De quoi je me souviens au fond ?
Avais-je envie de me souvenir par cette belle journée ensoleillée ?
Me souvenir des rires ou des larmes ?
Oublier les larmes pour les rires ?
Oublier les mots qui ne sont pas beaux
Oublier « rachitique », ce mot que j’avais découvert, enfant, écrit sur mon carnet de santé
Oublier ce qui me rendait différent des autres
Oublier « crevette », ce mot dont certains copains m’habillaient en riant
Oublier la différence qui m’enfermait dans mes silences
Oublier ce coin de la cour où je me réfugiais
Seul dans mes pensées
En lisant « La Nausée »
Oublier la timidité qui m’empêchait de m’exprimer
Oublier mes perpétuelles réponses
Tête baissée
A la professeure de musique
« Je n’ai pas appris ma chanson »
Simplement pour ne pas me retrouver seul au tableau devant la classe
Oublier tous ces « zéros » que j’additionnais aux épreuves orales
Paralysé par la honte d’être regardé de tous
Me souvenir des mots que j’écrivais à l’abri sur mon journal intime
Des mots qui m’accompagnaient dans ma chambre
Quand j’entendais derrière la porte les cris de mes parents se déchirer
Me souvenir de ce qui me faisait vivre
De ce qui me reliait à la Bien-Aimée de mes rêves
A la Muse de mes poèmes
Me souvenir du théâtre qui m’a sauvé
Me souvenir de toi qui m’as souri
Toi qui m’as aimé un beau matin
Me souvenir de ton amour auquel j’ai cru
Et oublier ce maudit soir où tu m’as dit :
« Désolé si je t’ai fait croire à autre chose, mais je ne t’aime que comme un frère »
Oublier les pleurs du frère en moi espérant être le prince d’une princesse
Me souvenir de mon départ
Un 31 décembre 2013
Tout quitter pour commencer une nouvelle vie
Un soleil naissant sur l’océan compatissant
M’accueillait de son regard
Me souvenir de ces arbres à nuages sur l’île de Versailles
Pourquoi l’île de Versailles ?
J’étais bien arrivé à Nantes
Sur une île au Japon
Enjambant le pont de mes souvenirs
C’est là
Bondissant d’un rocher à l’autre
Dans un instant d’oubli
Que toute ma vie, dès lors, s’écrivait
Peut-être plus belle
Peut-être plus heureuse
Qu’en savais-je ?
Rien
Sinon que j’étais la tête remplie de vide
Perchée à la cime d’un arbre lointain
Sur le bord
D’un fleuve
Du Gange
Je posais un pied devant l’autre pour avancer
Comme on pose un mot devant l’autre
Sentir les mots comme des parfums d’Orient
Croire au temps éternel
Croire à l’Amazonie au coin de ma rue
Et me souvenir d’avoir oublié pour exister
D’avoir oublié pour exister
Une tendre journée ensoleillée
Entre café et Petits Lus
D’avoir bu ma vie
D’avoir lu ma vie
Comme des mots arc-en-ciel
Un mélange de larmes et de rire
Thierry Rousse
"Une vie parmi des milliards"
Nantes, Malakoff, 2023, Texte écrit au cours des ateliers d'écriture animés par Tom-Tom, texte publié dans le recueil collectif "Poésie sans chaînes" – Cultures du Coeur Pays de La Loire – Les Budgets Participatifs Ville de Nantes – Ambitions Jeunesse – La Libre Usine du Lieu Unique, lieu de création artistique