Relire et danser

Relire

Relire les textes que j’avais écrits pendant le confinement

Les relire

Les mettre en forme

Déjà une époque révolue

Des papiers jaunis

Avait-elle existé vraiment cette époque

Certains diraient que nous avions fait un vilain cauchemar

Que nous avions fumé ou fabulé

D’autres, celles et ceux qui avaient perdu un des leurs

Diraient que cette époque tristement avait bien existé

Comme le onze septembre

Et les autres attentats qui l’avaient suivi

Relire des pages qui s’effaçaient dans le temps

Une tragédie en chassait toujours une autre

Relire tout ce que je pouvais relire

Ces notes griffonnées sur des petits carnets

Qui finiraient dans ma tombe

Ma dernière volonté

Partir avec mes mots

Relire les livres

Tous les livres

De ma vie

Les journaux

Les revues

Les bandes dessinées

Je n’aurais pas assez d’une retraite

Pourvu que ma vue

Encore me soit donnée

Relire

Ce que je pouvais relire

Quelques échanges de messages

Quelques mots d’amour

Ou d’amitié

Bien d’autres

Des quantités de mots avaient disparu

Dans l’écran de mes nuits

Des mots

Des mots bleus

Qui prenaient l’eau

Mots indélébiles

Et pourtant

Quelle âme

Qui les avait écrits

Se souvenait-elle encore

Des palpitations de son coeur

Relire le bonheur

Et le malheur

Relire tout ce qui se liait

Tout ce qu’on ignorait

De correspondances universelles

Relire mes répliques

Relire mes rôles

Tant de vies au fond

Réelles ou imaginaires

Qui se confondaient

Pousser la porte d’une annexe

Et écrire les noms de toutes ces rues

Qui accueilleraient

Mes pas

M’y faufiler

Discrètement

Et danser

Relire et danser

Oui, relire et danser

J’avais trouvé une fin provisoire

Un objectif à atteindre

Sur les sommets

Des montagnes de mots

Nantes,

Un vingt quatre janvier

Deux mille vingt trois

Nantes Métropole m’appelait

Au bout du fil

Le début d’une reconnaissance

De nos scènes ouvertes

De nos mots qui se libéraient

Des entrailles de nos chairs

Hommes

Femmes

Tout genre confondu

Au comptoir

De l’éternité

Thierry Rousse

Nantes

Mardi 24 janvier

« Une vie parmi des milliards »

A NOS RETRAITES

Retraite

Me retirer du monde quelques temps

Ce temps m’était nécessaire

Pour observer

Comprendre

Ecouter

Ecouter le silence

Ecouter la petite voix intérieure

Qui me montrait une direction

Là où il m’était bon d’aller

Une évidence

Là où tout s’alignait

Les planètes

Les oiseaux

Prenaient forme

Se correspondaient

Comme les pièces d’un puzzle

Là où ça avait un sens

Une raison d’être

Ce ça qui me remplissait de joie

De paix

De satisfactions

Alors quand le roi

Touchait à nos retraites

Dans nos coeurs

Ca faisait des bonds

Les drapeaux rouges de notre sang s’agitaient

Sous la pluie de l’hiver

Les gens se rassemblaient

Un à un

Convergeaient vers le miroir d’eau

Se comptaient et étaient fiers

Enfin nous étions nombreux et forts

Tout autour des remparts du château

A défendre nos retraites

A les protéger

Ce privilège

Qui n’était autre

Que la part de notre travail

Mise en commun

Notre trésor public

Notre doudou

Nous retirer du monde quelque temps

M’arracher à mon travail

Rejoindre les drapeaux de la colère et de la fête

Les rattrapper

Du dernier au premier

Du tracteur et de sa remorque balai

Au camion sandwichs et petits verres de vin rouge

Cette discrète locomotive en tête

Que nous suivions

Sur des airs de révolutions

Dégoulinant d’eau glaciale

Des siècles d’histoires

De combats, de victoires

De défaites

Marcher pour dire que nous étions là

Que nous méritions le fruit de notre ouvrage

La retraite pour nous reposer de nos efforts

La retraite

Peut-être pour vivre

Pour exister enfin

Alors

Autant que nous soyons jeunes et en pleine santé

Pour en profiter

Le Roi

Avait-il vraiment envie que nous en profitions

Que nous nous retirions du monde

Pour mieux savoir qui nous étions

J’ignorais les intentions du Roi

Moi le saltimbanque

Sur les pavés à marcher

Je rêvais d’un sable fin doré

Etre un Edgar Morin

Né un 8 juillet 1921

101 ans

Philosophe résistant autodidacte

Qui brillait encore de son intelligence

De sa lucidité à voir le monde

Le comprendre, l’analyser

Me dire que j’avais

Le même nombre d’années à vivre que lui

Cinquante ans devant mon nez

De jours et de nuits

Pour vivre tout ce que je n’avais pas vécu encore

Je me voyais écrire

Créer, jouer, transmettre

M’imaginer à son âge

Imaginer que le travail était ma retraite

Que, déjà, je la savourais

A pleines mains

Les yeux et le coeur grand ouverts

Que le Roi ne pouvait pas me la voler

Ma retraite

Que deviendrait-il sans saltimbanque

Pour le distraire

Une sorte de robot

Déconnecté de la vie

Dans un mortel ennui

Alors

Je chantais

En liesse

Vive nos retraites

Dans les repaires de la tendresse !

Thierry Rousse

Nantes, dimanche 22 janvier 2023

« Une vie parmi des milliards »

LA réponse

Treize heures trente en trois jours

A adresser par courriel

Nos plaquettes de spectacles et de stages

Tenir le cap

Tenir le rythme

La campagne de Léon

Ressemblait à une épreuve sportive

Il y avait quelque chose de stimulant

Une sorte de challenge

Qui me rappelait

Le temps

Où je courais

Des semi-marathons

Au-moins la course m’avait appris cela

Garder le cap

Tenir sur la durée

Doser l’effort

Pour éviter le fatal point de côté

Tenir

Cette fois-ci tenir

Même si un bon nombre d’adresses me revenaient

Même si je devais faire des recherches

Actualiser mes fiches

Les étoffer encore et encore de renseignements

De contacts

De noms

De secrets chasse gardée

Garder le cap

Toujours garder le cap

On disait que les efforts finissaient toujours par payer

En attendant c’était pâtes ou pommes de terre

Et de temps en temps salade entre les dents

Quand soudain je reçus cette bonne nouvelle

La bonne nouvelle

Pas une réponse

Mais LA réponse

LA réponse

Non ce n’était pas

Ce que vous pensiez

Ma mutuation à Tahiti

Ma promotion à un haut poste

Genre direction d’un Centre dramatique national

Ou encore la mort de mon vieil oncle d’Amérique

Ou encore l’acceptation de Pénélope

A ma demande en mariage

Que je n’avais jamais formulée

A une Pénélope que je ne connaissais pas

C’était LA réponse d’une charge de programmation

A l’un des innombrables courriels adressés

LA réponse comme un ange tombé sur Terre

Bon d’accord

Ce n’était qu’une demande d’information pour un spectacle

Et pourtant c’était

C’était déjà tout pour moi

Un feu d’artifices de pépites d’or dans le ciel de Nantes

Juste ce qu’il me fallait pour me redonner de l’énergie

Juste la petit rondelle de citron

Qui nous était servie au dixième kilomètre

Pour nous rafraîchir

Nous faire repartir de plus bel

Ragaillardis

Sur les pavés de la Tour Eiffel

Les yeux au paradis

Une once de poésie

Grand félin d’Asie

Qui s’élançait

Il fallait bien ça

En tête à tête

Avec moi-même

A défaut de pouvoir trinquer

Avec ma collègue

Et toute la troupe

Cinq heure du matin

Quand la ville se réveillait à peine

Quelques voitures gelées

Je me levais

De bon pied

J’étais vivant

Phares dans la nuit

Prêt à courir

La course des courriels

Jusqu’à midi

Savourer ma pause

Je m’offrais en présent

Un repas à onze euros quatre vingt

Au restaurant du Lieu Unique

C’était festin

Salade au fromage, au thon

Et aux tomates cerise hors saison

Dont je me serais bien passé

Puis plat du jour

Poulet pâtes champignons

Et sauce à la crème

Et sauce à la crème

Et pain et pain et pain

Et sauce à la crème et sauce à la crème

Et pain et pain et pain

Et manger et grossir

Mon ventre n’était plus habitué

A une telle orgie culinaire

Au bout au coeur d’un brouhaha

Un autre festin

Longue table blanche de convives élégants

Télévision

Discours

C’était Madame la Maire

Madame La Maire de Nantes était là

Et Olivier Faure me disait-on

Qui pouvait être cet Olivier Faure

Fort inconnu à ma campagne

Petite réunion d’association de retraités, pensais-je

« Non, c’est le Parti socialiste ! » Me soufflait-on

Léon n’en revenait pas

Le Parti socialiste était là

Au Lieu Unique

Et Léon n’en savait rien

Et Léon mangeait ses pâtes, son poulet, ses champignons

Indifférent et gourmand

Son pain imbibé de sauce à la crème

Et quand il n’avait plus de pain, Léon

ET bien, il lêchait son assiette Léon

Oui, il lêchait son assiette

Comme un chat ronronnant Léon

Qui avait reçu LA réponse de sa vie

Léon

Les mots m’égaraient

Dans l’Annexe d’un mercredi

Petite marche de la garde

Autour de ma Duchesse

Et Léon gonflé à bloc

Quatorze heures pile pétantes

Au garde à vous

Reprenait sa course

Gardait le cap

Ne se laissait pas distraire

Par un poulet pâtes champignons sauce crème pain

Accompagné d’une carafe d’eau sans bulle

L’abus d’eau était dangereux pour sa santé

Léon pouvait rouiller

Qui dévouillerait Léon

Mes Frères d’Ame

Après une recherche sur internet

J’apprenais qu’Olivier Faure

Etait le Président sortant du Parti Socialiste

En pleine campagne lui aussi

Léon était un peu moins bête ce soir

Dans sa tour d’Ivoire

Juste pour la rime

Dans sa petite tour des Petits Lus

Des grands Arts

De la longue Rue

Thierry Rousse

Nantes, mercredi 18 janvier 2023

« Une vie parmi des milliards »

PRESQU’ILE ENTRE TOTTI ET RICHARD II

Quitter un temps mon travail

J’y passerais bien tout mon temps

Ou presque

Une presqu’île

Etait-ce devenu une drogue

Une envie

Un plaisir

Une nécessité

Un objectif dans ma vie

Les derniers efforts de l’athlète

Dans sa dernière ligne droite

Sa dernière chance

Ou peut-être

Un peu de tout ça à la fois

Pas un poème

Que l’aspect d’une forme vague sans ponctuation

Une forme qui lui ressemblerait vaguement

Entre les lignes du réel

Préparer mes séances d’ateliers-théâtre

Mes stages clown

Réviser

Répéter

Communiquer

Diffuser

Budgétiser

Planifier

Beaucoup de « é »

Comme des airs de liberté

L’avantage était

Qu’aucune femme ne me disait :

« Chéri, arrête de travailler

Et rejoins-moi sous la couette ! »

Je ne risquais aucun conflit

Mais était-ce vraiment un avantage

Faire face à mon âge

Vieillissant

Devant la glace

Que le reflet de moi-même

Qui pouvait me répondre

Arrête de travailler

Pause-toi

Mange

Lis

Vas boire un verre

Ecris des vers

Vas au cinéma

Ou au théâtre

Vas écouter de la musique

Ou des chansons

Ou des airs d’opéras

Quitte surtout tes chaussons

Vas voir une exposition

Ou vas marcher

Prendre l’air

Depuis combien de temps

N’as-tu pas vu Hector et Berlioz

Que devenaient-ils

Sous la pluie glaciale

Tes amis

Hector et Berlioz

Ces deux gardiens robustes

De ta chère Duchesse Anne

Les avais-tu délaissés

Oubliés

Avais-tu fui

Les bras qui s’étaient

Offerts

Un soir

A toi

Craintif

D’oser être aimé

Rien

Il te restait ToTTi (1)

Pour inventer d’autres mondes possibles

Bien qu’envieux

De tenir le glaive de Richard II

Dans la cour glorieuse

A défaut

Un jardin

On dirait « sa planète »

Non pas celle de Richard II

Celle de ToTTi

Murmurait une jeune passante qui se reposait au pied d’un arbre

Une passante qui n’était plus passante

Juste patiente

Contemplative devant le vide

Car il faut aimer son clown

Ou sa clowne

L’aimer sans condition

Même si elle ou il

Nous paraît maladroite

Naïve

Ou niaise


« Il y a un spectacle? » demandait son compagnon musicien


 » Oui, à 21h45″


« Puis-je m’asseoir?

Oui, il reste une place au premier rang »

21h45

ToTTi surgissait

Derrière son banc

Toujours à l’heure

« Vite, ça commence ! « s’écriait la demoiselle patiente

Qui se précipitait devant la piste suivie de son compagnon musicien

La piste, un bien grand mot

Juste un peu de terre

D’un verger disparu

A l’ombre des remparts

ToTTi explorait cette étrange planète

Une lanterne sur son front

Et la lumière fut

Il y eut un matin

Il y eut un soir

1,2,3,4…

Quatre échappés de Richard II

ToTTI les saluait

Echangeait un regard

Une émotion

Une poignée de mains

Le courant passait

Et sa planète Terre

S’éclairait dans la nuit

De quelques habitants rêveurs

Quand Richard II vociférait

C’était quoi sa vie déjà à Richard II ?

Thierry Rousse

Mardi 17 janvier 2023

« Une vie parmi des milliards »

  1. Les Vacances de Monsieur ToTTi http://monsieurtotti.blogspot.com/

La campagne de Léon

La campagne de Léon

Dimanche 15 janvier 2023

Je me réveillais

Le ciel était bleu

J’étais vivant

Cela pouvait paraître banal et pourtant

Chaque matin

Je remerciais la vie

Lorsque j’ouvrais les yeux

Et que je réalisais

Que j’étais encore vivant

Vendredi, mon corps avait lâché

Grosse fatigue soudaine

De retour des écoles

Le vent, la pluie, le froid, le manque de sommeil

Avaient vaincu mon corps

Deux bonnes nuits de sommeil

Et toute la journée du samedi

Sous la couette

A m’affairer à un travail répétitif

Avaient permis à mon corps

De régénérer ses cellules

Mon meilleur médicament

Pour aider mon corps

Dans sa tâche

Etait de la poudre de gingembre

Mélangée à de l’eau

Ou mieux encore à du jus d’orange

Lorsque j’en avais

Du jus d’orange

Voici comment je me soignais

N’en déplaisait aux experts de l’Ordre Mondial de la Santé

Je pensais au fond

Que nous avions bien plus qu’une vie dans notre propre vie

Mais de multitudes vies

A chaque renaissance de notre corps

Chaque fois que je me réveillais

Que le ciel était bleu

Que j’ouvrais les yeux

Et que j’étais vivant

Mon premier désir était alors de marcher

Marcher

Dire « Bonjour » à Dame Nature

Que j’apercevais à travers ma large baie vitrée

Première tentative échouée

Rafale soudaine de vent et de pluie

A peine descendu sur le trottoir

Deuxième tentative, cinq minutes après, réussie

Le vent avait cette fois-ci chassé les gros nuages tout gris

Barnabé souriait

Je marchais à ses côtés

Un pied devant l’autre

Je longeais l’Hôtel de Dieu et de ses anges

Traversais les voies du tramway

Puis le large boulevard

J’entrais à l’angle de l’Atomic’s café

Dans la longue rue pavée de Kervégan

Déserte un dimanche matin à onze heures

Les sabots de Barnabé résonnaient

Je désertais un temps mon ordinateur

Je m’obligeais à une pause

Salutaire

Notre esprit avait besoin de se détendre

Se ressourcer pour mieux revenir à sa besogne

J’étais à cette époque

En pleine campagne de diffusion

La fameuse campagne de janvier

Non, ce n’était pas la campagne de Napoléon

Quoique

Mais la campagne de Léon

Envoyer les plaquettes de nos spectacles et de nos stages

Déjà dix heures de travail

Léon avait encore du pain sur la planche

Bon nombre d’adresses invalides

Des adresses, des noms aussi sans doute qui avaient changé

Au fil des vies, de tant de vies

Tout ce travail prenait un temps considérable

Rechercher des contacts

Créer des supports de communication

Les adresser avec un petit mot enchanteur

Noter les noms à qui on envoyait les plaquettes

La date

La réponse

Un temps que des compagnies disposant de peu de trésorerie

N’étaient pas en mesure de rémunérer convenablement à une chargée de diffusion

Ni à ses artistes Léons

Etre au four et au moulin

Etait notre quotidien

Vendre ce que nous jouons

Ce que nous créons

Etait notre gagne pain

Au bout était le résultat de tous nos efforts

L’essentiel était de savoir pourquoi je le faisais

Pour ces sourires, ces rires, ces applaudissements des enfants

Et des adultes

Pour ce que nous voulions transmettre aussi à travers nos spectacles

Le sens que j’y mettais était ma force

C’est ce sens qui me donnait du plaisir

A envoyer chaque courriel

A travers le ciel

Je nous voyais déjà jouer

Jusqu’en Bretagne

Dans ces campagnes éloignées

Qui me faisaient rêver

Dans mon coeur

Rue Kervégan

Entre L’instant

Du Cèdre au Palmier

De Kaboul à la Cuisina Italiana

Du Royal Indien au Boot Legger

Du Petit Marais au Tapas et Vino

De l’R de Rien au Tiki Bar

C’était toute une troupe qui battait

Le pavé

Des Léonies et des Léons qui étaient sur scène

Aux Léonies et Léons qui assuraient tout le travail

En amont, pendant, et après

Heureusement qu’apparut un jour

La Fée magicienne des Léonies et des Léons

Pour les soulager un peu

Méritant amplement ses écus

Travail administratif

Communication

Diffusion

Production

Il en restait encore

Du pain à couper

Décors

Accessoires

Costumes

Intendance

Logistique

La campagne de Léon

N’était pas un vain mot

Pas un poème

Quoique

« Pour toucher le ciel, mec !

On ne doit pas faire ce métier pour autre chose.

Pour te réaliser,

pour être qui tu es,

pour apporter sur cette terre ce que ton âme doit y apporter ! » (1)

Thierry Rousse

Nantes, dimanche 15 janvier 2023

« Une vie parmi des milliards »

(1) « Frères d’art » de Gildas Puget

Richard II ou ToTTi, brefs souvenirs un samedi de pluie

Richard II dans la Cour du Palais des Papes

ou

ToTTi de l’autre côté des remparts

au Verger Urbain V ?

Le IN ou le OFF du OFF

La part des anges ?

Le IN s’inquiétait de cette concurrence déloyale

ToTTi ferait un carton, c’était sûr

« Si vous voulez voir la suite, revenez demain ! »

Voici ce que j’avais écrit tôt le matin

Au marqueur noir sur mon carton

Un jeudi 22 juillet 2010

Aucun commentaire sur mon blog

21h45

La foule se dépêchait

Se poussait

Se tassait

Richard II avait détrôné pour une fois ToTTi

Un jour de pluie

De phares et de voitures

Un samedi sous la couette

Le corps malade

Des souvenirs qui se croisaient

C’était un peu disparaître

Sans bruit

Discrètement

Quitter ce monde

Pour Richard II

De l’autre côté

De l’autre côté

Des remparts.

Thierry Rousse

Nantes, samedi 14 janvier 2023

« Une vie parmi des milliards »

( 1 ) Les vacances de Monsieur ToTTi

http://monsieurtotti.blogspot.com/

Une autre vie parmi des milliards

Si la vie n’avait pas voulu de nous

Si ce n’était pas le bon moment

Si c’était trop tôt

Bien trop tôt encore

Ou pas l’enfant désiré

La fille ou le garçon

Si l’enfant-né que nous étions

Avait ce quelque chose de différent des autres

Une couleur

Un handicap

Dans la course

Un aspect chétif

Chez le coiffeur

Et si en grandissant

Il avait à supporter cette image

Qu’on se faisait de lui

Ce regard qu’on lui portait

La compassion ou le rejet

Il y avait toujours cette solution de renaître

Avec cette envie de voir le monde autrement

Avec cette envie peut-être bien aussi

De nous voir autrement

Alors, un beau jour,

J’avais osé pousser cette porte

Ou plutôt j’avais osé

Me prendre cette porte

En pleine figure

Oser être qui j’étais dans toutes ses dimensions infinies

Etre accueilli comme j’étais

Et là

Aussitôt ToTTi me tendit ses bras

Puis m’ouvrait fil après fil son coeur

Le temps de nous apprivoiser l’un et l’autre

Un peu comme le Renard et le Petit Prince

L’accoucheur de ce clown qui sommeillait en moi

Sans que je n’en sache rien jusqu’alors

S’appelait Jean-Luc Mordret

Et je lui devais un beau matin

Mes vacances au pays des cigales

Cet état d’absence à moi-même

Pour laisser place à ToTTi

Un mardi 20 juillet 2010 …

Ce matin, (1)

Monsieur ToTTi

Pointait son nez rouge

A l’extérieur de sa tente igloo

Avec sa valise bleue

Il prenait la direction du « Verger Urbain V »

Au pied du Palais des Papes


Après avoir rencontré d’autres artistes en vacances

Il était prévu que son réveil

Se fasse le lendemain en soirée

Aux alentours de 22 heures

Derrière un banc

Etait-ce le banc des amoureux

Ceux qui se bécotaient

Sur les bancs publics

A la nuit tombée

A n’en plus finir

Attirant les regards des curieux ?

Les joues gonflées

Toutes rouges

Aussi rouges que son nez rouge était rouge

Aussi rouge que son bonnet était né

Par cette belle nuit d’été provençale


Monsieur ToTTi pointait donc

Pour la deuxième fois son nez rouge

Cette fois-ci dans le « Verger Urbain V »

Sans répétition ni jeu de mots


Au pied du Palais des Papes disparus

De l’autre côté de la cour des Princes

De l’autre côté du « IN »

Dans le « OFF du OFF »

Presque comme un troubadour

Echoué dans la rue

Au fond de l’obscurité d’un visage noir

Peint sur un banc

Pour ne pas être vu

Derrière ce banc

Monsieur ToTTi


Observait les passants

Qui passaient et repassaient


Il s’émerveillait des lumières de la nuit


Doux reflets multicolores des guirlandes des cieux


Un air de fête, un air de rêve


Un goût de liberté lui était offert

Monsieur ToTTi escaladait le banc


Aventure Ô combien périlleuse


Puis se laissait glisser comme un enfant


Quel joli toboggan était ce banc

Simples rimes des anges


ToTTi pour les intimes

Posait sa valise et se reposait


Mais que faisait-il ?

Les rares spectateurs attendaient

Un geste

Une pirouette

Un mime

Une chanson

Ou des claquettes

ToTTi ne faisait rien

Rien que d’être


Il était

Et j’en restais là pour ce soir

A l’être

De mes mots

Demain

Derrière Le Lieu Unique

Ouvrirait le Bis

Demain

Y verrait-on ToTTi ?

Etait-il annoncé ?

Instants de silence suspendus

A suivre

Comme la vie

Avant que Dieu ne me rappelle à lui

Ne me cueille comme une étoile

Dans la nuit

Cité des nez éternels.

Thierry Rousse

Nantes, mardi 10 janvier 2023

« Une vie parmi des milliards »

  1. Blog « Les Vacances de Monsieur ToTTI » http://monsieurtotti.blogspot.com/

VIVRE ENCORE UN PEU . . . DU THEATRE

Vivre encore peu

Parce que je n’avais pas encore tout jouer

Moi, rien qu’une vie parmi des milliards

Il m’en restait encore des rôles à jouer

Au bord de ce Globe qui se réchauffait

Le petit-fils de La Ritournelle ( 1 ) était au placard

Gorgibus, Marphurius, Gros-René, Harpagon, Argan ce malade imaginaire (2 ) étaient en fuite dans leur malle

Amédée le Jardinier perdu dans le labyrinthe de son jardin ( 3 )

Le veilleur de nuit Hughie s’était endormi au comptoir de son hôtel ( 4 )

Toribio avait été rangé trop tôt au congélateur ( 5 )

En sortiraient-ils un jour, ces fantômes de mes coulisses ?

D’autres personnages heureusement m’attendaient impatients

Malabar, Boule-de-Neige, Brille-Babil, Moïse trépignaient dans leur ferme ( 6 )

Béranger se refusait de devenir Rhinocéros, courageux résistant qu’il était ( 7 )

Pierrot, Amélie, la Sirène et le Dragon reviendraient en février pour le bonheur des enfants ( 8 )

Barnabé espérait vivement le retour du printemps ( 9 )

Et Le Père Noël, celui des premiers flocons de l’hiver ( 10 )

Bernard le Canard avait hâte de retrouver L’Inspecteur Cornichon avec sa fille Lucie pour leur jouer de nouveaux tours dans l’usine au chocolat ( 11 )

Ainsi il en était de ma vie de comédien

Réviser régulièrement mes textes et mon jeu

M’entraîner

Me souvenir de chaque mot

chaque voix

chaque geste

chaque déplacement

chaque intention

chaque sentiment

chaque émotion

chaque regard

Oublier m’aurait été fatal

Le glas de mon trépas

Des heures et des heures de travail perdues

Non recyclées

Et puis toujours

Me projeter

M’imaginer dans un nouveau rôle

De nouveaux projets

Des territoires inconnus à explorer

Innover

Surprendre

Oser

Rester éveillé aux yeux du monde

Ecrire

Apprendre

Tracer

Construire

Créer

M’instruire

ToTTi, ( 12 ) mon clown, pointait son nez :

« Alors, quand repartirons-nous en vacances avec la valise bleue de nos rêves ? »

Les cigales chantaient encourageant les fourmis

Je fourmillais de ce désir de vivre

Rajeunir ou vieillir pour jouer tous ces rôles qui peuplaient mes nuits

Jouer pour le bonheur de jouer d’autres vies

Faire rire ou faire réfléchir

Emouvoir

Toucher les coeurs jusqu’au dernier rang

Jusqu’au dernier balcon

« L’Illusion Comique »

Premier jour de mes fiancailles au théâtre

Longue histoire d’amour

De Paris à Nantes

Vivre encore un peu pour aimer

Et peut-être être aimé, désiré, reconnu

Ou tout simplement connu

Au coin de ma rue

Pour rompre avec la redondante phrase des institutions

« On ne vous connaït pas »

Et bien, vous allez apprendre à me connaître

Aujourd’hui, je vais naître

Ici sur ces planches

Dans mon plus beau costume

Je serai peut-être bien Lustucru

Ou encore Bachir

Ou encore Saïd

Scoubidou me donnera la réplique ( 13 )

Au pied du Palais des Papes

J’adorais ne pas me prendre au sérieux

L’humilité était le plus beau blason des saltimbanques

Alors

Laissez-moi vivre encore un peu… du théâtre, Messieurs, Mesdames

De ce pain essentiel au banquet des noces.

Thierry Rousse

Nantes, dimanche 8 janvier 2023

« Une vie parmi des milliards »

( 1 ) La Ritournelle de Victor Lanoux, Production SCB

( 2 ) farces et comédies de Molière, Compagnie Les Arlequins

( 3 ) Amédée le Jardinier, Compagnie Les Arlequins

( 4 ) Hughie d’Eugène O’Neill, L’Oiseau-Naïf Théâtre

( 5 ) Les trois oranges, Compagnie L’Arbre à Palabres

( 6 ) La ferme des animaux de George Orwell, Compagnie Artscoope

( 7 ) Rhinocéros d’Eugène Ionesco, projet 2023 Compagnie Artscoope

( 8 ) Pêcheur d’histoires, Compagnie L’Arbre à Palabres

( 9 ) Le Potager des Contes, Compagnie L’Arbre à Palabres

( 10 ) Le Père Noël et ses histoires, Cies L’Arbre à Palabres et Micado

( 11 ) L’inspecteur Cornichon de Thomas Debure, compagnie Micado

( 12 ) Les vacances de Monsieur ToTTi, Les Clowns Polaires

( 13 ) Projet Scoubidou et Lustucru, adapté de Les contes de la rue Broca de Pierre Gripari

ENTRE JARDIN DES PLANTES ET MUSEE DES BEAUX-ARTS

Me glisser entre les gouttes

Me frayer un chemin

Me refugier dans une serre

Plante parmi les plantes

Retrouver le calme du temps

L’alignement

Des racines aux étoiles

Toute la sève essentielle

Le même élan qui nous réunissait

Amies et amis de coeur

Une terre

De l’eau

Du soleil

Chaque jour

Reproduire ce geste

De la création

Ce souffle qui nous animait

Tracer l’infini

Déposer l’invisible

Sur des toiles blanches

Au café du Musée des Beaux-Arts

Ames sensibles et belles

Hors du ciel

Eternelles

Une fleur sur un mur

Jailissait

A l’heure du thé

Scène ouverte

De Nantes et d’ailleurs

A tous ces mots qui se libéraient

Aux comptoirs

Se croisaient

Dans le noir

Ces mots de toutes les couleurs

Ces petits bonheurs

Et ces parapluies joyeux

Performance d’une vie

Improvisée.

Thierry Rousse

Nantes, samedi 7 janvier 2023

« Une vie parmi des milliards »

Les voyages en train miniature

Il passaient

je les voyais

derrière ma large fenêtre

dans un sens puis dans un autre

je les entendais arriver

se croiser parfois

de l’aube à la nuit tombée

au milieu

ils se faisaient plus rares

il y en avait un qui faisait beaucoup de bruit

un long, un très long avec des citernes grises toutes taguées

un long train de cérales

du moins c’est le mot qui était écrit sur chaque wagon

Ceux qui circulaient le plus

jusqu’à vingt trois heures environ

étaient les trains de voyageurs

ceux que nous nommions les TER alternant avec les TGV

l’ancien train avec des wagons à compartiments, celui que j’adorais dans ma jeunesse, avait quasiment été sorti de la circulation

le tout beau Corail, le tout moderne sans compartiment, lui aussi, avait l’air aujourd’hui d’un vieux dinosaur démodé

il avait été repeint tout en bleu et rose aux couleurs de OUI GO

la jeune génération des trains à bas prix

le genre de trains utiles à qui on dit oui ou go

je n’en voyais peut-être que deux passer chaque jour

Les trains

ils avaient été la passion de mon enfance

j’inventais toutes sortes d’histoires grâce à eux

après avoir posé les rails

construit des maquettes

de gares

de maisons

de commerces

d’écoles

d’églises

de fermes

de montagnes

de prairies

de rivières

après avoir disposé des figurines et des animaux

je faisais partir ou arrêter, à mon bon vouloir, les trains

et quand je l’avais décidé

je les rentrais dans leur hangar

les trains se reposaient

et je m’endormais avec toutes ces histoires dans ma tête

ces belles histoires

où tout le monde était heureux

de sa journée.

Les voyages en train

étaient simples et rassurants

je savais

quand ils partaient et quand ils arrivaient

d’où ils partaient et où ils arrivaient

leur destination était clairement définie dans ma tête

Je savais où j’arriverai

et à quelle heure

ou presque

les retards pouvaient être source de tensions

comme de délectation

me faisant languir à attendre mon train

ou m’offrant un peu plus de pages de lecture ou de contemplation d’un paysage

lorsque je me trouvais bloqué dans un de ces wagons

Rarement j’étais attendu à l’arrivée

quand je l’étais, cet instant n’était que pur délice

je me sentais alors attendu à un endroit précis et à une heure précise sur la Terre

au bout du quai, ou, mieux encore, sur le quai

J’aimais les trains comme j’aimais l’ambiance des gares

surtout des anciennes gares des grandes villes

ou des petites gares de campagne

Depuis Nantes

je savais que je pouvais me rendre

à Paris

à Bordeaux

à Angers

à Saumur

au Mans

à Orléans

à Strasbourg

à Marseille

à Lille

à Rennes

à Vannes

à Brest

à Quimper …

et déjà je rêvais à ces voyages, à ces destinations

je rêvais que je partais jouer là-bas

ou que j’allais lire des poèmes là-bas

ou encore que j’allais transmettre l’art du clown là-bas

sponsorisé par la SNCF

je rêvais de ces somptueuses chambres d’hôtels qui m’attendaient

de ces déjeûners copieux

de ces repas savoureux

ou tout simplement de ces soirées chez l’habitant

je rêvais de ces instants de détente

bien mérités

après mon travail

où j’allais découvrir

la ville et ses jardins

la ville et ses bords de mer

la ville et ses lieux culturels

la ville et ses restaurants

la ville et ses troquets fort sympathiques

où j’allais rencontrer

rencontrer d’autres gens

d’autres gens sur la Terre

les écouter

partager un bout de vie avec eux

puis repartir dans mon train

fantastique

à l’heure fixée

une larme à l’oeil nostalgique

élastique

avec tous ces souvenirs

tourbillonant

dans ma tête

tous ces souvenirs

inoubliables

ces sourires

ces rires

ces regards

ces mots échangés

ces valises de rêves

que j’ouvrirais à mon retour

ces parfums d’amour

1825

tout avait commencé en 1825

en Angleterre

la première ligne de chemin de fer pour voyageurs

grâce à la locomotive à vapeur

ce premier poème

que nous devions à George Stephenson

le train roulait à trente à l’heure

et j’avais tout mon temps pour observer ces vaches britanniques qui me regardaient

tout mon temps pour vivre

Ce n’est qu’en 1981 que tout s’accéléra

que le Train à Grande Vitesse sillonnait les champs

traversait les forêts

séparaient les animaux

les maisons

se glissait sous les montagnes

tel un vers de terre

ou un bulldozer

tout allait vite, trop vite pour arriver

pour nous rejoindre

trop vite

pour regarder le temps passer

les livres étaient plus courts

peut-être aussi un peu

les histoires d’amour

bien qu’on ne sut jamais si c’était des histoires d’amour les histoires d’amour

peut-être fallait-il marcher au fond à côté des rails

quitter le train-train d’une vie en train

La gare de Nantes s’ouvrait sur le Jardin des Plantes

Le Musée des Beaux-Arts

avait ouvert ses portes

à la modernité

cette dame s’invitait dans l’oeil impressionné

des peintres impressionnistes

quand la vie surréaliste bientôt s’imposait.

Ne restait des tableaux

que la nostalgie des petits trains de campagne

aujourd’hui

miniatures.

Thierry Rousse

Nantes, vendredi 6 janvier 2023

« Une vie parmi des milliards »