Un nid
Un nid sur mon chemin
Mon être voit ce nid
Mon être tend les mains vers ce nid
Mon être ramasse ce nid
Mon être prend ce nid entre ses mains
Mon être embrasse ce nid dans le creux de ses mains
Qu’il est doux ce nid
Qu’il sent bon ce nid
Ce nid aux brindilles si parfaitement entrelacées
Si parfaitement
Parfaitement
D’où a-t-il pu bien chuter ce nid si parfait
Se demandent mes lèvres
Naturellement d’un arbre
Naturellement
Mais
Mais de quel arbre, a-t-il pu chuter ce nid si parfait
Mes yeux regardent vers le ciel
Mes yeux regardent tout autour de leur être vers le ciel infini
Aucune cime
Aucune branche
Aucun tronc
Qu’une plaine
Une vaste plaine déserte
Nue
Vide
Solitaire
Et, si silencieuse ma plaine
Ma tête pense soudain aux oiseaux
A tous les oiseaux
A tous ces innombrables oiseaux migrateurs, et plus particulièrement aux oiseaux migrateurs de mon nid, de mon nid, là, dans le creux de mes mains à cette heure
Ma tête s’interroge.
Où vont-ils se poser mes oiseaux
Elle s’écrie
Où
Ma tête
Où vont-ils se retrouver mes oiseaux
Où
Et leurs petits
Où
Ma tête, sans leur nid, pour se nourrir, ma tête, où
Et grandir
Ma tête s’entretient avec mon coeur
Que faire quand tu n’as plus de maison où naître, grandir et mourir
C’est impensable
Se déclare impuissante ma raison
J’ai besoin d’une maison pour être, murmure mon coeur endormi
C’est alors qu’un mot s’échappe de ma tête et s’élance
Réfléchissons à une solution, à la solution
Tout mon être réfléchit
Tout mon être se réfléchit dans ses questions
Toutes mes pensées songent à mes oiseaux
Mes pensées regardent mon nid
Mes pensées imaginent qu’ils doivent le chercher depuis longtemps maintenant leur nid mes oiseaux, peut-être des jours, peut-être des nuits, mes oiseaux, peut-être
Mes oiseaux migrateurs
Ma raison tranche solennelle
Rendons ce nid à son arbre pour le rendre à ses oiseaux
Une solution est là
Nous avons trouvé la solution
S’exclame ma raison
Oui, mais à quel arbre rendre ce nid
A quel arbre est ce nid d’oiseaux migrateurs
Mon coeur se souvient, en un fragment d’éclair, de cet arbre, l’arbre au carrefour des cinq chemins de nos vies comme on l’appelait, le repère des éclaireurs, le repère des marcheurs, le repère, tout simplement, des amis pour la vie.
Comment retrouver cet arbre, ce carrefour, cette vie, mon arbre enfoui au fond de ma mémoire vertigineuse
Mes pieds marchent
Mes pieds marchent en direction de l’est
Là où le soleil se lève
Et mes yeux ne le voient pas
Et mes yeux ne le voient plus
Mes yeux marchent avec leur nid dans le creux de mes mains et mon coeur ne retrouve plus son arbre
C’était pourtant le plus haut de la forêt mon arbre
C’était pourtant le plus visible mon arbre
Il se voyait de très loin aux alentours mon arbre, de très loin, de très très loin aux alentours, mon arbre
Le chemin semble interminable pour mon corps épuisé
Les ampoules de mes pieds marchent et marchent avec leur nid dans le creux de mes yeux mi-clos
Mes oreilles entendent mes oiseaux chanter
Ils chantent si juste mes oiseaux
Un chant venu de l’océan
Des vagues de l’océan infini, leur chant
Mais savent-ils au-moins qu’ils n’ont plus de nid où naître, grandir et mourir, mes oiseaux, puisqu’il est là, leur nid, dans le creux de mes mains errantes
Mon espoir aperçoit à l’horizon sur mon chemin une barrière, une barrière sur mon chemin
Quelle est cette barrière ?
Il n’y a jamais eu de barrière ici sur ce chemin
Mon espoir s’en approche
Le sang afflue dans mes veines
Que se passe-t-il
Pourquoi mon coeur palpite
Pourquoi cette barrière en travers de mon chemin
Mon corps est maintenant face à ma barrière, mon nid entre mes mains
Il brille un soleil caniculaire
Mes mains transpirent
Mes yeux sont aveuglés par les rayons de mon soleil se reflétant sur la pancarte métallique blanche accrochée à ma barrière
Ma main droite porte mon nid, et ma main gauche protège mes yeux des rayons de mon soleil, parfaitement
Parfaitement
Ma raison lit ce qui est écrit, des lettres rouges peintes sur ma pancarte blanche :
“Interdit d’entrer
Zone dangereuse
Si vous pénétrez dans cette zone, tout accident est à vos risques et périls, vous êtes prévenu”
Prévenu, voici ma raison prévenue
Mes lettres rouges avertissent ma tête
Quelle décision prendre maintenant
Franchir ou ne pas franchir ma barrière
Elle n’est pas si infranchissable que cela ma barrière et je pourrais bien l’escalader et passer au-dessus sans trop me faire de mal, à peine une égratignure au genou, à peine.
Non, ce n’est pas cette barrière ridicule qui empêchera mon corps de poursuivre son chemin
Non, c’est bien plus, ce sont ces mots, oui, ces mots écrits en lettres rouges, oui, ces mots que ma tête a appris à lire, à comprendre? qui empêchent à mon corps de poursuivre son chemin
Qui a pu écrire ces mots
Qui a pu penser ces mots avant de les écrire
Et dans quelle intention
Et quelle réalité peut affirmer de telles pensées
Mes yeux ont besoin de connaitre la vérité, toute la vérité, savoir si ces mots sont justifiés ou ne sont qu’un obstacle à ma liberté d’avancer
Mon corps est devant ma barrière avec mon nid qui commence à se fondre, se confondre avec mes mains fragiles, et là, dans une brisure de seconde, c’est toute mon adolescence qui grandit sur une ligne de mes yeux
Je me souviens de ces dimanche où, seul, je parcourais la forêt
Je grimpais des barrières bien plus hautes que celle-ci pour pénétrer dans la zone interdite, la zone militaire, haute sécurité
Il y avait cette curiosité qui me poussait, et, en même temps, cette peur au ventre qui me tiraillait. Avec émerveillement, je découvrais ce fabuleux camp d’entrainement, un vrai terrain de jeux pour adolescents, avec ces cabanes en bois, ces tas de sable, ces fossés creusés, ces tyroliennes, ces rails, ces wagons, ces tours, ces barbelés, ces cartouches vides répandues, ces restes de bûches calcinées, ces morceaux de briques cassées, ces boites de conserves brûlées, cet opinel, et, et, cet harmonica, cet harmonica
Avec ces marionnettes improvisées, mon imagination fabriquait des aventures extraordinaires
Elle voyait des camarades soldats se rassemblant pour manger, boire, chanter, se raconter leurs souvenirs de guerre, se montrer leurs blessures, à celui qui aurait la plus belle cicatrice, et cetera, et cetera
Ce paysage était tout simplement formidable, il valait tous les parcs d’attraction du monde et il était gratuit, entièrement gratuit, offert généreusement par l’humanité depuis des siècles et des siècles
Puis, quand tombaient les étoiles, mon imagination devait sauter la barrière pour rejoindre, de l’autre côté, la réalité
Elle ne pensait qu’à une chose, une unique chose, mon imagination, le dimanche où elle pourrait retourner, de nouveau, en ce lieu défendu
C’était le but de ma semaine sur les bancs usés de mon lycée
De nouvelles pensées, de nouvelles images faisaient bondir mon corps, ce jour où je découvrirais enfin de vrais militaires bien virils en train de se tirer dessus, s’égorger, s’éventrer
Alors j’aurai peur, tellement peur d’être repéré, arrêté, interrompu dans mon élan fou, peur de me retrouver au cachot humilié, interrogé, giflé, battu
Je ferai tout pour fuir, m’enfuir, ne pas être vu, creuser un tunnel, un long tunnel avec mes ongles sous la terre, comme dans « La grande évasion », comme dans « La grande évasion » où je serais le héros de ma vie
A cette époque, j’avais l’audace de franchir toutes les barrières, même les plus dangereuses
À cette époque, j’étais un étudiant, un étudiant fougueux, audacieux, révolté, à cette époque
Je regarde mon nid longuement puis ma barrière, mon nid, ma barrière, mon
Non, je ne peux pas
Non, je ne peux plus franchir cette barrière
Oui, je suis un adulte
Non, je n’ai plus d’excuse
Oui, je suis entièrement responsable de mes actes
Oui, je sais lire maintenant
Oui, j’ai appris à lire
Oui, j’ai appris à lire et comprendre ces mots de la vie: « Interdit » « Interdit d’entrer »
C’est écrit en lettres rouges sur ma pancarte
Cet interdit justifie le renoncement à mon entreprise, me justifie
Je suis responsable et libre, responsable et
Je pense à mes oiseaux qui chantent
Que chantent-ils mes oiseaux
Un vol sans contrainte dans le ciel bleu infini, ou, l’appel désespéré de leur nid perdu, mes oiseaux
Ce cri résonne dans mon coeur déchiré
Oui, je dois franchir ma barrière, non pas pour moi, mais pour eux, oui, rien que pour eux, tout particulièrement pour eux, car ils ont besoin de leur nid mes oiseaux, mes petits oiseaux chanteurs
Ma stratégie s’organise
Petit un : Le ciel est beau. Mes êtres migrateurs volent libres et heureux.
Petit deux : Quand pointera la lune, quand elle retentira l’heure de rentrer quelque part, si ce quelque part n’est pas, où iront-ils mes oiseaux
Petit trois : Pourront-ils toute leur vie rester suspendus dans le vide mes oiseaux
Petit quatre : A votre avis, existe-t-il quelque part dans cet air un nid
Petit cinq : Impossible, impossible
Petit six : Je me dis que mes oiseaux finiront par tomber et mourir d’épuisement
Petit sept : Puis-je abandonner mes amis dans le ciel bleu infini
Petit huit : Mon devoir est de les sauver mes amis sans abri
Petit neuf : ma raison résonne
Ma tête ne veut pas être responsable de la mort de mes amis, sentir leurs ailes brisées et leur sang couler sur ses mains lâches et responsables
Petit onze : lâches et coupables
Petit douze : Mes pieds sautent ma barrière. Mon corps transgresse l’interdit. Mon être est maintenant en situation illicite, en situation d’arrestation. Quelle peine, quel accident peut-il arriver à mon corps
Petit treize : Je m’enfonce nu avec mon nid au fond de la zone défendue
Le chemin parait soudain plus long
Je ralentis mes pas
J’observe tout autour de mes yeux
Rien d’anormal
Il me semble
Mes oreilles sont attentives au moindre bruit
Moindre mouvement
Moindre changement
Et mes oiseaux chantent, chantent toujours mes oiseaux une note si juste, et leur chant, mes oiseaux, continue leur air identique, unique, aussi plaisant, aussi lent le chant de mes oiseaux Alors, que peut-il, de cette forêt, ici, surgir
Rien, apparemment rien, et pourtant, mon être se sent surpris, guetté, comme s’il n’était plus lui ou moi, comme s’il était sorti de son corps, de l’être de son corps, de l’être de mon être, mon être Un autre, je suis cet autre, pleurant, criant, marchant, un sans papier déchiré, un émigré de toutes ces guerres, un vagabond abandonné, un demandeur d’asile en exil, un réfugié sans refuge, un nom qu’on ne nomme pas, un noir, la honte, ma tête baissée vers un pays qui ne lui appartient plus, qui ne lui appartient plus
Je vois les vies de cet étranger nomade défiler sous mes yeux fragiles, presque en larmes mes yeux, presque en larmes, presque en
Pudeur oblige
Quand, un fracas surgit, inattendu
Une bête sauvage qui se rue
Un sanglier
Un cerf
Un fauve
Une trompe, une défense, une dent d’éléphant
Terrifié
Mon coeur est terrifié
Non
Le tonnerre
Impossible
Mon ciel qui s’éventre
Non
Et non
Mon ciel est bleu, parfaitement bleu
Parfaitement
Oui, bleu comme le bleu, oui, bleu comme le bleu de l’Auvergne, bleu comme le bleu de l’encre, bleu comme le bleu de la mer, le bleu de toutes les mers et de toutes ces ancres échouées, mon ciel
Bleu au genou
Alors, que peut-il bien m’arriver
Alors
Je m’interroge
De nouveau le silence, mon silence, un cri qu’on étouffe derrière un bosquet ou une butte, un mot entre les fougères, écrasé au fond d’un fossé
Rien
Mon nid toujours entre mes mains
Mon pays douillet
Mon pays désert
Mon pays
Mon
Intermède
Page de publicité
Audience
Audimat
Télévision
Fiction
Réalité
« C’est l’histoire d’un homme qui avance avec son nid pour le redonner aux oiseaux migrateurs » Points de suspension
Questions
Emotion
Action
Reprise du feuilleton
Sur mon chemin, aucun éclaireur, aucun marcheur, aucun signe de vie
Mon corps est livré à sa plus absolue solitude
Un abîme dans mon café noir, sur le clavier portatif de mes nuits
Mes yeux balaient mon écran de nid
Mes yeux pensent à mon adolescence
L’inconnu
Mes peurs
Mes désirs
Mon audace
L’audace d’aimer
Communier avec la nature dans ce qu’elle a de plus pur à offrir
La nature
Donner et recevoir
La nature
Mes yeux cessent de penser à l’agression qui pourrait surprendre mon coeur pour prendre soin maintenant de mon nid
Mon nid est devenu la préoccupation de chacun de mes instants
Mon nid
Chaque battement de mon coeur
Chaque cil de mon visage
Chaque île de ma vie
Le soleil brille
Mon nid est entre mes mains
Je vais le rendre à mes oiseaux qui l’attendent
Je suis cet homme heureux en paix avec le ciel qui va rendre son nid à ses oiseaux
Parfaitement
Parfaitement
Plus rien ne peut interrompre mon dessein
Mon corps ému s’approche du carrefour aux cinq chemins de nos vies
Mon corps est maintenant devant l’arbre de ma vie, prêt à y placer mon nid
Près, tout près
Partie deux
Zapping sur le monde
Parti d’eux, mon nid
Qu’importe l’audimat
Couchés, mes yeux scrutent toutes ces artères en dehors de cette terre endormie
Couché, mon arbre est au ciel déraciné
Hurle mon coeur pétrifié
Il y a un trou, un profond trou qui jaillit là, où mes racines s’unissaient au ventre fertile de ma terre
Mon soleil brille
Mon ciel est bleu, d’un bleu si pur, si parfait, si révoltant, si parfaitement révoltant et pur, mon ciel Les rafales de vent, les nuages gris, l’obscurité de la nuit terrifiante, tout ça est bel et bien fini
Mon arbre est abattu et feinte de se reposer si silencieusement dévêtu
Mes lèvres se délient
Tu te montres encore en vie mon arbre, mais comment peux-tu vivre, mon arbre, de tes envies, mon arbre, quand tu as perdu dans un délit, mon arbre, ce qui te liait à la vie, si tendrement, si doucement, mon arbre en délire
Parfaitement
Demande mon coeur transi à mon coeur épris, un nid éperdu entre ses mains
Mon arbre est hors vie à présent, se laissant toucher, caresser, enlacer jusqu’à sa cime, existant dans ce monde, et pourtant, n’étant plus de ce monde
Un arbre si puissant, mon arbre, lui qui, hier, s’élevait vers le ciel des anges, abritant de sa sève tous mes oiseaux, tous mes amis, tous mes rêves, l’arbre de mes amours
Mon arbre était l’aire de jeux favori aussi de mes écureuils, mes petits compagnons de vie, cet arbre que tout le monde contemplait d’en bas, cet arbre que tout le monde admirait, cet arbre qui servait de repère, de phare aux éclaireurs, aux marcheurs dans l’océan vert de leurs pas à pas, cet arbre au carrefour des cinq chemins de nos sens en extase, cet arbre
Où poser dès lors mon nid, où
C’était mon arbre à nids
Je l’aimais
Mon arbre à vivre
Mon arbre à souvenirs
A ces branches, j’y accrochais mes plumes
A ces bourgeons les sons de mes mots
A ces fleurs, mes douleurs
A ces fruits, mes ennuis
Et mes hivers devenaient tout verts des printemps de l’âme de mon arbre
« Baobab »
Je le surnommais
Je le peignais de mes couleurs quand j’étais encore mille enfants aux cheveux blonds bouclés des plages de mes étés, les pieds dans l’eau à jouer avec le monde
L’éclaboussure de l’insouciance, rien que l’éclaboussure de l’insouciance
C’était mon dessin à moi, l’arbre aux racines tendues vers ma piste aux étoiles, une roue de vélo, quelques balles et foulards, un diabolo, un tambourin, le baobab de mes livres d’images, le baobab de mes trépidants voyages, le baobab de mes contes et songes pèle-mêle enfouis dans mon charivari
Aujourd’hui le tambour de mon amour est percé
L’eau s’écoule entre mes doigts et il n’y a plus d’histoire
Plus de nouvelles histoires
Ma nouvelle à peine née se faufile entre les fissures de mes cendres, un instant, rien qu’un instant, la nouvelle d’un instant, ce temps compté, les instants de mes temps perdus à contempler mes bourgeons calcinés
Mes oiseaux viennent de cesser de chanter, cesser de murmurer leur refrain, dans mon ciel embrasé qui a faim
Silence
Dernière frappe
Claquement de mes doigts sur la peau cuivrée de mes cordes vocales
Une corde
Une balle
Un filet
Un dernier fil tendu entre deux continents
Mon clavier posé à même la terre pour écouter ses maux
Partie trois.
L’émoi
Emission qu’on ne regarde plus
Toi et moi
Toi contre moi
Toi avec moi
Moi sans toi
Je suis là, avec mon nid, face à mon baobab couché
Le temps s’est allongé
Plus rien ne bouge
Y-a-t- il encore une vie
Suis-je encore moi-même en vie, ou, tenu éveillé par mon ténu espoir
Mes oreilles se penchent tout contre lui, tout contre lui mon coeur
Le coeur de mon miroir qui a cessé de battre
La sève s’est figée
L’eau s’est évaporée
Mon nid s’est échoué sur une plage d’hiver
Plus aucun chant d’oiseau
Plus aucun
Plus
Mon silence, aussi bleu que mon ciel, immobile
Point
A la ligne
La réalité crue imposée à ma vue
L’objectif de mon oeil, l’objectif de mon oeil réalise un gros plant sur l’instant
Une feuille tombe, puis une autre, puis une autre, puis une autre, puis
Telle une fatalité, une tragédie, une pluie de pages effacées sur mon paysage de liberté
Le théâtre, le théâtre de mon corps assiste impuissant à l’hécatombe du micro-dictionnaire de ma tête
Trente huit mille mots qui s’échappent sur le bout de ma langue
Qu’y puis-je, à la déliquescence de mon adolescence
Derniers maux à résoudre d’une crise finale
Il ne me reste plus qu’une idée fixe, un puits qui martèle les parois de mes pensées
Où poser mon nid
Où poser mon nid
Où poser mon nid
« Vous me ferez cent lignes de ce sang versé, de ce rêve abattu »
Dit le professeur d’histoire et de géographie
Rien n’est fini
Avec stupeur, mon regard découvre devant mes pieds glacés des étendues de baobabs meurtris, des lits de baobabs offrant leurs derniers cris, leurs derniers soupirs à des anges déçus, à des anges déchus, à des anges, à des
Ah
Mes lettres marchent, mes lettres marchent, comme sur des braises de plumes, avec mon nid ensanglanté
Ah
C’est donc ça, ça, la chambre noire, la cour ovale, le laboratoire interdit du développement de l’embryon de la vie
C’est donc ça, ce « ça » étendu sur le divan de mes angoisses d’existence traversant les déserts des champs de mes mots infinis d’interrogations à n’en plus finir
C’est donc ça, mon ça des pulsations de mes pulsions
Que peut-il bien tomber sur mon crâne dégarni, maintenant que tout est à terre désuni, éventré, saccagé, pillé, piétiné, violé, irradié
Rien, sinon la conscience de mon impuissance à redresser l’amour de la vie
La vision de chaque arbre en larmes pénètre mes veines
Mon corps est devenu chaque arbre dévêtu
Mon corps est un des leurs
Mon corps vit leurs chants nés de leur espérance
Un leurre, certains affirmeront, un leurre, rien qu’un leurre, et puis
Ma foi, je préfère cette fois, au vide, boire la moitié de mon verre rempli
Il ne reste plus qu’à me coucher, me glisser parmi ces troncs sans toit, et attendre, et attendre, attendre quoi, et attendre qui, t’attendre, t’attendre dans le noir, tendre vers toi, vers ta lumière, attendre une réponse de toi
Mes mains tendent leur nid sur le nombril de mon tronc
Mon nombril observe le ciel
Tu me sembles si éloignée et si proche à la fois, ma mer étoilée au clair de lune
J’entends ton sourire qui fredonne
« Au clair de la lune, mon ami Pierrot… Donne-moi ta plume que j’y écrive un mot… »
Rien qu’un mot, rien qu’un mot
Allume cette lumière maman
J’ai peur de la nuit
J’ai quarante ans, je n’ai plus vingt ans
J’ai perdu le courage de hisser l’étendard de « La grande évasion »
J’attends la mort comme un soldat blessé dans un pré de pommes de terre alitées, par solidarité, par solidarité avec l’humanité, avec toute l’humanité, toute
Bientôt sa disparition
Le nid de mon verbe pleure sur mon nombril
Ma vie se ralentit
Ma tête s’évapore, pore après pore, consonne après consonne, voyelles de mes ailes, une à une, tout en douceur, tout sonne et tout résonne, tout, ce n’est pas si terrible, ce tout, qu’une expiration, l’extinction de mon sang
Ma peau blanche et noire, d’un triangle d’or, sent la fraîcheur de l’humus sous l’écorce de mes os qui dorment, un tapis de mousse qui apaise mes sens, il y a encore un peu de vie, un tout petit peu de vie, un tout petit peu, là en dessous, en dessous là, de là, de l’au-delà, mes branches, mes brindilles, tes plumes, tes caresses, ces bourgeons qui bercent l’envol de mon nid vers le soleil qui se lève et marche un peuple de graines de baobabs qui se réveille de ses blessures, les douleurs d’un accouchement, la soif d’un nouveau-né, le cri qui jaillit de la vie, mon nid
L’imaginaire fait vivre une nouvelle poétique
Voici ma nouvelle politique, philosophique, ainsi, elle débute et finit
J’imagine que rien ne peut contraindre la vie, j’imagine que la vie souffle comme un océan de mots, plus présente que ce que je ne peux percevoir d’elle, la vie.
Mes yeux ferment mes yeux
Je songe à mon père et à ma mère, à leur amour qui m’a donné cette vie
Je songe au nid où je suis né
Je songe à mes origines
Je songe à mes amis
Je songe que je ne peux les abandonner mes origines, mes amis, mes écureuils, ma forêt de l’est
Je songe à mon chien, à la fidélité de mon chien
Je songe à nos promenades du dimanche entre les arbres
Je songe encore à mon chien
Je songe à cette Afrique
Je songe à cette Afrique que je n’ai jamais vue mais que je dessine dans mes nuits
Je songe à ce baobab qui m’éclaire
Je songe à ce cirque Baobab qui m’émerveille
Je songe à toutes ces pensées qui traversent ma tête, sautent la barrière de ma raison, bondissent sur un fil en équilibre
Je songe
Je songe à toi
Je songe à toi mon amour
La peur
Quelle peur
Quel vertige
Funambules du ciel, où êtes-vous mes chers oiseaux, mes chers oiseaux migrateurs, où
Je crie au ciel les yeux fermés
C’est alors, c’est alors qu’un oiseau se met à chanter, un oiseau arc-en-ciel, un oiseau aux plumes d’ange, un oiseau aux ailes d’or, un sifflement de vie au soleil couchant caressant mon corps J’ouvre les yeux comme un enfant qui tend sa soif
Où
Un oiseau
Où
Mes yeux cherchent
Aucun
Aucun oiseau ne nage dans les flots du ciel retiré
Aucun
Je suis là dans ta tête, me siffle l’oiseau de la mer
Isolé, dans ta tête toute bleue
Et maintenant je glisse sur ton cou, tes épaules, tes bras, tes mains, ta poitrine, ton nombril, ton bassin, tes jambes, tes pieds
Et tout mon corps d’arbre-oiseau se met à se déhancher et virevolter sur la terre qui tremble et qui tremble
Il pleut, il pleut comme il n’a jamais plu, une mousson de révolte
Ma terre se réveille de tout ce qu’on lui a fait vivre, des mots de pioche, des mots de hâche, des mots blessants, des mots de sang
Un oiseau chante
Un oiseau chante dans mon nid dormant délicatement au creux de mon nombril
Prends ton envol
Je crie
Prends ton envol et fais ta vie
Pardonne au monde des hommes de n’être que des hommes et envole-toi mon ami vers ton nid Mon corps se lève et le suit
J’ai peint pour toi avec mes mains nues le nid de mes maux
Epilogue
La télévision est éteinte
Fin de la retransmission en direct du match
Mon hiver est clos
Mon printemps resplendit
Notre baobab, majestueux, s’élance, victorieux, vers le ciel
Nos oiseaux migrateurs se préparent pour le grand départ
Un long voyage au-dessus des aiguilles du temps
Un commencement
Mon être accouche de sa nouvelle vie, tranquillement, tranquillement
Sur l’autre rive, apaisé, nourri, mon coeur se réveille, grandi, au pied de mon arbre abreuvé
Nos oiseaux atterrissent et nous embrassent, retrouvant la tendresse de leur nid de duvet qui les accueille de ses bougies flamboyantes
Joyeux anniversaire papa, maman, mon chien, mon oiseau, mon arbre, mon écureuil, mon ami, ma nature, ma compagne
Je me lève et je marche, pensif
Un nid
Un nid sur mon chemin
Mon être voit ce nid
Mon être tend les mains vers ce nid
La cloche retentit
Le temps s’est écoulé
Je rends ma copie
Qu’importe ma note
La vie est possible
J’écris
Je crie
Je chante
La vie est possible
La vie est
La vie est un nid de désirs
Cette nuit
Un oiseau bleu chante dans ma tête
Thierry Rousse
Fontainebleau, le vendredi 27 mai 2011 - Médiathèque L'Astrolabe, Melun (77), Atelier d'écriture animé par Isabelle Buisson
Nantes, le jeudi 13 juin 2024 (relecture)
"Une vie parmi des milliards"