C’est un homme
Qui discute
Avec sa bière Mélusine
Un vendredi soir
La nouvelle pourrait commencer ainsi
Sur une table du Lieu Unique
Qu’auraient-ils à se raconter tous deux
A la fin de leur journée
Mélusine si pressée
Lui si épuisé
Reste un p’tit temps
Juste pour la causette
Mélusine
Tant de gens se retrouvent ainsi
Chaque fin de journée
Faisons un peu comme eux
Donnons-nous cet air d’être heureux
D’accord Marcel
Alors
Raconte-moi ta journée
Comme ta dernière journée
Ma dernière journée Mélusine
Oui Marcel
Et bien Mélusine
Il a trop plu
Beaucoup trop plu
Aujourd’hui
Et je n’avais pas les bonnes chaussures
Tu sais
J’voulais mettre les jaunes de ToTTi ce matin
Pas ces tennis de randonnée trop usés
Ces tennis qui m’donnent cet air si pauvre
D’un errant vagabond
J’voulais attirer le soleil dans tes yeux
J’avais bien vu un coin d’ciel bleu par ma vitre embuée
Mais il n’a pas duré
Qu’un éclair entre nous
A la sortie d’un tramway
Toutes les larmes du ciel me sont tombées sur la tête
Trempé jusqu’aux pieds
Mouillés jusqu’au soir
Le déluge d’une dernière journée avec le vieux Noé
Rien d’autre Marcel
Si
J’oubliais Mélusine
Si j’oubliais Mélusine
Pardon Marcel
Rien Mélusine
Ou si
Mélusine
Attends qu’je me souvienne
Mes dernières journées sur la terre
Mon père
J’avais vu mon père
Alité
Il ne bougeait plus de ses journées
Mon père
J’aurais aimé lui faire voir la mer
C’est ce que je m’étais dit
J’emmènerais mon père voir la mer
Quand il arriverait ici
Tu sais
Ce p’tit bassin du Pouliguen
Où toi et maman m’accompagnaient
Quand j’n’étais qu’un enfant
Ce p’tit bassin
Où naviguaient
Plein d’p’tits bateaux de pirates
Papa
Sur l’eau
Où allaient-ils
Vers quels rêves
Dans leurs voiles
Qui les attendaient de l’autre côté
De l’autre côté de leur galère
Tu t’égares Marcel
Le temps me presse Mélusine
De t’raconter mes journées éphémères
Alors de quoi tu veux que j’t’parle
De mon ordinaire
Qu’il y a quelque chose dedans d’extraordinaire
Une nouvelle révolutionnaire
Qui fera qu’mon nom restera gravé dans tout l’univers
Une cour d’école
Sous l’vent et la pluie
Rien n’arrête les enfants
Des p’tits riens
Ils en font un grand jeu
Et ça court
Et ça s’attrape
Parfois
Souvent
Ça se fâche
Ça s’bagarre
Et ça pleure
T’es plus mon ami pour la vie
Et des bandes s’organisent
Des pour et des contre
Des coalitions
Des expulsions
Des appropriations
Et je suis là et j’observe
Et je surveille
Et j’interviens
Et bien qu’y-a-t-il
Ils m’expliquent
Chacun son tour sa version
Posons-nous la bonne question
Un instant de réflexion
Crois-tu qu’un coup de pied
Peut régler un croche-pied
D’accord
Je sais
Les enfants
Le monde depuis des générations va de travers
Et toutes ces guerres qui ne cessent
Ça reprend même au Liban
Dans tous ces règlements de compte des grands
Meurent beaucoup trop d’enfants innocents
Tout ce que vous voyez
A la télévision
Ce n’est pas le plus bel exemple de l’humanité
Alors
On va commencer ensemble
Vous et nous
A créer un nouveau monde
D’accord
Si on parlait de réconciliations
D’accord
Voilà
Mélusine
Une bonne partie d’mes journées
Et quand les directions des écoles
M’offrent d’autres missions
Je jardine avec les enfants
Je transmets aux enfants
Ma passion du théâtre
Et plein d’autres choses encore
Avec lesquelles les enfants grandiront peut-être
Regarde Mélusine
La pluie est déjà arc-en-ciel
Mélusine souriait exquise
Marcel l’avait-il conquise
Elle lui donnait rendez-vous dans trois jours
Marcel avait un sursis
Ce ne serait pas sa dernière journée
Deux nouvelles l’attendaient avant le paradis
Ce lundi Marcel raconterait à Mélusine
Son dernier week-end
Entre soleil et pluie
Là où il avait fini sa vie par des Fanfaronnades à Trentemoult
Une ultime escapade sur l’île des longs voyageurs un peu fous
On finit sa vie comme on veut ou comme on peut
Mélusine s’attendait à mieux
Je ne suis pas prêt
Avouait Marcel
J’ai pas rangé complètement mon appartement
Et y’a plein de désordre
Plein de cartons encore
Mes dernières années à trier
J’crois bien que mon cœur bat encore dans la rivière Mélusine
Et j’ai encore quelques projets et mon testament à écrire
D’accord Marcel
Je t’accorde un sursis
Encore quelques jours à vivre
Un répit
Marcel était aux anges
La nouvelle n’était pas finie au Lieu Unique
Ainsi était la vie
Marcel voulait la compléter de quelques mots
Des nouvelles sous la pluie
Inachevées
Thierry Rousse
Nantes, mardi 1er octobre 2024
« Une vie parmi des milliards »