La porte bleue de secours

 

Mardi 28 avril 2020,  Nantes, J-13.

Ce matin du « J-13 », le vent soufflait, soufflait d’une force inconnue. Je n’avais vu que le ciel bleu à ma fenêtre, enfilant mes bretelles, ma culotte, mes sandales, mon béret blanc, blanc, mon béret, face au vent, je marchais, je marchais, je… quand je vis, soudain, au-dessus de mon béret blanc béret, les gros nuages noirs me menacer de leurs regards furieux. Je traversais le pont de coquelicots, insouciant, sous lequel filaient les voitures, de plus en plus nombreuses, vers le nombril de ma ville. « Promis, je n’y suis pour rien, les nuages ! ». Je fis du vent mon allié. Les nuages noirs passaient leur chemin. J’achetais « Le Monde » au Bar-Tabac de Sèvre, le seul qui restait, « Le Monde ».  Le monde, aujourd’hui, avait pris toute la place, la place de « Libération » et de « L’Humanité ». Après une déambulation solitaire, flânant dans les ruelles de Sèvre, loin des vautours, je longeais la rue de l’Olivraie rejoignant, d’un bon pas, mes compagnes, les vaches écossaises. Elles broutaient de bon appétit, mes amies sur leur île verdoyante. Mon ventre se réjouissait pour elles. Il était l’heure. Pour me protéger, le vent me poussait jusqu’à mon doux ermitage. Je recevais là une réponse très courtoise à ma candidature d’Agent des Services Hospitaliers : « J’ai le regret de vous informer que nous ne disposons d’aucun poste vacant correspondant à vos compétences. En effet, vous devez posséder à minima un Brevet d’Etude Professionnel Carrière Sanitaires et Social ou un Brevet d’Etude Professionnel Agricole Services aux Personnes ». L’auteur de ce courrier me souhaitait « bonne chance dans mes recherches ». Je me sentais heureux, tellement heureux qu’une personne ait pris le temps de répondre à ma lettre. J’avais le sentiment d’exister, d’être enfin reconnu des premières lignes que j’admirais. Le vent avait chassé tous ces nuages noirs de mon esprit. Aujourd’hui, le Premier Chef de la Nation parlerait à 15 heures, derrière son pupitre, devant une assemblée de 75 députés représentant 66,99 millions de françaises et français. Nous étions fort bien représentés, les spectateurs de la démocratie. En de pareilles circonstances, nos coeurs étaient écoutés. Le monologue était retransmis en direct sur BFMTV. Pétula en était la rédactrice en chef. Je l’aimais Pétula. Emma, sur son piédestal, était jalouse. Peut-être, m’égarais-je et faisais-je marche arrière. « Un peu trop d’insouciance, et c’est l’épidémie qui repart ; un peu trop de prudence, et c’est la Nation qui s’effondre ». Insouciance, prudence, ciel bleu, nuages noirs, dans quel sens soufflait le vent ? Où marcher, où ne pas marcher, de ce coté-ci, de ce côté-là, pour trouver une réponse à mes insomnies ? Les enfants de moins de trois enfants ne porteraient pas de masque. J’avais envie de sucer mon pouce, retrouver mon enfance, toute mon enfance, une dent de lait qui n’était jamais tombée et faisait l’admiration des jeunes étudiantes en soins dentaires à l’Université du C.H.U. de Nantes. Non, il n’était pas question de me perdre. La Libération pouvait être, à tout moment, remise en question par le Premier Chef de la Nation. Je me taisais et reprenais le fil de ma conversation, cherchant une chute à mes idées. J’en étais à mon 46ème métier étudié : « Chef d’études Environnement, Chargé d’évaluation médico-économique, Chargé de mission, Conducteur accompagnateur de personnes à mobilité réduite, Chargé de programmation de spectacle vivant, Conseiller d’éducation populaire et de jeunesse, Cuisinier en restauration collective, Documentaliste, Epicier, Directeur de salle de spectacle, Conteur ». Conteur ? Conteur ! Conteur… Un mot qui résonnait à cette heure dans un coin de mon cœur…

Jean était conducteur de train bleu. Il l’aimait son train, Jean. Toute sa vie, il aimait transporter les gens, les conduire à leurs destinations, Jean, les gens : La Rochelle, Bordeaux, Toulouse, Perpignan, Marseille, Nice, Gênes, Florence, Florence, terminus ! Jean, il aurait aimé que tous ces gens se parlent dans les wagons, trinquent à la joie d’une rencontre, sortent leurs instruments, leurs balles, dansent et jonglent de leurs désirs, déclament des poèmes et des récits de vie à n’en plus finir, où les rires essuieraient les larmes. Jean avait tout prévu : le wagon Cabaret pour les plus fous, le Wagon Lecture pour les sages, le Wagon Restaurant pour les gourmands, le Wagon Lits pour les amoureux, le Wagon Libre pour les contemplatifs. Jean aimait ses gens. Il aurait pu être passager, Jean, d’un train, mais aucun train ne lui avait ouvert ses richesses, Jean, aucun, il n’avait pas de billet. Alors, il avait ouvert, une nuit, Jean, la porte de la locomotive du Train Bleu stationnée en gare de Nantes, une erreur d’aiguillage sans doute… Jean tenait sa passion d’un train miniature que son papa lui avait offert pour Noël, et de son grand-père, Alfred, cheminot à Lure, un vrai luron, le grand-père de Jean, né en Franche-Comté ! C’est que la Comté en comptait des grands pères conteurs ! Mais, aujourd’hui, lundi 16 mars 2020, le train bleu sur le quai 1 de la gare de Nantes ne partirait pas. Les gens dans les wagons s’étonnaient du retard. Jean, à la tête de sa locomotive, prit l’haut-parleur, et d’un ton triste dit : « Les frontières sont fermées, nous sommes confinés. La Société Nationale des Chemins de Fer Français vous prie de bien vouloir l’excuser ». Les gens restaient, jouaient aux cartes, se parlaient, certains sortaient une trompette, une cymbale, un tambourin, d’autres, un simple bouquin, d’autres s’endormaient sur leurs voisins, d’autres s’embrassaient, tous espéraient, qu’un jour, le train repartirait. Jean était navré pour ses gens, il leur apportait un café, un thé, un sourire. Florence, silencieuse, était au bout des rails, et l’attendait, Jean, impatiente. Jean savait qu’il ne repartirait pas de si tôt, le train bleu. Et un à un, tous les wagons disparaissaient de la gare, et les gens avec, et il ne restait plus que la locomotive d’un Jean hagard. Jean aurait pu partir, sous les étoiles, discrètement, avec sa locomotive, mais « à quoi bon ? ». « A quoi bon, se demandait Jean, partir sans nulle vie conduire que la mienne ? Quel sens donner à mon existence si les gens ne sont plus là avec moi? ». Jean ignorait que Florence l’attendait au terminus. Jean s’ennuyait, seul, sur le quai de la gare, regardant sa locomotive aussi malheureuse que lui. Les herbes poussaient entre les voies. Jean vit dans le brouillard, au bout du quai, une porte, une étrange porte qui lui murmurait dans le creux de ses yeux : « Je suis là, derrière, derrière la porte bleue,  j’attends que tu écrives pour mes longs cheveux noirs des vers nus, que tu me séduises de tes lèvres émues, c’est en forgeant qu’on devient forgeron, Jean ». Jean, sans partenaire de jeu, sans public pour les regarder, ne pouvait plus jouer avec son train miniature. Il lui restait un crayon de bois qui s’offrait à ses doigts fragiles pour charmer le cœur des absents.

Porte (Le Petit Larousse de Poche) : 1- Ouverture pour entrer et sortir : ouvrir, fermer la porte ; porte de secours ; ce qui clôt cette ouverture ; battant : porte de fer ; porte vitrée. 2. Lieu situé à la périphérie d’une ville, correspondant à une ouverture autrefois aménagée dans un mur d’enceinte : porte de Versailles (à Paris). 3- Espace délimité par deux piquets et entre lesquels un skieur doit passer un slalom. Mettre à la porte : renvoyer. Opération, journée porte(s) ouverte(s) : possibilité offerte au public de visiter librement une entreprise, un service public, etc.

Porte (Le Petit Rousse de Poche) : la paupière d’un regard

De frontière, le cœur ne connaissait qu’un désir infini. Ce soir, au bout du fil, la voix charmante d’une aide-soignante m’autorisait à rendre visite à mon Papa. Mardi 5 mai 2020, à 16 heures, à l’Ehpad Beauséjour, le soleil resplendirait.

Thierry Rousse, Nantes, mardi 28 avril 2020.

20ème récit, J- 13 de ConfiNez

Chemins buissonniers d’un lycée confiné

 

Lundi 27 avril 2020,  Nantes, J-14.

Il avait bien plu en ce lundi 27 avril 2020 sur Nantes, un vrai temps de rentrée. Les vacanciers tiraient à leur fin. Les morts étaient au ciel. Demain, à 16 heures sonnantes, le Chef de l’Intérieur, les pieds sur Terre, lui, nous dirait tout et tout sur ce que nous avions toujours rêvé de savoir sans oser le demander, la victorieuse rentrée des classes ! Le Grand Chef avait missionné son Chef de l’Intérieur pour prendre le micro. En effet, lorsqu’il y avait des flèches à annoncer au petit peuple, le Grand Chef envoyait toujours son Chef de l’Intérieur pour cible. Si le discours du Chef de l’Intérieur plaisait au petit peuple, le Grand Chef déclamait: « C’est moi qui l’ai écrit ». Si le discours du Chef de l’Intérieur déplaisait au petit peuple, le Grand Chef reprenait le micro de son Chef de l’Intérieur et rassurait le petit peuple: « Je répudie sur le champ cet imbécile de Chef incompétent de l’Intérieur, et corrige de ce pas les fautes extérieures, Chers Compatriotes, vous pouvez compter sur… etc… ! ».  Le Grand Chef avait toujours raison. Il n’avait pas besoin de finir ses discours et de nous consulter, le Grand Chef, il devinait nos pensées… Discipliné, je continuais à étudier ma liste de métiers pour la victorieuse rentrée des classes, j’en étais au 36ème métier, « Commis de cuisine », après avoir épluché sous ce jour pluvieux : « Animateur de prévention Santé, Animateur du Commerce et de l’Artisanat, Animateur Enfance Jeunesse, Animateur Nature, Animateur Radio, Animateur touristique, Animateur socioculturel, Art-thérapeute, Assistant d’éducation, Assistant de soins en gérontologie, Barman, Bibliothécaire, Brancardier, Chef de projet humanitaire, Commerçant ambulant ». Qui voudrait de mes mots ambulants ? Il suffisait de traverser la rue pour trouver un métier, avait dit le Grand Chef. De l’autre côté de ma rue, il y avait un lycée. Un très grand lycée seul et désert. Etais-je prêt à sauter sa grille ? A écrire sur son tableau noir mes pensées ? Nous avions quatorze jours, quatorze jours pour penser un nouveau monde. Le Grand Chef nous laisserait-il parler ? Notre Grand Chef !

Quels souvenirs avais-je du lycée ? Il s’appelait le lycée Jacques Amyot, un long bloc de béton, une vaste cour de goudron et un petit coin d’herbe pour rompre notre ennui. A l’arrivée du printemps, des fleurs, des oiseaux et du ciel bleu, rester enfermé dans une classe, assis, bien rangé, les uns derrière les autres, était pour mes yeux, mes oreilles et mon âme, un vrai supplice. J’avais besoin de respirer, je n’y comprenais rien à toutes ces équations, toutes ces dissertations, toutes ces expérimentations. Mes plus beaux souvenirs, je les devais à notre professeur de sciences économiques et sociales. Il nous faisait classe sur l’herbe quand venaient les fleurs, les oiseaux et le ciel bleu. Nous étions en cercle à étudier les journaux, à les commenter, à développer notre esprit critique sur l’organisation de la société, comment tout ça faisait que tout ça ne tournait vraiment pas rond dans le monde… Faire classe sur l’herbe lui a valu un rappel à l’ordre, une sanction disciplinaire, à notre bien-aimé professeur de sciences économiques et sociales. Il devait appliquer le programme, mot à mot, comme c’était dicté par les Chefs, pour nous faire rentrer dans les cases bien-pensantes de la société. A 53 ans, je n’avais rien retenu de ces cases et tout compris de ce qu’était la vie : un cercle d’ami-e-s, d’échanges, de réflexion, de partage, de tendresse, de joie, d’amour. Libre, être libre, et créer. Des mots défendus. Apprendre, obéir et marcher, des mots promus au meilleur grade de la société. A la réussite sociale, je préférais les chemins buissonniers, m’enivrer des vers de Verlaine, de Rimbaud, de Baudelaire. Avec mes ami-e-s, nous avions créé une revue de poésie : « L’infini ». Nous espérions un autre monde en ce printemps 1985…

Trente-cinq ans plus tard, ce printemps 2020, le vin était amer. Les gouttes de la mélancolie automnale accompagnaient mes heures à la recherche d’une rime…

« Les sanglots longs*

Des violons… »

Du printemps

«..Blessent mon cœur

D’une langueur

Monotone.

Tout suffocant

Et blême, quand

Sonne l’heure,

Je me souviens

Des jours anciens

Et je pleure ;

Et je m’en vais… »

Et je m’en vais

Au vent meilleur

Qui m’emporte

Deça, delà,

Au-delà des grilles d’un lycée,

Seul et désert,

Tel un colibri

Éteindre l’incendie géant

De la Vie…

 

Buissonnier (Le Petit La Rousse de Poche) : Faire l’école buissonnière : se promener, au lieu d’aller en classe.

Buissonnier (Le Petit Rousse de Poche) : Découvrir la Vie : apprendre à l’aimer, au lieu de l’ignorer.

J’apprenais, chaque matin, qu’un être intime, une amie, un ami me lisait, partageait mes mots au-delà du monde, et les oiseaux chantaient, et le ciel bleu et les fleurs riaient sur le bord de ma fenêtre. Quatorze jours pour penser l’autre monde, un nouveau lycée sur les chemins buissonniers de la liberté…

*Verlaine « Chanson d’automne »

 Thierry Rousse, Nantes, lundi 27 avril 2020.

19ème récit, J- 14 de ConfiNez

L’âne du dimanche

 

Dimanche 26 avril 2020, Nantes, J-15.

Ce dimanche, J-15, je me déconnectais pour un temps de l’actualité, de ses chiffres et réseaux sociaux qui multipliaient leurs défis, m’octroyant une journée de relâche. J’avais décidé, en cette parenthèse dominicale, de me rendre au-delà du port de la Morinière, jusqu’aux prairies verdoyantes. Je n’étais pas le seul, une famille me devançait. Ce chemin était-il autorisé ? Aucune pancarte ne semblait en interdire l’accès. Le soleil cognait généreusement. J’étais sur l’autre rive, longeant la Sèvre. La rive sauvage et humide. J’ignorais où ce parcours me mènerait. Mille pas à travers le ciel. Je me retrouvais à un carrefour : à gauche, la forêt équatoriale, à droite, la famille qui me devançait et venait de s’arrêter devant un enclos. Qu’observaient-ils ? Je ne voyais rien. J’attendais qu’ils poursuivent leur parcours pour m’approcher doucement de l’enclos secret. Je respectais sagement la distance imposée. Un bois sombre, rien qu’un bois sombre, soudain, je le vis. Un âne. L’âne au fond du bois. J’espérais un regard. Viendrait-il, l’âne, l’âne du fond du bois ? Je n’avais point en mes poches de carotte pour l’attirer, qu’un Smartphone apprivoisé. Je ne connaissais guère le langage des ânes. Je patientais religieusement derrière l’enclos. L’âne se retourna et sans hésiter se dirigeait d’un trot assuré vers moi, traçant une belle ligne droite. L’âne semblait ignorait la distance imposée. Il était à un bras de mon corps, je le caressais. Je me sentais en paix, en paix avec cet âne, à l’orée de son bois. Une rencontre inattendue en cette pause dominicale où je me demandais ce que je pourrais bien écrire à ma famille et mes amis ce soir. Ma tête était vide, je l’avais posée dans l’herbe humide, le temps d’un échange fort instructif entre cet âne et mon esprit. Après ce dialogue sentimental, l’âne repartit au fond de son bois, et moi, vers ma tribu civilisée, le port de la Morinière, le pont de Sèvre, les ronds-points, les trottoirs, les passages piétons, les stops, les sens interdits… Les rues, dans ce monde, appartenaient aux automobilistes..

Ce dimanche après-midi, je savourais le temps qui s’étirait, un temps à l’infini, un soleil qui avait décidé de briller et nous appelait à une autre vie. Je téléphonais à mon Papa. Je finissais de lire « Petit éloge de la douceur » de Stéphane Audeguy. Je m’attendais à des mots doux. Je découvrais, page après page, des réflexions érudites, incompréhensibles à mon esprit, une succession de mots égrenés de A à Z, de l’« Age des bonbons » à « Wall (Jeff) » , qui me laissaient avide de simplicité. Je songeais à cet âne et recherchais parmi tous mes petits carnets ces notes griffonnées d’un merveilleux livre que j’avais lu, il y a un an : « Le rythme de l’âne » de Mélanie Delloye.

« Avec un tel animal, on ne vise pas l’exploit, du moins pas le record de vitesse »*

L’âne allait tranquillement mais sûrement jusqu’au bout de son chemin. Endurant, il passait partout, là où les voitures, les charrettes ne pouvaient point passer. Fort, il portait jusqu’au tiers de son poids. Il s’accommodait de ce qu’il trouvait au passage, herbes, feuilles d’arbres, chardons… Sous un soleil de plomb, dans les champs, il tirait l’araire du pauvre paysan. En toute circonstance, l’âne prenait le temps d’observer avant d’agir. Il n’était pas du genre à s’agiter bêtement et à obéir à des ordres stupides. Il savait choisir la bonne direction, peu importe si l’itinéraire était plus long. L’âne économisait ses forces. De ses larges oreilles, il savait écouter le monde, lui parler et l’aimer. L’âne ne jugeait point. Il connaissait notre humeur et devinait nos attentes. Une oreille pointée, l’autre basse, il s’étonnait. Toute sa présence était langage.

« Marcher avec un âne, pour un jour, pour un an, retrouver à ses côtés le paradis perdu comme un voyage en enfance… »*

Cet âne rencontré donnait le rythme à mon dimanche, et, peut-être bien plus, un sens à ma vie… Je me souvenais de cette expérience professionnelle, il y a six ans. Je travaillais auprès de personnes polyhandicapées dans un foyer médicalisé. Chaque journée était rythmée par des scores. « -Combien as-tu fait de toilettes ce matin ? – Moi,  7 – Et toi ? – 9. – Moi, j’en ai fait 12 et j’ai fini 12 minutes avant vous », c’était ce genre de discussions que j’entendais chaque jour. Au milieu de cette équipe de sportifs de haut niveau, je portais le bonnet d’âne. « 4 ou 5 toilettes », je prenais le temps de parler, regarder chaque personne. Ce n’était pas, apparemment, ce qu’on me demandait, du moins, ce n’était pas la priorité. C’était quoi la priorité ? « Le jour d’après  ne serait pas comme le jour d’avant ». Sans doute, il faudrait travailler encore plus vite pour rattraper le retard d’une économie au ralenti. Je n’avais rien compris au monde du Grand Chef et j’étais fier de porter le bonnet d’âne. De l’âne paisible et des Hommes pressés, où se situait l’humanité ?

Ane (Le Petit Larousse de Poche) : 1-Mammifère de la famille des équidés, plus petit que le cheval et à longues oreilles. 2- Homme ignorant, entêté.

Ane (Le Petit Rousse de Poche) : Eternel philosophe.

« Le jour d’après » serait celui qu’on vivrait, sur les pas de notre Ami l’âne, notre ultime guide vers la douceur de vivre…

Thierry Rousse, Nantes, Dimanche 26 avril 2020.

18ème récit, J- 15 de ConfiNez

*« Le rythme de l’âne » de Mélanie Delloye, Editeur Transboréal, collection « petite philosophie du voyage »

Voyage de l’autre côté du pont

J-16. Vue dans ce sens, la chose était plus ambitieuse. Le temps se rétrécissait. Mes quarante jours dans le désert étaient révolus. Je préparais activement la sortie de mon ermitage. Où irais-je ? En cette fin de journée d’un samedi estival ? Je m’autorisais à une courte promenade autour de chez moi. Une des deux filles et ses cinq gars étaient revenus dans l’impasse, avec les bières, les palets nantais, la joie, et de délicieuses odeurs d’une cuisine qui se préparait. Au bout des allées, les enfants jouaient avec leurs parents. Les voisins se causaient. Une grande course était organisée autour d’un splendide pavillon : le petit garçon marchait devant sa maman courant devant son mari pédalant. L’enfant était rattrapé par sa maman qui était rattrapée par son mari et tout le monde riait. Le long d’un charmant sentier, une femme en robe d’été semait ses couleurs. Le confinement avait rapproché les cœurs dans un quartier en fête. La libération était pour bientôt. L’ouverture des  restaurants, on apprendrait la bonne nouvelle fin mai. Le Grand Chef parlerait. Des spectacles, on n’en parlait point. Reprendraient-ils, un jour, les spectacles ? Je m’imaginais, masqué, contant mes petites histoires de jardins aux poissons. Des bulles d’air. Pas un applaudissement. J’envisageais  de jouer Zorro, Fantomas, ou Spiderman. Mes études de métiers se poursuivaient : agriculteur biologique, aide à domicile, aide-soignant, animateur de la prévention des déchets… Les plages seraient propres cet été. Les vacances étaient reportées en septembre pour la saison des vendanges. Je retrouvais mes Guides du Routard enfouis sous une pile d’ « Humanité ». Je les dépoussiérais un à un : Maroc, Italie du Nord, Normandie, Pays de la Loire, Paris, Lorraine, Suisse, Midi-Pyrénées, Ardèche-Drôme tous les deux côte à côte, Banlieues de Paris, Paris de nouveau en plus vieux, Languedoc-Roussillon tout attachés, Espagne-Portugal même combat, Week-ends autour de Paris capitale du monde, Provence, Pays Basque (France-Espagne) deux pays à lui tout seul, Marseille et Raoul, Bretagne Nord les vrais Bretons, Italie du Sud les pauvres, Auvergne, Malte, Barcelone, Alpes, Corse, et tout ce qu’il me restait à découvrir, Berlin, Andalousie, Croatie, Norvège, Suède, Danemark, Colombie…  J’espérais travailler, « en mai, fais ce qu’il te plait ». De voyage, je me contentais d’un pont, le pont de Sèvre.

J’avais rejoint sa berge autorisée durant la matinée. Mille pas à vol d’oiseau. Mes pieds longeaient le quai Léon Sécher jusqu’au Port de la Morinière. Ma tête s’instruisait d’une époque oubliée. C’était au XIXème siècle. La Véro venait de sa cambrousse. Sur sa barque, se laissant glisser par le courant de la Sèvre, luttant contre la marée montante de la Loire, la Véro portait sa farine, son foin et son vin au port de Nantes. La Véro y avait trouvé logis jusqu’au jour où elle ne pouvait plus payer sa chambre mansardée. Monsieur Alphonse avait encore augmenté le loyer. Vivre dans les murs de Nantes devenait chose impossible. Alors, la Véro s’est retrouvée dans les faubourgs. Au Port de la Morinière, elle y pêchait ses poissons, quand, un matin, avec quelques planches, elle construisit une guinguette. Elle chantait et dansait si bien, la Véro, que les bourgeois de la ville affluaient, remontant la Sèvre sur leurs hirondelles à vapeur. Monsieur Alphonse s’y rendait tous les dimanches à la guinguette, il buvait, il jouait à la belotte et pinçait les fesses de la Véro. C’est qu’il en pinçait pour elle, Alphonse, La Véro ! L’avait-il reconnu ? « Embrasse-moi ! Embrasse-moi ! ». Jamais, elle n’a voulu, la Véro, embrasser sa moustache. Monsieur Alphonse était le plus malheureux des hommes. Il pouvait lui promettre tous les voyages du monde, à la Véro, la Véro, ce qu’elle aimait, c’était sa guinguette du Port de la Morinière, chanter et danser, amuser le peuple des ouvriers et des ouvrières, les moins que rien des faubourgs de l’amour. Monsieur Alphonse s’est enfoncé dans son chagrin, regrettant de ne pas être un moins que rien.

Voyage (Le Petit Larousse de Poche) : 1- Fait de se déplacer hors de sa région, de sa ville, ou de son pays : partir en voyage ; voyage d’affaires. 2- Trajet, allée et venue d’un lieu dans un autre : faire de nombreux voyages pour déménager une pièce. Les gens du voyage : les artistes de cirque. Voyage de noces : que l’on fait traditionnellement après le mariage. Voyage organisé : voyage en groupe organisé par une agence.

Voyage (Le Petit Rousse de Poche) : des pensées

Ce soir, j’avais pu parler à mon Papa au bout du fil. Dans sa chambre, toujours enfermé à l’Ehpad Beauséjour, entouré d’un personnel soignant si courageux, mon Papa écrivait pour nous des voyages…

 

Thierry Rousse, Nantes, Samedi 25 avril 2020.

17ème récit, J- 16 de ConfiNez

Quelques notes confinées

 

Jeudi 23 avril 2020, Nantes, 39ème jour de ConfiNez.

Une matinée tranquille, une matinée sourire. Elles me souriaient. Toutes. Presque toutes à la future Ferme du super, super, super, Super U.  J’ignorais pourquoi. Etais-je connu ? L’homme à la casquette blanche, aux bretelles et aux sandales. Etais-je connu, ou, était-ce pour ma tronche, qu’elles souriaient, les femmes qui me croisaient au détour d’une allée ? Etais-je connu, ou était-ce pour les tronches de clowns peints sur mon chariot que les femmes souriaient au détour d’une absence ? Etais-je connu, ou, était-ce pour cette phrase dessinée par une plume légère m’accompagnant , « J’ai décidé d’être heureux, c’est bon pour la santé » que les femmes souriaient au détour d’un nouveau monde ?  Je répondais poliment par un sourire et notais le prix de chaque produit que je glissais dans mon chariot. Ne pas dépasser 53 euros 85. C’était mon défi de la matinée. Les défis, il y en avait tous les jours sur Facebook. Le mien, c’était la Caisse d’Epargne qui me l’avait imposé en situation réelle. « Voici ton défi, petit homme de rien ! ». Étais-je connu de la Caisse d’Epargne ? L’écureuil, seul, me connaissait. Les chasseurs m’ignoraient. Les banques, les chefs, les caméras m’ignoraient. « Vous êtes connu ? Vous êtes connu ?». C’était cette question répétitive que les gens de la Culture me posaient quand je leur parlais de mes spectacles. Et, aussitôt après, ils croyaient bon ajouter : « On ne vous connaît pas ». Il fallait du temps, oui, du temps, oui,  pour se connaître, surtout quand on ne venait pas du même milieu que ces élites qui avaient clôturé les champs de l’imagination à quelques noms d’écoles et titres prestigieux. « Vous êtes connu ? ». Oui, j’étais connu d’un écureuil et de jolis sourires. Dans l’entrée de la future Ferme du Méga Super U, des dessins d’enfants étaient exposés : une maison, un arbre, une fleur. Je glissais sur le tapis roulant de mes pensées champêtres vers la sortie, tels des nuages se chevauchant, éblouissants de sourires. Un champ de liberté. La comédie appartenait à la cité, aux chœurs des oiseaux. Un jour, les élites tomberaient de leurs échelles et les arts vivants renaîtraient. Le déconfinement se préparait à vue de nez. « – Les cotons tiges, les charlottes, les lunettes, les blouses, Adjudant ! – Avec les masques, Grand Chef ! – Où sont les masques ? – Dans le bassin du Pouliguen, Grand Chef, vous m’aviez dit que je pouvais en faire des petits bateaux… – Je plaisantais, Adjudant ! C’est à cause de Raoul le Marseillais qui nous mène en bateau dans son port…– Comment ? – Rien. Débouchez-vous les oreilles, Adjudant, ça vaut mieux. Tenez, un coton-tige ! ». Etais-je prêt à me faire déboucher les oreilles par le Grand Chef ? Il me restait 89 métiers favoris à étudier. Aurais-je le temps ? Aide-cuisinier, crêpier, agent hospitalier, accompagnateur de voyages, fermier, troubadour… ?

Je tirais sa fermeture-éclair. Elle respirait. Si longtemps, je l’avais confinée. Je rêvais d’elle quand j’étais au collège, puis au lycée. Je rêvais de la prendre dans mes bras, m’amuser avec elle. Puis, un soir, vingt ans après, je l’ai vue dans la rue. La veille de la Fête de la Musique. A Fontainebleau. Un coup d’arc en ciel. Elle était seule. Seule et en solde sur le trottoir humide d’une ville royale. « C’est combien ? ». Elle n’avait pas de prix. Je l’ai prise par la main. Elle m’a aussitôt suivi. Elle était belle, douce, élégante. Je m’asseyais sur le bord de mon lit et la serrais fort contre moi. En posant mes doigts sur elle, très vite, je sentis ma douleur. Une question de temps. Le temps que ma chair se durcisse.  La corne des guitaristes. Je rêvais d’une mélodie et c’était une dure réalité qui s’imposait à mes rêves. Gratter ne suffisait point à trouver le bonheur d’une ballade. Il fallait apprendre les accords. Le rythme, on l’avait, ou, on ne l’avait pas, le rythme. Les cours particuliers étaient onéreux et ma corne ne venait point. Je renonçais à ma douleur et l’enfermais pour une période indéterminée au fond de sa housse. Aujourd’hui, ce vendredi 24 avril 2020, jour de la Saint-Fidèle, j’avais décidé de son déconfinement, sans en dire mot au Grand Chef.

Au même moment, pour la première fois, j’entendais sur les réseaux sociaux l’un de mes textes, que j’avais oublié, lu avec tant de douceur par un comédien talentueux. Jean-Luc me ravivait à l’aube de ce souvenir. « La solitude de Genève ». « Je peux accompagner tes mots de mes notes » me murmurait ma guitare. « Je trouverai l’air, t’en fais pas !  ». Respirer, et me lancer.  Je serais connu, je serais le Bob Dylan de mon quartier, et il n’y aurait plus d’élites pour me connaître. « Connais-toi toi-même » restait le plus beau des chemins.

Confiner (Le Petit Larousse de Poche) : Etre très proche de : cet acte confine à la folie. Tenir enfermé dans un espace étroit. Se confiner : 1- s’isoler, se retirer. 2 – Se limiter à : se confiner dans une activité

Confiner (Le Petit Rousse de Poche) : Tenir à l’abri un joyau qui aspire à la Vie

Quelques notes confinées,

quelques notes oubliées,

quelques notes retrouvées

au soir d’une ballade promise.

 

Thierry Rousse, Nantes, Jeudi 24 avril 2020.

16ème récit, 40ème Jour de ConfiNez

Aux bistrots des p’tits bonheurs

 

Jeudi 23 avril 2020, Nantes, 39ème jour de ConfiNez .

Le soleil pointait son nez à ma fenêtre, et semblait, de nouveau, s’installer sur un mois d’avril d’été. Le prix du baril chutait et c’était la panique à Dallas. Moins 37 dollars ! GR, pour les vieux qui l’ont connu comme moi, était vert.  Les Rois du Pétrole continuaient à extraire l’or noir, 88 millions de barils par jour. Les tankers étaient pleins. L’or noir se répandrait, un jour, dans les champs de maïs, aux alentours des raffineries. Des rivières bleutées coloreraient la mer. L’économie mondiale semblait définitivement à l’arrêt. « Enfin, moins de voitures, de camions sur les routes ! », les abeilles respiraient. « Coupe ton robinet, Mustafa ! – J’peux pas, GR, il est grippé ! ». Le robinet de Mustafa était grippé depuis que l’or noir coulait à flots et polluait le ciel. Bientôt, nous serions dans une bulle, confinés dans une sphère planétaire, mais les Rois du Pétrole et les GR s’en foutaient. Seul le cours du baril comptait ! L’économie mondiale reposait sur cet or noir qui tuerait, un beau matin, nos enfants d’asphyxie. Les scientifiques nous avait alerté, le réchauffement planétaire deviendrait irréversible, la courbe des victimes exponentielle. Ce Docteur de Wuhan avait alerté l’Ordre Mondial de la Santé. Il en était mort. Enfin, le Grand Chef chinois l’écoutait, il était bientôt trop tard. Le corps était raide. La pandémie s’était répandue. Covid-19, Or noir et « au revoir ! ».  Comme chaque matinée, je partais me promener. Une heure autorisée. J’avais délaissé Beautour, les vautours bleus tournaient trop autour de mes sandales, je ne pouvais plus faire un pas sans les voir. Je prenais l’autre direction : le bourg de Sèvre. J’aimais me perdre dans ses ruelles de pavés, ses maisons fleuries, encastrées les unes aux autres, un coin secret de Nantes, si coloré et paisible, un air de Provence dont je tairais l’emplacement pour ne pas attirer les vautours. Je souriais. Pour la première fois, au Bar-Tabac de Sèvre, je voyais « L’Humanité » ! « – Vous vendez « L’Humanité » ? – Ca m’arrive… », Me répondit le Buraliste qui ne portait ni masque, ni gants. Un intrépide, un baroudeur, un de ces gars qui ne se laissait pas déborder derrière son comptoir, le Buraliste de Sèvre. Ca lui arrivait de vendre « L’Humanité », au gré du livreur. Aujourd’hui était une journée d’ « Humanité ». L’humanité était imprévisible. Je regardais les vaches avant de rentrer. Je les avais retrouvées dans un autre pré au bord de la route, les Ecossaises. Les Nantaises, je ne les voyais plus. Les Ecossaises étaient plus robustes que les Nantaises. Le prix du baril avait chuté, et ma Caisse d’Epargne m’annonçait par Sms qu’il ne restait plus 53 euros 85 à 7h10 sur mon compte. Il avait fallu que je débourse 141 euros pour la carte grise d’une voiture qui restait confinée, bien rangée dans son garage. Les voitures, je les préférais en miniature, les voitures, prendre le train, réfléchir à demain, observer les fleurs défiler, lire, écrire, dormir… Pourtant, il fallait bien une voiture pour aller travailler. Tant de lignes de chemin de fer avait disparu de nos campagnes, des gares, abandonnées aux ronces, des chefs de gare délaissés à leurs déboires. A tout moment, un Chef de l’Emploi pouvait m’appeler pour une mission incertaine. Je devais me tenir prêt, « Garde à vous », posséder une voiture comme tout le monde, et polluer l’atmosphère. J’en étais rendu à mon 99ème métier favori. Ma liste était belle, de l’écrivain au crêpier, j’étudiais, en détails, chaque métier. Le 11 mai 2020, c’était bientôt trop tôt pour être libéré. «- Je peux avoir un sursis, Grand Chef ? – Voyez ça avec mon Adjudant, petit ! – Il est où, Grand Chef, votre Adjudant ? – Au Pouliguen, il joue aux petits bateaux dans un bassin ». Je ne comprenais rien, plus rien, plus rien à tout ce monde. Il fallait maintenant choisir : mourir du Covid-19 ou mourir du Tabac ? On vous soignerait du Tabac qui vous guérissait du Covid-19 afin que vous puissiez mourir du Covid-19 et non du Tabac.  C’était l’heure de rentrer. Je ne fumais pas de toute façon, et le Séquoia avait chassé de mes poumons  cet inconnu. Un papa jouait au ballon avec ses enfants sur la place d’Emma. Dans mon impasse, il n’y avait plus de fille, plus de gars, plus de palet nantais, plus de bière. Il n’y avait plus que moi qui rentrais dans le bistrot de mes souvenirs et de mes livres. Je songeais aux bistrots des p’tits bonheurs.

Je les aimais, ces bistrots des p’tits bonheurs, où, autour d’un p’tit jaune, on refaisait le monde à Nanterre avec mon Camarade Boris. J’en découvrirais bien d’autres à Nantes qui me tendaient leurs mains : le Live Bar où je venais écouter mon amie chanteuse Dandy Rock au cœur d’or, Djôrdj, « C’est pas du toc ! »; Le Café Rouge Mécanique, où Burny et ToTTi  se livraient à un étonnant « Strip-Tiz » devant la foule ébahie des Amuse-Gueule ; Le Temps des Copains où je m’enivrais des chansons de Bourvil magnifiquement interprétées par l’accordéoniste Marcovitch. Ah, ces bistrots aux p’tits bonheurs, il y en avait partout qui enchantaient mon cœur et mon ventre, de ces saucissons pendus qui me faisaient de l’œil, de cette belle Brune de Bouffay qui m’offrait sa coupe, à travers les rues, les places d’une ville si festive et si jeune, savourer une plancha au Coup du Lapin, fourrer mon nez au Coup Fourré, rêver de p’tits Lu au Lieu Unique, ramer à La Grande Barge où Laetitia Velma, de ses touches délicates, nous emportait sur son piano planant, caresser Le Chat Noir, l’ami fidèle du Collectif des Artistes pour le Climat, redemander de l’harissa à la jolie serveuse berbère du Couscoussier, trinquer avec Jacky à notre compagnie au Delirium Café, construire le monde de demain avec Le Colibri au Baroudour, combien de p’tits bistrots pour rire, danser, s’émerveiller, jouer, écouter, partager, se régaler, tailler une bavette, « Que deviens-tu l’Ami ? » ; rêver qu’un jour, avec Emma, au Chants d’Avril, j’irais manger. Des p’tits bistrots aux p’tits bonheurs, des verres, des épaules qui se cognaient, des pensées qui trinquaient, des mains qui s’enlaçaient, des yeux qui s’aimaient, des bouches qui se délectaient des saveurs d’Orient, Nantes, la ville de tous les ports, de toutes les mers, de la Bretagne à l’éléphant, Nantes et ses p’tits bonheurs, Nanterre et sa parade, Paname et son quartier Latin… Je me souvenais d’un autre bistrot, au cœur de La Goutte d’Or, la « Maison du Partage » de l’Armée du Salut, venaient y manger les solitaires de la vie, les pèlerins du trottoir, les perdus de l’amour, tantôt je les servais, tantôt je faisais la plonge, le verbe était haut, l’ambiance, chaleureuse. J’aimais ces p’tits bistrots du bonheur, de la promiscuité, remplis de vie, ces restaurants où on se sentait en famille, « Chez Ma », « Chez Gladines », de Dammarie-Les-Lys à la Butte aux Cailles, il n’y avait qu’un pas. Ces p’tits bonheurs n’attendaient que nous pour revivre. Avec tristesse, je compterais les places vides…

Bistrot (Le Petit Larousse de Poche) : Débit de boissons, de café

Bistrot (Le Petit Rousse de Poche) : Débit de demi-mots partagés

 

J’écoutais Idir, « Deux rives, un rêve », je trinquais, nez à nez, avec mon Clown ivre de souvenirs. Une brasserie à Paris avec mon frère Pascal, Delphine et Julie. Dernières escapades avant la guerre.

 

Thierry Rousse, Nantes, Jeudi 23 avril 2020.

15ème récit, 39ème Jour de ConfiNez

Un Bon Cadeau

 

Mercredi 22 avril 2020. Frère Soleil était revenu à Nantes. Mon corps s’étirait doucement de sa couette et tendait l’oreille aux « Grandes Figures du Jazz Manouche ». Les doigts des grands coeurs nomades se promenaient allègrement sur leurs cordes vibrantes. Mes oreilles se souvenaient de ces notes échangées, à l’ombre des feuilles de l’Île du Berceau,  Samois-Sur-Seine, ce bon vieux port, enjambant le pont des désirs. Hier, j’avais écouté sur BFMTV les annonces publicitaires. Pétula y avait mis sa plume. Ah, Pélula, comme j’aurais aimé qu’elle écrive pour mes doigts, Pétula ! La belle Pétula ! La Pétula, la Chargée de communication du Grand Chef, pour celles et ceux qui n’avaient pas lu les épisodes précédents, deux fois « Hou ! Hou !». « Nous faisons tout pour vous rapprocher » avait annoncé Orange, « tout pour vous offrir les meilleurs des réseaux ». J’étais chez SFR, galère. Le Chef Cinq Etoiles de la Restauration gastronomique prenait le micro, lui aussi. La « QuarantAime » consolait la quarantaine : « La France est à l’arrêt, le souvenir des sorties en famille ou entre amis semble déjà loin. Les moments de partage se vivent aujourd’hui derrière nos écrans. Et si cette première sortie se prévoyait aujourd’hui ? Avec #quarantAIME, anticipons le déconfinement en s’offrant ou en offrant aux gens que l’on aime un bon cadeau pour un dîner, un massage ou un week-end. #quarantAIME c’est distribuer un peu d’amour à ses proches et c’est soutenir les acteurs du tourisme et de la gastronomie qui ont besoin de nous plus que jamais pour faire face à cette situation unique ». Quelle bonne idée, il avait eu le Chef Cinq étoiles de la Restauration gastronomique ! Anticiper le déconfinement, offrir aux gens qu’on aimait un bon cadeau, un dîner, un massage, un week-end en amoureux, un portrait de famille, un spectacle, un livre, que savais-je, une promenade dans la nature, un baiser, un « je t’aime », tant pis pour ceux qu’on n’aimait pas, ils n’avaient qu’à nous aimer, les méchants. Je soutiendrais la Tour de Pise avec mon Bon Cadeau, un voyage à Venise. La Venise verte.  « Un tour de barque dans les marais poitevins en mangeant des mogettes », c’était mon Bon Cadeau. 250 lits de réanimation venaient d’être libérés. « Sortez de chez vous, les autres malades, montrez-vous, on vous attend pour vous soigner ! ». Les premières lignes ne chômaient pas, je les admirais et culpabilisais d’écouter à cette heure les Grandes Figures du Jazz Manouche. Elles méritaient une année de vacances, les premières lignes, les deuxièmes lignes aussi, et j’irais travailler, où, je ne savais pas encore, les festivals étaient annulés, mais j’irais travailler. J’étais passé au « Pass’Avenir ». J’avais vu, ce matin, ma formatrice à la télé, euh non, en vidéoconférence, je m’y perdais dans les écrans. Elle était belle, ma formatrice. Elle ne portait pas de masque, ma formatrice. La distance obligatoire était respectée, deux écrans d’ordinateurs entre nos yeux. La maîtresse nous expliquait les règles de ce nouveau jeu. Impatients, avides élèves, nous pénétrions dans le fabuleux labyrinthe du « Pass’Avenir ». J’explorais les traits de ma personnalité, ma famille d’intérêts, mes aptitudes, mes inaptitudes, mes profils professionnels, de face, de dos, d’en bas et d’en haut, mes conditions de travail, une mezzanine avec vue sur des bébés escargots et leur maman sur la vitre de ma fenêtre donnant sur une fleur donnant sur des bambous donnant sur un olivier donnant sur… le jardin dont je rêvais, le jardin de la maison dont, bientôt, je serais mis dehors. Dehors, éclairé par la Lune, je marcherais, je marcherais un pied derrière l’autre. Je ne pouvais toujours pas rendre visite à mon Papa. « Les masques, Adjudant ? – Lesquels, Grand Chef ? ». Duchesse Johanna de Nantes avait parlé. J’aimais quand elle parlait, notre Duchesse. Je plaisantais, car, au fond, je l’aimais, Johanna.  Elle parlait bien : « Mon objectif est que chaque Nantaise et chaque Nantais puisse bénéficier d’un masque lavable et réutilisable au moment du déconfinement ». De belles idées rayonnaient, et tout le monde s’activait à coudre des masques. La solidarité n’était pas qu’un vain mot sur le fronton de la République nantaise. Bientôt, j’achèterais une machine à coudre. « Liberté, égalité, solidarité ! ». Je savais ce que j’offrirais à mes amis pour Noël… « – Un masque, comme c’est original, il ne fallait pas, c’est trop gentil ! – C’est une bonne surprise, n’est-ce pas ? Tu es heureuse ? – Si tu savais !… ». Raoul de Marseille tenait un autre discours, Raoul, le  papa cool, le yéyé aux cheveux longs qui en avait, dans le panier, des idées ! « Raoul, tu tires ou tu pointes ? ». Raoul, on l’aimait bien, c’était devenu notre pote, Raoul, le mec intelligent de la Capitale bleue, de la bouillabaisse, des olives et du pastis, Raoul ! « Le virus est saisonnier ». Enfin, il y avait de grandes chances… La Libération était prévue le 11 mai 2020. « Les masques, Grand Chef, je les ai ! – Plus besoin, Adjudant, Raoul a parlé ! – J’en fais quoi, des masques, Grand Chef ? – Des petits bateaux, Adjudant ! ». Raoul était cool, grâce à lui, nous étions sauvés. Il ne restait plus que lui, le Papa Noël, confiné dans sa bulle. Un dicton disait : « Papa Noël confiné dans sa bulle, plus de cadeaux à Noël, c’est nul ! ».

Le Papa Noël confiné dans sa bulle, il y avait longtemps, que je l’avais acheté, le Papa Noël confiné dans sa bulle, c’était le cadeau que je m’étais offert pour le 24 décembre 2019, moi, le Papa Noël du Noël Magique de La Baule-Escoublac qui avait offert tant de sourires aux enfants, moi, le Papa Noël de l’océan, le plus gâté et gâteux des Papa Noël ! « – Tu es le vrai ? – Oui, je suis le vrai puisque tu me vois ! ». Le Papa Noël confiné dans sa bulle, l’autre, la miniature, avait rejoint mon Musée de Souvenirs, devant une jolie carte postale de Conques. « Conques, un jour, je t’emmènerai, Papa Noël ! Nous prendrons le chemin de Compostelle ! Nous sauterons les barbelés, sourirons aux taureaux, traverserons le Plateau des Mille vaches, laisserons les pâquerettes en paix, danserons un air écossais et glisserons sur Conques ! – Terminus, tout le monde descend ! ». Conques, le Moyen-Agé, niché au creux d’un vallon, au milieu d’arbres millénaires ! Conques, sa vallée de l’Ouche, ses toits de lauzes, son séchoir à châtaignes, sa porte de Fer donnant sur les prés pour le mendiant qui avait la clé ; Conques, ses fontaines en cascade désaltérant les pieds des pèlerins, lumineux d’ampoules ; Conques, son Four à pain, ses miches généreuses ; Conques, son Oratoire de la Capelette où se cacher pour une amourette ; Conques, sa Chapelle Saint-Roch, son Château d’Humières ; Conques, son Hostel Dadon des douleurs où l’on y entassait tout ce que le monde avait d’impotents et d’incurables ; Conques, son couvent de sœurs et son joyau impénétrable ; Conques, Trésor paré d’or, de pierres précieuses, de camées et d’intailles, on apprendrait au croyant, dans son Abbatiale Sainte-Foy,  à se déposséder de ses richesses, faire vœu de pauvreté ; Conques, tout ce que le Moyen-Age avait de sublime, je l’aimais pour sa rivière, ses forêts, ses toits de Lauze, ses fontaines et mes songes. J’y serais saltimbanque, boulanger, tailleur, drapier, cordonnier pour réparer mes sandales. Conques, je l’avais découvert avec une bande de pèlerins hirsutes, d’un autre temps. Nous étions partis, sans rien, que nos sandales et nos pieds, rêvant d’un autre monde. Conques, j’y étais revenu avec mon Frère Sébastien des Bagattelli, poète au grand cœur, qui donnait voix à la Cigale, au Corbeau et au Chat ! Du Haut du Moyen-Age, de l’autre côté des murailles, nous jouions Les Fables de La Fontaine pour les pèlerins exténués. Nos plus beaux spectateurs étaient ces enfants et ces êtres qu’on dit éclopés de la vie, les « handicapés ». Les sourires étaient nos récompenses, des éclats de lumière dans nos chapeaux troués pour laisser passer leurs soleils.

19h30, le Chef de la Santé allait parler sur BFMTV. La lèpre avait disparu de nos enceintes. Le solde était négatif. Je buvais des olives et mangeais un pastis en pensant à Raoul. Mes gestes de barrière devenaient automatiques. J’aimais mes Frères et mes Sœurs. L’Ecosse dansait dans mon cœur. J’avais un Bon Cadeau, quelques mots de ma main, des volutes de pensées entre nous.

Cadeau (Le Petit Larousse de Poche) : Objet offert pour faire plaisir ; présent.

Cadeau (Le Petit Rousse de Poche) : Ton sourire.

Ce soir, j’ouvrais mon Bon Cadeau, c’était Vous…

 

Thierry Rousse, Nantes, Mercredi 22 avril 2020.

14ème récit, 38ème Jour de ConfiNez

Un emploi pour demain ?

Mardi 21 avril 2020. Temps ni ensoleillé, ni pluvieux. Un drap de nuages pour me couvrir. 20 000 morts… La barre avait été atteinte, hier soir, en France. Qui croirait qu’on atteindrait cette barre le vendredi 13 mars 2020 ? Les vendredi 13 portaient malheur, disait-on. Je n’aimais pas la superstition, tous ces horoscopes, et celles et ceux qui nous prédisaient l’avenir. Nous étions sur un plateau, un plateau élevé certes, mais un plateau. C’était un Chef qui l’avait dit, je ne savais plus quel Chef, il y avait tellement de Chefs, ces temps-ci, qui prenaient le micro. Était-ce le Massif central ? Le Massif armoricain n’était plus bien haut. Je ne connaissais guère d’autres Massifs. Le Massif alpin ? Il manquait de rondeurs. Le Massif central correspondait bien à la situation actuelle. Y-avait-t-il des morts dans le Cantal, en Auvergne, dans l’Aveyron, en Corrèze ? Je l’ignorais. Il y avait eu de la neige en Corrèze ces derniers temps. Depuis, du Lilas, et des contes qui se racontaient. Je l’avais appris de source sûre, une amie correspondante en Corrèze. Non, pas de Fake News, un joli jardin, des arbres et la mélodie des notes de la vie sur les cordes d’une guitare. Les combats avaient principalement lieu dans l’Est, les Hauts de France, l’Ile de France et Marseille. A Nantes, j’étais épargné. Les Bretons défendaient leur terre. La Duchesse Anne veillait à ne pas laisser entrer l’ennemi dans sa forteresse. 20 000 morts, 20 000 lieux sous les mers. Il fallait positiver. Dire le nombre de rescapés, dire le nombre de vivants. « Ma maman est morte. – Oui, mon enfant, mais il y a 37 188 patients guéris ! – Ma maman est morte. – Oui, oui, mon enfant, mais il y a 37 189 patients guéris ! – Ma maman est morte… ». L’enfant pleurait, on n’entendait pas ses pleurs. 20 265 lieux sous les mers, à 18h24, ce mardi 21 avril 2020. Les gens avaient besoin de rire pour s’en sortir sans sortir. Chaque nuit, vers 3 heures du matin, mon cerveau me réveillait. Je pensais aux mortx. Ma minute de silence durait une heure, parfois deux, parfois trois. Je ne parvenais plus à trouver le sommeil, me retournant d’un côté et de l’autre de mon fil, et finissant, allongé sur le dos, les yeux au ciel, les mains croisées. Je pensais aux morts, je pensais à cet enfant, je pensais à sa maman, je pensais aux anges. Que pensaient les anges de toute cette tragédie ? Était-elle bien écrite ? Bien mise en scène ? Un chœur de 171 152 voix dans le ciel du monde s’élevait. J’écoutais ce requiem dans le silence de la nuit. Mozart avaient composé ces notes pour ces cœurs qui pleuraient, une mélodie pour l’enfant et sa maman séparés. Et les autres morts ? Le Chef de la Santé n’en parlait point, des autres morts. Avaient-elles disparu ? Plus de cancer, plus de Sida, plus de crise cardiaque, plus d’accident vasculo-cérébral, plus de grippe, plus de carambolage sur la route, plus de femme tuée sous la main folle de son époux ? Le Covid-19 avait supprimé toutes les autres morts pour s’attirer à lui les honneurs. A la Une, Pétula savait communiquer. Le ring nous offrait deux héros : Covid-19 et les Grands Chefs de l’Humanité qui s’affrontaient en final de la Coupe du Monde. « Le Monde », impossible de le trouver dans les trois Tabac-Presse de mon territoire de circulation autorisée. A croire qu’il avait disparu, le monde… Connaîtrais-je les résultats, les vrais, je veux dire, pas les officiels ? Mes récits seraient-ils bientôt censurés par la Cour Suprême de la Santé ? Il n’y avait plus de mort en Chine, plus aucune mort, les Chinois étaient devenus éternels et sauvaient un monde en péril. Des guerres, du chaos, des ruines, il y avait toujours à s’enrichir. Mes mots étaient décousus comme des éclats de bombes au milieu de mes phrases. Le Covid-19 atteignait maintenant mon cerveau. Il me fallait retrouver le lit au risque de vous perdre. Combien il y avait de morts chaque jour ? Combien d’insomnies chaque nuit ? Combien de voix pour les morts et les vivants ? Combien de larmes pour l’enfant et sa maman ?

« Quel est le comportement du virus dans l’eau de mer ? » s’interrogeait le Chef du Tourisme. « Le tourisme est notre priorité nationale » avait déclaré un des Chefs, je ne savais plus lequel, je m’y perdais dans les Chefs entre deux verres de blanc. « C’est le moment de redécouvrir notre France, son patrimoine ! ». Je redécouvrais le Requiem de Mozart. « Les joyaux du Patrimoine ! », renchérissait le Chef du Tourisme.  Une larme brillait dans le crépuscule de l’enfant. Une étoile. « Maman ! ». Il fallait penser au rebond du tourisme, demain, serait différent, on apprendrait à jouer aux cartes dans sa caravane. Nous penserions au repos de nos âmes et corps perdus. « La France doit demeurer sur la première place du Podium ». Le Chef du Tourisme avait bien parlé, nous étions sauvés, nous partirions en vacances cet été. Pour les mariages, il faudrait attendre d’ôter son masque. J’attendrais sagement Cendrillon. La patience était la délicatesse de l’Amour. Je buvais avec tendresse les larmes du ciel. Au coeur de la pensée positive, j’avais envie, cette fois-ci, de pleurer, mais les vagues ténébreuses ne venaient point. L’océan était calme comme le ciel, souffrant en silence, des mots tués, d’un devoir de sourire pour exister. Je ne me marierais point cette année. La planche sous le bras, la surfeuse attendait la seconde vague. « Les masques, les tests, les avions, Adjudant ? – Avec les « Tracking », Grand Chef ! – Nous sommes sauvés, Alléluia ! »- L’Assemblée du dimanche voterait pour les « Tracking ». Les « Tracking », un mot Viking pour désigner les applications 5G, points G ultimes des désirs technologiques, tout maîtriser de la vie. Une application à télécharger sur mon Smartphone, et je saurais tout de la femme que j’ai croisée, sa température, son origine, son domicile, son caractère, si elle préfère les coquillettes ou les spaghettis, si elle est plutôt béton ou herbes folles,  si elle est plutôt caniche ou vache écossaise, si elle est plutôt, contaminée, libertine, fidèle ou libre. Garantie assurée pour un mariage réussi ! Les Grands Chefs de l’Humanité étaient ingénieux. Ils concoctaient dans leur cuisine le monde de demain.

Je venais de recevoir aujourd’hui les résultats de mes tests Schein et Riasec, des tests scientifiques pour dire qui j’étais, quel emploi je ferais demain. Les résultats étaient bons, plutôt bons, plutôt… J’avais juste une note en dessous de  la moyenne : « réaliste ». Je n’étais pas réaliste. Je vivais sans doute dans une autre réalité. Laquelle ? Le Grand Chef me remettrait dans le droit chemin. « Tracking, le monde de demain ! La réalité virtuelle de tous les plaisirs ! ». Nous ne fréquenterions plus les gens contaminés, pris en charge par le B.S.U. (Brigade Sanitaire d’Urgence pour les lectrices et les lecteurs qui n’avaient suivi mes épisodes précédents. Hou ! ). Nous serions sains et heureux. Je savais que je ne pouvais pas entrer dans la case, mes rêves prenaient trop de place. Je me contenterais d’un arrosoir, je sèmerais des fleurs, le long des trottoirs, pour que l’enfant respire. Des fleurs pour les âmes envolées, un sourire pour les anges. L’enfant prendrait soin de son coquelicot chaque matin, chaque soir, chaque nuit en contemplant son étoile. Des Super U naîtraient des fermes, où sur son vélo, l’enfant viendrait chercher des carottes, des choux, des radis et du bonheur. Nantes serait la plus belle ville de toutes les villes, et toutes les villes de tous les pays du monde, jalouses, de la joie de ses habitants, sèmeraient à tour de mains du bonheur tout le temps. Discret, désertant la réalité, je serais le semeur de pétales, à sandales, parcourant les chemins d’une vie retrouvée avec mon enfant.

Emploi (Le petit Larousse de Poche) : 1- Usage qu’on fait d’une chose : l’emploi de son argent, de son temps. 2- Travail salarié, fonction, place : chercher, obtenir un emploi ; emploi lucratif. 3- Genre de rôle joué par un acteur : avoir la tête de l’emploi. Emploi du temps : distribution des occupations dans la journée, la semaine.

Emploi (Le petit Rousse de Poche) : Ce qui me relie à Toi.

Demain est aujourd’hui.

 

Thierry Rousse, Nantes, Mardi 21 avril 2020.

13ème récit, 37ème Jour de ConfiNez

Une fleur sur un mur

Lundi 20 avril 2020. Un soleil en larmes se levait sur Nantes. Le Chef de l’Intérieur avait parlé, ce dimanche, alors que je dansais les bras en l’air avec Emma, était-ce bien raisonnable, tout ça ? Je n’avais rien entendu, j’ignorais qu’il prendrait le micro, le Chef de l’Intérieur. «  Le micro ! Était-il bien amplifié, le micro? – Le micro, Adjudant ! » . C’était une surprise, le micro ? « Une bonne ? ». Le Chef de l’Intérieur aimait nous prendre par surprise. Un solo de près de deux heures. On savait. On savait tout, enfin. Le jour d’après ne serait pas comme le jour d’avant, décidément pas, on le savait déjà. Ce qu’on ne savait pas arriverait, le Chef de l’Intérieur l’avait dit. L’ennemi n’avait pas été vaincu. Un pacte d’occupation serait signé le 11 mai 2020. Dépistage rapide et massif. Toute personne reconnue, abritant chez elle, clandestinement, l’ennemi, serait arrêtée et aurait à choisir devant la Cour suprême son destin : retourner auprès de son épouse ou de son époux, de toute manière auprès de ses enfants et les contaminer, tous, tous ses enfants, ou, être mise à l’écart de la société, dans un hôtel particulier. « Isolement volontaire ». La journée, la victime jouerait aux échecs en attendant son score. Gagné ! Perdu ! Echec et mat. Elle reviendrait ou ne reviendrait pas de ses vacances prolongées sur la Côte d’usure, très mauvais jeu de mots, ce n’était pas drôle. L’enjeu était sérieux. Rien qui n’existait pour la soigner que la chance de survivre. Il faudrait apprendre à vivre avec l’ennemi, apprendre à lui sourire, à s’en faire un allié pour le conquérir. Port du masque obligatoire dans tous les transports. Un kit explicatif nous dirait tout sur la façon élégante d’enfiler son ustensile et d’appliquer les gestes barrières. Kung Fu Panda était démodé. Distanciation, sourcils froncés, « Toi, tu m’approches pas, tu baves pas sur mon ustensile, compris ? ». Les amants de Vérone attendraient pour se rouler une galoche, elle à son balcon, lui, dans son palace cinq étoiles. « Vous reprendrez bien un petit masque ?… Et, en dessert, une bouffée d’oxygène ? ». Lavage des mains toutes les dix minutes. Une peau lisse et transparente, si douce qu’il était défendu de la caresser. Les enfants voyous des cités iraient s’enfermer sous les bancs pour qu’on leur réapprenne à parler. Pendant ce temps utile à la Nation, le Pôle Sécurité enverrait leurs abrutis de parents trimer. « Fainéants, qu’avez-vous fait durant tout ce temps ? Allez coudre des masques contre l’ennemi qui vous guette ! ». Les chômeurs auraient bientôt les yeux ridés. Ils mangeraient leur poire avec des baguettes et tout irait bien. Deux années, peut-être, à vivre avec l’ennemi. Une bonne éducation pour le peuple français ! La France en Marche aurait rassemblé tous les Partis en un seul, plus besoin d’élection. Rien de tel qu’un retour à Versailles, le Roi Soleil protégerait ses sujets de l’Ennemi mondial numéro un. « Il y en aura un deuxième, Chef ? – Si vous n’êtes pas sage, Adjudant ! ».

Je prenais de l’avance en marche sur ce lundi pluvieux. Mes yeux se sentaient dorlotés. Mes mains apprenaient à vivre avec leur ennemi. Mon coeur choisissait son hôtel. Une pension familiale face à la mer, près du Croisic. J’aurais plein d’amis. « A qui le tour ?… Une partie de billard ? ». Mon corps se reposerait de ses mots déversés sur des carnets roses. Je le promènerais le long des rochers, mon corps. Il verrait les mouettes, les bulles de savon et les mâts des marins solitaires crier au milieu des vagues déferlantes : « Ho hé ! Ho hé ! –  Désolé les moussaillons, je suis confiné dans mon corps. – Vous avez fumé ? – Non, pris de l’oxygène à l’hôtel ! ». « Il faut que tu respires… » chantait, dans l’écume du temps, une sirène.

Je me souvenais d’un temps lointain. Un ciel bleu. Sur le chemin de Beautour, j’avais vu cette fleur sur un mur. Comment avait-elle pu pousser là ? De quoi se nourrissait-elle ? Où trouvait-elle la terre ? L’eau ? Drôle de position, la tête en bas… Elle devait se sentir bien seule, là, cette fleur sur ce mur. Elle cherchait à grandir. Pousser les parois de ce mur, peut-être ? Peine perdue, une caméra la surveillait nuit et jour. J’aurais aimé lui écrire des poèmes. J’avais perdu ma plume depuis 2013. Quand retrouverais-je les rimes, du séquoia grimperais-je à sa cime ? La nature se résumait en un mur, une fleur au milieu de ce mur. Les mots m’étaient comptés. Mes carnets roses se rétrécissaient. La fleur grandissait. Je pourrais un jour partager ses pétales, vous les offrir, vous, chacun des pavés de mon impasse, une nouvelle fleur, lasse du béton, naîtrait. L’Amie était là dans notre cœur, invisible, discrète, silencieuse comme un souffle d’air. « Tu renaîtras de l’écume de la mer ». Je cherchais un mât pour lui tendre mon amour. « Bois, l’Amie, l’eau est fraîche et pure. Je t’inventerai une terre légère, parfumée comme des grains de semoule. Du désert de ce mur, tu en seras Reine, Fleur de mon cœur, jardin clos de mon âme. Dans les fissures du mur, je glisserai mes mains pour te rejoindre. Tu es si belle, belle de courage à vouloir vivre ici, à persévérer dans ce que tu sais être le véritable jour d’après ». Je reposais mes mots. Je regardais une fleur sur un mur. Bientôt, on pourrait se rendre dans les Ehpad, regarder nos parents, regarder nos parents derrière des vitres, regarder, c’est tout… Le Chef de l’Intérieur l’avait dit : « On dit beaucoup de mots avec les yeux ». Le Chef de l’Intérieur devenait poète à ses heures perdues, Christophe, du ciel, lui avait insufflé ses mots bleus qu’on dit avec les yeux. Christophe, mort dans les tranchées du silence, un 17 avril 2020. 19 heures, l’heure du Chef de la Santé ! Le Chef de la Santé annoncerait sur BFMTV le nombre de morts, de cas déclarés, de cas sauvés, des Hôpitaux, des Ehpad… A la maison, à l’hôtel, on ne comptait pas. Existait-il un Chef de l’Extérieur ?

Mur (Le petit Larousse de Poche) : 1- Ouvrage de maçonnerie ou d’une autre matière pour enclore un espace, constituer les côtés ou les divisions d’un bâtiment, etc. 2 FIG. Ce qui constitue un obstacle : se heurter à un mur ; un mur d’incompréhension. FAM. Aller dans le mur : courir à l’échec, au désastre. Etre au pied du mur : face à ses responsabilités. FAM Faire le mur : sortir sans permission. Mur du son : ensemble de phénomènes aérodynamiques se produisant à la vitesse voisine du son. Murs : Limites d’une ville, d’un immeuble ; lieu circonscrit par ces limites.

Mur : (Le petit Rousse de Poche) : En sable pour les fleurs.

Le Chef de la Santé n’avait pas parlé, on ne comptait plus. Je venais de rendre mon test Schein, « Ancrages de carrière ». C’était à 19h30 qu’il parlait, maintenant, sur BFMTV, le Chef de la Santé. Il avait résumé son discours, le Chef de la Santé : « Vaccinez vos enfants ! ». J’écrivais en conclusion de mon test Schein « Ancrages de carrière » : « Dans les grandes lignes, je souhaite trouver un emploi ou des emplois qui me permettent de m’assurer une sécurité, une stabilité tout en m’épanouissant dans des activités au service des autres. Je ne souhaite pas être dirigeant. J’aime créer, tout en étant salarié d’une structure, et en faisant partie d’une équipe dans un esprit chaleureux, coopératif. A l’esprit de compétitivité, je préfère l’esprit de coopération ». Je décrochais l’ancre. Ma barque voguait sur les flots de mes pensées, j’avais une Amie, une fleur sur un mur, et, peut-être, demain, un emploi, peut-être…

Thierry Rousse, Nantes, Lundi 20 avril 2020.

12ème récit, 36ème Jour de ConfiNez

De nos retrouvailles, Emma…

Dimanche 19 avril 2020, Fête de la Sainte-Emma. L’été d’avril était fini. Il pleuvait sur Nantes. Pour combien de temps ? Combien de jours et de nuits, il pleuvrait sur Nantes ? Nul ne le savait. Personne ne savait rien du temps. Le temps était nouveau. Le Covid-19 était nouveau. Nous étions nouveaux. Les frontières étaient fermées. Personne ne savait quand elles ouvriraient, les frontières. Personne ne savait rien à rien. « J’ai perdu le clef, Chef ! ». Tout le monde cherchait la clé. Je dégivrais mon réfrigérateur. Je faisais le ménage, sous mon lit, dans les recoins, entre mon placard et le réfrigérateur, la poussière revenait toujours. Etrange poussière. Je ne la voyais jamais tomber, la poussière. D’où venait-elle, la poussière ? « La clé, Adjudant ! – Je la cherche, Chef ! ». Toujours. Toujours rien. Toujours rien à l’horizon. Les frontières étaient fermées pour de bon. Les bananes bio de la République dominicaine avaient creusé un tunnel sous l’océan atlantique pour venir jusqu’au super, super, super, super, Super U ! La Manche pouvait se rhabiller. Les frontières étaient toujours fermées et ma maison était propre. Emma venait aujourd’hui. Je l’avais invitée, Emma. C’était dimanche, Emma.

J’allumais un feu dans ma cheminée avec des boîtes de camembert et des bûches mouillées, ramassées cet hiver, qui avaient eu le temps, paisiblement, de sécher. Je dressais la jolie nappe provençale et ses champs de lavande. Ces champs de lavande avaient réuni un samedi 4 janvier 2020 les cigales de la légendaire troupe « Les Bigoudis dans l’Aspirine ». « Les Bigoudis dans l’Aspirine » avaient écumé tous les vignobles, toutes les caves, toutes les mers, toutes les scènes ouvertes d’un mètre sur un mètre, tous les pavés de la rue, tous les chapiteaux d’un ciel entier confiné, avec leurs accordéon, violoncelle, balles de jonglage, manches à balai et désirs de vivre.  Ils avaient pointé leur nez rouge au début de l’année, Az, Bubulle, Sanssoucis, Burny, ToTTi, d’illustres clowns inconnus des poncifs du Nez blanc. Pourtant, ils en possédaient, chacun, un, un nez, un bonnet. Dans les champs de lavande, ils rêvaient d’une guinguette ambulante pour transporter leurs rêves, ces clowns vagabonds perdus dans le monde, « c’est comment qu’on sort ? ». L’heure approchait et mon cœur palpitait, enfin le feu prenait. « La clé, Adjudant ! – Je la cherche, Chef ! ». Je la cherchais, elle était sur la porte, la clé. J’enfilais mes sabots et allais accueillir Emma au bout de mon impasse. D’habitude, deux filles et cinq gars jouaient dans l’impasse au palet nantais en buvant des bières. Les bouteilles vides s’accumulaient comme des tours de Pise. Leur jeune chien s’inventait un bowling extraordinaire. Mais, aujourd’hui, il pleuvait, et il n’y avait pas de palet, pas de chien, pas de fille, pas de gars ni de bière. Je me souvenais de mes vingt ans. A cette époque je pouvais boire de la bière sans être enceinte. C’était la belle époque, l’époque de la pétanque et de la « Kronembourg », un air du Luxembourg. « Hé, pourquoi il y a deux cochonnets, Marcelle ?… – Tu tires ou tu pointes, René ? ». Personne ne savait rien à rien, ici non plus, pourquoi il y avait deux cochets, s’il fallait tirer ou pointer, qu’importe, aujourd’hui, Emma venait. Je l’avais invitée, Emma. C’était dimanche, qu’importe s’il pleuvait, s’il y avait deux cochets, qu’on ne savait point s’il fallait tirer ou pointer, et par, où on sortirait. « La clé ? Elle est où la clé, Adjudant ? – Je la cherche, Chef ! ». Je l’avais, la clé, dans le creux de ma main.  Emma souriait. Sept ans que je ne l’avais pas vue, Emma. « Tu n’as pas changé, tu sais ? – Toi, non plus. Entre ! – Alors, c’est là où tu habites ? – Oui. – C’est joli, ces pierres, on se croirait en Provence… ». La nappe, je remerciais, la nappe. La nappe, les pierres et nous étions en Provence. Qu’importe la pluie de Nantes ! « Tu as fait un feu ? – Oui. – C’est gentil ! – Assieds-toi, Emma ! ». Emma me prenait dans ses bras, Emma me serrait si fort contre son cœur, je l’entendais chanter. Emma riait. « Tu es là, c’est bien toi ! – Toi aussi, sous mon toit, c’est bien toi ! ». Peu à peu, mes vers, certes, maladroits, confus, revenaient sur le bout de mes lèvres. « Un pastis ? … Glaçons lisses !». Comme d’habitude, les délicieuses olives vertes  bio de Grèce accompagnaient le traditionnel pastis de Marseille. Des braises ravivées nous réchauffaient le cœur. « Qu’as-tu fait pendant tout ce temps ? – J’ai pensé à toi. – Et, ça, c’est quoi ? – Des tas. Des tas de livres. Je les trie. Par catégorie – C’est intéressant… – Les romans, le théâtre, la psychologie, le conte, la poésie, les récits de vie, la philosophie, l’histoire, le patrimoine, les voyages… – Et, tu t’en sors ? – Euh… Les voyages, je ne sais pas où les ranger, les voyages, dans les romans, le théâtre, la psychologie, le conte, la poésie, les récits de vie, la philosophie, l’histoire, le patrimoine ? Je ne sais pas pour les voyages, quelle catégorie pour les voyages… – Les voyages n’ont peut-être pas de catégorie, les voyages,  ils sont partout, les voyages, dans les plus grands comme les plus petits espaces, les voyages, sans frontière,  invisibles aux yeux, les voyages. – Je n’y avais pas pensé, Emma. Tu n’as pas changé. Tu continues d’éclairer mon esprit comme une luciole infinie ». Le tri des livres par catégorie était un travail minutieux qui exigeait la plus extrême concentration. D’abord, je devais dépoussiérer chaque livre. « Et tu les as lus ? – Pas tous ». Certains attendaient leur heure, patiemment. Je triais les livres lus et les livres non lus dans chaque catégorie. Puis, dans chaque catégorie, je triais les livres par auteur. Puis, dans chaque catégorie d’auteur, je triais les livres par taille, puis par nombre de pages, puis par nombre de mots, puis… J’avais commencé ce travail depuis le premier jour du confinement. J’appréhendais le 11 mai, le jour de notre Libération. « Chef, je peux avoir une prolongation ? – La clé, où est la Clé ? – Je l’ai, Chef ! – Donnez-moi la clé, on verra pour le 11 mai… ». Tout était incertain, mes catégories, aussi. Je servais le plat à Emma. Des moules ! Je savais qu’Emma aimait les moules. J’avais oublié les frites, les fameuses frites belges une fois, Emma ne m’en voulait pas, Emma riait, Emma se sentait bien, je crois, chez moi, au coin du feu. Je débouchais le vin blanc bio en faisant mes exercices d’articulation, un « Lucia, vino de la tierra de Castilla ». Emma avait raison pour les voyages, les voyages appartenaient à aucune catégorie et à toutes les catégories en même temps. Je voyageais avec Emma dans un pays toujours inconnu.

Le dessert, j’avais préparé le dessert de mon enfance : bananes écrasées ! Bananes bio de la Républicaine dominicaine, parvenues sous le tunnel de l’Atlantique,  écrasées et mélangées au sucre complet de canne « Origine Pérou, ce que j’aime, ce que je défends, un changement économique d’ampleur. Avec le commerce équitable, la coopérative a transformé profondément l’économie paysanne de la Sierra de Piura du Pérou. Les producteurs ont pu améliorer leurs conditions de vie et surtout investir dans un avenir meilleur. » Emma et moi investissions dans un avenir meilleur, qu’importait la pluie de Nantes, le feu venait de rejaillir de ses cendres, de hautes flammes vives, le soleil brillait dans nos cœurs. « De la musique, Emma ? ». Emma aimait la musique, toutes sortes de musiques, des plus célestes aux plus sensuelles. Je choisissais «Un samedi soir à Beyrouth » de Bernard Lavilliers, bien que nous étions dimanche,  la Saint-Parfait était hier. «On en sort comment ? »… Je n’avais peut-être pas choisi le bon disque quand jaillit enfin des flots la chanson « Maria Bonita » ! Emma se leva, moi, aussi, et ivres de joie, nous dansions tous les deux, les bras au ciel. Je ne savais pas danser, mais qu’importe, étant donné l’incertitude de la météo et des temps confinés, je ne regardais plus mes pieds. Emma était là et tout était dit. De Nantes à Marseille, de La Joliette au Salvador, j’étais le marin solitaire dans les bras de ma sirène, « rescapé des typhons », sur une île perdue, confinée de plaisirs exquis, « Maria Bonita… C’est des histoires que raconte aux escales un marin en cavale… ». Le feu embrasait nos yeux et nous rêvions d’être confinés pour la vie sur notre mètre carré d’Amour et de rythmes, « Maria Bonita » aux vents d’ailleurs, le carré était devenu cercle…

Emma venait de s’en aller et je faisais la vaisselle en pensant à ses cheveux, à ses yeux, à son sourire, à l’éclat de son sourire, Emma. Emma était partie, la musique était finie. Je remontais dans ma mezzanine écouter « L’An Demain » des Têtes Raides. La pluie redoublait de tristesse, des larmes d’océan sans tunnel. « Ode à la nuit… Ode à Marie… Des bouquets de rires et de pleurs… On refera le monde… ». La Terre était noyée. Un nouveau livre m’ouvrait ses pages : « Petite éloge de la douceur » de Stéphane Audeguy, un livre appartenant à ma catégorie de livres non lus hors catégorie. « Une vie ne vaut que par ses rencontres, que par les forces multiples qui les parcourent, par toutes les puissances de joie, de création, de plaisir qui l’animent ». Je fermais les yeux et m’endormis sur l’oreiller doux du souvenir d’Emma, son corps virevoltant au milieu des gouttes de lumière, vers un lointain sommeil, une heure d’éternité sous une pluie salvatrice. « L’Humanité des Débats » me réveilla doucement : « Vacances et crises sanitaires : la délicate équation ».  Il était 17h30, l’heure d’écrire mon trente quatrième récit de ConfiNez.

Retrouvailles (Le Petit Larousse de Poche) : « Fait de retrouver des personnes dont on était séparées ».

Retrouvailles (Le Petit Rousse de Poche) : « A la Terre et au Ciel ! »

Ce matin, j’avais pu parler à mon Papa. Il regardait la messe, enfermé dans sa chambre, à l’Ehpad Beauséjour. Il priait pour nous. Emma venait de rejoindre le piédestal qu’on lui avait construit au milieu de la place. Il était 20h05, ce dimanche 19 avril 2020, Fête de la Sainte Emma, il pleuvait sur Nantes et un ciel bleu habitait mon cœur…

Thierry Rousse, Nantes, dimanche 19 avril 2020.

11ème récit, 35ème Jour de ConfiNez