutes de prolongation. Cinq minutes de trop. Mon corps replongeait dans les bras de Morphée. 10 heures. A 10 heures, mon corps se réveilla. Une catastrophe. Que faire ? Gronder mon corps ? Lui faire la tête ? Le bouder ? Le punir ? Me séparer de lui ? Prendre mes distances avec lui ? Le comprendre ? Accepter qu’il ait besoin de se reposer ? Une dispute entre mon corps et ma conscience aurait gâché toute ma journée, et, surtout, n’aurait servi à rien. Le temps écoulé ne se rattrapait pas. Ma colère aurait été strictement inutile.

Autour d’une tasse de café, je me réconciliais avec mon corps et lui proposais de marcher main dans la main pour aller poster une lettre de toute importance. Une belle occasion de revenir par les chemins buissonniers. Le soleil brillait. La température était douce. Les feuilles resplendissantes. Nous traversions les jardins partagés de La Crapaudine avant de rejoindre les bords de la Sèvre. Nous étions presque heureux, mon corps et moi. Nous songions à ces prairies bucoliques d’Ecosse ou d’Irlande. J’aimais tant les jardins à l’anglaise, ces jardins où le jardinier laissait pousser la nature, composait avec elle. Nous saluions nos Highlands qui faisaient la sieste à cette heure, digérant l’herbe fraîche des prés inondables. Je me sentais juste triste de piétiner les feuilles tombées à nos pieds. Comment les éviter ? Cela était encore possible sur les larges allées balayées par le vent. Tout se compliquait dans les passages étroits. Elles étaient si nombreuses sur les sentiers des sous-bois. L’arbre se séparait de ses feuilles pour survivre au froid des nuits hivernales à venir. Une à une, elles tombaient après avoir offert à l’arbre qui les portait ses plus belles couleurs. La feuille allait mourir, se décomposer, être la terre qui nourrirait son arbre. Chaque automne rendait mon coeur mélancolique. Une marche tonique aurait peut-être fait du bien à mon corps. Les joggeurs, montre en main, casque sur les oreilles, me doublaient. Mon âme préférait la marche romantique. Tenir la main à mon corps et regarder tous deux vers l’avenir. Ralentir. Apprécier l’instant présent. L’avenir était là. Accomplir du mieux possible chaque chose. Prendre le temps d’aimer.

Le Premier Chef parlait. 42 500 décès depuis le début de la pandémie .Un décès sur quatre dû au virus. Une hospitalisation toutes les trois secondes. 1360 lits supplémentaires. Le Premier Chef maîtrisait les chiffres. L’objectif était que les malades n’arrivent pas à l’hôpital et que l’économie et l’emploi soient sauvés. Le confinement était moins dur que celui du printemps. Le taux de reproduction du virus était passé sous le seuil fatidique, mais la prudence était de mise. Le Premier Chef en appelait à notre responsabilité, notre civisme, notre solidarité, à la plus grande fermeté. Les contrôles seraient accrus. Tout corps désobéissant aux règles énoncées serait puni. Si tout se passait bien, le pic serait atteint en fin de semaine. Il nous restait à continuer à être sages et Noël aurait lieu. Pas de grands rassemblements festifs. Un Noël en famille, juste ce qu’il fallait. Les autres Chefs de la Santé, de l’Education, du Travail, de l’Economie, de la Finance et de la Relance, tour à tour, s’exprimaient. J’en gardais un peu pour demain. Je n’avais pas vu le Chef de la Culture. Où était le Chef de la Culture ? Y-avait-il encore un Chef de la Culture au Grand Palais de l’Elysée ?

J’avais publié en ce jour le sixième épisode de « Mon Pote Agé », plus douce était la vie… Mon corps et moi allions souper, à la lueur d’une bougie, en écoutant Jazz à Fip. Cette idée d’Amap suivait son chemin. J’imaginais de tendres contées au coin du feu. Et si la vie, la vraie, nous attendait quelque part ?

Thierry Rousse

Nantes

Jeudi 12 novembre 2020

« De retour chez Mémé Zanine »

Mon Pote Agé ( épisode 7 )

 

Les fleurs, elles faisaient joli dans le jardin de Barnabé. Elles protégeaient les légumes de certaines petites bêtes, et, en plus, elles attiraient les abeilles.

ZZZZ…

Un essaim d’abeilles se mit à virevolter autour de Théo, puis, poursuivait gaiement son chemin, de fleur en fleur.

Théo : Je l’ai échappé bel, Barnabé !

Barnabé : N’aies pas peur, Théo, elles ne vont pas te piquer. Ce sont nos alliées. Sans abeilles, il n’y aurait point de vie dans mon jardin…  Sans abeilles, il n’y aurait point de vie dans mon…. Sans abeilles, il n’y aurait point de vie dans …. Sans abeilles, il n’y aurait point de vie… Sans abeilles, il n’y aurait point de…

Théo : Qu’est-ce qu’il y a mon Pote Agé ?

Barnabé : Rien, Théo.

Théo : Vous êtes sûr ?

Barnabé : Je suis sûr…

Théo : Alors, si vous êtes sûr, jurez serment sur la crinière de votre âne Apollon !

Barnabé : Je ne peux pas, Théo.

Théo : Vous ne pouvez pas ?

Barnabé : Non…

Théo : Alors, c’est que quelque chose vous tracasse …

Barnabé prenait une longue respiration, puis, il se confiait à Théo.

Barnabé : Les abeilles se font de plus en plus rares, Théo. Je les vois de moins en moins venir butiner dans mon jardin. J’ai beau agiter mon mouchoir bleu… Ohé, venez les Amies, je suis là !

Théo : Votre mouchoir bleu ?

Barnabé : Oui, le bleu est la couleur préférée des abeilles.

Théo : Comment le savez-vous ?

Barnabé: Je les guette à chaque printemps… Celle-ci c’est Bellador ! Regarde, elle commence toujours par butiner cette fleur aux pétales bleus. Si tu veux tout savoir sur la vie des abeilles, lis ce livre, Théo !

Théo : «  La vie des abeilles de Maurice Maeterlinck … S’il est certain que les abeilles communiquent entre elles, on ignore si elles le font à la manière des hommes. Ce bourdonnement parfumé de miel, ce frémissement enivré des belles journées d’été, qui est un des plus doux plaisirs de l’éleveur d’abeilles, ce chant de fête du travail qui monte et qui descend tout autour du rucher dans le cristal de l’heure, et qui semble le murmure d’allégresse des fleurs épanouies, l’hymne de leur bonheur, l’écho de leurs odeurs suaves, la voix des oeillets blancs, du thym, des marjolaines, il n’est pas certain qu’elles l’entendent. Elles ont cependant toute une gamme de sons que nous-mêmes discernons et qui va de la félicité profonde à la menace, à la colère, à la détresse…»(*). Il est compliqué votre livre, Barnabé !  Et il ne répond pas à ma question. Pourquoi les abeilles se font de plus en plus rares ?

Barnabé : ça, c’est une affaire d’adultes, Théo !

Théo : Une affaire d’adultes ? Mais je suis grand, moi, maintenant, j’ai sept ans! J’ai le droit de savoir la vérité, toute la vérité !

Barnabé : La vérité, toute la vérité ? La vérité est que l’adulte oublie souvent, qu’il était comme toi, avant, un enfant, qu’il s’émerveillait devant la nature et en prenait soin.

Théo : Comme vous, Barnabé, avec le vers de terre, la poule aux œufs d’or, grand-mère Salade, Panais le dur à cuire, Capucine …

Barnabé : Rassure-toi, Théo, je ne suis pas le seul ! Bien d’autres prennent soin de la Terre et de ses habitants. Ce n’est pas bien compliqué, il suffit d’aimer la vie !

(*) in « La vie des abeilles » de Maurice Maeterlinck, page 45, Fasquelle Editeurs