Solitudes automnales

Une vie parmi des milliards

Reste un peu chez toi

Apprivoise ta solitude

Tu pourrais t’en faire une amie

Que pourriez-vous être ensemble

Sors de ce carton ce livre qui a jauni

Compte un deux déjà vous êtes trois

Avec l’auteur.e qui l’a écrit

Ouvre-le et lis-le et rajeunis

Souviens-toi c’était au temps du lycée

Des poèmes qu’on vous faisait étudier

En pleine crise révolté de la puberté

La poésie était pour toi une fenêtre de liberté

Baudelaire t’emmenait dans son spleen

Vous étiez trois vous étiez quatre

En comptant ce miroir entre lui elle et toi

Un ange déchu entre idéal et désespoir

Et puis il y avait ton copain Pierrick

Qui te racontait ses voyages

Vous étiez cinq avec tes souvenirs

Six avec les siens des Philippines

Tu rêvais bien de partir autour du monde

Mais reste encore un peu chez toi

Observe c’que le poète te dit de sa vie

Des multitudes de visages sous les pages enfouis

L’enfant qui s’enivrait de soleil (1)

Jouait avec les plumes du vent

S’entretenait avec le blanc des nuages

Grimpait p’tit oiseau aux branches du temps

Reste un peu chez toi

Apprivoise ta solitude

Tu pourrais t’en faire une amie

Que pourriez-vous semer ensemble

Vous êtes déjà bien nombreux

Ce n’est que le début de votre chemin

L’heure du midi approche

Et déjà ta matinée a filé

Tout ce temps écoulé

Que tu ne reverras plus

Ainsi se déroulent tes années

Fais une halte avant de t’éclipser

Songe à tes besognes terrestres

Revois un peu tes démarches à accomplir

Sur le tableau noir à la craie blanche

C’est une montagne un pic une avalanche

Prends ton temps on ne marche bien

Qu’un pied après l’autre sur le chemin

Compte tout l’or ce matin qu’t’as gagné

Et tout cet argent qu’il te faudra dépenser

Tu mesures la distance

Entre le ciel et la terre

Entre la lune et le soleil

Fais le bon choix de tes merveilles

Consulte un peu ces programmes

Que voit-on au passage Sainte-Croix

Un peu de joie sous des larmes de sang

Fragilités dans un monde fragile émouvant (2)

Qu’en dit-on de l’autre côté du pont

Derrière les remparts du château

Anne rêve d’un beau et grand chevalier (3)

Qui viendrait de sa couronne la délivrer

Ta solitude en ce samedi n’est plus isolée

Nantes tant de lieux à parcourir

Nantes tant de vies à découvrir

Ta maison est habitée de toutes ses pensées

Un repas frugal s’invite à ta fête

En tête-à-tête avec tes rêves

Ce joueur d’oud Ahmed Alshaiba sait faire tellement vibrer

Dans tout ton être tellement d’étoiles du désert

Tu te délectes de ses notes célestes

Sur des tartines de tzatziki et d’houmous

Pois chiche sésame ail et olives

Concombre aneth menthe et yaourt à la grec

Ce festin mérite bien une sieste d’hiver

Sous la blancheur douillette d’une couette

Tu reprends là sur ta barque où t’en étais

Cet albatros ne pouvant plus s’envoler

Il est des rêves de géant embrassant la mer

Que le destin d’une vie parfois enferme

Tu rêvais de parcourir adolescent le monde

Être écrivain journaliste et poète

Tu ne fus qu’un brin poète comédien

Animateur éducateur veilleur

Et quelques autres métiers

Des p’tits jobs comme on dit pour gagner ton beurre

Reste un peu chez toi

Apprivoise ta solitude

Tu pourrais t’en faire une amie

Que pourriez-vous bâtir ensemble

Il est temps d’sortir mon miroir tu m’dis

Prendre l’air aller cueillir les parfums d’ailleurs

Laisse-moi donc d’un bonnet d’marin me vêtir

Que je puisse décrocher au vieux port quelques sourires

Quand Gaga t’annonce que Renaud vient d’annuler sa tournée

Une peine de coeur crois-tu a-t-il rechuté

L’amour peut t’élever comme te faire plonger

Tu songes alors à ta fée perdue un été

T’ouvres enfin ta porte

Long couloir blanc d’Halloween

Des toiles d’araignées

Suspendues au plafond d’tes idées

T’as décidé d’aller voir les fragilités de c’monde

Trop fatigué pour un périple en Inde

Tu t’rappelles la beauté du verre

Qui diffuse la lumière

Y’a des mots blancs sur les murs noirs

Des p’tites choses ramassées rasfitolées

Des photographies aussi

Des îles qui rétrécissent

Y’a la terre qu’on détruit

Et ces mots mal compris

Tu la domineras

La feras prospérer

Y’a tout c’qu’on a raté

Tout c’qu’on a appris de travers

Le bien collectif qu’on a vu

Dans l’intérêt individuel

Y’a ton papa qu’tu vas voir

Dans sa chambre d’hôpital

Y’a la maladie qui l’affaiblit

Y’a ce dernier lien entre vous primordial

Y’a ces échanges avec lui qu’t’aimerais bien avoir

Mais tu repars seul dans le couloir

Y’a le tram qu’t’attendras

Y’a aucun regard qui te sourira

Rentre un peu chez toi

Apprivoise ta solitude

Tu pourrais t’en faire une alliée

Que pourriez-vous espérer ensemble

Il est trop tôt tu lui dis

Allons faire un tour au Lieu Unique

Y’a sur les lèvres qu’tu revois (4)

Toujours autant d’interrogations

Y’a l’art moderne qui s’fracasse

Chute d’un monde de mosaïques décomposé

Y’a ces banques d’images parfaites

Qui pourraient bien t’raconter l’histoire d’un baiser

Tout c’qu’on montre pour exister

Dans quel idéal on voudrait s’glisser

Des images retouchées

Pour une vie bien tracée

Y’a le froid d’l’hiver qui pointe son nez

La grosse écharpe irlandaise qui t’tient chaud

L’envie d’un bon chocolat et plein d’Chantilly

Et toutes ces chaises occupées

Y’a ta solitude qu’tu promènes

Par la main ton miroir gelé

Y’a le long des trottoirs ces jolis cafés

Remplis d’amoureux et d’amis bienheureux

Y’a cette ville où t’espérais le bonheur

Cette ville comme toutes les villes

Avec ses joies et ses malheurs

Y’a ce port sa mer ses voiles et ses sirènes

Rentre un peu chez toi

Apprivoise ta solitude

Tu pourrais t’en faire une belle étoile

Cette nuit mon p’tit prince

Thierry Rousse
Nantes, samedi 2 novembre 2024
Baudelaire “Bénédiction” in “Les fleurs du mal”, éditions Gallimard
Passage Sainte-Croix, Nantes, exposition “Fragiles, dans un monde fragile”
Musée du château de la Duchesse Anne, Nantes, exposition “Chevaliers”
Le Lieu Unique, Nantes, exposition “Sur les lèvres”

"Une vie parmi des milliards"

Chrysanthèmes des anges

Une vie parmi des milliards

Ciel blanc

Sensation de vide

D’une ville déserte

Premier novembre

Jour de la Toussaint

Avait la réputation d’être maussade

Ce jour qu’on voulait vite passer

Monticules de fleurs déposées

Chrysanthèmes recouvrant les tombes

Étroites maisons de nos cher.es disparu.es

Longue tradition

Obligation

Commémoration

Émotion

Cortèges de pensées et de pleurs

Lendemain d’Halloween

Tristesse après la fête

Quand le fard s’était effacé

Se creusaient dans nos rides

Les sillons de la mort

Qui croyait encore à l’éternité

A l’existence des anges

En ce jour censé les honorer

Ciel blanc

Sensation de solitude

Me réfugier dans les utopies

L’imagination d’un avenir

Pour solution

Ne plus mourir

Vivre autrement hors du temps

Silence

Étais-tu là visage près de moi

Dans cette odyssée de l’espace

Je ne pouvais me résoudre à ton absence

Subsistait toujours le parfum d’une rose

Éclose du linceul de tes cendres parsemées

Ici-bas on parlait de déliquescences urbaines

Du béton poreux au seuil de son existence vaine

Ne resteraient que des ruines

Des vestiges de pierres

Des cathédrales millénaires

De notre siècle en miettes

Un grand vide

Multitude d’erreurs commises

Les uns fuyaient la ville et ses grues qui voulaient la rebâtir

Et toi

Tu t’y réfugiais

Sous un ciel blanc

Près de Louisette

Pour y finir ta vie

T’espérais bien qu’ici

Que les rencontres seraient plus faciles

L’évolution aussi

Après avoir tenté la campagne bucolique

T’espérais bien

Que de ces récits post-apocalyptiques

Pointerait bien la lumière

Une nuit de pleine lune

La grève des grues

Pour fleurir les rues

L’auto-construction

Comme une science-fiction

Ta ville serait façonnée

De vos modes de vie

Ciel blanc en deuil

Des anges

Des points de non-retour

T’alertaient

Jour de tous les saints

De toutes les espèces qu’on ne verrait plus jamais

L’expert du froid s’inquiétait

Les icebergs fondaient

Déluge à Valence

Une centaine de vies disparues

Emportées dans ses rues noyées

Une menace planait

De l’autre côté de l’océan

Sur les fragiles ailes de la démocratie

Le rêve américain virait au cauchemar

Rôdait le retour d’un tyran

Qui n’avait que faire

Du réchauffement climatique

Et du bonheur des gens

Ciel blanc

Taché de sang

Chrysanthèmes des anges

Un premier novembre

Thierry Rousse
Nantes, vendredi 1er novembre 2024
Les Utopiales.

Une nuit d’Halloween

Une vie parmi des milliards

Le poids des années

Tu les sens

Toi qui t’es toujours engagé pour les autres

Des personnes sans domicile fixe aux p’tits enfants

Ta vie a trouvé pleinement son sens

Au-moins t’as été utile

Sur cette terre

Tu t’dis

Marcel

Oui

Le salaire n’a pas toujours suivi

Et tes heures non payées

Si tu les avais comptées

Auraient fait de toi

Un homme disons un peu moins pauvre

Aujourd’hui

Tu t’consoles avec toutes ces paroles

Quand on t’dit

Au-moins t’es riche de cœur

Riche de cœur

Et ton roi le sait

Et ton roi sait te payer en flatteries

Quand il déboutonne sa chemise blanche

Remonte à l’Elysée ses manches

Et te déclare en plein confinement

Sous les caméras braquées

Sur son regard rusé de renard

Vous êtes les métiers essentiels à notre société

Essentiel

Te voici essentiel à sa société

Marcel

Ton roi est bon

Il t’aime tellement

Ton toi

Qu’il te colle sur un piédestal

Et veut te faire bosser

Pour son trésor public

Jusqu’à soixante quatre ans

Soixante quatre ans

Après tout

Ton métier n’est-il pas une vocation

T’engager pour les autres

Un sacerdoce

Une raison d’être au monde

Que serais-tu sans ton métier

Une vie insensée

Tu t’y es même oublié

Quand tu rentres le soir face à toi-même

Tu n’as plus qu’à traduire ta vie en poèmes

Trouver un peu de légèreté

Dans l’ciel bleu de tes rêves

Lâcher le poids des années

Déployer tes ailes Marcel

Combien vit encore dans les prés

Un corps solitaire

Vidé

Épuisé

Les lumières clignotent sur l’boulevard de ses martyrs

Les fantômes grimés t’appellent

Où vivent nos morts

Dans quel paradis ou enfer

Ce roi éternel porte-t-il reconnaissance à ses humbles sujets

En haut de la tour d’ivoire de ses fastes privilèges

Riche de coeur

T’es riche de cœur

P’tit Marcel

Trèfle

Carreau

Ou

Pic

Ce roi de pacotilles te pique à vif

Derrière ses remparts féodaux

Tu trouves consolation au Wattignies

Nantes est un port pour les marins méritants

Une victoire en temps de désespoir

Aux couleurs et sonorités des Antilles

On y construit de larges bateaux

Pour faire voyager nos mots

Ne jamais oublier l’histoire

Etre libre ou esclave

Nous affranchir de tout roi

Marcel

Le poids des années

Tu les sens

Toi qui t’es toujours engagé pour les autres

Des personnes sans domicile fixe aux p’tits enfants

Ta vie a trouvé pleinement son sens

Au-moins t’as été utile sur cette terre

Tu t’dis

Marcel

Au-moins ça

Dans un ultime soupir

Une nuit d’Halloween

T’envoies paître ses flatteries

Et embrasse la vie

Allez chante

Marcel

Chante

Allez chante Marcel

Thierry Rousse
Nantes, vendredi 31 octobre 2024
Une vie parmi des milliards”

Emma la libraire des fleurs

Une vie parmi des milliards

Tu portes ces voix

Dans ton cœur

Ces voix

Qui s’déploient

Toutes ces voix éphémères

Tu les portes à bout de bras

Ces ailes de papillon

Tu les écoutes

Les encourages

Et p’t’être qu’leurs mots sans maison

Trouveront un matin

Logis sur l’arbre à palabres

De tes belles étagères

Leurs pages dans des livres

Sous leur couverture

Pour les accueillir

Et s’y blottir

Autant de traces sur la terre

T’espères

Qu’un éditeur

Ait le coup de coeur pour elles

T’en serais très fière

Toutes ces voix

Dansant dans ta ronde littéraire

Toutes ces farandoles de mots en l’air

Trinquant pour toi

Emma

Entre deux verres de porto

Emma

Il est des cercles littéraires comme les tiens

Des rendez-vous hebdomadaires

Bien ouverts aux poètes.ses de tout genre

Leurs voix sont nées

Ici

Chez toi

Comme un cri

Un écho

Un murmure

Un tremblement

Un point levé

Un baiser

Une audace

Un balbutiement

Un sourire

Pour demain

Dans ta librairie

Qu’on appelle

Près d’une gare perdue

Les pétales des mots

Qui ont fleuri

D’une feuille nue

Emma

T’es la libraire préférée de nos fleurs

Que ton regard cueille même en hiver

T’es le coucou de nos vies

Celle qui fait qu’on écrit

Et qu’on lit

Emma

Toi

La libraire qu’on chérit

Tu portes sur tes lèvres

Nos voix dans ton cœur

Nos voix qui s’déploient

Toutes nos voix éphémères

Tu les portes à bout de bras

Nos ailes de papillon

Et pour toi

Oui pour toi

Rien que pour toi

Nous continuerons

Papillons

Été comme hiver

A battre des ailes

De l’ouvrage de nos mains

Éphémères

Thierry Rousse
Nantes, mercredi 30 octobre 2024
“Une vie parmi des milliards”

Les fleurs du bien

Une vie parmi des milliards

Quand je vis cette nuit ma photographie

Froissée dans ta poubelle

Je compris que tes mots de bienvenue

Ne duraient que le temps d’une expression

Tu m’parlais des autres formidables

Et j’les trouvais effectivement formidables les autres

En c’qui me concerne tu disais peu de mots

Ton silence résonnait comme un vide dans ma maison

Une question sans réponse au fond de mes réflexions

Quelle image te faisais-tu de moi

Ma question était restée sur ce trottoir

Comme un courant d’air

Aujourd’hui j’ai tiré ma révérence au monde

Je m’en suis allé sur des chemins champêtres

Du côté de la mer

Les albatros m’ont raconté leurs périples

M’ont montré à chaque étape tous leurs nids

J’ai compris l’odyssée d’un exil au-dessus des déserts des châteaux et des palais

Combien faut-il en traverser des nuages

Des brumes des orages

Pour percevoir d’un visage

Ne serait-ce qu’un rivage

La vie est à la fois un si long et un si court voyage

Une photographie une nuit froissée à la poubelle

Suffit à en briser ce qu’elle a de plus belle

Je suis aujourd’hui au fond de cette corbeille

Et de l’ombre je m’en émerveille

C’est qu’il y a à la surface

Un soleil au coeur de cet abîme universel

Là où tout au fond de son iris j’me vois

Son regard m’élève jusqu’à lui

Un oiseau franchissant les frontières

Avec l’audace de son ramage

Il voit bien dans la brume qui luit

Un marais de toutes les couleurs

Sur les briques d’un pub irlandais

Les fleurs du bien une lande sauvage

Qui du spleen à la terre le retient

Quand je vois maintenant son portrait sur ses murs

Je comprends que la poésie

Ouvre une pléiade de fissures

Elle laisse entrer dans chaque obscurité de l’hiver

Doucement dans mon cœur sa tendre lumière

De la voix de tant de slameuses et slameurs

Tant d’écume bouillonnante déferlante de chaleur

Les fleurs du bien ici

Poussent dans la bière

Naissent parfois de petits riens amers

Sous ses lampadaires

Un mercredi au soleil couchant

De leur encre qui se répand

Thierry Rousse
Nantes, mardi 29 octobre 2024
“Une vie parmi des milliards”

Une heure d’hiver

Une vie parmi des milliards

A ton réveil ce dimanche matin

Ton téléphone indiquait neuf heures

Et ton horloge murale dix heures

Tu réfléchissais

Que se passait-t-il dans les grandes aiguilles

Une heure avait disparu dans ta maison

Qui était entré chez toi pour la voler

Elle

La fameuse heure d’hiver

Sur l’instant

Se présente

Tu souris

Elle

Est de retour

Tu la prends dans tes bras

T’éprouves cette heureuse sensation

D’avoir gagné une heure sur ta vie

Aussitôt tu bondis de ton lit

Ragaillardi

Une heure sur ta vie

C’est pas rien

Une heure sur ta vie

Et le coeur rajeuni

Tu cours emprunter ce long chemin des prés

Le ciel s’éclaircit

Ces chèvres et ces fermes

Te rappellent les temps jadis

Et tu marches

Et tu marches pensif

Vers l’infini de ton regard

Tes pas goûtent aux perles de l’aube

A l’odeur des flambées de joies

Des longues tablées d’ami.es

Des pots au feu d’autrefois

Une heure sur ta vie à midi

Tes pommettes mûrissent

Tous les arbres

Tous les oiseaux

Te saluent

Une heure gagnée sur ta vie

En sursis

C’est pas rien

La cueillette des champignons

Des bouquets de bruyère

Un panier bien garni

Une troupe de lutins anoblis

Les jeux alanguis du dimanche

Et déjà ce temps disparu

Au crépuscule venu

Le roi soleil las s’obscurcit

Et te berce à son coucher

De longues pensées mélancoliques

Déjà la nuit profonde

Et cette triste sensation

D’avoir perdu une heure de soleil sur ta vie

Les pétales d’une matinée juste frôlées

Des cendres à tes pieds

Des fermes oubliées

Où dormaient les chèvres

Dans les champs du ciel

Le chemin des arbres

Sur ton regard

S’était refermé

Un peuplier replié

Un olivier sans olives

Une heure sur ta vie

Ce n’était pas rien

Quel maître du temps

L’avait volatilisée

T’aimerais bien la retrouver

Cette heure

Au milieu des prés

Accrochée au pistil

D’une fleur endormie

Le long d’un ruisseau

Un trouble d’oubli

Que te manquait-t-il pour être heureux

L’odeur de ce feu de bois ressassée

Des tablées d’autrefois

La besogne du paysan accomplie

Le pain et le fromage partagés

Le sourire de Violaine cette femme qui t’aime

De quoi se mêle donc la cour royale

A vouloir changer nos heures

Nos simples bonheurs

En calculs savants

Qu’elle laboure plutôt sa terre

Et vive au temps de Dame Nature

Plutôt qu’au temps de ses ratures

Ce tribun hautain voudrait te soumettre à son éloquence

Te convaincre de ses projets utiles pour toi et la terre comme cette heure d’hiver

Sitôt gagnée sitôt perdue

Que le roi se fie plutôt à l’horloge de la lune

Pour plaider la cause de sa voisine

Le bon sens revient à la vie

Que l’horloge du ciel reste souveraine

Alignée à tout l’univers

Que l’automne annonce enfin une trêve

En cette heure d’hiver

Thierry Rousse
Nantes, lundi 28 octobre 2024
Une vie parmi des milliards”

Sur mes lèvres esquissées

Une vie parmi des milliards

Sur les lèvres esquissées

Sur les lèvres effleurées

Sur les lèvres des récifs

Sur les lèvres ouvertes

Un dernier cargo solitaire

Dépose un baiser

Sur les lèvres retroussées

Sur les lèvres déployées

Sur les lèvres du désir

Sur les lèvres consternées

Sur les lèvres attristées

Sur les lèvres révoltées

Sur les lèvres excitées

Le soleil dépose une mèche allumée

Sur les lèvres portuaires

Sur les lèvres des mers

Sur les lèvres des rivières

Sur les lèvres douces et salées

Un p’tit poisson remonte à sa source

Sur les lèvres apaisées

Sur les lèvres endormies

Sur les lèvres des nuits

Sur les lèvres de la lune

Quatre lèvres s’entretiennent

Du monde

Et des pêcheurs de perles

Sur les lèvres collées

Sur les lèvres lettrées

Sur les lèvres de baisers

Sur les lèvres bleutées

Un timbre ne se décolle plus

Sur les lèvres des colombes

La parole s’est tue

Sur les lèvres de la paix

Sur les lèvres fermées

Sur les lèvres abusées

Sur les lèvres violées

Sur les lèvres défendues

Un cri étouffé

Sur les lèvres des guerres

Sur les lèvres en prières

Sur les lèvres éphémères

Sur les lèvres passagères

Se laissent faire

Sur les lèvres

Qui veulent être

Sur les lèvres prudentes

Sur les lèvres audacieuses

Sur les lèvres savoureuses

Sur les lèvres fidèles

Sur les lèvres éternelles

Sur les lèvres du ciel

Sur les lèvres de la terre

Un volcan de révolte

Sur les lèvres meurtrières

Sur les lèvres d’inventaires

Sur les lèvres rouge à lèvres

Sur les lèvres élégantes

Sur les lèvres puissantes

Sur les lèvres discrètes

Sur les lèvres clientes

Sur les lèvres avenantes

Sur les lèvres en manque

Embrassent le désert

Sur les lèvres d’oasis

Un palmier se déploie

Sur les lèvres en émoi

Sur les lèvres en nage

Sur les lèvres assoiffées

Sur les lèvres asséchées

Sur les lèvres qui se meurent

Une dernière parole se dessine

Sur les lèvres en coeur

Sur les lèvres qui expirent

Sur les lèvres identiques

Sur des lèvres uniques

Sur les lèvres cachées

Sur les lèvres poétiques

Sur des lèvres érotiques

Sur les lèvres hermétiques

Sur les lèvres magnétiques

Sur les lèvres solitaires

Sur des lèvres à la Prévert

Sur les lèvres amoureuses

Sur les lèvres ukrainiennes

Sur les lèvres palestiniennes

Sur tes lèvres qui sont miennes

Sur mes lèvres qui sont tiennent

Sur nos lèvres

Se retiennent

Sur les lèvres interdites

Sur les lèvres de Roméo et Juliette

Sur les lèvres de Clisson

Sur leurs lèvres

Glisse un bonbon

Sur les lèvres sucrées

Sur les lèvres gourmandes

Sur les lèvres taquines

Sur les lèvres coquines

Sur des lèvres tragiques

Sur des lèvres punies

Un baiser enseveli

Sur des lèvres meurtries

Sur des lèvres survivantes

Sur les lèvres nues

Sur des lèvres exilées

Sur les lèvres battues

Sur les lèvres confondues

Sur des lèvres infinies

Le soleil et la lune

S’embrassent

Sur mes lèvres esquissées

Thierry Rousse
Nantes, dimanche 27 octobre 2024
Une vie parmi des milliards”
Inspiré par l’exposition “Sur tes lèvres” du 26 octobre 2024 au 12 janvier 2025, Le Lieu Unique, Nantes, collection du FRAC des Pays de La Loire.

Doudoune et Doudou

Une vie parmi des milliards

Doudoune et Doudou

Trois ans

Déjà confrontée à ce monde un peu fou

Déjà séparée de tes parents

Doudoune

Faudra bien qu’tu trouves d’autres regards

D’autres mains

D’autres voix qui t’rassurent

Avec ton doudou qu’tu trimballes

Entre toi et tous ces murs

Doudoune

Faudra bien qu’tu t’nourrisses

De livres et d’images

D’images et de sons

De sons et de mots

De mots et d’histoires

Plein d’histoires

Plein d’fissures

Pour te glisser

A travers ces couloirs interminables

Des pièces que t’assembles

En reconstituer l’heure ensemble

Une maison et toi

Et papa et maman

Et moi

Et l’éléphant

Et la souris

Et le chat

Et doudou dedans

Des dinettes et plein d’autres jouets

Des animaux et toutes sortes d’objets

Pour te raconter plein d’aventures

Te créer tes mondes à la Jules Verne

Tout c’qu’t’as déjà découvert

Et tout c’qu’t’as déjà tracé

Ton théâtre imaginaire

Où t’aimerais grandir dedans

Voyager

Explorer

Deviner

Retrouver

Et montrer

Et mimer

Des comptines pour retrouver la paix

Des bagarres pour t’affirmer

Des non et des oui

C’est à moi il m’l’a pris

Trois ans

Déjà confrontée à ce monde un peu fou

Déjà séparée de tes parents

Doudoune

Faudra bien qu’t’apprennes à t’débrouiller

Te servir

Débarrasser

Nettoyer

Demander à t’lever

Doudoune

La collectivité

Te propulsera

A vitesse grand V

Dans l’monde de ses géants

Et tu seras propulsée parmi ses rois

Savante ou servante

Doudoune

Et ton doudou que deviendra-t-il dans tout ça

Sera-t-il toujours près de toi

Seras-tu toujours près de lui

Comme deux inséparables amis pour la vie

Doudoune et Doudou

Créer et jouer

Deux actions qui vous sont essentielles

Pour trouver votre place de sujet

Passer de l’abstrait au concret

Laisser vos premières traces

Gribouillées

Sur les pages de vos paysages

Sur les pages d’vos visages

Colorés

Doudoune

Trois ans

Déjà confrontée à ce monde un peu fou

Déjà séparée d’tes parents et d’ton doudou

Faudra bien qu’t’intègres son fonctionnement

La chanson du rangement

Avant l’heure du grand rassemblement

Écouter les activités

Qui te sont proposées

Sur tes tempes tourner trois fois tes doigts

Pour réfléchir et faire ton choix

Quel métier te ferait envie

Princesse

Starlette

Infirmière

Ou

Guerrière

Songe un instant

Toi l’animateur

En fin de carrière

Que cette infante

A qui tu lis ton histoire

Est peut-être

La future présidente de l’humanité

Celle qui changera ses temps

D’escargots en fleurs

Qui inventera des singuliers au pluriel

Des milliers de bonheurs

Dans un monde immergé

Où flottent encore des drapeaux

Devant ton château de sable mouillé

Doudoune

T’es pas la seule

Trois ans

Déjà séparée de tes parents

Déjà confrontée à ce monde un peu fou

T’es pas la seule à avoir perdu ton doudou

Écrasé sous les nuages des géants

Des tonnes de bombes

Quand les grands ne savent plus épargner

Tous les enfants

De leurs jeux cruels

Quand les grands déchirent leurs dessins de fées

Quand les grands tuent leur doudou bien-aimé

Toi Doudoune

A trois ans

Tu rêves d’un monde plus doux

Sous les pluies des orages

Des oranges arc-en-ciel

Accroche-toi à cette pomme dorée

Ton doudou sera ton étoile

Et tu s’seras sa déesse préférée

Thierry Rousse
Nantes, samedi 26 octobre 2024
Une vie parmi des milliards”

Repaire d’automne andalou

Une vie parmi des milliards

Parce que tu voudrais bien ne plus bouger

Rester sous ta couette après la fin de l’été

Faire la grève de la guerre et d’la misère

Sentir les parfums de roses dans les frimas de l’hiver

Lire écrire aimer des heures caresser son corps

Comme un chercheur solitaire éperdu d’or

Les yeux clairs d’une lune suspendue au dehors

Lui laisser te dicter ses mots comme ton plus décor

Parce que tu voudrais bien ne plus affronter ce monde

Dans ce qu’il a de tourments de plus immonde

Parce que tu voudrais bien hors de lui vivre

Être un moine séduit de ses jolies rondeurs

Amoureux d’un instant infini boire à son élixir

Les songes d’un lent voyage en cueillir toute sa chaleur

Depuis ce temps que tu désirais le rencontrer

Le poète de la lune était né Federico Garcia Lorca

Sa nostalgie avait le goût du miel son désir du ciel allaité

O de la cigale enchanteresse de l’au-delà

Que pouvais-tu clamer après son chant

Qu’un éternel hymne jaillissant des vents

Pouvions-nous disparaître dans la lumière

A peine enfant sorti d’une mère sur la terre

Tous nos rêves de père encore en jachère

Broyés dans le sein même de nos chairs

O cigale prophétesse pour l’ici-bas

Sous la plume du prodige Garcia Lorca

Tu partais dans la musique de tes ailes

Pour nous conduire avec toi si loin du réel

Et pourtant ta vie n’était nourrie que de ses graines

Tout ce qu’un regard de sa profondeur égraine

Dans tes souvenirs grenouilles et grillons t’accompagnent

Au creux des sillons à l’ombre de nos chères campagnes

Parce que tu voudrais bien ne plus bouger

Rester sous ta couette après la fin de l’été

Faire la grève de la guerre et d’la misère

Sentir les parfums de roses dans les frimas de l’hiver

Thierry Rousse
Nantes, vendredi 25 octobre 2024
Une vie parmi des milliards”

La maison du nomade

Une vie parmi des milliards

Fuiras-tu

Nomade

Au moindre rayon du soleil

Ta maison

Fuiras-tu

Nomade

Aux moindres gouttes d’eau

Ta maison

Fuiras-tu

Nomade

Le soleil

La pluie

Le vent

Les champs

Les torrents de ta solitude

Quand les signes des temps seront trop prégnants

Abandonneras-tu ta maison

Nomade

Ou prendras-tu grand soin d’elle

Tout ce qu’elle a bien voulu sauvegardé

Sous son toit

De toi

Qui s’amoncelle

Resteras-tu en ta maison

Nomade

Pour en découvrir tous ses secrets cachés

Tous ces murs que t’as imaginés fissurés de roses

Resteras-tu en ta maison

Nomade

Pour ouvrir ses souvenirs fermés

Poursuivre ses histoires écloses

Resteras-tu en ta maison

Nomade

Pour ranger tout le désordre du monde

Resteras-tu

Ou fuiras-tu

Nomade

Ses yeux te voient

Épuisé

Ses fenêtres t’appellent

Rentre en elle

Sa porte t’ouvre grand ses ailes

Ta maison est l’humanité

Nomade

Et son cœur une étoile

Reviendras-tu pour sa douce lumière

De toutes tes galères

Nomade

Regarde

Sa cuisine est un jardin

Sa chambre un oasis

Sa salle de bain une cascade

Son lit une barque de douceurs

Où les mots nagent de plaisir

Au soir de leurs nuits blanches

Resteras-tu en ta maison

Nomade

Pour y vivre

Le bonheur

Et l’accueillir

Et s’il te faut des années

Corps errant

Pour être reconnu

Du dehors

Toi l’étranger

Toi l’exilé

L’handicapé

Aux yeux de cette société sédentaire

Ta maison

Elle

Te connaît

Et t’accueille

En toute saison

Viens donc t’y blottir

Comme un Ripaillon du désert

Ta maison est une tirelire de songes

Une roulotte de sons et de mots

Jonglant avec les étoiles et les planètes

Ta maison n’est que dans ta tête

Un dessin de fils qui se lient

Pas vraiment nette

Un pull-over de lettres enlacées

Pour les longs hivers

Ta maison

Est au bord d’une rivière

Au bord de tes rêves

Au bord d’un estuaire

Une maison de correspondances poétiques

Une pierre d’angle

Où la vie est si belle

Où la vie est un ciel

Où la vie étincelle

Thierry Rousse
Nantes, jeudi 24 octobre 2024
Une vie parmi des milliards”