Etre où un premier mai ?

 

« On demande souvent aux gens ce qu’ils ont envie de faire, mais rarement où ils ont envie d’être, pourtant le lieu est déterminant ».

Louis Meunier, « Voyage en France buissonnière » (1)

Etre où un premier mai, un premier mai où le soleil rayonnait dans tout son éclat ?

Battre le pavé et dire « j’y suis » de tout ce qui a été gagné, de tout ce qui a été perdu aussi, un certain rêve de fraternité.

« J’y suis et tout commence, j’y suis, et rien n’est fini ».

Certes, il y avait toujours des rivalités même chez ceux qui partageaient les mêmes luttes.

Certes, il y avait toujours un « moi » qui voulait exister en se différenciant des autres, un « moi » qui se protégeait de ce qu’il ignorait.

La liberté faisait peur.

Prendre en main ma vie était infini.

Il y avait la peur de l’autre, aussi, l’autre que je ne connaissais pas et que je jugeais un peu trop vite à son apparence.

Passer mon temps à classer, classer du vide au fond, le vide de l’ignorance et des préjugés.

Juger.

Il était tellement mieux d’aimer.

Plus utile sans doute.

Ce qu’il resterait de ma vie.

Certes, impuissant, j’assistais aux mots du monde qui changeaient, aux lettres qui se raccourcissaient jusqu’à ne plus être qu’une formalité, qu’une banalité.

Jusqu’à disparaître un jour définitivement.

Des amis disparus.

Un passé qu’ils voulaient oublier, un passé qu’ils regrettaient.

Comment jeter à la mer ce qui avait été si beau sur terre et sous les étoiles ?

Vivre, n’était-ce pas créer en permanence du passé, un héritage qui serait le plus beau livre des vivants ?

Ce premier mai, je le désirais loin du bitume.

Qu’importe si j’étais devenu un être banal, invisible qui se confondait aux arbres.

Ce n’était pas si mal, être un arbre.

Ou, une grenouille protégée.

Ou, quelque autre espèce insignifiante de l’autre côté d’un mur près d’une mare.

Un jardin en friche qui reprenait ses couleurs sur la marge d’un cahier où habituellement le maître corrigeait en lettres rouges les fautes vertes du jardinier.

Bien Commun, Bien Commune, bienvenue aux coeurs mis à nu, à la spontanéité d’un geste, d’un dessin.

L’enfant souriait et le temps ne comptait plus, que l’instant d’une présence.

Une fenêtre dans un mur.

Un espoir.

Un autre monde dans un autre regard.

Etre sur ce chemin un premier mai, un chemin qui n’avait rien de droit, qui aimait ces courbes entre les champs de vigne, les pâturages, les bois, les trous d’eau, les vieilles maisons, les boîtes à livres, les villages oubliés, les villages cachés où il était si doux de vivre, rien qu’un instant, et d’aimer.

Thierry Rousse,

Vertou, dimanche 1er mai 2022

« Au coeur des vignes »

  1. Louis Meunier, « Voyage en France buissonnière », édition Pocket

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