J’ai découvert le clown en m’inscrivant à un atelier hebdomadaire dirigé par Jean-Luc Mordret ( Passage Clowns) à Vaux-le-Pénil, près de Melun, il y a plus de 10 ans maintenant!
Ce que j’appréciais dans son approche, c’est qu’il nous accueillait tels que nous étions et dans l’état que nous étions lorsque nous arrivions à l’atelier: heureux, enthousiastes, fatigués, épuisés moralement ou physiquement, tristes…
Il y avait quelque chose de profondément humain, de sincèrement « vrai », « unique », « original ».
Le fait d’être accueilli tel que j’étais et dans l’état que j’étais, déjà, me procurait un sentiment de bien-être.
Tout devenait matière pour le clown.
Au fil des exercices, des jeux, je repartais de l’atelier rempli d’énergie positive, avec cette envie de pouvoir transmettre ce que j’avais reçu.
J’avais le sentiment d’appartenir à un groupe profondément humain, fraternel, authentique.
Nous étions chacun différents, uniques, et nous nous enrichissions de nos différences. Je pense toujours à mes amis clowns comme Boris et à Sécotine qui nous a quitté, un jour, pour rejoindre le ciel. Atteinte d’une leucémie, Sécotine était revenue jouer avec nous et nous avait offert un solo de toute beauté, sur un rond de lumière qui la suivait…
Jean-Luc nous incitait à découvrir d’autres approches du clown, d’autres transmetteurs, car le clown, comme le conte, est un art qui se transmet.
Ainsi j’ai participé à des stages dirigés par Agathe Poirier, à Pontault-Combault ( Poussières de vie, poussières de rires) où nous expérimentions les lâchers de clown à travers la ville.
Le clown a une existence propre, où qu’il soit, et pas seulement sur une scène, je dirais, surtout pas seulement sur une scène, là où il est et avec ce qu’il rencontre: un trottoir, une fleur, un passage piéton, un passant, un chien, une fontaine… Le clown découvre, observe, touche, explore, est à l’écoute de ce qu’il ressent, et comme un enfant, s’amuse de tout. La vie devient un grand jeu, un formidable jeu ! Cela me fait penser à ce film qui m’a beaucoup ému: « La vie est belle » de Roberto Benigni. Je vous invite à le voir.
Je me suis également rendu à Epinal pour participer à un stage dirigé par Philippe et Christel Rousseaux ( Cie Nez à Nez). J’y rencontré l’exigence, le travail…
Souvent, j’entendais répéter: il faut du temps, beaucoup de temps avant d’être clown…
Le temps peut-être d’une grossesse, une grossesse qui prendrait plus de temps que prévu?
J’ai même flirté avec le clown traditionnel en devenant Pépito, apprenant des numéros dans un cirque traditionnel et les jouant chaque soir durant un été entre Antibes et Ramatuelle. J’y ai appris à monter, démonter un chapiteau, des gradins, faire la publicité dans les camping, vivre dans une caravane… Clown polyvalent! Avant d’être clown, le clown était un garçon de pistes, il paraissait derrière les chevaux pour ramasser leurs crottes. Un jour, il se prit, un coup de sabot, fit une pirouette, et cela fit rire tout le public. Le clown était né, le clown était nez!
Par la suite, je découvrais la pléthore de formations Clown qui existaient par-ci et par-là et continuent à ce jour de se multiplier. Alors, tout devenait compliqué dans ma tête, tout était si intellectualisé quand je lisais les intitulés et les programmes pédagogiques… Comme un besoin de parler et de parler d’un sujet qui nous est, au fond, inconnu, qu’on ne maîtrise pas vraiment, dont on ne peut faire le tour, qui nous échappe quand on veut le saisir.
C’est bien là, ce qui me plait dans le clown, cet art de la liberté , de juste m’enfuir là où on voudrait me ranger dans une case, un programme, un diplôme. Je n’ai pas encore compris comment on pouvait délivrer un diplôme de clown, tel que cela est énoncé dans le cursus du Samovar, cette école de référence dans le milieu du clown. Est-ce par humour que ce diplôme a été créé?
Il y a les clowns, les diplômés, et les pas clowns, les non-diplômés.
Reproduire cette société de castes que justement les clowns font exploser, n’est-ce pas paradoxal?
Dans une époque, et, surtout la nôtre aujourd’hui en France, où il faut savoir un tas de choses, être hyper-compétent et obtenir des résultats probants pour pouvoir exercer tel travail et espérer le garder, un travail qui sera régulièrement contrôlé et évalué, d’ailleurs, un travail souvent payé au Smic, ce qui me fait bien rire, ce qui me plait dans le clown, c’est que l’art du clown propose tout le contraire: vider ma tête, la poser à côté de moi, laisser là tout ce que je crois savoir, être, savoir-faire, laisser là tout mon paraître, et être, être vraiment qui je suis, ici et maintenant.
Les personnes simples, naïves, spontanées, celles qu’on dit handicapées, fragilisées par la vie, cabossées, les personnes entières, authentiques, c’est peut-être bien ces personnes qui me touchent.
Seul l’être qui a les mains vides est en capacité de recevoir.
Je dirais que le clown est l’art d’être profondément soi-même, un être de désir.
Etre tout simplement, et, désirer.
Vivre, pleinement et profondément, l’instant présent.
Creuser et creuser encore!
Le clown se nourrit de tout, et, surtout de ses fragilités, de ses failles, de ses bides, de ses imperfections.
Puis il s’en amuse, oui, surtout plus il s’en amuse, plus il en rit, il en pleure, il en fait tout un monde, un imaginaire, un voyage étonnant.
Tout est possible pour le clown. Le clown n’a pas de limites, et les règles qui lui sont fixées sont précisément ce qui lui permet d’en jouer, de s’en amuser.
Toute règle est un jeu pour le clown car le clown voit bien au-delà. Il a sans doute un sens qui échappe au monde de la raison. Serait-il un visionnaire?
Dans une société où on nous demande constamment d’être performants, le clown répond par: soyez vous-mêmes! Lâchez cette pression qu’on veut vous imposer ou que vous vous imposez vous-mêmes!
Mettez votre nez, laissez-le vous guider et tout ira bien, tout ira mieux!
Certes, le clown peut déranger, car on a bien du mal à le ranger dans une case, comme un ressort, il rebondit à chaque fois de la boîte à musique où on voudrait le ranger, il échappe à toutes les institutions qui voudraient l’enfermer, le canaliser, l’éduquer. Et, paradoxalement, le clown attire, fascine… Pourquoi? Est-ce que je rêve d’être aussi libre que lui?
A ces multiples stages qui m’étaient proposés, faute de revenus suffisants, j’ai choisi d’apprendre en jouant.
Jean-Luc Mordre organisaient des scènes ouvertes au café de la médiathèque de Melun, L’Astrolabe… Que d’excellents moments ai-je pu y vivre avec mes partenaires de jeu et le public, orchestré par notre fameux Monsieur Loyal Jean-Luc!
Aller là où ça me faisait peur, découvrir des territoires inconnus, en moi et à l’extérieur de moi, Jean-Luc m’y encourageait.
Je n’ai de limites que celles que je m’impose.
Et le bide? Qu’importe? C’est le domaine de prédilection du clown! Le clown se nourrit du bide.
C’est cet élan qui m’a amené à partir jouer en 2010 au festival d’Avignon, dans la rue, dans le off du off, soutenu par Jean-Luc, mes ami-e-s clown-e-s et Alexis, mon pote du collège, qui m’avait dit: Si ToTTI (le nom de clown que je m’étais trouvé, rassemblant les premières lettres du prénom de mon chien et de moi) va à Avignon, je le suis!
De cette aventure, Alexis m’avait offert un livre composé des photos qu’il avait prises de ToTTi, en toute discrétion, sans que je le sache…
Faute de moyens financiers, me retrouvant en pleine campagne, sans voiture, je ne pouvais plus me rendre à l’atelier hebdomadaire, ni participer à des stages.
Le clown m’a manqué, j’ai traversé un désert, il était là en moi, j’avais envie de le retrouver, quelque chose m’y empêchait, quoi?
Je changeais de région, quittant la Seine-et-Marne pour la Vendée puis pour Nantes.
Retrouver Jean-Luc en Vendée fut l’heureuse occasion de m’y remettre.
Nous avons rejoué « Strip Tiz » lors d’une fête à Brétignolles-sur-mer et à Nantes sous un chapiteau au « Cabaret des loups » , un festival organisé par les Barons Perchés. J’ai pensé à Sécotine qui jouait avec nous ce trio, du temps de « Passage Clowns ».
Christophe, un ami, souhaitait que je l’aide à monter son solo. Je lui répondis à l’époque: je ne m’en sens pas capable, mais jouer avec toi, je veux bien. C’est ainsi qu’était né « Les BatOclowns », un théâtre clownesque sans parole. L’occasion de nous retrouver face à un public en le jouant un été sur le Remblai des Sables d’Olonne.
Etait-ce vraiment du clown?
Peut-être du théâtre?
Suis-je vraiment clown?
Au fond, je l’ignorais.
C’est quoi être clown?
Toujours cette question qui revenait: être ou ne pas être?
Cette question me fait rire au fond et est en soi déjà un sujet de spectacle: Suis-je clown?
Je rencontrais Yann Terrien à Nantes le temps d’un court atelier de 3 heures, « comment créer son solo », puis Claudia Nottale, séduit par son approche sensorielle du clown.
Ce fut l’amorce d’un duo avec Jacky Allonville sur le thème: « Seul, on va plus vite, à deux, on va plus loin. » Plus vite ou plus loin?
Le début également d’une nouvelle aventure avec mes amis de rencontres, Julie, Christophe, Déborah…, « Le K Barré des Klowns », sous la direction artistique de Jean-Luc Mordret.
De là à songer à animer un atelier « Découvrir son clown », j’en étais loin. C’est Déborah qui me le proposa, pour les habitant-e-s de son village.
Et, ce sera ce dimanche 12 janvier, un stage organisé par l’association Acante !
Transmettre ce qui m’a été transmis, le plus précieux, comme un trésor, un nez?
Jean-Luc nous disait:
Savez-vous pourquoi le clown a un nez rouge?
A force de se prendre des portes, son nez est devenu tout rouge!
Un nez, ce plus petit masque au monde, qui me révèle, pleinement à moi-même, l’infinitude de qui je suis…
Thierry Rousse, Nantes, le 8 janvier 2020.