De Nantes à Glasgow

 

Il pleuvait sur Nantes, peut-être pleuvait-il sur Glasgow ? Mon esprit me réveillait tôt. Il faisait encore nuit. Cinq heures du matin. J’attendais un peu que le temps passe sous mon oreiller de plumes. Il passait, le temps, lentement, des perles de pluie murmuraient sur les tuiles du toit qui m’abritait. Je me sentais protégé. Mon esprit était bien réveillé, motivé à faire un tas de choses, il pressait mon corps à se lever. Celui-ci finissait par céder à ses avances matinales et descendait, pas à pas, l’escalier de bois. J’allumais la radio. Premier réflexe. La voix de Francine berçait le silence d’un jour encore endormi. Qu’il m’était agréable, parfois, de me lever avant toute cette agitation du monde ! Savourer l’instant d’une présence. La voix suave de Francine me parlait de Glasgow. Faisait-il beau ? Rien, pas un mot sur sa météo intérieure. Pleuvait-il dans le coeur de Glasgow et dans son coeur ? Les Rois s’étaient réunis sur la terre d’Ecosse pour décider de l’avenir de notre humanité. Ils rivalisaient de promesses, de coups de poings sur la table qui s’écroulait. Seraient-elles tenues ou oubliées, une fois de plus, leurs promesses des soirs d’ivresse et de brume ? L’urgence climatique s’invitait au banquet pour 2050. Premiers signes de Pompéi. J’aurais 84 ans si mon Ange gardien désirait m’accompagner jusque là, à l’aube d’une fin annoncée sur les landes du lendemain. « Il était encore temps » me glissait Francine dans le creux de l’oreille, « temps pour éviter le pire ». « Tu es gentille, ma Francine, comme si mon avenir était entre les mains de ces Rois ! ». Pouvaient-ils seulement laisser le paysan construire son habitat léger sur la terre qu’il avait achetée ? Etait-ce trop demander à leurs couronnes aux manteaux de velours brodés d’or ? J’irais bien à Glasgow avec mes sandales, nu comme François, rencontrer les vaches écossaises et m’entretenir avec elles de l’ignorance des Rois. Un pèlerinage sur l’île de William. En attendant, la pluie me tenait au chaud sous ses caresses, un toit entre nous, le toit de notre consentement mutuel. Sous ces « ploc-ploc », je m’abandonnais à mon labeur, café après thé pour rester éveillé, confiné chez Mémé Zanine, bribes d’une époque lointaine. Un an, déjà. Le monde avait-il vraiment changé ? J’écrivais mes actions pédagogiques, tout ce que je pouvais encore proposer à notre société. Longue journée de réflexion. Ma pluie était fidèle. Retour de Francine dans ma cuisine. Quelques nouvelles de Glasgow. Les Rois tournaient à la bière dans un vieux pub hanté. « Etre ou ne pas être, à toi de jouer, compair ! ». Ricard me rassurait. Non pas le vieux qui buvait, mais Matthieu pour les intimes.

« Le problème n’est pas le fait que les pensées surgissent constamment en notre esprit, mais ce qu’il advient de ces pensées: vont-elles proliférer et envahir notre esprit, ou allons-nous au contraire les laisser traverser notre esprit, comme un oiseau qui passe dans le ciel sans laisser de traces ? » (1)

Francine était partie sans laisser de traces comme un oiseau enchanté. Son silence remplissait ma nuit. « Il pleut » m’écrivait mon smartphone connecté à l’univers. « Ploc, ploc ». La pluie était restée. Je lui fis « toc-toc, c’est moi sous ton toit ! Veux-tu un parapluie pour t’abriter ? ». Fée Pluie riait aux larmes de mes bêtises: « Vous êtes bien dispersé, jeune homme ! » . Mes pensées ne faisaient que traverser sa vie. Couleraient des rivières, de vastes mers entre nos terres lointaines. Il pleuvait sur Nantes, peut-être pleuvrait-il des notes d’espérance sur Glasgow ?

Thierry Rousse,

Nantes, mardi 2 novembre 2021

« A la quête du bonheur »

(1) « Prendre soin de la vie », page 109, Matthieu Ricard, édition J’ai Lu.

Ceux qui sèment et s’aiment à l’heure de l’hiver

 

Bientôt 18 heures et déjà le ciel s’obscurcissait sur Nantes. Nous devions cet état de fait au changement d’heure. « L’heure d’hiver ». Je n’avais jamais rien compris à cette pendule fabriquée par des horlogers pour le bien de la Terre. Consommer moins d’énergie. A 18 heures, je devais déjà éclairer ma maison pour voir plus clair au fond de mes pensées. Une nouvelle fois, les lois énoncées ou cautionnées par le Roi Soleil me paraissaient absurdes. Ce Roi Soleil ne m’éclairait ni l’esprit ni ne me réchauffait le coeur. Je décidais de le destituer. A défaut de pouvoir lui confisquer son fauteuil royal, je le renommais « Père Ubu ». Au-moins, ce nom avait le don de me faire rire. Je l’imaginais assis sur son petit trône ridicule à se mirer le nez avec sa mirette. « Oui, votre nez est grand et intelligent, Père Ubu ! Nous sommes quand même dans un sacré tas de compost grâce à vous ! « . Les lois absurdes, le Père Ubu et ses pairs les collectionnaient et s’en glorifiaient. Un exemple parmi d’autres. Le paysan n’était pas libre de construire son habitat léger sur un terrain qui lui appartenait et qu’il entretenait à des fins de se nourrir, nourrir les siens et nourrir une partie des habitants. Un habitat léger pourtant en parfaite harmonie avec la nature. Le terrain qu’il avait acheté de ses propres deniers lui appartenait sans vraiment lui appartenir. Le Père Ubu grâce à ses lois absurdes en gardait le contrôle comme il gardait le contrôle de nos vies en nous soumettant à son passe partout. Les prétendants au trône des lois absurdes étaient nombreux. Quels chevaliers parmi eux étaient vraiment intègres ? Désiraient-ils véritablement nous servir ou tout simplement nous dominer ? Le chevalier Zenamour partait à la conquête de l’Hexagone. Son étendard et son glaive manquaient bien d’amour et de zénitude. Les zénith pourtant se remplissaient. Triste France, berceau de mon enfance ! Au détour d’une rue, ce samedi, après une manifestation contre le passe sanitaire, un trio de jazz manouche m’enchantait et me fit vite oublier le Père Ubu et toute sa cour. « L’autre rive » un peu plus loin en bas m’attendait. Deux livres sur une table de cette librairie s’offraient à mon regard. J’en fis mes nouveaux compagnons de chevet : « Prendre soin de la vie », « Aux arbres citoyens ». J’étais bien équipé pour traverser tout l’automne, la saison des nostalgies, le dernier adieu des feuilles à leur arbre qui les avait vu naître et grandir. Cycle de la vie. Vivre chaque jour comme le premier et le dernier jour de ma vie. Déjouer à cette heure les ruses de l’occupant. Tendre la main aux résistants. Les retrouver au fond d’un regard, ceux qui avaient connu l’exil. Les passeurs de l’amour. Je portais la croix jaune d’un soleil intérieur. Fip avait déséspérément quitté mes ondes. Je maudissais ces radios aux tubes et aux spots publicitaires criards qui l’avaient fait disparaître de mes soirées douillettes. Rejoindre la nuit, le sommeil et la douceur des grasses matinées étaient ma porte de sortie, mon répit à l’absurdité d’un royaume ubuesque. Au matin, je m’émerveillais d’un rayon de soleil, d’un escargot dormant sur ma vitre, d’une toile d’araignée étincelante. La nature était si belle et si tendre. Mon ultime soupir serait de l’embrasser de mes yeux, lui dire toute ma reconnaissance. J’étais né avec elle, Fée de toute beauté, Fée de Brocéliande. A ses côtés, les plans humains étaient parfois si laids et si grossiers.

« Mère Ubu: A ta place, ce cul, je voudrais l’installer sur un trône. Tu pourrais augmenter indéfiniment tes richesses, manger fort souvent de l’andouille et rouler carrosse par les rues ». (1)

Pouvais-je seulement m’extraire de cette société vulgaire ?

Marcher le long des rivières, à fond la forme, retrouver ma jeunesse ? Je trouverais bien là tout ce dont j’avais besoin pour parvenir à mon but. Il était temps de renouveler mon armure. Une paire de tennis imperméables. Deux jogging, l’un pour le sport, l’autre pour le théâtre. Des tee-shirts et des pulls qui ne prenaient point de place, chauds et doux comme l’indiquaient ces étiquettes de chez Des Cas T’Longs. Un nouveau sac à dos. Une montre. Le tout cousu en Chine, en Inde ou au Brésil. Des prix attractifs pour ma maigre bourse. Je me donnais bonne conscience. Ces chinois, ces indiens, ces brésiliens vivaient grâce à moi. Quel âge avaient-ils ? Combien étaient-ils payés ? Travaillaient-ils dans des conditions honorables ? Qui avait acheminé toutes ces marchandises ? Quel en était le coût énergétique ? Les conséquences pour la Terre? Combien d’hommes et de femmes vivaient du commerce international depuis la route de la Soie ou du Sel ? N’était-il pas plus sain d’apprendre avec ma mère, mon père, mes frères, mes soeurs à confectionner moi-même mes vêtements et souliers ? Où était le « jour d’après » promis par le Père Ubu ? De lui, je n’avais rien à attendre. Le seul changement viendrait de ma conscience, et, bien plus, de mon amour pour la vie.

Tous deux étaient heureux. Ils avaient construit leur maison, de paille, de terre et de bois. Creuser des marres pour recueillir l’eau du ciel. Planter des arbres pour se protéger du vent et attirer les oiseaux. Ils étaient heureux, tous deux. Ils semaient leurs désirs. L’amour leur rendait en abondance ce dont ils avaient besoin pour vivre. Je dégustais au soir d’un dimanche cette soupe chaude qu’ils nous offraient généreusement. Le temps s’était arrêté sur un sourire. La vie était là si merveilleuse et si simple. Les poules venaient nous saluer, parcourant librement les allées. Père Ubu n’avait rien à faire ici. Aucun trône ne l’y attendait. Aucune spéculation. Que le plaisir d’aimer. « Ceux qui s’aiment » étaient « ceux qui sèment ».

En ce premier novembre, je n’avais de fin pour rassasier ma faim que semer des graines de bonheur, un chant d’éternité. C’était mon premier jour. C’était mon dernier jour. Un souffle de vie. La sainteté d’un instant de grâce. Un cercle de mains s’unissait. Un oassis au milieu d’un désert.

« Cette douceur envers soi-même est l’ingrédient clé pour entretenir des relations plus amicales avec soi, ce qui ouvre à un rapport plus apaisé avec les autres et avec le monde ». (2)

La douceur d’une étoile.

Thierry Rousse

Nantes, Lundi 1er novembre 2021

« A la quête du bonheur ».

  1. « Ubu », Alfred Jarry, Gallimard

  2. « Prendre soin de la vie », chapitre 1, page 25, Caroline Lesire, Christophe André, Ilios Kotsou.

Un dimanche au bord de mer

 

Je les avais cherchés longtemps. J’allais par-ci, j’allais par-là. Rien à l’horizon qu’une foule déferlante, envahissant les longues rues piétonnes de Nantes. Difficilement, je me frayais un chemin parmi ces accrocs du shopping. Le soleil éclatant brûlait mes yeux. Chaleur et bruits épouvantables. La rumeur d’une ville étourdissante. Rien. Toujours rien. « Vous les avez vus ? » me demanda un vieux monsieur croisé au carrefour des tramways.  » – Non. – Ils sont de retour, paraît-il. Je n’ai vu qu’un car de police près de la gare. C’est un signe. Ils ne doivent pas être loin ». Pour l’heure, je n’en comptais aucun. Où étaient-ils ? J’étais en retard au rendez-vous. Très en retard. Ils étaient partis sans moi, disparus. A droite ? A gauche ? Devant ? Derrière ? Etaient-ils vraiment partis ? Etaient-ils vraiment là au rendez-vous ? Déçu, je m’apprêtais à rejoindre la Gare Maritime prendre mon bateau. Quand ils surgirent. Un gyrophare de police annonçant leur venue. Descendant la grande avenue. Je soupirais et souriais. Ils étaient là ! Non, pas les rhinocéros, mais une poignée de Gilets jaunes à la tête d’une troupe hétéroclite, entre drapeaux bleu blanc rouge, blouses blanches et croix de Jésus. Chacun portait ce qu’il pouvait pour dire son attachement à la liberté de choisir et au désir de savoir. Une minorité résistante parmi la masse des sujets consommateurs dépensant leur oseille récolté la semaine au dur labeur. Une minorité résistante qui réfléchissait encore à ce qu’on lui disait de faire. J’avais enfin retrouvé mon troupeau autour de la fontaine de la Place Royale. Je m’abreuvais de leurs chants d’espérance, de lutte et d’amour. J’entendais fredonner « Imagine » de John Lennon. Souvenir de ma jeunesse et de mes engagements pour la paix et la justice. Nous remontions la rue Crébillon, la rue des boutiques de luxe, ces costumes que je ne pouvais m’offrir. En étais-je plus malheureux ? Nous atteignons les marches de l’Opéra Graslin. Ses portes étaient bien fermées. Avant de nous disperser, un Gilet jaune criait au rassemblement. Une infirmière nous contait son enfer, renvoyée sans aucune indemnité pour avoir refusée d’être vaccinée. Qui prêtait attention au sort qu’on nous réservait? Les rhinocéros, massifs, fonçaient, tête baissée, sans regarder ni à gauche, ni à droite. Depuis des jours et des jours, j’étais privé de visites auprès de mon père à l’Ehpad, privé d’entrer dans un théâtre, un cinéma ou une bibliothèque. Coupé des êtres que je chérissais et de mes passions. Ma punition. Mon délit: refuser de recevoir l’injection d’un vaccin dont j’ignorais les conséquences sur mon corps. Depuis des jours et des jours, j’étais balloté entre des lois et des punitions absurdes, contradictoires, sans fondement. Je savais que mon Roi Soleil désirait me perdre, me tourmenter pour faire de moi ce qu’il désirait. Son sujet dévoué à sa cause, épuisé d’insomnies. Quand tout se mélangeait dans notre esprit, il nous restait à obéir bêtement. Ne plus penser. Ecouter le Roi. Le Roi avait toujours raison. Je connaissais ses ruses au Roi. Des ruses utilisées depuis des siècles et des siècles. Je regardais Jésus. Plutôt mourir sur une croix que céder à la folie d’un tyran.

Au soir, j’avais la joie d’être invité à un anniversaire. De nouvelles rencontres si plaisantes. Des voyageurs, ayant tout quitté, partis à travers le monde, passionnés de vraies rencontres, Inde, Maroc, Mauritanie, Tibet. Des artistes intègres ancrés dans l’essence même de leur art. Ecriture calligraphique, danse, vidéo, photographie… J’avais, cette nuit, tant appris et ri, goûté au sens de ce qu’on pouvait appeler une vie.

Mes pensées se promenaient le lendemain, entre les marais, les dunes et les cabanes des pêcheurs, un dimanche au bord de mer. Je hissais la voile de mes désirs. Cap sur la liberté. Gandhi me traçait un chemin, des lettres qui dansaient sur le sable.

Thierry Rousse

Nantes, Dimanche 24 octobre 2021

« A la quête du bonheur »

Les montagnes russes et bretonnes

 

C’était un mercredi « 13 », un mercredi 13 octobre 2021. Un début. Un milieu. Une fin.

« 13 », ce chiffre « 13 » pouvait porter chance. Chance ou malheur. Trêve de plaisanterie. Ridicule. Jeu de mots.

Le vent soufflait. Il soufflait vraiment fort le vent en cette nuit. A croire que les dieux étaient en colère, qu’ils se disputaient un trésor sur leur lit de noces enflammé. Une simple scène de ménage entre Mars et Vénus qui se renvoyaient la balle, la vulgaire planète Terre. Avis de tempête. Alerte rouge. Qui voulait en assurer la garde depuis que l’humanité en avait pris le contrôle?

La Cour du Roi Soleil l’avait une nouvelle fois emporté à la majorité, une nuit où la plupart de ses sujets étaient assoupis. Quelques voix opposées, fatiguées, qu’on avait fait taire de bâillements. Les chiffres depuis des jours étaient en baisse. Curieusement, cette nuit, les chiffres grimpaient à nouveau au rideau d’un théâtre grotesque. La menace était de retour, la vigilance était de mise. Notre bon Roi Sauveur veillait sur nos âmes avec son bâton de gendarme. Les trois coups du glas avaient sonné. Les pleins pouvoirs de sa Cour soumise à son charme seraient reconduits au delà du 15 novembre jusqu’au 31 juillet 2022. Versailles pourrait continuer à édicter ses lois sans l’avis du Parlement. Les Médecins n’avaient guère droit au chapitre, ni Guignol. Le Roi Soleil était devenu notre unique Médecin.

Le provisoire s’installait jusqu’à ce que nous finissions par nous y habituer. L’extraordinaire deviendrait notre ordinaire. Il y aurait un rhinocéros dans ma maison et il ferait partie de mon quotidien, aussi banal qu’un chien. J’en serais rendu à ma mille et unième piqûre.

Que pouvais-je faire contre tout ça, contre la fatalité des dieux, contre la tragédie de l’apocalypse ? Transi sur le pic de ma montagne entre deux descentes vertigineuses, la peur de mourir d’un virus d’un côté, la peur de mourir d’un vaccin de l’autre, il restait peu de place à ma vie. Je me hâtais à rejoindre mon repaire sous le toit de l’univers. Dormir, m’extraire de cette fête foraine morbide. Rêves, cauchemars, insomnies, pensées ressassées. Lire. Ecrire. Ecrire juste pour laisser une trace de cette brève quand mon corps se métamorphoserait en parcelle de terre. Une trace de résistance, une trace de liberté. Que deviendraient mes pages ? Boules de papier froissé jetées au feu par notre Roi ? Sujet inconnu. Epoque révolue. Je demandais juste qu’un petit olivier soit planté sur ma simple tombe de terre au milieu des landes au bord de l’océan. Un temple en plein air où s’émerveiller de la beauté de l’univers.

Il manquait, certes, à cette nuit de tempête mille et une mélodies romantiques. J’allumais mon transistor. Alter Nantes FM. FIP avait disparu mystérieusement de mes ondes. Les notes d’un piano, d’un violoncelle tombaient du ciel, doux flocons caressant mes lèvres. J’oubliais déjà le « 13 ». La chance, je me l’offrais. Mars se réconciliait avec Vénus. Tous deux, ils viraient l’humanité pour n’en garder que sa beauté, l’enfant chéri de leur vie, un renard, un petit prince et une rose. Vénus brûlait la couronne du Roi. Mars renvoyait la Cour à sa campagne pour lui apprendre à observer les étoiles. Au-moins, là, sans la soif du pouvoir, elle se tiendrait sage.

Une Fest Noz aux accents orientaux m’attendait à présent au milieu de mes rêves. Je remerciais mon transistor. Les montagnes de la Bretagne étaient si belles. Les fées de Brocéliande charmaient mon coeur guéri. 

« Béranger:

Ils sont tous devenus fous. Le monde est malade. Ils sont tous malades ». (1)

Thierry Rousse

Nantes, vendredi 22 octobre 2021

« A la quête du bonheur »

(1) Eugène Ionesco, « Rhinocéros », édition Gallimard

Mon manteau d’argent et de plumes

 

Le Roi Soleil réunissait la quintessence de sa Cour en ce milieu du mois d’octobre, le mois de ma naissance. Quelle décision serait prise ? Le « Passe partout » serait-il reconduit jusqu’en juillet 2022 ou serait-il provisoirement aboli entre la mi-novembre et la fin décembre 2021 ? Telle était la question. Telle était la réponse : « Les chiffres étaient bons ». Nous devions cette bonté des chiffres à notre Grand Sauveur, le Vaccin, proclamait la Haute Cour du Roi.

Nous autres, simples sujets, pouvions douter de tout sauf des chiffres. Chaque matin, j’entendais cette maxime sur France Culture. Huit personnes mortes du Covid n’étaient pas vaccinées. Chaque matin, ces chiffres étaient identiques. Je me regardais devant la glace. Brille-Babil surgissait: « Les chiffres prouvent par le détail que nous avons une augmentation marquée dans chaque catégorie de production… » (1). Toute instance du Pouvoir se servait des chiffres pour justifier ses lois. Nul sujet, a priori, ne pouvait discuter un chiffre. Le chiffre semblait concret, réel, pure vérité, simple évidence.

Le chiffre, les chiffres, quels chiffres ?

A l’âge de dix huit ans, après l’obtention du Baccaulérat, l’on me dissuadait de m’inscrire dans un cursus de philosophie. L’économie était bien plus sérieuse, me disait-on, la philosophie ne servait à rien, strictement à rien, « pure perte de temps » (1). Etait-il dangereux de penser ? Je me frayais à contre-coeur, une place sur les bancs de l’amphithéâtre enfumé de Tolbiac. Bien souvent, je me retrouvais sur les strapontins à ne rien comprendre à ces chiffres. Entre des lignes d’équations, de définitions, de formules, de statistiques, je rêvais de mots, de poésie, de théâtre. Mes notes, une à une, dégringolaient. Pantin accroché à des fils d’argent et d’acier. Entre libéralisme et marxisme, quel autre chemin s’ouvrait à mon coeur ?

Vint le temps de la contestation. Etudiants, nous occupions l’Université de la Sorbonne, jour et nuit, pour nous opposer à ce drôle de monde qu’une Cour voulait nous imposer. Nos âmes semblaient vibrer d’un même idéal. Je quittais l’économie sans regret pour l’Amour de la Sagesse. La logique, les mathématiques continuaient d’hanter mon esprit. Je renonçais à tout diplôme pour être libre de choisir les disciplines que j’aimais, celles pour lesquelles je voyais un sens à ma vie: la philosophie générale, l’histoire de la philosophie, l’histoire des arts, le cinéma… Je serais un auditeur libre au Panthéon de la Sorbonne. Le Jardin du Luxembourg, tout près, séduisait mes pensées vagabondes. Le Quartier Latin cultivait mon esprit de parfums orientaux, d’une belle époque révolutionnaire. Joli mois de mai. Jean-Paul Sartre rôdait par là, Boris Vian, Albert Camus, Simone de Beauvoir et d’autres. Eugène Ionesco me faisait rire au Théâtre de la Huchette. Sous les pavés, je rêvais d’une plage de sable fin, l’amour de ma vie, main dans ma main, unis pour l’éternité, bercés par des airs de jazz. Le rideau rouge de l’Odéon se levait à mes yeux suspendus. Un autre Soleil plus radieux.

Vint le temps de l’âge de la raison. Travailler pour gagner ma vie. L’avais-je déjà perdue ? Subtil équilibre, entre sens et survie. Je me rapprochais de ce qui me rendait utile aux autres et à moi-même. J’enfilais mon habit d’argent étincelant de plumes…

Oiseau migrateur, entre les balles des chasseurs, entre le Sud et le Nord, je suivais ma boussole. Le sourire d’un enfant.

Thierry Rousse

Nantes, Vendredi 15 octobre 2021

« A la quête du bonheur »

(1) George Orwell, « La ferme des animaux »

L’intemporel nez rouge

 

Cinquante quatre ans. Pour la première fois, j’assumais le poids de mes années.

Des années qui ne voulaient plus dire, à mes yeux, grand chose, j’appartenais déjà à l’éternité si légère. Le monde était devenu si compliqué, je l’avais quitté. Même mon chauffage, je n’y comprenais plus rien. Tantôt, bourrasque du pôle nord, tantôt bourrasque du désert. Un bruit assourdissant. A souffler ainsi, n’était-il jamais fatigué ? Quand pourrais-je m’endormir ? Je rêvais du silence. Entendre les étoiles briller.

Pas encore fini. Tous mes papiers à refaire. Le labyrinthe de la galère. Tout ce temps que j’aurais pu utiliser autrement. Ainsi était cette vie en société que j’abordais, aujourd’hui, comme un grand jeu, histoire de la rendre plus attrayante. Faire de ma vie un théâtre. Croire en la comédie de la vie même si au fond elle n’était qu’une tragédie. J’avais appris sa fin alors que je n’étais qu’un enfant. Un jour, je serais mort. Un mot qu’on m’avait enseigné. Ce mot qui faisait peur. Ce mot qu’on évitait de prononcer. Montaigne n’avait-il pas écrit: « Vivre, c’est apprendre à mourir »? A partir d’un certain âge, l’on devenait sage. L’on savourait chaque instant pour suspendre le temps, ou, tout au moins, le ralentir. Goûter encore un peu à cette joie de l’existence. Puis, commencer à rassembler mes affaires, me préparer pour le grand jour de mon départ. J’en ignorais la date. Je voulais être prêt. Mon costume serait-il propre ? Sans tâche ? Mon coeur et mon âme, élégants ? Ma voix, limpide et claire, douce à entendre ? Que je puisse au moins laisser derrière moi un bon souvenir, quelque utilité à l’humanité, quelque tendresse, quelque beauté. Un nez rouge. Quelques baisers, quelques rires. Un sourire.

Vivre l’instant. Poser ma tête. Jouer, jouer comme un enfant. Toujours prêt. Accueillir. Prêt à jouer. Dire oui. Oui à la joie. A la liberté de penser. Etre capable de tout. De ces règles, m’en amuser. Je n’étais jamais seul. Regarder mon pied, j’avais déjà un partenaire de jeu infini. Ou le trait d’un carrelage. Ou une chaise, ou, toi. La brise ou le chant d’un oiseau pour m’évader. Les fondamentaux d’un nez rouge. Creuser, toujours creuser. D’un trésor à un autre trésor. Fouilles inépuisables. L’archéologie des clowns. Mimétisme et surenchère. Crescendo et decrescendo. Dos à dos. Nez à nez. Naître à l’enfant que j’étais. Un coquillage sur une plage. Collioure, un soir d’été. Des pleurs salés comme l’océan. L’appel d’une sirène. Le visage d’une reine.

« Les murs, ça n’effraie que ceux qui restent plantés devant ». (1)

Je lisais les « Lettres d’Amour d’un soldat de vingt ans ». Je retournais prendre des cours de théâtre. Tout simplement, pour retrouver ma jeunesse, un dernier élan vers le ciel. Entre ce qui était prévu et l’inattendu. Des livres. Trente mille livres sur des étagères. Une Maison de la Poésie au coeur de la ville. Discrète derrière ses colombages. Jusque là inconnue à mon âme. Il me restait quelque chose à apprendre, des choses qui me retenaient à la vie, à vous et à moi-même. La branche d’un arbre centenaire. Des racines qui parlaient aux murs. J’appuyais sur la touche « Arrêt » et j’écoutais les étoiles briller entre les fissures. Enfin.

Thierry Rousse,

Nantes, mercredi 13 octobre 2021

« A la quête du bonheur »

(1) « Lettres d’Amour d’un soldat de vingt ans », Jacques Higelin, Edition Le livre de poche

Le grand Bug d’Amélie

 

Une liste impressionnante d’identifiants et de mots de passe qui me donnaient le vertige. Entre mon compte Améli, la C.A.F, Pôle Emploi, ma banque, les agences de recherche d’emplois auprès desquelles je m’étais inscrit, mon compte client de téléphonie et d’internet, mes adresses mail, mes sites, mes adhésions à des associations, mes participations à des formations, mes outils en ligne de graphisme, mes réseaux sociaux, mes  » Google Drive », mes papiers à refaire, mes visio-conférences, mes… mes… mes… mes séismes , mon cerveau n’arrivait plus à suivre cette évolution technologique sans fin d’un monde virtuel de demain.

Surchauffe dans ma boîte crânienne.

Une envie de tout laisser au fond de ma corbeille.

Cet amas de fils emmêlés.

Un volcan.

Où avait été son début?

Où serait sa fin?

Tout avait commencé quand?

Pour finir comment ?

Je ne savais plus.

Court-circuit dans ma centrale interne.

Pompéi de ma vie.

Une feuille, une plume, de l’encre, un buvard, une enveloppe. Retrouver le plaisir de la correspondance et des véritables rencontres. Pouvoir dire : « Tu es là et je suis ici en face de toi, nous nous voyons, nous nous écoutons, nous nous parlons ».

Notre Roi Soleil nous offrait gentiment en ce début d’automne une promotion sur les séances chez le psy. Etaient-ce nous qui étions malades ou était-ce la société imaginée par notre Roi ?

Je pris un bain de ciel bleu, les yeux au bord de l’eau. Jardin des Plantes, un oassis au coeur de la ville. Temps dégagé sur Nantes.

Les mardis soir, je reprenais les chemins des cours de théâtre, histoire de retrouver mes vingt ans et de renaître au printemps. Apprendre à chanter et à danser avec Alexis Djakelli. Théâtre du Sphinx. Cette joie d’appartenir à une troupe. La vie, la vraie vie. Aucun identifiant, aucun mot de passe ne m’étaient réclamés. Je pouvais enfin voir les autres en chair et en os. Etre corps parmi les corps. Ame vibrante sur un plancher.

Chanter. Danser. Exister. C’était simple. T’apporter un peu de joie, recevoir un peu de joie, c’était peut-être, ça, la vie. Un air de Souchon dans ma caboche, ou de Jacquot. Ou de moi-même. Ou de toi-même. Des mots doux, rien que des mots doux partagés. Une vie qui ne serait qu’un long poème sur l’oreiller de nos rêves.

« Tout ce qui est vivant est tellement simple. On ne peut être heureux sans équilibre ». (1)

L’équilibre. Complicité avec la nature. La simplicité de ce qui faisait naître la joie. L’harmonie de nos sourires qui s’accordaient au gré des vents, bravant toute intempérie, s’en moquant.

J’avais bien conscience que ces tourments provoqués par notre Roi abîmaient mes cordes, les usaient. Mon timbre vocal devenait déplaisant aux oiseaux si charmants. Trop de soleil finissait par m’aveugler au pied des marches de son château. N’étais-je devenu qu’une molasse face à ce molosse, une pierre friable devant ce chien de garde? J’empruntais l’allée de buis jusqu’au bois secret des enfants. Broderies de jeux et de rires, poussant ma brouette naïve. Le réveil chinois sonnait sur ma table de chevet. D’un geste brusque, je cherchais au petit matin encore obscur à interrompre son cri strident déchirant mes songes. Le réveil chinois dévalait l’escalier, se brisant de toutes pièces. Le temps, de nouveau, s’était suspendu. Je regardais ses deux aiguilles immobiles, puis, je remontais dans mon nuage. Je pouvais me rendormir. Il n’y avait plus d’heures, plus de labeur, que le bonheur de vivre et d’aimer. Un chat surgissait des feuilles, c’était mieux qu’un chasseur. Je m’accordais à son miaulement. Cueilleur nomade. Je ramassais des châtaignes pour mes amis. Qu’il était doux de nous retrouver autour d’un feu, nous délectant des bontés de la Terre, notre Mère, celle qui nous chérissait, nous protégeait, nous confiait tout ce qu’elle avait de plus précieux. La clé de la tendresse. L’ivresse d’une caresse. Le chat semblait égaré. Mes pas le raccompagnaient vers sa demeure. Quel bonheur d’habiter chez un chat ! Une maison si paisible.

Cette maison du chat, je la préférais au château du Roi trop bruyant. L’absurdité de ses lois avait le don d’irriter ma voix qui s’emportait de colère jusqu’à des cimes de brouillard épuisantes. Son stratagème avait marché. « Introduisez un vaccin, un passe partout, ou toute autre dose mystérieuse au sein d’un peuple uni, et vous le verrez se déchirer, s’entretuer. Ainsi, vaincrez-vous votre ennemi sans même l’avoir affronté ». Là, était le plus grand mal qui nous guettait, cette main géante qui s’amusait de nous. Jean de La Fontaine n’était plus de cette cour pour s’opposer à elle. Il nous restait à reprendre sa plume, poursuivre ses vers côté jardin, nous autres, saltimbanques itinérants, sous la voûte du temps suspendu à nos lèvres.

Amélie avait souri et je reprenais vie.

« Je chante un baiser…

marchant dans la brume… » (2)

Thierry Rousse

Nantes, vendredi 8 octobre 2021

« A la quête du bonheur »

  1. Jacques Higelin, « Lettres d’Amour d’un soldat de vingt ans », édition Le Livre de Poche

  2. Alain Souchon, « Le baiser »

Premier jour en quatre lignes

 

Qui étais-je en quatre lignes ?

« Je m’appelle Jean, Georges, Thierry.

Je suis un homme comme on dit.

Je viens d’un océan si tranquille.

J’ai deux ailes au milieu d’une île. »

Deux ailes pour m’envoler au bord d’un lac.

Le lac d’Alphonse de Lamartine.

Un rayon de soleil.

Soleil d’une fin de journée.

Miroir.

L’ananas d’une île.

« O, temps, suspends ton vol ! » (1)

Partager un instant.

Premier jour d’une vie.

J’étais né.

Eblouissement de beautés.

Vagues de la Terre.

J’étais bien incapable de nommer ce que je voyais.

Juste m’en émerveiller.

Nouveau-né, j’étais né à l’inconnu d’une vie.

Un corps m’était offert.

Mon corps pour aimer ce monde.

L’embrasser.

Communier à sa splendeur, sa douceur.

« Eau si paisible,

Eau, mon amie,

Me désaltérer à ta source ! »

Grandir comme un enfant.

Parcourir deux lettres.

Le chemin de grande randonnée.

Ses flèches rouges et blanches entravées par une retenue.

Un immense barrage de béton.

Trouver la fissure.

M’y glisser.

Derrière, un théâtre antique bucolique m’ouvrait son coeur.

Des prés et des vaches.

Des vaches et des chevaux.

Des chevaux et des chèvres.

Un carrefour.

Une croix en pierre.

De vieilles maisons qu’on rebâtissait.

La campagne de l’amour discret.

O vie, o liberté, que je t’aimais !

Présent passé.

A l’aube des marais, ce banc m’attendait.

Un banc pour contempler à la surface de l’eau le vent de cette vie fabuleuse.

Silence du temps infini.

Quand, un coup de feu brisa la paix d’un instant retrouvé.

Fuire ou rester?

La silhouette surgissait, brandissant son fusil.

Le chien se précipita, aboya, flaira la bête abattue.

L’homme au loin. Le coupable.

Je le regardais dans les yeux. Au fond de ses yeux perdus.

Un homme comme on dit.

Il baissa son fusil, vaincu.

L’oiseau s’était envolé.

Je respirais.

Il en avait fallu de peu.

Mon coeur avait tremblé au premier jour fragile de sa vie sur un banc au-dessus de l’eau scintillante.

Je cherchais le chemin du retour.

Retrouver ma main pour deux mains. Un pont tendu sur le lac.

Une main offerte à la tendresse d’un poème au-delà des retenues, des barrages des hommes, des nomades chasseurs, tueurs d’oiseaux.

Je cueillais le reflet du ciel, de ses yeux éternels. Un lac. Une île et deux ailes.

Premier jour d’Icare.

Les rayons du soleil caressaient mon visage et ses larmes.

« Qui suis-je ?

Qui es-tu, mon reflet?

Qui sommes-nous, nous deux, au bord de ce monde ? »

Balbutiements de mots et de notes.

Solitudes enlacées.

Partager un « ça me dit ensemble ». Diversité et richesse des êtres.

Premier jour, ce cadeau de la vie, des rencontres.

Croisements.

L’humanité au choeur rassemblé dansant sa joie d’être ensemble.

Premier soir d’un dimanche.

France Culture.

Jean Vilar.

Correspondances.

Des voix.

Place de la Nation.

« Qu’est-ce qui avait changé? »

C’était son anniversaire ce soir.

Des chants.

Des chants au fond de son coeur berçaient son âme.

« La couleur de mes rêves » d’Anne Markyse.

Le livre de mon anniversaire.

Je m’étais offert ce présent pour marcher vers demain.

« Une île au large de l’espoir… » (2)

Thierry Rousse

Dimanche 3 octobre 1967

« A la quête du bonheur »

  1. Alphonse de Lamartine; « Le lac »

  2. Jacques Brel, « Une île »

Le théâtre d’après

 

Les chiffres le disaient et il n’y avait plus rien à dire.

« Tout débat était aboli ». (1)

Lit de silence.

Anse du vide.

Vague souvenir d’une ferme à l’idéal dévié.

Panier d’oeufs écrasés.

Une voix unique régnait sur les sièges de velours des gradins du château du Roi Soleil.

Sable pyramidal.

Egrainé au-dessus de ma tête en l’air de rien.

Tout drapeau d’opposition s’était rallié à la grande cause du Grand Chef Haut protecteur de nos peaux rouges.

Les chiffres étaient diffusés chaque matin sur France Culture à l’heure de ma douche froide.

Huit morts sur dix de la Covid n’étaient pas vaccinés.

Qui pouvait me prouver que ces chiffres correspondaient à la réalité ?

Qui pouvait me certifier que ces personnes hélas disparues ne souffraient pas d’une autre maladie mortelle ?

Qui ?

Qui était encore en accord avec lui-même ?

Qui osait encore parler, douter, chercher, questionner, s’interroger ?

Où était le réel ? Où était l’illusion ? Jeux de miroirs? Jeux de tromperies ?

Une voix enregistrée, payée pour dire ce qu’elle devait dire. Un texte appris par coeur et si joliment interprété. Une comédienne talentueuse et malheureuse. Un art vivant sous la botte de notre Roi. Un théâtre entre cour et jardin diffusé sous très haute sécurité.

La Cour communiquait sur ce qu’elle avait envie de communiquer et se gardait bien de parler des chiffres qui la dérangeaient. La liste pouvait être trop longue, trop coûteuse, trop dangereuse pour sa couronne. Le nombre de lits à l’hôpital. La hausse des températures. Les dépenses superflues. L’écart inadmissible des revenus. Le nombre de forêts dévastées. Tous ces animaux tués dans d’atroces souffrances. Tous ces animaux qu’on venait déloger de leur habitat naturel. Toutes ces maladies provoquées par la folie de certains êtres cupides ne jurant que par une croissance sans limites…

Le projet de loi serait voté. Il passerait à la majorité. Les dés étaient déjà joués puisqu’il n’y avait plus aucune opposition parmi les sièges du Château.

Des dés truqués.

Des chaises trouées.

Députés dépités endormis.

Plans de carrières.

Sièges déserts de voix qui s’étaient tues à petits feux.

Le pass partout serait reconduit jusqu’à l’été prochain.

Je ou moi ?

Sans siège, sans pass partout, debout entre cour et jardin.

L’accès m’était interdit dans les théâtres, les musées, les cafés, les restaurants, et il m’était permis de voir mon père dans sa chambre de l’Ehpad que par l’intermédiaire d’un écran en visio conférence.

Combien de temps survivrais-je à cette sentence sur les braises consenties du silence ?

Me faire piquer pour rentrer dans le rang et gagner ma liberté ?

Quel délit avais-je commis pour être ainsi puni ?

Privé de liberté. Etre dangereux pour mes proches ? Pestiféré ? Ecrit sur mon front ? L’air que j’expirais ? La caresse de mes mains croisées, hautement nocive ?

Finirais-je tout seul au fond d’un couloir ? Hôpital désert. Implorerais-je la mort de m’accueillir dans ses bras chaleureux ? Je l’aimais déjà cette belle dame comme une porte de secours, comme la sortie d’un cercle infernal construit un été devant l’Opéra Graslin. Je voyais maintenant ses engins qui brisaient cette arène de béton. Je mesurais le coût de cette oeuvre d’art éphémère et de son utilité. Apprendre aux gens à tourner en rond ? Un réflexe presque acquis en ce début d’automne. Ou prendre conscience qu’on nous faisait tourner en rond ? Observer de l’autre côté du miroir ce que nous étions devenus. Ou, briser le miroir ? Regarder ailleurs ?

« Derrière la saleté… il nous faut regarder ce qu’il y a de beau, le ciel gris ou bleuté, les filles au bord de l’eau, l’ami qu’on sait fidèle, le soleil de demain, le vol d’une hirondelle, le bateau qui revient ». (2)

J’étais né en 1967. Le mouvement Hippie prenait racine. Un signe ?

J’avais perdu depuis mes vingt ans ma barbe et mes longs cheveux blonds. Les ciseaux tranchants de la société étaient passés par là. Il me restait encore quelques mots pour exister. Quelques mots et quelques dents.

Pour combien de temps ?

Temps ensoleillé. Je préférais les pluies des rivières libres et heureuses. Etre le cancre au fond de sa classe. Bonnet d’âne si charmant, vivant au rythme de sa propre vie.

« Il dit oui à ce qu’il aime » (3).

Je croyais en la fraternité du théâtre, à ce qu’on nous faisait croire au lycée, de cette grande famille, de ces si beaux textes qui embrasaient mon coeur, un « Opéra de quatre sous ».

Mais la porte était étroite dès lors que je voulus en faire mon métier, tombé sous le charme de ses rideaux rouges. Il n’y avait pas de place pour tout le monde. « D’où venez-vous ? On vous connaît ? ».

Je partageais mon ressenti lors d’une rencontre, un dimanche de septembre. Une fin de journée au fond d’un hangar. Ouvrir un horizon entre les fissures du béton. La directrice du Grand T et le directeur du Lieu Unique m’écoutaient attentivement. Ils décidaient de laisser la conclusion à mes paroles. J’en fus si touché, reconnu peut-être au milieu de cette assemblée. Etre invisible, je me sentais, soudain, exister. Tout était à faire. Retrouver un théâtre que j’avais vu naître en Grèce. La raison de son existence au coeur de la Cité. Lieux de débats, forum de paroles, place publique de révoltes, jardin d’éblouissements, de caresse, de tendresse, cour d’indignations, rue libre des rêves.

Mon corps était ma voix. Ma voix était mon coeur.

Ces pensées me traversaient comme des nuages blancs immortels : « C’est parce qu’on rêve d’un autre monde qu’un autre monde est possible ».

La vérité. La vérité… Quelle vérité ? Cette conformité entre ce que je disais, ce que je pensais, ce que j’étais.

Thierry Rousse

Nantes, mercredi 29 septembre 2021

« A la quête du bonheur »

  1. George Orwell, « La ferme des animaux »
  2. Jacques Brel, « Il nous faut regarder »

  3. Jacques Prévert, « Le cancre »

Le pass poétique du faire ailleurs

 

Il était là, assis sur un tabouret. Balaise le gars. De gros muscles tatoués. Le genre rebelle qu’on n’embête pas. Le genre qui trace sa vie comme il l’entend. Tend à ce qu’il désire. Assis sur un tabouret, là, à cette heure, le métalleux du Ferrailleur de l’Hangar à Bananes. Moi, je contournais son tabouret et m’approchais à pas de loup de son bar. « Votre pass, vous avez votre pass ?  » m’interpella alors le gars balaise aux gros muscles insoumis juste derrière mon dos. Je me retournais, un silence, un regard, un vide entre nous, je compris, et fis demi tour ailleurs vers l’air libre de l’estuaire. Le vent du large soufflait dans mes yeux.

Ecouter un concert de Métal à la terrasse du Ferrailleur à l’heure de l’apéro, au bord de la Loire, un samedi soir, ça pouvait soulager, faire du bien. Un rock puissant qui vous pénètre. Le genre de musique et de mots qui se moque des lois, les conteste, les renverse. Et pourtant. Ne pouvaient boire un verre à cette terrasse et être assis que les titulaires d’un pass partout. Je restais tout au bout, debout. Encore debout. Eloigné. A la main, le verre de mes derniers espoirs brisés. Mon coeur saignait.

Plus rien ne me semblait cohérent dans cette société. Les gros muscles tatoués m’apparaissaient vides de tout sens, hormis l’apparence, quelques délices illusoires. Je voyais les têtes métalliques hochant les unes après les autres soumises au Roi Soleil. Les deux chanteurs et musiciens aux longs cheveux hirsutes de Toulouse la ville rose antique avaient beau chanter leur révolte, tout sonnait faux à cette terrasse gardée par le gars balaise au tabouret bien raide. Le Roi omniprésent jetait un divertissement à ses captifs heureux, un semblant d’anarchie pour leur faire croire qu’ils étaient toujours libres de leurs actes.

Mascarade. Hypocrisie. Manipulation. L’élite minoritaire gouvernait les masses à la carotte, savait ce qu’elles désiraient, agitait leurs besoins comme un sucre qu’on montre à son chien.

Gens des masses, il nous restait à faire les beaux, être dociles pour obtenir ce que nous aimions, ce qui réjouissait nos sens à l’heure de l’apéro. Accepter cette piqûre pour obtenir ce pass partout, ce Graal qui nous ouvrait les portes de la liberté et des réjouissances, nous protégeait d’un mal engendré par la folie des laboratoires, ces laboratoires qui fabriquaient la maladie puis son remède.

Mon corps criait au crime de sa nature.

A l’entrée, pourtant, étrangement, du Centre Commercial Moche Lieu, nul pass partout n’était demandé. Tout était permis à nos envies quand il s’agissait d’enrichir le Roi et sa Cour.

Il me restait un point d’interrogation au bout de  cette île.

Prendre le bateau d’un pass poétique.

Faire ailleurs.

Etre ailleurs, sur une butte.

Fuir l’absurdité, les mensonges, le matraquage des consciences.

Retrouver un sens à ma vie.

Une vérité.

Sur le tronc d’un arbre.

Thierry Rousse

Nantes, samedi 25 septembre 2021

« A la quête du bonheur ».