Pourquoi fallait-il que les notes sensibles
Se terminent toujours ou presque
Dans la déchirure d’un coeur
En été
Inès venait d’emménager
Les plantes étaient son bonheur
Ses premiers amis
De l’autre côté de la cloison de son appartement
Elle entendait Mozart
Les notes d’un violoncelle
La chaleur d’une voix
Elle finissait par l’apercevoir
D’abord de dos
Une silhouette sur le trottoir fuyante
Puis de face remontant l’escalier
Elle se précipitait pour descendre
Le croiser
Et avec malice le dévisageait
Mozart avait pour prénom Vendello
Tout le charme de l’Italie
De Florence ou de Venise
L’homme rêvé d’une jeune femme
De cette jeune femme précisément
Récemment installée à Paris
Tout près du Canal Saint-Martin
Inès
Inès Mozart
ça sonnait bien
Le début d’une nouvelle vie
Inès enseignait l’anglais à des élèves du Conservatoire de musique
Et Vendello Mozart était musicien comme par hasard
Le destin les fit se rencontrer
Un beau matin
Sur le même chemin
Mozart Vendello ne faisaient plus qu’un dans son coeur
Le bruit de sa clé ouvrant sa serrure
Ses pas
Ses notes
Sa voix chantante
Ses partitions nostagiques
La berçaient de doux songes chaque nuit
L’homme se montrait courtois
Agréable
Toujours prêt à lui rendre service
L’accueillir
Partager une boisson
Un thé
Un café
Un verre de vin
un goûter
Un dïner
Homme toujours délicat
Qui savait l’écouter
Lui offrir des présents qui la touchaient
De nouvelles plantes rares
Ou ses pâtisseries préférées
Ou encore une sortie à l’Opéra
Inès savait en faire de même pour Mozart
Une parfaite amitié les liait l’un à l’autre
Jour après jour
Inès se sentait éprise de sa gentillesse
De son charme
De son talent
Glissant pas après pas
De l’amitié à l’amour
Discrètement
Sans lui dire mot de ses sentiments
De ses rêves intimes
L’été arrivait
Et Mozart était pris d’une envie de sortir de ses murs
Aller quelque part
L’inviter
Une journée dans un jardin
Un week-end à la mer
Une semaine en Italie
Elle en avait tellement envie
Etre avec lui
Rien qu’avec lui
Et pourtant elle refusait chaque sortie
Jamais il ne lui en tenait grief
Déception
Amertume
Rancune
Toujours il restait souriant
Attentionné comme au premier jour
Alors pourquoi refusait-elle
De quoi avait-elle peur
De ses propres sentiments
Que ses rêves ne se brisent contre des récifs
Peur de l’inconnu
Peur qu’elle ne bascule
Espérait-elle qu’il fut triste à ses refus
Mozart
Il l’embrassait dans le creux de sa main
Un baiser qui se posait là
Comme la caresse d’un ange
L’instant d’un silence ému
Et déjà Inès rêvait de se blottir contre lui
D’être son petit oiseau chéri
Sa demie
Son âme soeur
L’élue de son coeur
Lélue de Mozart
Toutes les notes de son violoncelle
Tout le souffle de sa voix
Jusqu’au jour
Jusqu’au jour
De la tempête
Inès partit peu après la fin de son concert
Lasse de l’attendre à cette heure tardive
Ce Mozart adulé par ses admirateurs
Déjà elle le voulait tout à lui
Dans la nuit où la Lune luit
J’arrive lui disait-il
Je suis à toi
Je te suis
Inès le fuyait
Mozart était-il vraiment à elle
Un ami certainement
Avait-elle senti quelque chose
Ce pouvoir de l’intuition
Du non-dit
Qu’il ne serait jamais plus qu’un ami
Jamais son compagnon
Ce qu’un coeur embarrassé dissimule
Ce qu’un coeur enfin avoue
J’ai un amant
Répondit Mozart
Puis il s’en est allé
A déménagé
Inès a pleuré
Tous les nuages gris du ciel
Tous ses rêves brisés
Eparpillés dans son appartement
Entre ses plantes assoiffées
Paris un été cloîtré
Le vide derrière sa cloison
Plus aucune note ne sonnerait
A la porte de son coeur
Plus aucune fleur
Qu’un espoir fâné
En attendant l’hiver
Vivaldi ou Litz
Pourquoi fallait-il que les notes sensibles
Se terminent toujours ou presque
Dans la déchirure d’une belle mélodie
Sur un tapis de feuilles éparses
Un été à Paris
Thierry Rousse
Nantes, mercredi 29 novembre 2023
Inspiré du roman « La note sensible », Valentine Goby, éditions Gallimard
« Une vie parmi des milliards »