Etre Clown ou Faire le Clown?

Etre Clown ou faire le Clown ?

Thierry Rousse Clown tO
Etre Clown ou Faire le Clown?

Décembre 2016, un ami, Christophe, m’appelle pour me demander si je peux l’aider à travailler un solo de Clown. Le Président d’une association de restauration de vieux bateaux sur le port des Sables d’Olonne lui a proposé  d’animer le « Marché de Noël des Gueux » qu’il organise sur le Parvis de l’Hôtel de Ville.

Je lui réponds : -T’aider à te faire travailler un Solo, non, mais jouer avec toi, oui !

Il y a sept ans que je n’avais pas pratiqué le clown et je ne me voyais pas compétent pour faire un travailler un Solo de clown, mais jouer avec un partenaire, oui, avec joie !

Sept années que mon nez de clown en cuir était dans son joli petit coffret en bois sculpté offert par mon professeur-guide-accompagnateur Clown, Jean-Luc Mordret. Sept années que mon nez m’attendait, qu’il attendait ce jour où je reviendrais vers lui, où je le mettrais, où il m’accompagnerait, me guiderait de nouveau vers le lieu le plus intime de moi-même, fragile et fort à la fois, ce lieu de liberté et de créativité, ce lieu de communion avec mon « je », avec cette énergie de vie qui fait repousser peu à peu mes limites, ce nez né dans un monde où il a tout à découvrir, voir, toucher, sentir, explorer, ressentir, expérimenter, rencontrer, où le champ des possibles s’ouvre à lui.

Quelle heureuse opportunité qui m’était offerte !

C’est alors que les questions, les doutes, le désir, la peur jaillissaient, se croisaient, bouillonnaient dans mon cerveau.

Est-ce que je retrouverais mon clown ?

Où est mon clown, quelque part caché, enfoui en moi ?

Ai-je vraiment trouvé mon clown ?

Quatre année de pratique de clown épisodique, est-ce vraiment suffisant pour trouver mon clown ?

Existe-t-il une durée nécessaire pour trouver mon clown ? Un certificat d’authenticité délivré par une Haute Autorité Officielle, agréée qui me déclare : « Ca y est, tu es clown ! ».

Qu’est-ce qu’être clown ?

Suis-je clown ?

Au fond, je l’ignore, je ne le sais pas vraiment, peut-être oui, peut-être non, peut-être ai-je frôlé mon clown, puis je l’ai perdu, puis retrouvé, puis reperdu, peut-être ai-je trouvé un petit bout de clown, puis un autre petit bout, des bribes de mon clown, « mon » clown, qu’est-ce que j’en sais que si c’est « mon » clown, qu’est-ce qui me permet de dire que c’est « mon » clown, c’est peut-être le clown d’un autre, de qui ?

Voici qu’à force de réfléchir, tout s’embrouillait, je me perdais, il est peut-être là le clown, quand tout s’embrouille, dans cet imbroglio d’un fil qui à force de le repasser en-dessous, au-dessus, à droite, à gauche, finit par s’emmêler, un imbroglio de fils issu d’un seul fil. Le clown a l’art de se mettre lui-même dans une situation confuse, périlleuse dont il nous paraît de plus en plus difficile pour lui qu’il s’en sorte. Le jeu du clown est alors de trouver une solution : comment vais-je me sortir de tout ça ? Par quel bout tirer ? Plus je veux m’en sortir, plus je me crée de nouveaux obstacles sans le vouloir.

« Sans le vouloir », c’est peut-être là un autre aspect du clown : rien n’est réfléchi à l’avance, rien n’est intentionnel, calculé à l’avance, tout se vit dans l’instant présent. Accueillir l’instant présent, être au plus proche de ce que je vis, de ce que je ressens dans l’instant présent.

J’en étais là de mes pensées, me raccrocher à ce que  Jean-Luc Mordret m’avait transmis, à ce que j’avais expérimenté dans des improvisations, des jeux, des duos, des solos…

J’en étais là à vouloir retrouver la recette pour être clown, être clown pour pouvoir faire clown, car comment faire le clown si je ne suis pas clown ?

Je peux très bien faire du vélo sans être cycliste, c’est le fait de faire du vélo qui fait de moi un cycliste, quelque soit mon niveau.

En est-il de même du clown ? Est-ce en faisant le clown que je suis clown ?

Serait-ce acquis une bonne fois pour toutes en moi, comme le fait de faire du vélo ? Ou de conduire une voiture ? Ou de marcher ?

Y-a-t-il des savoir-faire qui s’oublient comme une langue étrangère que je finis par oublier si je ne la pratique pas régulièrement ?

J’en étais là à chercher dans ma mémoire tout ce que nous faisions en atelier, nos exercices, tout ce que nous disait Jean-Luc, je ne me souvenais pas de tout, certaines choses revenaient par-ci, par-là.

Un genre de puzzle avec des pièces éparpillées, des pièces peu à peu qui se rassemblaient et des pièces manquantes.

Tant que je restais dans le cérébral, dans mon intellect, cela donnait ce genre de puzzle incomplet, pas de quoi être vraiment clown.

Cherchais-je vraiment « mon » clown là il logeait ? Pas vraiment.

Mon clown est dans mon corps, non dans mon intellect, dans ce que je vis, non dans ce que je pense, ou plutôt dans cette relation entre les deux, dans ce que je vis et dans ce que je pense de ce que je vis quand je le donne à voir aux autres qui me regardent et que je suis à l’affût de leurs réactions.

Bref, tout cela a l’air bien compliqué, trop compliqué pour le clown, comme s’il était compliqué de vivre, d’être tout simplement. A cette complexité, le clown répond par le jeu, s’arrête, écoute ce qu’il ressent, interroge le public, reprend son jeu en intégrant ces nouvelles données.

Là encore j’étais loin du clown tant que je n’ouvrais pas ma petite boite et que je ne mettais pas mon nez, ce passage sacré, ce rituel tel que nous l’avait enseigné Jean-Luc.

Me tourner dos au public, me connecter à moi-même, dans une profonde et intime écoute, respirer, faire le vide en moi, me laisser guider par ce nez que je pose sur la partie que je ne vois pas de moi, accueillir cette nouvelle présence, ce nouvel élément, cet autre-moi que je vois, entrer en relation avec cet autre-moi, faire connaissance, nous apprivoiser l’un et l’autre, nous découvrir lentement, me retourner, et découvrir tous deux l’autre, les autres qui nous regardent, l’espace, les objets, les bruits, les odeurs, les sensations, ce lieu où tout devient jeu d’exploration, d’expérimentation, de voyages, d’aventures, approfondir, creuser.

J’en étais là face à la réponse qui m’était posée, face à une certaine urgence, répondre à une commande, monter un spectacle en quelques jours, une animation pour un marché de Noël, animer, faire rire,  apporter un peu de rêve à l’approche d’un Noël terni à par le contexte des attentats, du chômage, de la misère, du réchauffement climatique, des guerres, des exodes forcés…

« Faites-nous rire ! ». Le clown qui fait rire, le clown qui amuse par quelques gags, quelques astuces dont lui seul connaît la recette, le clown qui vient sauver l’humanité d’une situation morose, catastrophique, désespérée, le clown qui apporte un peu d’humanité, de tendresse… Mettre un nez et faire rire, émouvoir, réchauffer les cœurs, ça peut marcher aussi !

J’écrivais une trame, une farce sans parole avec deux personnages, en reprenant le schéma du clown blanc et de l’auguste sur le thème de la restauration de vieux bateaux traversé par cette phrase que j’avais entendue : « Seul, on va plus vite. A deux, on va plus loin », un message, me dis-je, pour Noël comme une bouteille jetée à la mer.

J’étais passé à l’écriture, je m’éloignais sans doute du clown, je contournais l’obstacle des retrouvailles avec mon clown, la peur du vide, la peur de la page blanche.

L’écriture imposait une contrainte de jeu, une partition théâtrale. Comment le clown retrouverait sa place dans cette partition, le clown de Christophe et mon propre clown, là était tout l’enjeu.

Comment le clown s’empare d’une contrainte pour en jouer, pour exister, pour vivre dans l’instant présent de manière authentique, sincère, juste ?

Comment le clown s’amuse à faire le clown ?

Un enjeu, une problématique qui me paraissent intéressants à explorer, se frotter avec cette difficulté d’une partition, creuser plutôt qu’ajouter, l’objectif de travail était défini.

Le temps manquait hélas pour accomplir à bien ce travail.

La première présentation se fit dans l’urgence, une journée de travail à partir de cette trame et de palettes récupérées.

L’urgence peut être un bon déclic pour enclencher un travail.

Ne plus nous poser de questions, plonger, et on verra bien, le réflexe est de nager, de jouer pour nous en sortir.

Le public est là, nous regarde, le temps est pluvieux, maussade, quelques rires, certains visages sans doute surpris, perplexes de voir un tas de palettes, une bâche de chantier, une corde, deux projecteurs au milieu d’un marché de Noël et deux personnages qui se mettent à jouer une sorte de happening.

Après cet happening, vient l’heure du briefing : ce qui a fonctionné ? Ce qui a moins bien fonctionné ? Comment on a vécu cet happening ? Qu’est-ce qu’on fait ? On continue l’aventure ? On s’arrête là ? On fait une pause ? On prend un temps pour réfléchir ?

L’espace de jeu est plus petit que prévu pour jouer cette partition telle qu’elle a été pensée, mise en scène, certains artisans sur les stands nous en font gentiment la remarque.

La dernière proposition est retenue.

Une première étape a été accomplie, posée.

Marché de Noël des Gueux, sur le Parvis de l’Hôtel de Ville des Sables d’Olonne par un jour pluvieux, décembre 2016, quelques palettes récupérées pour réaliser un rêve…

« Seul, on va plus vite. A deux, on va plus loin. »

Thierry Rousse, Nantes, le 11 septembre 2017

 

 

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