Le Grain de Sable et la Perle magique, Les Sables d’Olonne, juillet et août 2016
Genèse d’une création, suite.
En mai 2016, je revenais de la région parisienne, après un séjour de quatre mois, pour m’installer à Nantes.
Je rassemblais mes notes prises sur mon carnet bleu pour créer le premier montage de mon nouveau spectacle « Pêcheurs d’histoires » avec cette histoire que j’avais choisie : « Le Grain de sable et la Perle magique ».
En parallèle, je construisais mon théâtre miniature en bois avec l’aide de Mickaël au sein de l’atelier « Plateform C » (Association « Ping ») sur l’île de Nantes. Julie peignait avec talent les planches des décors, le théâtre et les figurines et m’aidait avec générosité à préparer mon spectacle. Une collaboration fructueuse.
J’avais obtenu des dates pour jouer sur Le Remblai des Sables d’Olonne en juillet et août 2016, au total 25 dates.
Le jour J approchait à grands pas !
Certes, les conditions scéniques n’étaient pas celles que j’avais pu connaître en travaillant durant une quinzaine d’années au sein d’une compagnie professionnelle francilienne. Avec cette troupe, j’avais eu ce bonheur de jouer aux châteaux de Vaux-le-Vicomte, Fontainebleau, Chantilly, du Champ de Bataille, au Festival Off d’Avignon, au Festival « De Capes et d’Epées » de Richelieu, dans le merveilleux théâtre à l’italienne de Fontainebleau, sur de belles scènes comme La Ferme de Corsange à Bailly-Romainvilliers, l’Espace Culturel à Courtry, dans de nombreux établissements scolaires, pour des villages de vacances en Corse, à Courchevel, au Mont Dore, à Soustons, à Ramatuelle, à Chamonix, dans une magnifique villa à Essaouira, et même dans une des maisons de campagne de la famille La Rochefoucault !
Le bonheur de jouer, pourtant, palpitait dans mon cœur. N’avais-je pas un décor extraordinaire ? Jouer tout au bord de l’océan sous le soleil couchant au milieu d’une ambiance estivale?
Je revenais en quelque sorte à la source, le théâtre dans la rue, en proximité immédiate avec les passants, une rude école et peut-être bien l’une des meilleures écoles pour tester un spectacle et le travailler en conditions extérieures.
Dans la rue, il faut attirer l’attention du passant, qu’il s’arrête, prenne place et qu’il reste jusqu’au bout ! S’il manifeste son contentement par des applaudissements, un petit mot qu’il m’adresse à la fin, une pièce dans mon chapeau, c’est encore mieux ! S’il me demande mes coordonnées, me dit : « je parlerai de vous », ou encore « accepteriez-vous de venir jouer pour… », le challenge est « gagné » !
Jouer dans la rue, c’est faire face aussi aux aléas climatiques, au vent du large qui parfois se lève, à la fraîcheur de certains soirs. Jouer dans la rue, c’est aussi pouvoir me faire entendre entre deux groupes de musique qui poussent souvent leurs décibels un peu trop fort à la terrasse d’un restaurant. Je n’avais pas les moyens financiers pour être sonorisé.
J’entrais dans une zone d’inconfort. Etrangement, je ressentais cette étrange impression d’avoir tout perdu de mon expérience de comédien, d’être comme un débutant.
N’était-ce pas un avantage ? Une renaissance en quelque sorte ? Le privilège de tout recommencer comme au premier jour, lors de mon premier « coup de foudre » pour le théâtre.
L’été commençait timidement, en ce début juillet 2016, fraîchement, avec de la grisaille, quelques gouttes de pluie avant que le flot des vacanciers n’arrive la semaine suivante, accompagné par un soleil généreux qui se maintiendrait, tout l’été, pour notre plus grand bonheur.
Ces premiers temps mirent à l’épreuve ma motivation, mes rêves : peu de spectateurs, peu d’applaudissements, peu de commentaires, des spectateurs qui partaient vite après m’avoir vu jouer, un maigre chapeau…
Dès le lendemain après-midi, je revoyais mon spectacle, changeais certains passages, travaillais la précision de mes gestes, les voix de mes personnages. Et chaque jour ainsi, j’améliorais, je précisais, je consolidais, je m’entraînais avant de partir jouer avec mon chariot de saltimbanque !
Je me souviens d’un évènement particulier en ces premiers jours éprouvants. Il s’était mis à pleuvoir, j’étais l’un des rares artistes qui avait osé venir ce soir-là sur Le Remblai et y rester. Je cherchais un endroit où m’abriter, je trouvais sur la chaussée une sorte de pergola. Qui viendrait me voir jouer là ? A ma plus grande surprise, quatre adultes quittaient la terrasse du restaurant d’en face et venaient s’asseoir sur le banc de pierre juste en face de moi pour m’écouter et me regarder. C’était mes quatre et uniques spectateurs de la soirée! – Vous nous jouez un spectacle ? me demandaient-ils. Quelque peu embarrassé, je leur expliquais que c’était un spectacle pour les enfants. Ils me répondirent en riant : « Mais nous sommes de grands enfants ! » C’était parti pour une représentation très VIP ! A la fin, ils me remerciaient, me firent des compliments et m’encourageaient à continuer : « C’est une très belle histoire, et pas que pour les enfants !»
A partir de cet instant, la confiance me gagnait, un pas avait été franchi, une première victoire. Ce fut mon premier rayon de soleil qui resplendissait curieusement un soir de pluie, une lune argentée sur l’océan qui me montrait un chemin d’heureux présages.
Certes, je savais que rien n’était acquis dans le domaine du spectacle vivant, que chaque soir de représentation était un nouveau soir avec des conditions différentes, un public différent qui pouvait par conséquent réagir différemment.
Fort de ce principe, je vivais chaque soir comme un nouveau soir, à chaque fois un nouveau public à conquérir, à séduire.
Au fond de moi, je me répétais avant de jouer ce postulat : « Plus je croirai en ce que je fais, plus je serai dans une dimension d’offrir et dans l’exigence du travail bien accompli, tel l’artisan qui porte en lui l’amour de son métier, plus le public, alors, sera réceptif. »
Le plus compliqué était sans doute de capter l’intérêt du premier passant au milieu de la pléthore de spectacles, d’animations, d’attractions, de divertissements en tout genre qui lui étaient proposés, entre les groupes de musique, le célèbre clown-magicien Roni, les gonfleurs et sculpteurs de ballon, les acrobates, les jongleurs, les danseurs de hip hop, les caricaturistes, la statue vivante, les chichi, les glaces, les restaurants, les boutiques de souvenirs, le marché des artisans, le cinéma en plein air et les jeux nocturnes sur la plage…
Mon petit théâtre au milieu de cette abondance de distractions attirait néanmoins plusieurs personnes, adultes et enfants: -« O, regarde, un petit théâtre de marionnettes ! ». Certains s’approchaient pour regarder ce que j’avais fabriqué, avec les yeux émerveillés d’un enfant, et commentaient entre eux : le rideau rouge, la scène, les coulisses, les personnages, le dragon, la sirène, l’huître, les planches illustrées… « On dirait un théâtre de boulevard, comme à Paris ! ».
Mon petit théâtre de marionnettes fascinait aussi bien les enfants que leurs parents comme un monde inattendu, magique, merveilleux. J’avais souhaité proposé ce spectacle intimiste au milieu des animations qui rassemblaient une foule de spectateurs. Je me plaçais à contre-courant en quelque sorte de ce qui se faisait habituellement, contribuant ainsi à la diversité des propositions offertes aux vacanciers.
Mais, ne seraient-ils pas déçus quand je commencerais à jouer ? Songeais-je en moi-même. Je ne suis pas marionnettiste, je ne manipule pas des marionnettes à fils, je ne maîtrise pas cet art qui me fascine. Disons que je suis plutôt un comédien qui raconte des histoires en animant des figurines, ou plutôt, l’enfant que j’étais devenu adulte qui raconte des histoires en animant des figurines, une mise en abîme, une mise en scène de moi-même, le théâtre dans le théâtre, dans ce qu’il peut avoir de plus dépouillé, sincère, en résonnance avec ce que je ressens dans l’instant présent. Cette intention de ma part serait-elle comprise du public ? Était-ce encore du spectacle ? Autant de questions que je me posais à tort ou à raison ? Le doute me traversait. Je comprendrais plus tard que le « mais » est à proscrire !
Mes premières impressions semblaient me donner raison : « Ces spectateurs partent déçus », pensais-je, « ils se précipitent à appeler leur enfant pour s’en aller voir autre chose sans même glisser une piécette dans mon chapeau ou applaudir ! ». Bien plus tard, je lirai « Les Accords Toltèques » et j’apprendrai qu’il n’est point bon de formuler des suppositions. La supposition est la porte ouverte à des interprétations erronées, sans aucune preuve fondée, engendrant par là de fausses croyances qui nous font plus de mal que de bien, et sont de ce fait inutiles.
Je luttais en moi-même pour m’efforcer à voir le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide, à me raccrocher à tout ce qu’il y avait de positif, à ce positif qui me permettait de continuer le lendemain. Et je réalisais qu’il y avait beaucoup de « positif » !
Je jouais en moyenne trois séances par soir, quatre, les soirs de grande foule.
Mes amis de la région commençaient, les uns après les autres, à venir me voir jouer, à me photographier, pour la plupart des amis artistes, comédiens, metteur en scène, conteuse, chanteur. Je remercie Michal, Francis, Emmanuel, Elise, Nadette grâce à qui j’ai pu publier mes premières images de représentations sur Facebook et les partager à mes amis éloignés qui me suivaient à distance, m’écrivaient de gentils mots si doux et encourageants.
Certains amis animés d’une bonne intention à mon égard me disaient « C’est bien ce que tu fais, mais ce n’est pas en jouant ici que tu vas gagner ta vie. »
Sans doute ils disaient vrai. Mes chapeaux se situaient entre 2 et 43 euros les plus beaux soirs, pas de quoi déclarer un cachet ! Cela me permettait néanmoins de rembourser mes frais engagés pour la création de mon spectacle.
J’ai toujours porté beaucoup de respect pour chaque pièce donnée, aussi petite soit-elle. Chaque personne donne en fonction de ce qu’elle peut ou a envie de donner. Ce respect et cette gratitude sont pour moi importants lorsque nous faisons le choix de jouer dans la rue au « chapeau ». Je choisissais de compter l’argent de mon chapeau le lendemain matin pour deux raisons : D’abord, pour savourer en m’endormant mon premier plaisir, celui d’avoir procurer du plaisir à des petits et grands spectateurs, puis, pour débuter la journée à mon réveil avec une autre belle surprise, le gain monétaire de mon travail accompli la veille !
Ce que je gagnais valait en fait bien plus que sa valeur monétaire. En plus d’avoir le plaisir d’offrir du plaisir, j’avais la possibilité de travailler dans la rue mon spectacle en prise directe avec un public éclectique. Cela représentait à mes yeux une véritable richesse. Une résidence de création de 25 soirées m’était offerte par la Ville des Sables d’Olonne, sous un ciel étoilé au bord de l’océan, avec les retours immédiats des spectateurs! Une expérience peu rémunératrice et pourtant si enrichissante ! Je me voyais comme cette petite carpe persévérante qui remontait le courant pour réussir. Cette détermination me tenait debout, je puisais en elle à chaque séance ma force. Et puis, je n’étais pas seul ! Mes figurines comptaient sur moi et je comptais sur elles ! Une connivence, une confiance, une fidélité, un secret entre nous nous reliaient intimement, chaque soir de représentation.
Quand, au milieu de cette ambiance estivale, un 14 juillet, a surgi l’innommable, l’horrible attentat sur la Croisette de Nice.
Comment ne pas faire le lien ? Le Remblai avait évidemment des airs de Croisette par son ambiance festive, la densité de vacanciers qui s’y promenaient, les nombreuses terrasses de restaurants bondées à cette saison, cette large et jolie allée bordée d’arbres et de candélabres face à l’océan.
Que découvrirais-je le lendemain ? Les spectacles y seraient-ils annulés pour éviter les attroupements et les risques liés à de nouvelles menaces terroristes.
Non, la vie semblait continuer, plus forte encore, juste des forces de sécurité renforcées, des militaires armés qui passaient à travers la fête.
« Show must go on ! »
Il nous fallait ça, continuer malgré tout à vivre, à rire, à aimer, à nous émouvoir, à nous promener, à jouer librement au cœur de l’espace public, à découvrir et apprécier mille spectacles. Les enfants n’avaient-ils pas le droit à ce bonheur, à leurs vacances, à cet imaginaire que certains êtres insensés voulaient leur ôter.
Parmi tous les artistes présents, j’apportais mon humble part en jouant « Le Grain de sable et la Perle magique ».
L’art vivant répondait sa véritable raison d’exister, son sens, son but essentiel : ouvrir des fenêtres de liberté, de fraternité.
Ensemble, spectateurs et artistes, nous redessinions les sillons du possible, ce chemin argenté que nous offrait la Lune sur les vagues de l’océan, malgré la douleur qui demeurait au fond de nos cœurs.
De mes 63 représentations sur Le Remblai des Sables d’Olonne en cet été 2016, il me reste aujourd’hui le souvenir de ces rencontres, de ces images, de ces paroles inoubliables.
Dès lors qu’un enfant venait s’assoir sur le tapis gentiment offert par Julie et disposé devant mon théâtre, je pouvais commencer à jouer ! Même pour un enfant ! Ce n’est la quantité des spectateurs qui compte, à mon sens. Ce qui me parait être le plus important, c’est cette qualité d’écoute qui peut s’installer entre le spectateur et moi, ou, plutôt, entre le spectateur, les figurines et moi.
Très vite, dès que je commençais à jouer, un autre enfant le rejoignait, prenait place, puis un autre… Leurs parents et leurs grands-parents respectifs choisissaient la place debout derrière (faute de gradins et de sièges !), formant ainsi un cercle, nous protégeant du vent et des décibels des sonos voisines.
Certains soirs, le public pouvait être très nombreux, au point de m’encercler. Je me retrouvais tel un artiste de cirque au milieu de sa piste ! Les spectateurs qui se trouvaient dans mon dos pouvaient apprécier le spectacle côté « coulisses » ! Une belle occasion pour revenir et le découvrir de face !
Chaque fois, j’étais ému lorsqu’un enfant venait me voir timidement à la fin d’une séance pour me dire : « Elle est jolie votre histoire, monsieur ». Des maman, papa, grands-parents me félicitaient aussi.
D’heureuses autres surprises s’offraient à moi comme ces nuages noirs en début de soirée balayés par le vent du large pour laisser place à une belle et douce soirée sous les étoiles.
Je rencontrais par hasard le directeur d’un collège de la région parisienne qui me fit l’honneur de venir me voir jouer. J’avais interprété dans son établissement les rôles d’Harpagon et du Malade imaginaire. « Le monde est petit ! » me dis-je.
Une professeure de français, un soir, venait jusqu’à moi: « Pourriez-vous me donner vos coordonnées ? Je souhaiterais vous faire venir dans ma classe pour faire découvrir à mes élèves qui sont en 5ème le conte, car j’ai bien apprécié votre manière de conter. J’enseigne à Paris».
Ceux et celles qui me connaissaient me faisaient souvent ce retour : « cela te va bien !»
Une simplicité, le fait de créer un univers avec pas grand-chose, d’être sincère, de vivre l’instant présent.
L’histoire en elle-même touchait également les cœurs et présentait des aspects pédagogiques en lien avec le patrimoine local tout en s’enrichissant d’une autre culture.
Je me souviens encore de cette maman qui arrivait essoufflée avec son enfant et me demanda: « C’est ici le théâtre de marionnettes ? ». Sans doute en avait-elle entendu parler, sans doute avait-elle organisé la sortie avec son enfant, se dépêchant pour ne pas rater l’heure de la séance ! Ses mots m’avaient beaucoup touché, sans qu’elle le su. Je me suis senti soudain identifié, reconnu comme « le petit théâtre de marionnettes du Remblai » ! Le bouche à oreille commençait à tracer son chemin à travers la foule des passants.
D’autres souvenirs aussi touchants les uns que les autres rejaillissent du fond de ma mémoire…
Une maman montrait à son enfant ce que je préparais en coulisses en commentant chacun de mes gestes.
Je m’apprêtais à démonter mon théâtre, il se faisait déjà tard et bon nombre d’artistes avait remballé, quand, des parents avec leurs enfants vinrent me voir : « Vous jouez encore ? », « Bien sûr, asseyez-vous ! ». Je remontais vite fait ce que j’avais commencé à démonter et je jouais pour mon plus grand plaisir et le leur !
Une autre fois, à 23 heures, un garçon venant de la terrasse du restaurant d’en face me demanda : -Vous pouvez jouer pour ma petite sœur ? Elle aimerait vous voir. Elle a fini de manger mais mes parents mangent encore. -Avec joie ! » lui répondais-je. Le garçon tout content repartait annoncer la bonne nouvelle à sa maman et à sa petite sœur. La maman accompagna sa petite fille et me tendait un billet de 5 euros. Je dis à la petite fille : « Tu me le donneras à la fin si tu as aimé ». La maman choisissait finalement de s’asseoir auprès de sa fille pour regarder. Ainsi, je jouais pour cette petite fille et sa maman pendant que leur famille en face terminait leur repas tout en regardant depuis leur table mon spectacle ! Ce fut l’un de mes plus gros billets reçus avec le joli sourire de cette petite spectatrice et de sa maman!
Je recevais aussi d’heureux cadeaux quelques jours après une représentation. Cette maman que je rencontrais : « Mes filles ont beaucoup aimé votre spectacle, elles m’en parlent tous les jours. »… Cet ami, professeur de lettres retraité, grand-père jeune de cœur, d’esprit et de corps et voyageur érudit: « Ton spectacle est tendre et poétique, il reflète le monde de l’enfance». Cette autre maman sur Le Remblai, originaire du Nord de la France, revenue me voir pour me dire : « J’ai vu votre histoire, continuez ce que vous faites, vous nous transportez dans le monde de l’enfance, vous avez du courage… ».
Le dernier soir approchait, les dernières représentations. Bon nombre de vacanciers et d’artistes étaient déjà rentrés. Combien de fois jouerais-je pour la « dernière » ? Une fois, deux fois, trois fois ? Quels seraient les derniers retours, les derniers mots du public ? Le Remblai retrouvait peu à peu une certaine sérénité comme un rideau qui se referme lentement sur l’océan. Je me sentais fier d’être allé jusqu’au bout, d’être l’un des derniers artistes à jouer et à « remballer ».
Finalement, je jouerai trois fois. Je n’ai pas eu le privilège d’une ovation d’une foule de spectateurs comme je la voyais dans mes rêves à l’instar de certains de mes collègues artistes du Remblai.
Les « adieux » furent plutôt discrets, un peu sans doute, à l’image de mon spectacle.
Alors que le public s’était dispersé, un enfant s’est approché de moi et est venu me poser toutes sortes de questions sur mon théâtre. Il semblait fort intéressé pour savoir comment je faisais vivre toutes mes figurines et pour découvrir l’envers caché de mon spectacle. Sa maman le rejoignait et me demanda si j’accepterais de venir jouer pour l’anniversaire de son fils en décembre à Paris (décidément, Paris est un grand village !) : « Chaque année, j’invite les camarades de mon fils pour fêter avec lui son anniversaire. L’année dernière, c’était le poney, et cette année, je réfléchis à autre chose… ». Réaliser le rêve d’un enfant, quoi de plus beau ?
C’est sur cette dernière rencontre et cette pensée que se terminait mon aventure, ou, plutôt, l’aventure des « Pêcheurs d’histoires » et de mes héros, Pierrot et Amélie, sur Le Remblai des Sables d’Olonne.
Le Remblai s’était presque vidé de tous ses vacanciers et artistes.
Un peintre, sur un banc, après avoir fermé sa valise, fumait, l’air pensif, sur un banc.
Le dernier groupe de musique avait fini de jouer.
Quelques passants sortaient d’un pub qui s’apprêtait à fermer.
Un couple enlacé rejoignait son tendre nid d’amour.
Au loin, sur la plage, quelques jeunes célébraient leur amitié, chantant et buvant.
Je me retournais une dernière fois vers l’océan : la Lune et son chemin argenté sur les vagues me souriaient, une larme de joie étincelante coulait sur ma joue sous la chaude lumière bleuâtre d’un réverbère.
Le personnel épuisé d’un restaurant, après avoir rangé tables et chaises et passé la serpillière, fêtait la fin de l’été avec leur chef autour d’un bon verre de vin.
L’air est encore doux en cette fin de saison estivale.
Je saluais l’océan et sa Lune, les remerciant de tout ce qu’ils m’avaient offert.
Puis, je reprenais mon chemin, tirant mon chariot de saltimbanque. Je repassais une dernière fois devant l’hôtel des voyageurs. Une bonne heure de marche m’attendait sous un merveilleux ciel étoilé avant de rejoindre à Olonne-Sur-Mer la maison de mes amis, Pascal et Danielle, qui m’avaient accueilli si gentiment tout l’été. Sans eux, mon rêve n’aurait jamais pu se réaliser.
Le long de ma route, je repensais à mes vacances au bord de la mer avec mes parents et mon frère lorsque j’étais un enfant.
On emporte avec soi tant de beaux souvenirs de ses vacances…
De quoi l’avenir serait fait ? Les invitations à jouer sur Paris se concrétiseraient-elles ? Obtiendrais-je de nouvelles dates ? Des contrats rémunérés ? L’aventure continuerait-elle ? Je l’ignorais encore à cette heure…
L’incertitude du lendemain, chez nous autres artistes, est notre quotidien, ce qui fait la précarité et aussi le charme de notre existence, nous autres saltimbanques de passage sur la Terre, habitants éphémères, où l’instant d’un rêve partagé, ensemble, nous refaisons le monde.
Quelque part, ces pensées me rassuraient, je m’y raccrochais comme on se raccroche à la Lune, aux Etoiles, au Soleil !
Antoine de Saint-Exupéry me murmurait à l’oreille ces derniers mots sous l’océan infini du ciel :
« Fais de ta vie un rêve,
Et de tes rêves, la réalité ».
Nantes, le 26 mars 2017.
(Photographies de Michal Brooky et Francis Lempérière)