Laponie. La glace fondait. Décidément, l’esquimau glissait entre mes doigts. Je sauvais le petit Ours de la fatalité. Je l’emmenais dans mon panier rempli de cadeaux. « Je retrouverai ta maman, promis ! ». Nous nous laissions porter par le courant des étoiles, accrochés à une pomme de pin dansant sur les vagues. Un surfeur nous accueillait sur sa planche au milieu d’une baie classée. La plus longue plage d’Europe. Un sable fin avait recouvert le village d’Escoublac. Des années s’étaient écoulées depuis. Des villégiatures étaient nées sous les pins. Le Chemin de Fer acheminait de la Capitale des vacanciers fortunés. Grand-parents, parents, petits-enfants. Mille sept cents villas qui se rivalisaient d’originalité, de beauté, de charmes séduisants. De génération en génération. Une douce vie familiale, paisible se transmettait d’âge en âge. La culture d’un art de vivre, d’une certaine réussite professionnelle et personnelle entre Deauville et Biarritz. Tout était si romantique , si pittoresque derrière ce long mur de béton. Petit Ours et moi le traversions. Nous aimions tant nous perdre dans les sentiers, entre les fissures, à la recherche d’une maison. Il ne restait qu’une villa, face à l’océan, tout près du Casino. Les autres avaient été rasées pour élever ces immeubles sans âme. Nous regardions cette villa. Elle nous plaisait bien avec sa tour, Petit Ours et moi. Il y a des maisons qui ressemblent à des contes de fées, et, celle-ci, en faisait partie.
« Certes, je t’avais menti. Je ne venais pas de Laponie. Toi, non plus Petit Ours. D’ailleurs, tu étais un Ours Brun. Tu n’avais connu que les forêts, les épines de pins, les cerfs, les sangliers, les écureuils, les lapins, peut-être, les loups » .
Qu’importe, nous étions passés de l’autre côté de ce mur de béton, une nouvelle vie nous attendait, une chanson de Cabrel. « Hors Saison ». Quelle villa choisirions-nous pour être heureux ? Une maison en bois avec un piano ? Petit Ours hochait la tête. « Ta maman avait vécu en Laponie. Un bloc de glace s’était détaché. Ta maman dérivait sur son île, solitaire. Quel Chef s’en souciait ? ». J’apprenais qu’elle avait échouée parmi une tempête de sable, quelque part, à La Bôle. Il me fallait mener l’enquête. J’avais envie de trouver une maman pour ce petit Ours bien triste. « Je serai, aujourd’hui, ton Père Noël ! ».
Ma Laponie ressemblait à une pièce exigüe tout au fond d’un parking souterrain, une pièce aux murs décrépits équipée d’un lavabo, d’un miroir, d’une chaise, et d’un WC. Tout ce qu’il y avait de moins fééerique pour permettre à la magie d’opérer. « Pour toi, Petit Ours ». Le passage de l’autre côté du miroir sollicitait la plus grande précision. Un esprit méthodique. Une concentration. Le temps m’était compté. Enfiler le pantalon rouge. Les bottes. Le maillot blanc aux manches longues. Le gros ventre factice. L’écharpe blanche. Saupoudrer mon visage et mes sourcils de talc. Enfiler la veste rouge. Serrer mon gros ventre de la large ceinture noire. Coller les rubans adhésifs double face. L’un sur mon menton. L’autre au-dessus de ma bouche. Fixer la longue barbe blanche. Protéger mes oreilles de coton. Poser mes lunettes puis mon masque de zorro blanc. Enfiler le long manteau rouge épais. Les cheveux blancs bouclés. Le bonnet rouge sans pompon. Les gants blancs. Prendre le panier avec Petit Ours. Monter dans le traîneau du vingt et unième siècle électrique. Nous étions prêts, prêts à accueillir les acclamations des enfants qui se précipitaient aux grilles des écoles visitées. Prêts à offrir les sourires de nos yeux et en recevoir.
Petit Ours et moi n’avions pas de chalet cette année, ni de chocolats à distribuer. Le Noël Magique avait été annulé à cause du virus. Où était-il ? Se cachait-il sur l’emballage d’un chocolat ? Le virus ? Pas de contact tactile que le contact du regard et de la parole. Combien de temps pourrions-nous vivre sans nous toucher ? Roméo et Juliette ne s’embrassaient plus depuis belle lurette. Il leur était dès lors interdit de s’asseoir sur un banc face à la Lune. Couvre-feu sur un amour qui s’éteignait peu à peu. La braise du désir pouvait à tout instant le faire rejaillir.
Petit Ours et moi arpentions les marchés, les avenues, du Guézy au Casino en passant par Lajarrige, Escoublac et la place de la Victoire, affrontant les rafales de vent et les pluies du grand large. « Y a le Père Noël ! Y’a le Père Noël ! ». Le long défilement des voitures nous saluaient, l’émerveillement au fond des yeux. Certaines s’arrêtaient pour la joie de leurs enfants, de leurs parents et grands-parents.
Du Noël Magique, il restait le Père Noël. Fidèle au poste. La fête du divin Enfant était sauvée. Le Père Noël était masqué. Dieu s’était fait Homme pour sauver l’humanité. Nous avions tous envie d’y croire. Une bulle de tendresse au coeur de la tempête des éléments nous abritait. Les lapins, les écureuils, les loups, les rennes étaient là. Le traîneau aussi. Le Marin Solitaire, grand voyageur des mers, Loïc Peyron dédicaçait son livre sous le chalet de la librairie Lajarrige. Un cadeau géant d’Amour avait été déposé un peu plus loin, au rond-point de la rue du Général De Gaulle, face à l’église. Sur le marché central, une jeune journaliste m’interrogeait. La vie d’un Père Noël au temps du virus. Petit Ours était fier de moi. Une épicerie, une pharmacie, une galerie d’art, une boutique de haute couture, un salon de coiffure très à la mode, toutes les portes s’ouvraient à nos sourires. A la nuit tombée, sur la Place de la Victoire, les enfants, depuis le manège et l’aire de jeux, affluaient vers nous deux, sous la boule géante de lumières d’or scintillantes. Noël était bel et bien au rendez-vous. « Et ma maman ? ». C’était dans ce quartier discret, caché derrière le grand Hôtel du groupe Barrière, fermé pour cause de virus, ce quartier où tout n’était que « luxe, calme et volupté », ce quartier où hommes, femmes, enfants étaient si élégants, une élégance qui me donnait l’envie d’être Baudelaire, que je retrouvais la maman de Petit Ours. Cette rencontre était si touchante, si délicate de tendresse. Petit Ours avait enfin une maman, la plus belle des mamans. Je quittais Petit Ours, une larme de bonheur à l’oeil suspendue. Je savais qu’il serait heureux à présent. Je descendais dans mon souterrain, ma Laponie. J’ôtais ces bottes, ces habits, cette longue barbe blanche, ces cheveux bouclés qui avaient fait de moi pendant douze jours une star. Une lumière continuait de briller dans mon coeur. Il y avait toujours une Fée sur Terre pour me faire croire aux contes. Sur la route du retour, confiné dans ma 106, derrière ses essuie-glace, France Culture avait pris la place de BFMTV. Les histoires y étaient tellement plus belles, plus vraies que ces actualités en boucle. Des histoires intimes pour raconter l’humanité, des histoires de joies, de pleurs, d’espoirs, d’amour perdu et retrouvé.
Noël aurait bien lieu. Je débouchais ma bouteille de chocolats au coeur fondant de tendresse. Mon masque blanc était devenu une voile, un étendard. Je parcourais le tour du monde des maisons. Près d’une cheminée, l’amour riait, s’enlaçait. Une maison pour Petit Ours et sa maman. Le plus beau des Noël.
Thierry Rousse,
Nantes,
Dimanche 27 décembre 2020
« A la quête du bonheur »