Zone commune à défendre (« J’suis pas rentré »)

 

359 décès, 2202 nouvelles hospitalisations, 327 entrées en réanimation, telles étaient les nouvelles de ces dernières vingt quatre heures en France. Les nouveaux chiffres étaient communiqués sur BFMTV. Retour amer à la réalité après douze heures où j’avais tout ou presque oublié de ces drames, comme de cet anniversaire tragique hier des attentats au Bataclan, au Stade de France et aux terrasses des cafés parisiens. Un acte manqué comme si mon inconscient avait besoin de s’évader, loin, très loin.

Retourner au marché ce matin. Ce n’était pas le marché sur la place du village à l’ombre des platanes, ce marché provençal que j’aimais tant, mais c’était un marché sur un vaste parking, derrière l’église de Vertou, et c’était déjà bien. Il y avait si longtemps que je n’avais pas contemplé ces étalages colorés de fruits, de légumes, de poissons, de crustacés, de fromages de toutes nos belles régions. 2,30 euros six huîtres de Vendée, de quoi faire le bonheur de mon midi et songer à tous ces rires avec mes amis. Je savourais mes six huîtres tantôt avec du citron, tantôt avec du vinaigre et des échalotes, accompagnées d’un Chardonnay bio. Puis, suivaient la truite servie avec du riz au beurre et un fromage blanc fermier en dessert. Un vrai repas de fête avec vue sur l’olivier du jardin de ma propriétaire. Les douze heures étaient loin d’être finies. Je m’amusais avec l’Agent Eni à répertorier les noms des toutes les rues dans l’intersection de nos deux cercles des mille pas. Le confinement nous amenait à des jeux auxquels on n’aurait jamais pensé en temps ordinaire. C’était étonnant le nombre de rues et de sentiers près de chez moi que je n’avais jamais empruntés. J’y découvrais de jolies maisons et une grotte en l’honneur de la Vierge Marie qui avait sauvé les habitants du quartier d’une épidémie. Grotte improbable face à une belle demeure ressemblant à un manoir britannique. La voisine fort aimable nous faisait la visite. Les fleurs et les fruits de la Passion, le long du chemin, tout près de la grotte, s’offraient à nos regards. Cette intersection de nos deux cercles ressemblait à un pays neutre, une parenthèse de liberté et de paix. Il se mit à pleuvoir et le soleil était dans nos coeurs, le long de notre zone commune à défendre.

D’autres projets se préparaient : un livre illustré de « Mon Pote Agé » avec Fabula, une ré-édition de « Le grain de sable et la perle magique », une Amap avec mes deux camarades de théâtre. Il y avait un « après », une vie qui me tenait en vie après le Covid.  Le documentaire censuré « Hold Up » faisait parler de lui. Une poignée de milliardaires auraient décidé d’éliminer les vieux et les plus fragiles en propageant ce virus mortel, et, de s’enrichir en vendant leur vaccin. Qu’est-ce qui était vrai ? Qu’est-ce qui était faux ? Le personnel soignant était usé du peu de crédibilité qu’on leur portait, comme si personne ne pouvait mourir du Covid, hormis les malades… Les restaurateurs, eux, haussaient le ton pour de nouveau ouvrir leurs tables. Paul Mc Cartney, âgé de 78 ans sortait un nouvel album. Il était bientôt 21 heures. Je mangerais mes moules à la crème et regarderais « La Zizanie » avec Louis De Funès. Décidément, mon inconscient avait encore envie de respirer. Grand Corps Malade avec son compagnon Rachid Taxi chantaient : « Ah Yemma, je vais te raconter pourquoi un soir j’suis pas rentré, sans faire exprès je l’ai croisée… c’était un soir à Paris, et elle s’appelle la Vie »(*). Nantes était devenu mon Paris. Je savais ce soir pourquoi je n’étais pas rentré, pas rentré dans la réalité. J’avais croisé la Vie et elle m’avait souri. Tous deux, nous marchions, main dans la main, et, ma foi, nous étions heureux.

Thierry Rousse,

Nantes,

Samedi 14 novembre 2020

(*) « J’suis pas rentré » de Grand Corps Malade et Rachid Taxi

Mon Pote Agé ( épisode 9 )

 

L’été, c’était le temps des récoltes .

Théo aidait son Pote Agé, cueillant une cerise par ici, une fraise par là, écrivait des poèmes pour remercier les plantes.

Théo : Hmm, qu’elles sont bonnes vos cerises, elles ont le goût du ciel ! Et vos fraises, le goût de la terre ! Quel délicieux dessert quand le ciel rencontre la terre ! O, une salade !

Barnabé : Non, Théo, ne la cueille pas, c’est ma Grand-Mère Salade ! Je la laisse fleurir !

Théo : Fleurir ?

Barnabé : Oui, ma Grand-Mère Salade va grandir, grandir, grandir puis fleurir . Je récolterai chacune de ses graines.

Théo : Mais… ça ne se mange pas les graines de salades !

Barnabé : Oui, mais ça se sème ! Je sèmerai les petits-enfants de Grand-Mère Salade au printemps prochain.

Barnabé rangeait précieusement chacune de ses graines dans sa boite à musique.

Vendredi 13, le jour du poisson et d’une autre vie

 

Etait-il possible de prendre du recul avec l’actualité ? Vendredi était le jour du poisson. Une ancienne tradition dans ma famille. J’aimais le poisson et j’attendais avec impatience ce jour-là. Etait-ce vraiment le poisson que j’attendais avec impatience ou tout simplement la fin de la semaine , le vendredi ? Le poisson devenait la fin de la semaine et il était attendu avec bonheur, le poisson. Je renouais avec cette tradition ancestrale. Où trouver du poisson à mille pas de chez moi ? Dans la Sèvre? J’avais bien appris à pêcher avec mon Papa dans la Seine et au bord de la mer, mais les hameçons, ça faisait mal au bout des doigts, les hameçons. Je n’arrivais jamais à accrocher un hameçon à ce pauvre petit asticot qui gigotait. J’imaginais sa souffrance. Et puis, quand je parvenais enfin à attraper un poisson grâce au petit asticot harponné, après une quantité d’herbes ou d’algues au bout de ma ligne, le plus périlleux se présentait à ma conscience: tuer le poisson, l’assommer d’un bon coup en saisissant sa queue pour frapper sa tête contre une pierre. « Fais-le, Papa , tu es fort! ». Je fermais les yeux, je redoutais cet instant. Je me mettais à la place du poisson, ma tête frappée contre cette pierre. Et, pourtant, je me régalais quand nous passions à table. Une bonne « sardinade », rien de telle pour partager un moment de convivialité ! Une nouvelle fois, j’avais honte de mon ventre face à ma conscience. Je ne voulais pas tuer ce poisson et je me régalais à le manger. Une chose était certaine, je n’irais pas pêcher. Je n’avais ni canne à pêche, ni asticot, ni épuisette, ni l’autorisation de pêcher dans la Sèvre. J’irais chez le poissonnier à mille pas. Il se trouvait tout au fond du Super U, le poissonnier à mille pas. Ce vendredi, je n’assisterais pas à la mort des poissons, ils étaient déjà morts, exposés à la vue du client sur leur lit de glace. C’est la docteure qui m’avait conseillé de manger du poisson, sardines, maquereaux… des poissons gras et pas chers. J’obéissais à ses ordres, puisque c’était bon pour ma santé, manger du poisson. Je voyais déjà les frétillantes sardines qui m’attendaient. Elles me rappelaient la fête de l’Humanité avec mon camarade Boris. Nous trinquions un verre de muscadet à la main, l’autre une sardine grillée, à l’amitié et à la joie, trente trois ans d’amitié déjà avec mon camarade Boris, un excellent acteur qui avait tourné un court-métrage sur l’histoire des poissons, de l’homme et de la femme. Trente trois ans, l’âge de Jésus cloué sur la Croix. Nous étions le vendredi 13. M’égarais-je ? La tradition du poisson le vendredi serait liée à la crucifixion de Jésus. Au passage, je glissais « L’Humanité Dimanche » et le journal du jour dans mon panier. Les rayons « livres », « chaussettes, caleçons, petites culottes » , « jouets » « vaisselle et bibelots en tout genre» à ma droite étaient clos. Ces objets étaient identifiés comme « non essentiels » à la vie. Les sardines, elles, étaient essentielles. Les journaux, aussi. J’étais sauvé. « L’Humanité Dimanche » titrait : « Avoir vingt ans au temps du Covid ». J’avais déjà cinquante trois ans, étais-je concerné par le Covid ? Où se situait la différence : Avoir vint ans ans ou cinquante trois ans au temps du Covid ? Dans l’espérance de vie ? Devant l’ampleur des catastrophes ou des merveilles qui s’annonçaient ? Le journal parlait, lui, en première page du terrorisme : « Nouvelles menaces, nouveaux défis ». J’étais presque arrivé. La poissonnière me guettait. Elle était bien seule, la poissonnière derrière ses poissons morts, seule rescapée d’un carnage. La poissonnerie du Super U n’avait pas le charme d’un étalage sur le quai d’un port, ou, sur la place d’un marché villageois. « – Vous désirez ? – Des sardines ! – Désolé, monsieur, je n’en ai pas aujourd’hui ». Plus de sardines  aujourd’hui, un vendredi 13 ? N’y avait-il plus de sardines dans l’océan ? Qui les avait pêchées ? Un gros cargo chinois sans pitié ? Je passais de la joie à la tristesse. Un grand vide se fit dans mon ventre. «  Bien… je prendrai deux maquereaux, une truite et des moules ».

La pêche avait été bonne. Je rapportais mon filet bien rempli à mon Amélie. « – Et les sardines ? – Je les ai relâchées, elles étaient trop petites. Laissez-nous grandir, m’ont-elles dit. – Comme tu es gentil, mon Pierrot ! ». Dans l’histoire, le petit poisson s’était envolé et transformé en dragon, le dragon des océans. Le pêcheur avait été récompensé. Le dragon lui avait offert une huître géante. Pierrot avait rapporté l’huître à son Amélie. Dans cette huître, il y avait une perle, et, grâce à cette perle, Amélie et Pierrot avaient retrouvé l’île de leur enfance, cette île, chantée par Jacques Brel, où ils s’étaient rencontrés et aimés. J’avais joué cette histoire avec mon théâtre miniature, une fois à la Fête de l’Humanité de la Courneuve au stand de la Vendée, et, l’été dernier, deux fois à La Guinguette Ensablée puis une fois à la Fête de l’Humanité de Vendée en cette même Guinguette, à Sion-sur-Mer. De délicieux souvenirs au milieu des dunes et des pins. Le bonheur de rejouer pour les enfants et leurs parents. Une autre vie était possible « au temps du Covid ». Il était possible de prendre du recul avec l’actualité en écrivant notre propre actualité. Je remerciais mes deux maquereaux, ma truite, mes moules d’avoir donné leur vie pour moi. L’avaient-ils vraiment choisi ? Serais-je capable, un jour, de ne manger que des légumes, des céréales et des fruits ? Les plantes ne vivaient-elles pas également ?

C’était l’heure de Jazz à Fip, et, déjà, une autre vie. Emma dansait, jouait, de son violon, une valse infinie, sur les trottoirs du temps. La Lune scintillait. Un couloir argenté indiquait un chemin au milieu de l’océan. La place d’un village. Un banc. Une guinguette. Un arbre. Une rivière. Une plage de coquillages. Des poissons qui sautaient. Une huître. Une perle, au temps du Covid.

Thierry Rousse,

Nantes,

Vendredi 13 novembre 2020

« De retour chez Mémé Zanine ».

Mon Pote Agé ( épisode 8 )

 

Barnabé n’utilisait pas tous ces pesticides, ces insecticides, ces « naturo-ticides » qui empoisonnaient les abeilles.

Il laissait la nature se protéger elle-même, et parfois, l’aidait quand c’était nécessaire.

Barnabé : Dame Nature, puis-je cultiver votre terre ?

Dame Nature : Soyez le bienvenu, mon Ami Jardinier!

Avec une serpette qu’il avait bien aiguisée, Barnabé fauchait doucement l’herbe puis la laissait sécher au soleil, puis il attendait qu’un gros orage éclate, et, quand la pluie avait, enfin, cessé, il écartait la paille, semait un petit pois, et entre chaque petit pois, plantait un grain de lin pour protéger ses petits pois.

Théo : Je peux vous aider, Barnabé ?

Barnabé : Si tu veux !

Théo avait vite compris.

Théo : Ecarter la paille, semer un petit pois.

Ecarter la paille, planter un grain de lin.

Ecarter la paille, semer un petit pois…

Chaque geste était semblable et pourtant si différent, unique comme chaque instant.

Ecarter la paille, planter un grain de lin.

Ecarter la paille, semer un petit pois.

Ecarter la paille, planter un grain de lin…

Barnabé et Théo avaient, tous deux, pour compagnon de travail un chat qu’ils avaient nommé « Brillante ». Brillante aimer se faufiler entre leurs jambes.

Le chat Brillante :

Miaou !

Que la vie est belle, ici !

Miaou !

Que la vie est douce, ici !

Miaou !

Que la vie est vie, ici !

Miaou !

Le potager de Barnabé ressemblait à un escargot géant.

Barnabé : Si on tourne dans ce sens, on s’élève vers le ciel  Si on tourne dans l’autre sens, on pénètre dans le cœur de la Terre ! Tu veux essayer ? … Suis-moi, Théo !

Barnabé et Théo s’amusaient comme deux enfants.

Jardiner était un vrai jeu avec Barnabé

Barnabé : Viens, suis-moi, j’ai une autre surprise pour toi !

Marche tranquille

 

Le Premier Chef du Grand Chef parlerait à 18 heures. Les nouvelles seraient-elles bonnes ? Serions-nous libérés le 1er décembre ? Les commerces seraient-ils ouverts ? Noël aurait-il lieu ? Avions-nous été bien sages ? Avions-nous bien respecté les mesures de distanciation sociale ? Serions-nous récompensés de nos efforts ? Une bonne fois pour toutes ?

7 heures. J’avais programmé le réveil de mon smartphone à 7 heures. Je m’autorisais cinq minutes de prolongation. Cinq minutes de trop. Mon corps replongeait dans les bras de Morphée. 10 heures. A 10 heures, mon corps se réveilla. Une catastrophe. Que faire ? Gronder mon corps ? Lui faire la tête ? Le bouder ? Le punir ? Me séparer de lui ? Prendre mes distances avec lui ? Le comprendre ? Accepter qu’il ait besoin de se reposer ? Une dispute entre mon corps et ma conscience aurait gâché toute ma journée, et, surtout, n’aurait servi à rien. Le temps écoulé ne se rattrapait pas. Ma colère aurait été strictement inutile.

Autour d’une tasse de café, je me réconciliais avec mon corps et lui proposais de marcher main dans la main pour aller poster une lettre de toute importance. Une belle occasion de revenir par les chemins buissonniers. Le soleil brillait. La température était douce. Les feuilles resplendissantes. Nous traversions les jardins partagés de La Crapaudine avant de rejoindre les bords de la Sèvre. Nous étions presque heureux, mon corps et moi. Nous songions à ces prairies bucoliques d’Ecosse ou d’Irlande. J’aimais tant les jardins à l’anglaise, ces jardins où le jardinier laissait pousser la nature, composait avec elle. Nous saluions nos Highlands qui faisaient la sieste à cette heure, digérant l’herbe fraîche des prés inondables. Je me sentais juste triste de piétiner les feuilles tombées à nos pieds. Comment les éviter ? Cela était encore possible sur les larges allées balayées par le vent. Tout se compliquait dans les passages étroits. Elles étaient si nombreuses sur les sentiers des sous-bois. L’arbre se séparait de ses feuilles pour survivre au froid des nuits hivernales à venir. Une à une, elles tombaient après avoir offert à l’arbre qui les portait ses plus belles couleurs. La feuille allait mourir, se décomposer, être la terre qui nourrirait son arbre. Chaque automne rendait mon coeur mélancolique. Une marche tonique aurait peut-être fait du bien à mon corps. Les joggeurs, montre en main, casque sur les oreilles, me doublaient. Mon âme préférait la marche romantique. Tenir la main à mon corps et regarder tous deux vers l’avenir. Ralentir. Apprécier l’instant présent. L’avenir était là. Accomplir du mieux possible chaque chose. Prendre le temps d’aimer.

Le Premier Chef parlait. 42 500 décès depuis le début de la pandémie .Un décès sur quatre dû au virus. Une hospitalisation toutes les trois secondes. 1360 lits supplémentaires. Le Premier Chef maîtrisait les chiffres. L’objectif était que les malades n’arrivent pas à l’hôpital et que l’économie et l’emploi soient sauvés. Le confinement était moins dur que celui du printemps. Le taux de reproduction du virus était passé sous le seuil fatidique, mais la prudence était de mise. Le Premier Chef en appelait à notre responsabilité, notre civisme, notre solidarité, à la plus grande fermeté. Les contrôles seraient accrus. Tout corps désobéissant aux règles énoncées serait puni. Si tout se passait bien, le pic serait atteint en fin de semaine. Il nous restait à continuer à être sages et Noël aurait lieu. Pas de grands rassemblements festifs. Un Noël en famille, juste ce qu’il fallait. Les autres Chefs de la Santé, de l’Education, du Travail, de l’Economie, de la Finance et de la Relance, tour à tour, s’exprimaient. J’en gardais un peu pour demain. Je n’avais pas vu le Chef de la Culture. Où était le Chef de la Culture ? Y-avait-il encore un Chef de la Culture au Grand Palais de l’Elysée ?

J’avais publié en ce jour le sixième épisode de « Mon Pote Agé », plus douce était la vie… Mon corps et moi allions souper, à la lueur d’une bougie, en écoutant Jazz à Fip. Cette idée d’Amap suivait son chemin. J’imaginais de tendres contées au coin du feu. Et si la vie, la vraie, nous attendait quelque part ?

Thierry Rousse

Nantes

Jeudi 12 novembre 2020

« De retour chez Mémé Zanine »

Mon Pote Agé ( épisode 7 )

 

Les fleurs, elles faisaient joli dans le jardin de Barnabé. Elles protégeaient les légumes de certaines petites bêtes, et, en plus, elles attiraient les abeilles.

ZZZZ…

Un essaim d’abeilles se mit à virevolter autour de Théo, puis, poursuivait gaiement son chemin, de fleur en fleur.

Théo : Je l’ai échappé bel, Barnabé !

Barnabé : N’aies pas peur, Théo, elles ne vont pas te piquer. Ce sont nos alliées. Sans abeilles, il n’y aurait point de vie dans mon jardin…  Sans abeilles, il n’y aurait point de vie dans mon…. Sans abeilles, il n’y aurait point de vie dans …. Sans abeilles, il n’y aurait point de vie… Sans abeilles, il n’y aurait point de…

Théo : Qu’est-ce qu’il y a mon Pote Agé ?

Barnabé : Rien, Théo.

Théo : Vous êtes sûr ?

Barnabé : Je suis sûr…

Théo : Alors, si vous êtes sûr, jurez serment sur la crinière de votre âne Apollon !

Barnabé : Je ne peux pas, Théo.

Théo : Vous ne pouvez pas ?

Barnabé : Non…

Théo : Alors, c’est que quelque chose vous tracasse …

Barnabé prenait une longue respiration, puis, il se confiait à Théo.

Barnabé : Les abeilles se font de plus en plus rares, Théo. Je les vois de moins en moins venir butiner dans mon jardin. J’ai beau agiter mon mouchoir bleu… Ohé, venez les Amies, je suis là !

Théo : Votre mouchoir bleu ?

Barnabé : Oui, le bleu est la couleur préférée des abeilles.

Théo : Comment le savez-vous ?

Barnabé: Je les guette à chaque printemps… Celle-ci c’est Bellador ! Regarde, elle commence toujours par butiner cette fleur aux pétales bleus. Si tu veux tout savoir sur la vie des abeilles, lis ce livre, Théo !

Théo : «  La vie des abeilles de Maurice Maeterlinck … S’il est certain que les abeilles communiquent entre elles, on ignore si elles le font à la manière des hommes. Ce bourdonnement parfumé de miel, ce frémissement enivré des belles journées d’été, qui est un des plus doux plaisirs de l’éleveur d’abeilles, ce chant de fête du travail qui monte et qui descend tout autour du rucher dans le cristal de l’heure, et qui semble le murmure d’allégresse des fleurs épanouies, l’hymne de leur bonheur, l’écho de leurs odeurs suaves, la voix des oeillets blancs, du thym, des marjolaines, il n’est pas certain qu’elles l’entendent. Elles ont cependant toute une gamme de sons que nous-mêmes discernons et qui va de la félicité profonde à la menace, à la colère, à la détresse…»(*). Il est compliqué votre livre, Barnabé !  Et il ne répond pas à ma question. Pourquoi les abeilles se font de plus en plus rares ?

Barnabé : ça, c’est une affaire d’adultes, Théo !

Théo : Une affaire d’adultes ? Mais je suis grand, moi, maintenant, j’ai sept ans! J’ai le droit de savoir la vérité, toute la vérité !

Barnabé : La vérité, toute la vérité ? La vérité est que l’adulte oublie souvent, qu’il était comme toi, avant, un enfant, qu’il s’émerveillait devant la nature et en prenait soin.

Théo : Comme vous, Barnabé, avec le vers de terre, la poule aux œufs d’or, grand-mère Salade, Panais le dur à cuire, Capucine …

Barnabé : Rassure-toi, Théo, je ne suis pas le seul ! Bien d’autres prennent soin de la Terre et de ses habitants. Ce n’est pas bien compliqué, il suffit d’aimer la vie !

(*) in « La vie des abeilles » de Maurice Maeterlinck, page 45, Fasquelle Editeurs

Noël confiné ?

 

 

Noël aurait-il lieu ? La question était de taille. Il était difficilement imaginable de ne pas se retrouver en famille autour du sapin. Que répondrions-nous aux enfants ? « – Qu’est-ce qu’il a Papa Noël ? Pourquoi ne vient-il pas nous voir ? Il est fâché contre nous ? – C’est que Fiston, Papa Noël, il est confiné en Laponie. – Confiné ? – Oui, comme nous, il ne peut pas sortir. – Il faut délivrer le Père Noël, Papa ! Il est gentil avec nous, il ne nous a jamais fait de mal, il ne nous apporte que des cadeaux ! ». Qui ferait comprendre aux enfants que le Père n’existait pas ? Qu’il n’était qu’une pure invention de Coca Cola pour vendre ses bouteilles ? Noël était lié aux ventes et aux achats. Difficilement imaginable de dire aux commerçants : « Vous ne serez pas ouverts pour les fêtes de Noël ». Nombre d’entre eux faisaient leur plus gros chiffre d’affaires à cette époque de l’année. Heureusement, Superman venait d’arriver avec son vaccin pour sauver la planète ! Il y avait là un beau cadeau à faire pour Noël, offrir un vaccin aux gens qu’on aimait, être débarrassé de ce virus que l’Homme était allé chercher en vendant sur le marché des pangolins. Etre débarrassé de la peur de mourir. Pouvoir de nouveau embrasser, enlacer l’être qu’on chérissait. « – Tu es le vrai Père Noël ? – Oui, puisque je suis là ». Pour la troisième année, je serais le Père Noël de La Baule. Quel bonheur ! A moins que je ne fusse confiné en Laponie. Des Noël, je n’en fêtais guère plus, depuis plusieurs années, du moins plus comme avant. Mes revenus avaient chuté et je n’avais plus l’argent nécessaire pour me déplacer et offrir des cadeaux. Je vivais des Noël plus sobres. J’avais depuis deux années ce bonheur d’offrir de la joie, des sourires, de l’émerveillement aux enfants.

Je quittais mon bonnet, mon écharpe, mes gants, mon manteau, mes bottes, ma longue barbe blanche, je redevenais qui j’étais, longeais la rue, incognito. Les familles étaient à table. Les bougies scintillaient. Je prenais ma voiture. Une bonne heure de route. J’ouvrais ma porte. Je m’endormais avec ces sourires et ces regards émerveillés d’enfants.

Finalement, c’était quoi Noël ? De l’amour ? L’amour d’un parent pour son enfant ? D’un enfant pour son parent ? L’amour de deux êtres ? La tendresse ne se vendait ni ne s’achetait sur le marché du bonheur.

J’avais décidé que chaque jour serait Noël, confiné ou pas.

Thierry Rousse,

Nantes,

11 novembre 2020

Mon Pote Agé ( Episode 6 )

 

Barnabé : Tu peux sortir ce dessin, Théo, il ne va pas te piquer ! L’ortie est ma petite trousse de secours. Qui s’y frotte, s’y soigne ! L’ortie prend bien soin de moi, veille sur mon foie, apaise mes rhumatismes, soigne mes rhumes de foin, entretient ma mémoire.

Théo : L’ortie entretient votre mémoire ? Ça, ça peut être utile, mon Pote Agé !

L’ortie était devenue plus douce aux mains de Théo.

Il y avait aussi l’oseille …

Barnabé : La richesse de mon jardin !  Une bonne soupe d’oseille et on oublie qu’on est pauvre ! Ses feuilles possèdent tellement de vitamines qu’on reste enfant toute sa vie. N’est-ce pas, là, le plus beau des trésors ?

« Rester enfant toute sa vie », cette idée plaisait bien à Théo qui ne pensait qu’à s’amuser, comme son « Pote Agé », Barnabé.

Dans un autre registre, il y avait Panais, « le dur à cuire » !

Barnabé : Panais était au cœur du potage avec Monsieur Chou et Monsieur Navet avant qu’il ne fut remplacé par sa sœur, Mademoiselle Carotte !

Théo : Mais, Barnabé, était-il vraiment si dur à cuire le panais ?

Barnabé : Non, Théo, je l’ai nommé ainsi parce que ses ancêtres venaient de Sibérie, ils résistaient aux plus grands froids de l’hiver.

Théo : C’était vraiment un dur à cuire alors le Panais, comme le topinambour ?

Barnabé : Oui, la fleur de mon amour !

Théo : La fleur de votre amour ?

Barnabé : Oui, regarde, sa fleur, on dirait le soleil ! Pendant la guerre, nous n’avions plus rien à manger, les pommes de terre avaient gelé, et tout était devenu si cher en ville… Il nous restait plus que les topinambours. Leur bon cœur d’artichaut nous a sauvé la vie !

Il y avait aussi la petite amie de Barnabé, Capucine . Il avait composé pour elle une chanson. Fée Clochette était très jalouse de Capucine, mais elle ne disait mot. Elle préférait plonger pour pleurer. Barnabé chantait « Capucine ». Fée Clochette, au fond de l’eau, n’entendait rien.

Capucine,

Toi qui viens de si loin du Pérou

De l’autre côté de l’océan

Ta couleur est celle du soleil

Sur des vagues vertes se couchant

Capucine,

Toi qui viens de si loin du Pérou

De tes pétales, je m’émerveille

Capucine,

Toi qui viens de si loin du Pérou

Dans ton cœur, je puise chaleur

Capucine,

Toi qui viens de si loin du Pérou

De l’autre côté de l’océan

Je pourrais, d’un seul coup, te manger

Mais je préfère… te… re.. .gar … der.

Douceurs automnales

 

Me retirer du monde une journée ? Possible ? Il me suffisait de ne plus écouter ou lire l’actualité et rester blotti dans ma bulle. Vite, j’étais en retard ! Il y avait bien longtemps que je n’avais plus été en retard à un rendez-vous, et, ce matin, ce maudit mot revenait. Je téléphonais pour présenter mes excuses. Je m’étais pourtant organisé. Que s’était-il produit ? J’attendais une minute, deux, bientôt vingt minutes. « Je m’occupe de vous ! ». L’infirmière qui me reçut était de toute gentillesse. Elle me proposait de m’asseoir, me posait des questions sur ma vie, sur ce que je mangeais, sur mes projets et me pesait. J’avais perdu six kilos en deux ans, je passais maintenant sous le seuil de l’obésité. Elle me félicita. « Je vais écouter votre coeur. Désolé, j’ai les mains froides ». Elle m’appliqua des ventouses un peu partout sur mon corps, m’effleurant la main. « Pendant une minute, je ne vous parle plus ». L’infirmière écoutait mon coeur. Que disait mon coeur ? Ses mains étaient froides, et, pourtant je sentais tellement de chaleur humaine, de sincérité et de joie en elle. J’attendais le verdict sur mon coeur. « Je reviens ». Effectivement, l’infirmière est revenue. « Votre coeur bat lentement ». Que devais-je comprendre par ces mots ? Je balbutiais : « Mon coeur bat lentement, ça veut dire… », « que c’est bon signe » me répondait l’infirmière, « vous allez vivre longtemps ». J’allais vivre longtemps, mon coeur prenait son temps, le temps de vivre. L’infirmière me souriait puis m’accompagnait chez la docteure. J’attendais sagement. Tout allait bien. La docteure était également fort sympathique. « Que mangez-vous ? Combien de fois par jour ? ». Je prenais conscience que la nourriture était importante dans la vie. « Je suis ce que je mange ». J’avais arrêté les kebabs. Cela m’avait valu rires et félicitations. « Le coca, aussi ». « Bon, vous avez le droit de vous faire plaisir aussi un peu, quelques fois ». J’avais le droit quelques fois. Deux à trois bières ambrées par semaine, mon petit plaisir. Les merguez dans le couscous, les saucisses, le lard dans la potée auvergnate, je devais oublier. Il me restait les bons légumes et fruits bio et locaux, les oeufs, les sardines , les maquereaux, le poulet, le jambon et le fromage blanc… J’avais honte de pouvoir être malade à l’idée de trop manger ou de ne pas bien manger quand je pensais aux enfants de certains pays qui n’avaient quasiment rien à manger. Honte de manger également des animaux tués dans d’atroces souffrances. « Déshabillez-vous… ». La docteur m’auscultait. « Respirez ! » Tout allait bien. « – Puis-je être testé pour le Covid ? – Ici, on ne fait pas les tests du Covid. Si vous aviez le Covid, vous ne seriez pas ici ». Ma question d’avoir ou de ne pas avoir le Covid ne se posait plus. Je serais testé pour le cholestérol, le diabète, le sida… C’était déjà bien. Je m’estimais heureux. Je revoyais avec plaisir l’infirmière. « Vos veines, c’est le bonheur d’une infirmière ! ». Je n’avais rien senti. L’aiguille était dans ma veine. Mon sang coulait. Je tournais la tête de l’autre côté. « C’est fini ! ». C’était fini, déjà fini. « Que voulez-vous ? » J’avais le choix. Café, chocolat, gâteau, eau pétillante, sandwich « Sobedo »… L’infirmière me servait avec toute sa gentillesse et son joli sourire caché derrière son masque. Je ne voyais que ses yeux. Les sandwich n’avaient rien de la nourriture qui m’avait été conseillée. Je me doutais bien que ni la docteure, ni l’infirmière n’en étaient responsables, comme n’était responsable le personnel hospitalier des repas servis aux malades. Je quittais le centre de bilans médicaux de la CPAM, heureux, heureux de l’écoute, de l’attention, et des encouragements qui m’avaient été portés. « Bonne chance pour votre emploi ! Ne restez pas seul ! ».

Ne pas rester seul à une époque où le Chef de la Santé ne cessait de nous rappeler notre devoir : « Gardez les distances obligatoires ». J’en avais assez de ces distances obligatoires, j’avais besoin d’une main qui prenne la mienne, besoin de serrer une main… Etais-je le seul à éprouver ce besoin ?

Je m’arrêtais à la Fnac au cas où j’aurais pu me procurer le DVD que j’avais repéré juste avant le confinement : « Le goût des merveilles » . L’accès à l’étage des livres, DVD et CD était barré. Cet espace culturel était dès lors prohibé. Je comblais ma frustration en achetant une pizza trois fromages que je mangeais sur les bords de la Loire devant un bateau militaire. Il y avait mieux, certes… Sur le chemin du retour, je fis une halte au Supermarché coopératif bio et local, « Scopéli ». Je remplissais mon panier de fruits, de légumes, de fromage blanc, de riz, semoule, pâtes en vrac et d’oeufs de poules élevées librement en plein air. J’étais ce que je mangeais. Je faisais une croix sur les graisses et le sucre. « N’oubliez pas de marcher une heure par jour ». J’avais oublié. Je passais une grande partie de mes journées, du lundi au samedi, assis à ma table, à rechercher des emplois, à écrire, à travailler mes textes… Ou bien, je me levais pour me laver, ranger, nettoyer, faire la vaisselle… Et marcher ? Il me fallait marcher, être cette France quotidiennement en marche, dynamique, qui réussissait dans la vie.

Et le monde ? J’avais oublié le monde. Qu’avait vécu aujourd’hui le monde ? Comment allaient Trompe et sa partie de golf ? Et Joe, la force tranquille ? Et notre Grand Chef ? Et les petits Chefs ? Et les Lieutenants ? Et les premières lignes ? Et les deuxièmes, les troisièmes, les quatrièmes, les cinquièmes lignes ? Et le virus ? Et le pangolin ? Et… ? Et toi ?

Oserais-je écouter l’actualité , ton actualité ? Sortirais-je de ma bulle ? C’était l’heure de Jazz à Fip. Trompette, je commençais à swinguer, à grimper dans les airs. Le piano s’invitait à la fête. Les notes étaient joyeuses. Tout allait bien. Un camarade me répondait à distance. Deux tournages prévus. Pour mon camarade, tout allait bien. Je craquais. J’allumais BFMTV. Un vaccin pointait son nez. La sortie du confinement était prévu le premier décembre. Tout allait bien. Les rayons « Jouets » seraient ouverts. L’économie marchande repartirait. Il n’y avait plus lieu de nous inquiéter. Le vent avait chassé, d’une déclaration politique, tous les grands nuages noirs.

Je savourais près de ma fenêtre, en cette fin de journée, une douceur automnale, entre sensations d’un vide profond, d’une longue mélancolie et d’une verte espérance.

Thierry Rousse,

Nantes

Mardi 10 novembre 2020.

Mon Pote Agé ( épisode 5 )

Après ce festin, venait l’heure de la sieste. La sieste, c’était sacrée chez Barnabé . Il s’allongeait dans sa brouette, entre l’olivier et la cabane du hérisson. Il s’endormait tranquillement, bercé par le chant des oiseaux. Il ronflait toujours généreusement, quand, ce jour-ci, un mauvais rêve le réveilla.

Barnabé : Fée Clochette ! Fée Clochette !

Théo : Votre Fée Clochette va bien , mon Pote Agé. Vous avez juste fait un cauchemar.

Barnabé : Un cauchemar ? Tu es sûr?

Théo : Oui, votre Fée Clochette se porte à merveille . Buvez cette eau !

Barnabé : Merci, Théo … Fée Clochette ! Mais que fais-tu au fond de ce verre, Fée Clochette ?

Fée Clochette adorait jouer avec l’eau.

Barnabé, amusé, retrouvait doucement ses esprits, ses couleurs, ses pinceaux. Il observait des heures et des heures, auprès de son amie la Fée et de Théo, ses légumes, ses fleurs, ses arbres… Un soir, il avait offert à Théo ses dessins.

Barnabé : Théo, j’ai un cadeau pour toi !

Se trouvaient dans ce carton à dessins tous les légumes du Pote Agé, toutes ces herbes qu’on disait « mauvaises », tous ces légumes, un jour, qu’on avait oubliés…

« Mon Pote Agé », épisode 5

Thierry Rousse