Le loup rouge et le petit chaperon noir, belles histoires, belles images, lecture très facile
Dessin un.
Il était une fois le rouge petit chaperon, le chaperon petit rouge, le rouge chaperon petit, le rouge petit chaperon, le petit rouge chaperon, le petit chaperon rouge, car les histoires commencent toujours par « il était une fois », ou, presque, je crois par une maison, car il y a toujours au-moins une maison dans un conte, au-moins une, j’imagine, une belle maison, car on rêve tous d’une belle maison, normande, de préférence, la maison, avec un toit de chaume pour la couvrir et des poutres en bois pour la tenir et soutenir son toit, le toit de la maison qu’il est important de tenir le toit de la maison de son enfance, je suppose.
Je suppose, car cette maison ne peut être vide, impossible! Une maison est toujours remplie dans un coin, car il y a au-moins un enfant dans un coin de cette maison, au-moins un, et peut-être même avec un chat noir entre ses jambes, et s’il y a un enfant au-moins dans cette maison, il y a au-moins une maman, au-moins une, la maman de cet enfant, j’en déduis.
Le papa ? Je ne sais… J’ignore s’il y a un papa dans cette maison, pas plus dans ce coin, ce puits ou ce grenier malgré cette échelle que j’aperçois, car il n’est pas dessiné du tout le papa.
Et, qu’aurait-il dit à sa fille, le papa, s’il avait été dessiné ?
Dessin deux.
Car, cet enfant est une fille, oui, une jolie jeune fille en souliers blancs, avec des collants, une jupe violette rayée, rayée la jupe, un tablier blanc comme les souliers blancs, une poche cousue sur son tablier par sa maman naturellement, une fleur bleue dans sa poche cousue, les bras et les mains nus, une main cachée derrière son dos, une bouche en forme de coeur, un petit nez, des yeux sur le côté, une natte noire, et un capuchon rouge, non, un capucheron rouge, non, un chapucheron rouge, non, un chaperon rouge, oui, le petit chaperon rouge, c’est comme ça qu’on a écrit le nom de cette jolie jeune fille, mais le motif ne le dit pas, c’est seulement indiqué sur la couverture du livre: « Belles histoires, belles images, le petit chaperon rouge, denise chabot, lecture très facile, fernand nathan ».
Cet enfant, on ne peut que l’aimer, cet enfant affublé d’un tel nom.
« Le petit chaperon rouge , ça me dirait bien ce nom , se dit Lucie, c’est pas commun! », mais qu’est-ce qui est commun ?
Dessin trois.
Sa maman lui donne un papier, non, un panier ! Un panier, avec, dedans, une galette et un pot de confiture, parce que, la galette, c’est bon, et que la confiture, c’est bon aussi, et que galette et confiture, ça va bien ensemble, du-moins, je crois, galette et confiture.
La scène se passe devant une cheminée, avec une marmite suspendue au-dessus des bûches et du feu, une chaise vide près de la cheminée et une bougie sur la cheminée, dans son bougeoir, la bougie, forcément. Sans doute, bientôt l’heure de souper, et, pourtant, la maman envoie du doigt en mission son enfant qui ne mangera pas ce soir, c’est évident.
Dessin quatre.
Devant, je vois le petit chaperon rouge quitter sa maman dans la maison en portant son panier le pas léger.
Le pas léger, toute réjouie, il me semble, de quitter sa maison, car, un beau jour, on a toujours envie de quitter sa maison, jeter ses yeux ailleurs, remplir son ventre sans doute ailleurs, je crois, sans doute.
Dessin cinq.
On ne voit déjà plus la maison, qu’une église au lointain, un chemin sinueux, une fleur rouge au bord du chemin sinueux, des flaques d’eau, un pont de bois, un pont de bois au-dessus, au-dessus du temps, je rajoute.
Le petit chaperon rouge franchit le pont comme si elle s’envolait et se retenait à un fil invisible, le panier léger, un oeil vers sa destinée, l’autre, vers son passé, car on pense toujours à ce qu’on pense trouver devant soi, car on pense toujours à ce qu’on pense laisser derrière soi, car on pense toujours en somme, en somme on pense, on pense à la somme des pas qu’on dépense, de ce qu’on, qu’on compense toujours de trop peut-être, de trop peut-être, d’être de trop peut-être, peut, peut un être, je n’en suis pas certain, certain de rien, de rien.
Dessin six.
Après, c’est quatre poussins, j’en compte quatre, trois devant qui chantent, et l’un derrière à la traîne, car il y en a toujours un à la traîne près d’une fleur rose, c’est ainsi la vie.
L’action se déroule dans une forêt avec de grands arbres, car les arbres sont toujours grands dans les forêts qu’on dessine, du moins, je pense.
J’ai oublié la fleur bleue avant, et la flaque d’eau après. On oublie quand on est sur l’instant.
Dessin sept.
Maintenant le panier est posé sur une souche d’arbre, je crois, je ne vois pas bien, un oiseau est à côté qui piaille.
Notre petit chaperon rouge a la tête nue. Elle a ôté son capuchon ou presque. D’une main, elle tient un bouquet, de l’autre, elle tend une fleur, tout ça est joliment coloré bien sûr, et il y a de grands arbres, toujours.
Dessin huit.
Le loup est en face les jambes croisées, la queue velue nonchalante, pantalon rayé bleu, ceinture jaune, pieds et torse nus, poilu, pas les pieds, le torse, court gilet marine, casquette assortie au pantalon rayée bleu, la classe en sorte!
Je continue… Une oreille tendue, dressée, un bout de langue qui sort, une main sur la poche de son gilet, et l’autre, l’autre main recroquevillée qui semble appeler, appeler qui?
Son regard me paraït triste pourtant, un regard de loup battu malgré sa classe de gentleman estival et viril.
Serait-il seul ce loup humain? Un vrai solitaire, le loup? Et sa meute, où est-elle?
Derrière un tronc, le guette une minuscule souris. Au pied du tronc, tout contre, trois champignons, la maman et les deux petits, et le papa? Toujours pas de papa! Un peu plus loin, deux pâquerettes roses au coeur bien noir.
Dessin neuf.
Le loup s’incline, ôte sa casquette tout poli, s’adresse au petit chaperon rouge avec tant de délicatesse.
Le loup me semble si gentil. Que lui demande-t-il ? Que peut-il, à ce croisement, demander au petit chaperon rouge, vraiment ? Sans doute, un service, lui ramasser un champignon ou une pâquerette ?
Je vous accorde cette ligne blanche.
Je reprends avec ma plume noire. Le petit chaperon rouge lève les yeux vers le loup, tenant des deux mains son panier rempli, admirative.
Dessin dix.
Sur le dessin suivant, il n’y a plus qu’un paysage, le lieu de cette rencontre, entre le rouge et le noir, un vide, le vide d’un désir à remplir, on peut tout s’imaginer, tout, ou, presque, avec deux couleurs, une illusion et du bonheur.
Trois oiseaux chantent, un bleu, un jaune, un rouge, un rouge devant le jaune et le bleu.
J’aimerais m’arrêter, m’y promener, ne plus travailler, boire un café, être bûcheron ou forgeron, être un oiseau et chanter, être un enfant et dessiner, être un poète et compter mes pieds jusqu’à l’arrivée, m’échapper de la page discrètement.
Je suis fatigué d’écrire, d’écrire n’importe quoi, ou, presque n’importe quoi, on n’écrit jamais n’importe quoi, jamais, ça, c’est ben vrai.
Dessin onze.
Le loup cogne à la porte d’une maison, la queue redressée, timidement incliné.
Sur la boite aux lettres réside un oiseau, sous la boite aux lettres, deux fleurs, la maman et son enfant, toujours pas de papa, et, au-dessus de la porte jaune, sur un toit, trois autres oiseaux.
Le loup semble avoir chaud. Chaud de quoi ? Peur de quoi ?
Pas de dessin, intermède
Un enfant m’apporte une pâquerette jaune, puis deux pâquerettes blanches, puis deux autres pâquerettes plus grandes.
C’est beau les fleurs, je me dis, c’est beau un enfant qui apporte des fleurs, j’écris, c’est beau, que rajouter à ce geste ?
Dessin douze.
Dans un large lit vert à baldaquin, deux rubans violets noués à chaque extrémité, soigneusement bordée, la tête sur ses deux oreillers blancs, encadrée à ne plus bouger, emmitouflée comme en hiver, les mains le long de son corps avec discipline rangées, sous un drap d’arlequin et un édredon rouge, dort la grand-mère, car il y a toujours une grand-mère dans une histoire, au-moins une, je prétends, une bonne grand-mère du terroir normand, des confitures et des galettes, bonne la grand-mère il va sans dire, avec une charlotte à fleurs et des lunettes rondes.
Notre loup, à ce moment, entre à pas de loup, étirant sa longue langue rouge de soif. Son entrée m’a tout l’air théâtrale. Le décor est planté, le rideau est ouvert. Comédie de boulevard ou comedia dell arte ?
Dessin treize.
On se méfie toujours du treize, qu’on voudrait déjà être au dessin quatorze, mais c’est le treize qui m’importe à cette heure.
Les cloches sonnent. Loin de la forge, j’écris dehors, un jardin pour les grands enfants.
Notre mère-grand bien-aimée monte en courant les escaliers, si vite qu’elle en perd sa charlotte dans le vent. Un oiseau transparent au-dessus de sa tête l’emporte.
- Et bien, mamie, quelle vitalité ! Quelle jeunesse retrouvée ! Qui t’a ainsi émoustillé ? Est-il convenable d’en parler, seulement entre nous, seulement, après un verre de vin partagé ? Aurait-elle vu le loup, mamie ?
Je vous laisse fabuler , tout ou presque.
Dessin quatorze.
Et déjà l’on regrette le précédent.
Il n’y a plus que le visage, le visage du loup qu’on voit en gros plan, la charlotte de mère-grand sur sa tête, la langue rose ravie d’un désir assouvi.
Dessin quinze.
En dessous du portrait de ce loup heureux, le médaillon du petit chaperon rouge aux yeux si doux, à genoux, le panier de galettes et de confitures tout près d’elle, un bouquet de fleurs dans sa main, posé sur son autre main un papillon jaune, le même qu’on devine sur son tablier blanc.
Lucie songe à ce loup solitaire croisé dans la forêt aux grands arbres.
Qu’est-il devenu ? S’est-il fait une amie, ou, peut-être mamie ?
Dessin seize.
Le petit chaperon rouge cogne à la porte jaune.
Un oiseau est sur le bord de son panier. Un autre vole à sa rencontre. Un autre se penche par-dessus le toit. Un autre est sur le toit, tout simplement, il est, posé.
A la droite de la porte, une boite à lettres verte.
Sous la boite à lettres verte, deux fleurs, une grande et une petite.
C’est simple, il n’y a rien de plus simple la vie. Qui la complique ?
Dessin dix-sept.
Notre petit chaperon rouge se penche pour parler à son ami le loup, lui murmurer quelque attention sans doute.
Sa jupe rayée est relevée de ce fait par cette action osée.
Ses deux mignons pompons rouges sont visibles, ostensiblement offerts.
Notre loup, retourné, feint de dormir, son museau sous la blancheur du drap.
Au-dessus, une représentation du grand-père, sans doute à la force de son âge, l’image est noircie volontairement.
Dessin dix-huit.
Le loup surgit, pattes brandies, le bout de sa ceinture jaune raidit telle une flûte enchantée.
Le panier est entre deux, figé.
- O! Que c’est drôle! S’exclame Lucie, quel talent !
- Je t’ai bien surpris ! Répond le loup, je t’ai joué la farce du gros méchant loup. Cette pièce mérite le « in ». La critique est unanime. Reste un mystère, la chaise à bascule noire, celle du père de ce récit ?
Dessin dix-neuf.
L’image est une place. La place d’un village. Un village désert.
Au milieu, une fontaine. Sur un trottoir, un réverbère. Des maisons avec des toits de chaume, des coeurs découpés sur les volets que je touche, et, et une église, au-moins une, et sur le clocher de l’église, les quatre directions, le nord, le sud, l’est, l’ouest, parce qu’il faut bien s’en aller quelque part, tout en haut de la cime de l’église, un coq.
Que fait-il ben donc ici ce coq hardi ?
Dessin vingt.
Vous avez mérité un verre.
Des arbres sont apparus dans le village. La lumière aussi à travers cette chaumière.
Traverse sur la grande place un gros monsieur, oui, un gros monsieur avec des lunettes rondes, une moustache, une barbe, un fusil, des bottes marrons sous ses guêtres blanches, un pantalon vert, une veste beige, et un écusson sur l’épaule, oui, un écusson jaune , rouge, et noir.
C’est le gros monsieur connu comme le loup blanc dans le village, le premier debout qui tire sur tout ce qui bouge.
Mais qui l’accoste? Une femme légèrement de profil, chaussons à carreaux, robe rose, châle à franges violet, serait-ce notre mère-grand l’aguichant ?
Gros-monsieur en est tout renversé d’amour, il me semble, ah l’amour, l’élixir des artistes!
Dessin vingt et un.
L’histoire dégénère.
Un pied sur le dos du loup, Gros-monsieur pose pour son trophée, une volute de plaisir s’échappant de son fusil brandi.
Notre loup est face contre terre, abasourdi.
- Maintenant elle est à moi, la mamie, se dit le Gros-monsieur vainqueur. C’est l’instinct du mâle sur l’animal.
Dessin vint trois.
Petit chaperon rouge crie au loup dans les bras de mamie qui se justifie.
- Je n’y suis pour rien mon petit. Les grands savent mais n’avouent rien aux petits de ce qu’ils savent des erreurs des grands.
Dessin final.
Thierry Rousse
Lieu de création « La vie de Bohême » , Broglie (Normandie), invité en résidence par Delfine Ferré, artiste plasticienne en juillet 2011
Relecture le 5 octobre 2024 à Nantes
Texte intégré au recueil « Une vie parmi des milliards »