Retour à la vie normale ?

 

Le ciel ne cessait de pleurer à l’aube d’un printemps

Le jeune Bobby avait prédit le changement.

« Venez rassemblez-vous tous braves gens

D’où que vous veniez

Et admettez que les eaux

autour de vous ont monté

Et acceptez que bientôt

Vous serez trempés jusqu’aux os.

Si votre temps pour vous

Vaut la peine d’être sauvé

Alors vous feriez mieux de vous mettre à nager

Ou vous coulerez comme une pierre

Car les temps sont en train de changer . . .

L’ordre (actuel)

Est en train de disparaître rapidement

Et le premier d’aujourd’hui

sera demain le dernier

Car les temps sont en train de changer. » (1)

Sous cet air folk, populaire

qui accompagnait mes pas

je m’abritais dans un joli café

d’une époque révolue

tout proche du Musée des histoires naturelles

au coin d’une avenue

ruisselant de larmes

prêt à dégainer mon passe

étouffant sous mon masque blanc

imposé par l’ordre établi

depuis bien trop longtemps

quand le patron d’un large sourire

m’accueillit  bras ouverts

« c’est fini, tout est fini ! ».

Je pouvais ôter mon masque blanc

je n’avais plus à présenter

la laideur d’un QR Code.

Je pouvais de nouveau être moi

avec la sensation d’être bien moi tout entier

le visage entièrement nu.

Je pensais à tous ces gérants de bistrots

résistants à l’époque de l’occupation

à tous ces directeurs de théâtres de poche courageux

je leur tirais mon bonnet rouge à défaut d’un chapeau haut de forme.

La serveuse fort élégante

du joli café des histoires naturelles

tout de noir vêtue

m’accompagna jusqu’à cette menue table.

Tout au fond

sa chaise tout près d’un radiateur

attendait mon postérieur.

Je me sentais bien, assis, presque heureux

avec le sentiment de renaître

un verre de muscadet étincelant à la main

sous les lueurs d’une bougie

presque heureux

comme un retour à la vie normale

« comme »

comme si c’était vrai.

Face à mes yeux bleus,

un jeune couple d’amoureux

tête contre tête

se racontaient leur vie, leurs joies et leurs peines.

Plus loin, au comptoir

des amis se retrouvaient debout accoudés

comme s’ils ne s’étaient pas vus depuis des siècles.

Plus loin encore,

au dehors

sur la terrasse

riait une foule.

La vie était belle, presque belle

en ce jeudi soir d’un Nantes pluvieux

qu’importait si j’étais trempé de la tête aux pieds

j’avais aux lèvres ce goût d’une liberté retrouvée.

Presque ce goût sucré, s’il n’y avait encore ces larmes amères

qui tombaient des yeux des anges

tout ce déluge de cris

depuis la naissance des civilisations

des Etats, des Nations

depuis que l’homme était homme

et songeait à ses conquêtes

afin de séduire les corps féminins

à l’image de son glaive

en mal de virilité

assoiffé de sexe et d’argent.

Un dictateur en remplaçait bien un autre

Rien de nouveau, au sud comme à l’ouest

au nord comme à l’est

des Vikings à Poutine

Tristes destins.

Les bombes tombaient sur le coeur des enfants.

Mon adolescence était bercée de ces déchirures et de ces guerres.

Je reconstituais ces batailles napoléoniennes qui me fascinaient

avant de découvrir les beautés des champs de paix.

Je m’inventais une origine glorieuse, conquérante, une jeunesse révolutionnaire.

Etais-je passé à côté du bonheur ?

Les larmes redoublaient d’intensité

au seuil de l’obscurité

comme pour me rappeler

qu’à cet instant des enfants n’auraient plus de père

des mères plus d’époux

qu’à cette heure, l’orgueil d’un seul sexe

éventrait et violait toute la grâce d’un peuple.

De quoi pouvaient accoucher nos chefs

pensais-je

si ce n’était de leurs instincts les plus primaires ?

Je me rappelais les mots de Bobby en 1960

les premiers seraient les derniers.

Je nageais au fond d’un océan de tristesse.

Je remplissais mes nuits d’étoiles.

La bêtise humaine atteignait sa fin.

Il nous restait les lendemains

les matins d’une toute autre caresse

les couloirs d’une tendresse humanitaire.

Je quittais le joli café des histoires naturelles et franchissais la porte du théâtre Francine.

« Remplir la nuit ». (2)

Il pleuvait encore.

Des rêves, des baisers, des câlins, certainement, et plus, encore, un lapin encore vivant.

Molière n’avait pas dit son dernier mot.

Après « L’école des femmes », le saltimbanque se préparait à écrire, de sa plume fort optimiste, « L’école des hommes ».

Thierry Rousse

Nantes, vendredi 11 mars 2022

« A la bonne heure »

  1. Bob Dylan, The times they are a-changin’

  2. « Remplir la nuit », spectacle de Guillaume Bariou, Biche Prod

Revenir au théâtre en temps de guerres

 

« Nous sommes en guerre »

Notre Grand Chef avait lâché ces mots au commencement de la pandémie

Il ne s’était guère trompé

Notre Grand Chef avait toujours raison

Deux années après cette proclamation de notre Grand Chef

Le Grand Chef russe déclarait la guerre à l’Ukraine.

Femmes et enfants fuyaient leur pays.

Les ukrainiens, entre dix huit et soixante ans étaient, eux, contraints de rester sur leurs terres.

Certains étaient fiers de défendre leur patrie.

Ne pas partir. Etre là. Résister.

Revenir au théâtre avait-il encore un sens aujourd’hui ?

Sur un parking rempli de voitures, l’agent recruté par Le Grand T m’arrêtait : « Votre passe ? ».

Je n’avais pas le temps, pas le temps. Je courrais à la quête d’une place.

« Ombres portées » (1) était mon premier retour au Grand T, après deux années d’exil chez Mémé Zanine.

Que projetait mon ombre ?

Quelle lumière révélait-elle ?

Deux années dans l’ombre

Deux années à la quête de la Lumière

Entre la peur de mourir et le courage de vivre

Il y avait toujours quelques notes de guitare

quelques mots au comptoir pour nous faire voyager.

Je grimpais dans la roulotte de Django et me réchauffais au coin de son feu.

L’amitié, quelques bûches, quelques braises.

Nous taire ou parler ?

Ecouter le vent, les baisers dans le vent qui dansaient, les étoiles dans les yeux qui brillaient.

La guerre, encore la guerre, toujours la guerre.

La guerre depuis des siècles et des siècles

La guerre depuis le début des frontières

La guerre depuis que ces hommes, orgueilleux, envieux, frustrés, voulaient dominer, s’accaparer une autre terre.

Ces poignées d’hommes tuaient la vie.

Revenir au théâtre alors ?

Au théâtre, au miroir de ce monde, de nous-mêmes ?

Faire face à nos lumières comme à nos ombres.

Un théâtre libérateur pouvait-il exister encore en temps de guerres ?

Qui irait au théâtre ce soir à Kiev ?

Qui jouerait des comédies, des tragédies, des rêves ou des combats ?

Je mesurais ma chance, la chance de vivre dans un pays de libertés et de paix, ou presque…

Le passe devenait l’entrée obligatoire vers ma liberté.

Le Lieu Unique était bien gardé, à l’entrée par ces vigiles

Ce Lieu qui se voulait être un « espace de liberté, liberté de parole, liberté d’accès, liberté de création ».

Ce Lieu unique dans une cage d’oiseaux

Ce Lieu unique où les mots du monde étaient à présent contenus.

La colombe rêvait de s’envoler de sa tour

Ecrire ses pleurs

Ecrire ses désirs dans chaque langue

Ecrire le parfum des biscuits de notre enfance

D’une jeunesse syrienne au printemps arabe

De l’enfant russe à l’enfant urkrainien qui se tenaient par la main

L’amour n’avait point de frontières

Roméo et Juliette chantaient dans les rues, dans toutes les langues

Revenir au théâtre avait encore un sens

Un théâtre libéré des Grands Chefs.

Ionesco, Orwell, Brecht, Rostand, Molière, Shakespeare, tant d’oeuvres encore à jouer.

Des bulles pour exister, dénoncer, aimer, raconter, révéler les lumières des ombres

ce qui nous était caché, défendu.

Le théâtre effaçait les frontières, toutes les frontières.

Au fond de nos coeurs

dans la nuit des guerres

débarrassés de nos maîtres

nous étions en paix.

Thierry Rousse

Nantes, dimanche 27 février 2022

« A la bonne heure »

(1) « Ombres portées »de Raphaëlle Boitel, Compagnie L’Oublié(e)

Un dimanche poétique

 

Un dimanche poétique

commençait toujours par un jour de pluie

des perles glissant à la fenêtre

d’une grasse matinée

sous les nuages blancs de la grâce.

Un dimanche poétique

commençait toujours par un désir

Aller promener mes pas

sur la plage du Pouliguen

un midi de marée basse

revoir le bassin de mon enfance

vide à cette saison

sans petit voilier

ni marin.

Un dimanche poétique

se prolongeait toujours

au bout de la jetée

longer les belles villas du siècle passé

premiers congés payés

des gens fortunés

sous le balcon des Juliette

et des sirènes de coquillages

jouer les Roméo

ou les Cyrano.

Un dimanche poétique

hissait ses voiles

et j’admirais au lointain

les cavaliers franchissant l’océan.

Un dimanche poétique

laissait naître un ciel bleu

huit ans de solitude

et les espoirs du printemps

entre les marais salants

une route.

Accoucher des mots

qui jaillissaient de mon âme

route de tous les sons

entre coeur et déraison.

Groupe d’écriture et de lecture

dernier dimanche des vacances

une pause à Coop’Arts

mieux qu’un village universel à Dubaï

et puis. . .

Concert d’effluves de mots et de sons

chez Francine

rien n’arrêtait les langues du monde à la tombée des nuits.

Sous la contrainte, j’existais, enfin, existais-je vraiment ?

Tant que j’achetais, j’avais le sentiment d’exister.
Acheter, acheter n’importe quoi qui se présentait à mon regard

Acheter ce qui me remplissait, ce qui me nourrissait, ce qui me faisait vivre.
Acheter tout ce qui passait sous mes yeux, un chien, une voiture, une fleur, un nuage, la pluie et le soleil.

Que n’avais-je pas encore acheté ? Qui ?

Je me concentrais, je me concentrais presque toute une nuit.

T’acheter ? Non, ce n’était pas raisonnable

Tu valais bien trop cher à mes yeux.

Acheter un poème ? Etait-ce vraiment un bien essentiel ?

M’acheter ? Oui ? Non ? Que ferais-je de moi ?

J’en étais là, à ce point, de mes réflexions, quand je vis ce village, là, au milieu d’un désert.

Acheter ce village,

un village au milieu d’un désert.

Cinq mots m’avaient mené ici jusqu’à ce puits

au milieu du village

Une eau m’était offerte

Rien à acheter

je n’existais pas

je me confondais à cette eau transparente

une vie

une porte ouverte sur la vie.

La vie était un présent.

« La vie, c’est comme la vie

C’est comme la vie qui naît

Comme la vie qui naît dans un cri ou dans un désir

La vie, c’est comme la vie qui a peur de ce qui l’attend.

La vie, c’est comme l’être qui l’attend

La vie, c’est comme l’être qui l’attend et la désire

la désire avec son impatience et son sourire.

La vie, c’est comme toi

La vie, c’est comme moi

La vie, c’est comme le quai d’une gare,

enfin, selon la direction que nous prenons,

un horizon lointain, un train, un butoir

un butoir, un train, un horizon lointain

et un tout autre monde qui nous attend tous deux.

La vie, c’est comme un autre monde

un autre monde que nous ne connaissons pas encore.

La vie, c’est comme un nez rouge qui nous la révèle

nue, inconnue, surprenante, enivrante.

La vie, c’est comme la vie que nous habillons de tous nos désirs

comme une pelote de laine qui se déroule au fil des jours

et nous tient chaud, l’hiver venu.

La vie, c’est comme la dernière main fidèle

qui nous accompagne au premier soir du printemps.

La vie, c’est comme . . .  comme un élan vers le ciel

pour nous promener sur les nuages.

La vie, c’est comme une vie sans âge

c’est comme un visage, un paysage infini, enfin, comme la vie. « 

Un dimanche poétique

je me réjouissais de ces mots qui étaient nés.

Thierry Rousse

Nantes et Savenay

Dimanche 20 février 2022

« A la bonne heure »

Maestro de la Saint-Valentin

 

« Maestro »

c’était le thème

écrire sur ce thème

le but d’une semaine

et puis, rien

rien du tout

rien à écrire

rien à dire

sur ce Maestro

qu’un vague souvenir

quelques bouts de pensées déchirées.

 

C’était quoi, déjà, ce mot trop compliqué à prononcer ?

 

Je cherchais dans mon mini-Larousse, parmi les trente huit mille mots, le mot « Maestro ».

Je ne m’appelais pas Thierry Rousse pour rien.

Ma compagne  » La Rousse  » trouvait logiquement ce mot page cinq cent vingt sept.

 » Maestro : nom masculin. Un nom donné à un compositeur ou à un chef d’orchestre célèbre ».

J’en étais là de mes recherches, et puis, le grand vide

le vide des mots des ateliers d’écriture

un vide qui aurait pu rimer avec celui de Roméo

la douce musique des sentiments déchus

un jour de pluie à la Saint-Valentin

Tout près d’un caveau à demi ouvert.

 

Il pleuvait sur Nantes.

 

J’en avais oublié la rose sur un banc.

J’en avais oublié ma Muse dans un train.

J’en avais oublié l’heure sur le quai des pétales répandus

perdu dans une Maison Radieuse bien inquiétante

un village à Rezé de huit cents habitants réunis

un château mystérieux au bout d’une allée.

Huit cents habitants dans un rectangle les pieds dans l’eau.

Un fossé.

Des remparts.

 » Vivre les pieds dans l’eau « , toute une vie

la belle idée de Monsieur Le Corbusier, le Maestro de la modernité !

Nous élever au lieu de nous étendre.

Toucher le ciel, les pieds dans l’eau.

 

Je m’élevais au troisième étage, porte trois cent sept.

Des panneaux de circulation m’indiquaient le chemin.

Je parcourais le monde en zone rouge.

Deux couples s’aimaient d’un amour interdit

sur un chemin sans issue qui flirtait avec la Lune.

Le Street Art ouvrait les rêves là où ils s’étaient brisés.

 

Je venais de rencontrer ce Maestro du pinceau, artiste voyageur, célèbre ou pas ?

La célébrité était-elle essentielle à la vie ?

L’oeuvre, seule, comptait à mes yeux.

Un chat voulait s’extraire d’un mur.

L’agent chassait alors l’artiste avec humour

l’expulsait de la Culture avec un grand C.

Monsieur Maestro était de trop dans ce monde

et semblait déranger la pensée officielle

d’un ordre mondial déjà bien établi.

 

Je contemplais le ciel et ses larmes.

 

Un temps pour entrer dans un salon de coiffure

rue du Maréchal Joffre

digne d’une autre époque.

Perdre quelques cheveux pour rajeunir.

Naître Maestro dans le temps des oublis

des pas cadencés et des désirs

sur les trottoirs

rêvant de tangos sulfureux

et de baisers chaleureux.

 

Orchestrer le monde du chant des oiseaux.

 

Aucun maître au Musée des Beaux-Arts

si ce n’était

parvenir à être maître de moi-même.

 

Guider mes rêves

sur les bords d’un comptoir médiéval.

Trinquer avec l’espoir

d’un sourire offert

enfin

découvrir ton vrai visage

Maestro des saltimbanques !

 

Adolescent, je tenais la main de ton Amour qui m’accompagnait au lointain

aucun papier à présenter

qu’une sublime symphonie à écouter.

Je passais de l’autre côté

des nuages.

Je nageais dans l’océan des mots bleus

qui se déversaient

de coupe en coupe.

 

Maestro, à toi de jouer avec les mots !

 

Thierry Rousse

Nantes, mardi 15 février 2022

« A la bonne heure »

La porte du coeur, la porte qui va bien

 

Qu’est-ce qui avait changé

depuis le mardi vingt cinq janvier

deux mille vingt deux

à dix-huit heures quarante cinq minutes

exactement

dans le cours de ma vie ?

Tout, ou, peut-être, rien ?

Un simple QR code m’avait été remis par ma docteure

après que je fus déclaré

suite à un auto-test certifié par elle-même

dans son cabinet médical

 » Positif au Covid « .

La détention de cette bonne image pixellisée

m’ouvrait les portes d’un monde

que je ne pouvais plus franchir depuis quelques temps.

Avec cet étrange QR code

je pouvais dès lors goûter aux plaisirs

qui m’avaient été soudainement défendus.

Plaisirs qui m’avaient été soudainement défendus

tout simplement parce que je n’avais pas voulu

dans mes veines accueillir trois doses d’une formule inconnue.

Plaisirs qui m’avaient été soudainement défendus

tout simplement parce que je croyais encore en mon corps

en mon corps suffisamment fort pour se défendre

ou suffisamment lui-même

pour vivre en harmonie avec la Terre et mes semblables.

Equipé de mon QR code

je retrouvais la société.

Je pouvais accéder au cinéma

aller à un concert

entrer dans un café

une Brasserie

savourer les joies simples de la vie

accompagner ma solitude de tous ces plaisirs.

Il me suffisait de présenter mon QR code

à mes semblables

ici et là

à chaque fois qu’ils me le réclamaient.

Le jeu était simple.

Simple et stupide.

Le jeu était absurde et cruel.

Un jeu, rien qu’un jeu

le jeu des portes.

Mes semblables me contrôlaient à chaque porte.

A chaque porte, j’étais, à présent, en règle.

Je pouvais exister dans la société

habité de tous mes désirs.

Je me jetais comme un chien affamé

dans les bras de la billetterie de la Fnac.

Ses portes s’ouvraient en grand sur mon argent.

Hubert Félix Thiéfaine affichait complet

à l’Auditorium de la Cité des Congrès de Nantes.

Je me rattrapais sur Bernard Lavilliers

un vendredi premier avril

au Zénith de Saint-Herblain.

La vie paraissait belle, si belle, dans ce jeu absurde.

Un QR code, une place de concert et le sentiment d’être heureux.

Je quittais la Fnac pour rejoindre, d’un pas alerte, le cinéma Katorza.

Je marchais, en règle, dans les rues de ma ville, le sourire béat.

Nantes, ville occupée.

Toujours, comme un chien affamé

je me jetais sur le premier film.

« Une jeune fille qui va bien ».

Je poussais la porte du cinéma Katorza.

Il y avait longtemps, que je n’avais pas franchi la porte du cinéma Katorza.

Aucun QR code ne m’était demandé à la caisse.

Des gens intelligents, je me disais, après tout.

Je pouvais accéder librement à ce cinéma.

Le monde normal existait-il donc encore ?

Quand,

juste avant de me diriger vers la salle Une

équipé de mon billet de cinéma

« la jeune fille qui va bien » ( 1 )

je fus arrêté par un jeune homme.

Le jeune homme du cinéma Katorza me contrôla.

Je présentais fièrement mon QR code, béat.

J’étais en règle.

Je pouvais pousser dignement l’autre porte

la porte du premier étage

cette porte qui me donnait accès à la salle Une.

Je m’installais tout au fond d’un confortable fauteuil rouge.

Je me sentais bien, ou, presque bien, en ce mercredi neuf février

cinquième jour de mes vacances.

Je pouvais enfin regarder un film dans un cinéma.

Le cinéma Katorza.

« Une jeune fille qui va bien ».

Irène était heureuse
Irène était amoureuse
amoureuse de la vie, du théâtre et des garçons

de ce garçon, plus précisément

peut-être plus beau que l’autre

peut-être plus fort que l’autre.

Toute la vie était pour elle, pour eux deux.

Des Juifs Polonais venaient d’être arrêtés à Paris.

« Nous, nous sommes des Juifs français, nous n’avons rien à craindre. »

Son père la rassurait.

Il suffisait de présenter dès lors une carte d’identité avec la mention « Juif ».

 » Juste ça, et on nous laisserait tranquilles. »

Les Juifs ne pouvaient plus à présent fréquenter les Conservatoires de théâtre.

Son père s’arrangeait auprès d’un ami afin que sa fille fût déclarée « demie juive ».

Irène aimait le théâtre

Irène aimait la vie

Irène aimait rire

Irène aimait embrasser avec tendresse le garçon qu’elle aimait.

Les Juifs, à présent, devaient remettre aux autorités françaises leurs transistors.

 » Juste ça, et on nous laisserait tranquilles. »

Les Juifs, à présent, devaient emprunter les escaliers de service.

 » Juste ça, et on nous laisserait tranquilles. »

Les Juifs, à présent, devaient coudre sur leur veste une étoile jaune.

 » Juste ça, et on nous laisserait tranquilles. »

Irène était tranquille.

Sur sa veste, elle avait cousu une belle étoile jaune

son étoile jaune.

Irène poussait la porte de la Brasserie.

Irène y retrouvait ses amis.

Irène dansait

Irène riait.

Irène était amoureuse

Irène était heureuse.

Irène

et toute la vie était devant elle

Irène

et toute la vie était devant tous les deux

heureux, ces deux amoureux de la vie.

Irène attendait, tout comme ses amis, les résultats de son audition au Conservatoire.

Son étoile jaune brillait de son sourire

de sa passion

de son amour

de sa joie

de son espérance.

Les larmes coulaient, soudain, sur les joues de sa partenaire de théâtre.
Elle, juste en face d’Irène, à cette table, au fond de cette Brasserie, à Paris.

Derrière Irène,

derrière le sourire d’Irène

derrière la passion d’Irène

derrière l’amour d’Irène

derrière la joie d’Irène

un homme au ciré noir

prévenu par une serveuse

avait poussé, à l’instant, la porte de la Brasserie.

Il était, là, là, à présent, derrière Irène

et Irène, ivre de vie

Irène parmi ses amis

Irène, ivre de bonheur

Irène, ivre d’espérance

n’en savait rien.

Irène ne savait rien de la cruauté de ces lois

des bouches qui se taisaient

des yeux qui regardaient ailleurs

comme si tout était normal ici.

Quelles portes parleraient ?

Quelles portes s’ouvriraient et se fermeraient

bousculant les êtres qui voulaient les posséder ?

Quelles portes rendraient à chaque coeur sa liberté ?

Je regardais cette fil de gens s’apprêtant à pousser la porte de l’Auditorium de la Cité des Congrès.
J’espérais trouver une place parmi eux.
En vain.
Je n’espérais plus.

Les gens écouteraient des chansons de liberté, et puis…

Liberté sous condition.

« Juste ça, et on nous laisserait tranquilles . . . « 

Tout, ou presque tout, à présent, sonnait faux.

J’avais perdu trop de temps entre ces portes silencieuses.

Je courais vers Irène, ouvrant la dernière porte qu’il me restait à franchir

La porte du coeur, la porte qui va bien  . . .

Thierry Rousse

Nantes, jeudi 10 février 2022

« A la bonne heure »

( 1 ) « Une jeune fille qui va bien » film de Sandrine Kiberlain avec  Rebecca Marder

Habitat, Etre, Nature

 

Il était venu.

Elle était venue.

Il ou elle ?

Qu’en savais-je ?

Que savais-je de son identité, de son sexe ?

La Covid ?

Le Delta ?

L’Omicron ?

Féminine ?

Masculin ?

Ou, les deux à la fois ?

Ma journée commençait par de fortes douleurs dans les jambes comme des décharges électriques.

Ce lundi matin, dans la cour de l’école,

Sur la grisaille d’un soleil éteint.

Apaiser ma douleur.

« Quelle âme aurait pour moi un dolipran ? »

Puis un appel :  » Allo Thierry, j’ai été testé positif au Covid, je l’avais sans doute jeudi ».

Jeudi.

Je remontais aussitôt le temps.

Qu’avais-je fait jeudi ?

 » Buvette participative dans une caravane. Espace exigû. Accolades. Embrassades.  »

Je remontais encore le temps.

Trois jours avant.

Dimanche.

Qu’avais-je fait dimanche ?

 » Anniversaire. Karaoké. Rires « .

« Allo, Thierry, j’ai été testé positif au Covid, je l’avais sans doute dimanche ».

Mon tour était sans doute venu.

La cloche sonnait son glas.

Et, pourtant, une seule barre en ce lundi soir.

Une seule barre rouge.

Auto-test dans ma salle de bain et de nouvelles décharges électriques au coucher.

 » Vite, mon âme, aurais-tu pour moi un dolipran ?  »

Je m’isolais en ce mardi, attendant sagement mon rendez-vous avec ma docteure.

Deux années que je ne l’avais pas vue, ma docteure.

Je n’étais pas malade.

Forcément.

En pleine santé.

Deux années au cours desquelles j’avais quasiment presque respecté tous les jours les gestes barrières.

Deux années, souvent, de solitude, d’isolement, de distanciation sociale, de rappels à la règle collective.

Presque aucune embrassade, aucune accolade. Presque.

Deux années hermétiques, monastiques. Presque.

Nul n’était parfait en ce monde charnel.

En ce besoin de tendresse et d’humanité.

Là, une glissade.

Un soir.

Une nuit.

L’envie d’être, l’envie de faire la fête.

Cette envie des autres.

Briser la glace d’un regard.

Serrer une main.

« Deux barres ! », m’annonçait ma docteure, « regardez, c’est direct ! ».

Direct, droit au but, le minuscule virus invisible s’était invité chez moi, dans mes buts, sans que je l’y convie.

En était-ce fini de ma vie ?

Me retrouverais-je comme ces corps retournés que j’avais vus sur BFMTV lors du premier confinement, ces morts qui avaient hanté mes nuits ?

« C’est une forme légère, me rassurait ma docteure, votre corps est en bonne santé. Vous ne devriez pas contracter une forme grave, mais on ne sait jamais; on ne sait jamais avec ce virus . . . ».

On ne savait jamais, jamais rien, de notre destin, sinon la fin.

J’attendais la fin de ma vie, ou, le début d’une nouvelle vie.

Je parlais à mon corps, je l’encourageais, je l’aimais.

Mon corps.

« Je suis guéri, je suis guéri . . . ».

Je me répétais à moi-même ces mots pour me convaincre d’être guéri, tout en buvant des verres de jus d’orange accompagnés d’une poudre de gingembre, et, en me désaltérant d’une eau du robinet que j’agitais avec foi.

Je retrouvais le torrent de la vie qui s’écoulait en moi.

La vie me remplissait de toutes ses étoiles, ma douleur disparaissait.

J’étais guéri.

Miraculé.

Roi de ma joie !

A peine trois jours pour conquérir cet hôte indésirable, produit, peut-être, de ces obscures laboratoires de la folie humaine.

Qui détenait le savoir ?

Trois jours de passion pour renaître à une nouvelle vie.

S’ensuivaient des jours et des jours de fatigue, des insomnies interminables.

A peine la force de lire quelques lignes, d’un livre à l’autre.

Quelques notes répandues sur mon carnet bleu.

A peine écrit.

Mes pensées voguaient sur les cris étouffés des nuages blancs.

Etait-ce l’effet de tout ce gingembre ingurgité ou des vacances de cet étrange invité en mon corps ?

Mon coeur palpitait du désir d’une autre vie à construire.

 » Habitat, Etre, Nature « .

Trois mots qui me venaient au bord des lèvres.

Comme trois anges en un qui m’accueillaient au seuil d’un chemin, à l’orée d’un désert.

Son oassis n’était pas loin qui se reflétait au fond de son oeil, océan.

Aux pyramides imposantes qui nous écrasaient, nous divisaient, nous affaiblissaient, je préférais les cercles infinis qui nous élevaient, nous enrichissaient, les uns des autres, les uns avec les autres.

La question de l’habitat renvoyait à la question de notre vie et du sens qu’on lui donnait.

Comment mon être décidait d’habiter la nature qui l’accueillait, en harmonie avec elle.

Comment je décidais d’habiter mon corps.

Habitat nomade, ou, habitat sédentaire ?

J’habiterais dès lors la vie avec amour, avec respect, fidélité et constance, avec l’humilité des pas d’un voyageur éternel.

Le Petit Prince me souriait.

On ne voyait bien qu’avec le coeur . . . ( °)

 

 

Thierry Rousse

Nantes, Mardi 1er février 2022

« A la bonne heure »

(°) Antoine de Saint-Exupéry, in « Le Petit Prince », Gallimard.

Trente huit mille désirs

 

Trente huit mille mots

Le nombre suffisait-il pour dire ce que je ressentais, ce que je vivais, ce que je voyais ?

Trente huit mille mots de A à Z

De l’Amour à la Zen attitude

Trente huit mille mots qu’un dénommé Larousse avait défini pour nous

Pour nous apprendre à nous connaître, nous comprendre

Trente huit mille mots pour décrire le monde, les sentiments et l’inconnu

Trente huit mille mots piochés au hasard

Appétit brumeux

Défaillance du coeur

Globe-trotteur ravi au bord d’un précipice

Sauve-qui-peut

Des traînées blanches dans le ciel bleu

Parsemées dans nos yeux

La tentation était grande

Dominer nos consciences

Laver nos cerveaux de mots répétés en boucle :

« Port du masque obligatoire »

« Distanciation sociale »

« Isolez-vous, isolez-vous »

« Testez-vous, testez-vous, testez-vous, taisez-vous… »

Dissimuler mes sourires, mes grimaces, mes tristesses

Marquer mes distances avec toi

Me protéger

Me recroqueviller

Me blottir

M’isoler sur mon île

Me tester, encore me tester, me taire, surtout, me taire

En sortirais-je comme un vers de terre

Au bout de son couloir de solitude ?

Personne ne verrait mes larmes

Deux barres entre lesquelles j’étais enfermé, loin de la vie, voué à mon infortune

J’écartais les grilles, j’en sortais, j’étais guéri

Guéri de toute cette folie

J’échappais à mon maître

Je courrais dans les plaines, esclave affranchi

Libre et heureux

Un oiseau chantait dans ma tête

Trente huit mille mots à ré-inventer

Ré-inventer ce goût de vivre

Ce goût d’être ensemble

Apprendre à nous aimer simplement

Poser un baiser sur le ciel bleu infini de tes yeux

Rencontrer ton âme, ton éternité, ta douceur

Danser, danser encore pour exister

Trente huit mille mots sur le bord de nos lèvres

Correspondre l’un à l’autre hors du temps

Trente huit mille désirs d’une autre vie

D’une autre vie…

 

Thierry Rousse

Nantes, jeudi 27 janvier 2022

« A la bonne heure »

Rendez-vous avec la page blanche

 

Le rendez-vous était fixé.

Ce samedi soir vingt deux janvier deux mille vingt deux.

Là où il y avait un temps calme, un temps vide pour écrire, entre deux.

Le vide d’une page blanche.

Quelles traces pouvais-je laisser sur une page blanche ?

La solitude d’une page blanche.

Un ange.

Un mot.

Deux mots.

Peut-être trois.

Avalanche de mots.

Des montagnes russes de joies et de vides.

Mobiles instants éphémères.

Entrées sous conditions.

Parcourir la ville.

Poursuivre.

Suivre.

Là où s’est permis.

Les ailes d’un ange.

Un garage reconverti, ouvert à tous les vents.

Wattignies à la quête de chansons.

Rencontrer William Sheller entre ses rayons d’habits et de roues de vélos, sonder ses yeux, lui glisser quelques mots.

« Et toi, comment vas-tu ? Où marches-tu ? Vers quel but ? »

« Je marche seul ».

William m’avait répondu.

Pondu quelques sons.

J’étais heureux.

Je suivais les traces de sa solitude sur les trottoirs de Nantes.

Champs de mots éparpillés, dispersés.

Un cortège devant l’hôpital rangeait ses banderoles.

Trop tard ou trop tôt ?

« Est-ce que j’écoute vraiment les besoins de mon corps ?

Est-ce que je ressens la précision des besoins de mon corps ? » (1)

Les besoins de chaque pas, l’un après l’autre, qui défilaient sur les trottoirs d’un samedi ?

Réussirais-je à me nourrir d’une alimentation vivante, composée essentiellement de végétaux crus biologiques ?

Autant de pensées qui traversaient ma tête.

Peut-être.

La dernière petite flamme s’était éteinte sur le réchaud de ma cuisine.

La bouteille de gaz était définitivement vide.

Alors, j’avais quitté ma maison, je relisais mes notes sur mon carnet blanc.

Notes blanches de mes lectures au fil des jours.

De mes jours et mes nuits blanches.

« Grâce à l’alimentation vivante, la sensation de vivre devient fascinante et la conscience du moment présent s’installe durablement. Cette alimentation porte en elle une inaliénable intention de respect infini pour la Vie, d’amour, de joie. Cette alimentation est vivante, elle est la vie, et elle inonde l’organisme de pétillement de vie, réveillant joyeusement les cellules, l’ADN et les structures les plus subtiles de l’être. L’alimentation vivante est véritablement source de réalisation de soi mais aussi de réconciliation avec la planète. L’homme et la Terre ne vivent-ils pas en quelque sorte l’un pour l’autre ? » (1)

L’un pour l’autre.

Me nourrir de moi et de toi.

Soigner mon coeur de douces étreintes.

Osez le grand amour à deux.

« Si vous vous encouragez mutuellement, une réelle intimité pourra naître ». (2)

Intimité d’un regard.

Reliés l’un à l’autre.

Monsieur Julon avait au-moins permis cela, lui qui voulait nous emmerder, avait réussi à nous faire exister.

Cette vie nous appelait à une toute autre vie.

« Mon Souffle t’élèvera au-dessus d’eux aussi légèrement que le vent soulève les ailes d’une cigogne au-dessus des bêtes sauvages ». (3)

Jusqu’ici, l’histoire avait été écrite, de guerre en guerre, par les maîtres qui voulaient posséder la Terre.

Nous étions conditionnés à leur paix sous condition.

La nuit était venue d’écrire l’histoire de lumière en lumière, la vivre au grand jour, sans condition.

La nuit était venue, entre ses anneaux de lumières, de nous affranchir, une bonne fois pour toutes, de nos maîtres.

Face à nos libérateurs, nous devions rester prudents.

Après avoir libéré Nantes des Danois, « Alain Barbetorte renforça son autorité sur les campagnes environnantes » (4)

Nous autres devions apprendre, avec le temps, à être les propres libérateurs de nos coeurs, les seuls accoucheurs de nos âmes.

Danser avec le Capitaine Alexandre après avoir enlacé nos mots à une scène ouverte au Champ libre de tous les possibles.

Ecrire, et bien plus encore, vivre, vivre, vivre . . .

Le rendez-vous était fixé.

Rendez-vous avec la nuit blanche.

Thierry Rousse

Nantes, samedi 22 janvier 2022

« A la bonne heure »

  1. « Alimentation Santé Planète, nourrir la vie », Jean Briffaut, édition La Maison Autonome.

  2. « Osez le grand amour », Susan Jeffers, édition Marabout.

  3. « La révélation d’Arès », édition Adira

  4. « Petite histoire de Nantes », Christophe Belser, édition La Geste

A la bonne heure

 

« A la quête du bonheur ».

Je venais de réaliser mon erreur en attribuant ce titre au blog que j’avais commencé d’écrire lors du premier confinement, deux années déjà écoulées, inattendues, étranges, angoissantes, révoltantes, joyeuses, tendres aussi.

Tant que j’étais à la quête du bonheur, je ne pouvais pas être heureux.

Le bonheur ne se demandait pas.

Demander le bonheur à l’autre, c’était comme lui demander « une petite pièce à son bon coeur ».

Demander le bonheur à l’autre, c’était dépendre de lui, de cet être qui me donnerait le bonheur s’il l’avait décidé.

Ce bonheur ne pouvait qu’être éphémère et fragile.

Si l’autre avait décidé, d’un coup, de se retirer de ma vie, ne plus m’écrire, ne plus me voir, je me retrouvais aussitôt anéanti, perdu au milieu d’un jardin, où le soleil, aussi radieux fusse-t-il, ne pouvait plus réchauffer mon coeur.

La peur de l’abandon était ancrée dans mon corps depuis l’enfance, malgré moi.

On n’écrivait pas sa vie quand on était tout-petit, on ne savait pas encore écrire, d’autres l’écrivaient pour nous, alors, on la subissait. Parfois, on se retrouvait comme l’enfant rejeté des autres, qui n’aurait jamais dû naître.

Je pensais avoir trouvé maintenant un bouclier, insensible aux aléas du monde.

Et, pourtant, je me retrouvais désemparé, affolé, ne sachant plus auprès de qui recevoir du réconfort.

J’avais beau entrer dans une librairie, parcourir les livres, ceux-ci ne parvenaient plus à remplir mon âme de joie. Je la quittais, marchant au bout d’une rue sans savoir qui m’attendrait au bout, qui me dirait les mots qui sécheraient les larmes de mon ciel.

J’entrais dans la nuit à la recherche d’une étoile qui me ramènerait à la vie.

Une longue nuit parsemée de sourires.

J’avais perdu mon bonnet rouge.

Je fis demi-tour, j’entrais de nouveau dans la librairie.

« Devant soi », un joli nom pour une librairie.

Devant moi, mon bonnet rouge était là, posé entre les livres.

Je cherchais des livres qui portaient le mot « nuit ».

« Histoires de la nuit », « La nuit des béguines », « La nuit aveuglante », « L’ombre de nos nuits », « La nuit juste avant les forêts », « Vol de nuit », « La nuit du coeur ».

Poésies de la nuit qui se livrait.

La poésie touchait à l’essentiel quand elle abandonnait son bouclier de rimes. Ses pages étaient alors des correspondances d’âmes et de coeurs blessés remplies du désir d’un amour si pur.

Le bonheur, je devais le vivre, ici et maintenant, à la bonne heure de l’instant léger, gracieux comme une plume.

La « Cocotte Solidaire » sur son île de paix devenait mon repaire où il faisait bon échanger, rire, chanter, danser, contempler la rivière, les fleurs, les rochers, les arbres-nuages, inventer des projets pour nous enrichir les uns des autres, des projets qui donnaient sens à la vie.

Le bonheur, il était en moi. Aimer, simplement. Simplement, aimer chaque instant, chaque vie.

Renouveler mon amour à l’infini, un amour qui ne cherchait pas à posséder l’autre, ni la Terre, ni le ciel, ni la rivière, ni les rochers, ni les fleurs, ni les arbres-nuages.

Autant de vies, autant d’amours.

Poser sur une page mon coeur, parce que, sans doute, je n’étais pas le seul à être traversé par le doute, les questions, les peurs, les histoires du passé enfouies qui remontaient parfois à la surface de l’eau.

Ecrire les lettres qui dansaient dans le ciel de l’hiver, le miroir des anges.

Au bout de la rue, m’attendaient mes amis.

A la bonne heure, je les prenais dans mes bras alors que Monsieur Julon criait : « Distanciation sociale ! Gestes barrières ! « .

Je sautais les barrières pour serrer contre mon coeur tous ces anges que j’aimais.

Ces deux années sans contacts m’avaient épuisé, vidé.

Du vide, ne pouvait naître que le meilleur à venir.

Thierry Rousse

Nantes, mercredi 12 janvier 2022

« A la bonne heure ».

Sur le chemin jaune de la vie

 

En ce dimanche pluvieux du mois de janvier, j’avais choisi le chemin jaune. Un chemin sans automobile. Comme un retour aux sources. Marcher. Rien que mes pieds et mes yeux pour marcher. Ne pas me tromper. Etre attentif. Observer. Chercher les flèches jaunes comme autant de trèfles au milieu des landes. Toujours, chercher. Ne pas m’égarer. Les croix jaunes m’indiquaient les chemins que je ne devais pas prendre. Il me suffisait de faire confiance. Confiance. Suivre toujours les flèches jaunes. Les flèches jaunes. Je finissais toujours par les trouver, les flèches jaunes. Je marchais. Un pas. Un autre pas. Marcher, encore, marcher, rapidement ou lentement. Seul. Un chemin qui ressemblait au chemin de la vie, en quelque sorte. Ne pas me tromper. Faire les bons choix : les bons choix professionnels, les bons choix d’activités, les bons choix pour ma santé, les bons choix pour mes projets, les bons choix pour mes relations amicales, les bons choix pour mes relations sentimentales, les bons choix. Vivre semblait consister à cocher des cases. Toujours, les bons choix.

M’étais-je trompé de chemin ? Regrettais-je ce que j’avais vécu ? Avais-je la sensation d’avoir perdu une partie de mon temps à marcher ? De m’être senti isolé, à l’écart, ou de m’être moi-même mis à l’écart du monde, une portée de notes, inconsciemment en dehors du temps ? M’étais-je perdu sur ce chemin au milieu des bois sous la pluie ? Où était l’océan, cet océan tant attendu ? La douce et belle plage, pétillante de vie et de rires dont je rêvais ? Avais-je fait le bon choix ? Je touchais, là, à la partie sensible de mon être sans le vouloir après avoir planché des jours et des nuits sur mon devoir. Une page blanche comme un nuage.

Faire confiance. Tant que je suivais ces flèches, je ne pouvais pas me perdre, rien regretter de mes pas, de mes choix, rien regretté de mon chemin parcouru. Rien n’était perdu, tout est cadeau de la vie. Il suffisait de suivre les flèches jaunes du soleil latent au-dessus des nuages, le soleil qui m’éclairait, le soleil qui me réchauffait. Chanter, jouer, danser. Ne plus être seul sur les notes de la vie. M’accorder aux autres. Quel bonheur de pouvoir attendre les autres ou de nous sentir attendu par les autres, quelque part ! Quel bonheur au fond inexprimable par les mots !

Une plage. Une plage pour rire, danser, livrer son coeur, ses larmes, chanter la vie, la recomposer de nos rêves, de tous nos pas franchis, nos mots, nos actes, nos délicates attentions, nos erreurs pardonnées, nos défauts aimés, accueillis comme autant de fleurs qui s’épanouiraient un jour dans la grâce d’un élan de joie. Chanter encore, danser avec nos pieds, danser avec nos mains, ensemble, rire, parce que nos imperfections nous élevaient vers la grâce de nos êtres profonds, sensibles, la faille d’une falaise, le nuage d’un ciel infini. Tout au bout du chemin jaune, des amis retrouvés, plein d’amis retrouvés autour de Monsieur Hulot, un corps un peu trop grand et si charmant, l’allure gauche du charme de la vie, un oeil tendu vers l’horizon. Un « ça me dit de la poésie ensemble ». Le dixième comme les doigts d’une main.

Suivre les flèches jaunes de l’Amour. Je ne serais jamais déçu du chemin, de la vie. Rien ne serait perdu, tout serait gagné, un trésor inestimable qu’aucun coffre-fort ne pourrait enfermer. L’Amour déployait ses ailes, sa grâce, la grâce des anges descendus sur Terre.

J’avais retrouvé sur le chemin jaune ce qui faisait battre mon coeur, ce pourquoi, au fond, je vivais.

Thierry Rousse

Nantes, lundi 10 janvier 2022

« A la quête du bonheur »