Il était venu.
Elle était venue.
Il ou elle ?
Qu’en savais-je ?
Que savais-je de son identité, de son sexe ?
La Covid ?
Le Delta ?
L’Omicron ?
Féminine ?
Masculin ?
Ou, les deux à la fois ?
Ma journée commençait par de fortes douleurs dans les jambes comme des décharges électriques.
Ce lundi matin, dans la cour de l’école,
Sur la grisaille d’un soleil éteint.
Apaiser ma douleur.
« Quelle âme aurait pour moi un dolipran ? »
Puis un appel : » Allo Thierry, j’ai été testé positif au Covid, je l’avais sans doute jeudi ».
Jeudi.
Je remontais aussitôt le temps.
Qu’avais-je fait jeudi ?
» Buvette participative dans une caravane. Espace exigû. Accolades. Embrassades. »
Je remontais encore le temps.
Trois jours avant.
Dimanche.
Qu’avais-je fait dimanche ?
» Anniversaire. Karaoké. Rires « .
« Allo, Thierry, j’ai été testé positif au Covid, je l’avais sans doute dimanche ».
Mon tour était sans doute venu.
La cloche sonnait son glas.
Et, pourtant, une seule barre en ce lundi soir.
Une seule barre rouge.
Auto-test dans ma salle de bain et de nouvelles décharges électriques au coucher.
» Vite, mon âme, aurais-tu pour moi un dolipran ? »
Je m’isolais en ce mardi, attendant sagement mon rendez-vous avec ma docteure.
Deux années que je ne l’avais pas vue, ma docteure.
Je n’étais pas malade.
Forcément.
En pleine santé.
Deux années au cours desquelles j’avais quasiment presque respecté tous les jours les gestes barrières.
Deux années, souvent, de solitude, d’isolement, de distanciation sociale, de rappels à la règle collective.
Presque aucune embrassade, aucune accolade. Presque.
Deux années hermétiques, monastiques. Presque.
Nul n’était parfait en ce monde charnel.
En ce besoin de tendresse et d’humanité.
Là, une glissade.
Un soir.
Une nuit.
L’envie d’être, l’envie de faire la fête.
Cette envie des autres.
Briser la glace d’un regard.
Serrer une main.
« Deux barres ! », m’annonçait ma docteure, « regardez, c’est direct ! ».
Direct, droit au but, le minuscule virus invisible s’était invité chez moi, dans mes buts, sans que je l’y convie.
En était-ce fini de ma vie ?
Me retrouverais-je comme ces corps retournés que j’avais vus sur BFMTV lors du premier confinement, ces morts qui avaient hanté mes nuits ?
« C’est une forme légère, me rassurait ma docteure, votre corps est en bonne santé. Vous ne devriez pas contracter une forme grave, mais on ne sait jamais; on ne sait jamais avec ce virus . . . ».
On ne savait jamais, jamais rien, de notre destin, sinon la fin.
J’attendais la fin de ma vie, ou, le début d’une nouvelle vie.
Je parlais à mon corps, je l’encourageais, je l’aimais.
Mon corps.
« Je suis guéri, je suis guéri . . . ».
Je me répétais à moi-même ces mots pour me convaincre d’être guéri, tout en buvant des verres de jus d’orange accompagnés d’une poudre de gingembre, et, en me désaltérant d’une eau du robinet que j’agitais avec foi.
Je retrouvais le torrent de la vie qui s’écoulait en moi.
La vie me remplissait de toutes ses étoiles, ma douleur disparaissait.
J’étais guéri.
Miraculé.
Roi de ma joie !
A peine trois jours pour conquérir cet hôte indésirable, produit, peut-être, de ces obscures laboratoires de la folie humaine.
Qui détenait le savoir ?
Trois jours de passion pour renaître à une nouvelle vie.
S’ensuivaient des jours et des jours de fatigue, des insomnies interminables.
A peine la force de lire quelques lignes, d’un livre à l’autre.
Quelques notes répandues sur mon carnet bleu.
A peine écrit.
Mes pensées voguaient sur les cris étouffés des nuages blancs.
Etait-ce l’effet de tout ce gingembre ingurgité ou des vacances de cet étrange invité en mon corps ?
Mon coeur palpitait du désir d’une autre vie à construire.
» Habitat, Etre, Nature « .
Trois mots qui me venaient au bord des lèvres.
Comme trois anges en un qui m’accueillaient au seuil d’un chemin, à l’orée d’un désert.
Son oassis n’était pas loin qui se reflétait au fond de son oeil, océan.
Aux pyramides imposantes qui nous écrasaient, nous divisaient, nous affaiblissaient, je préférais les cercles infinis qui nous élevaient, nous enrichissaient, les uns des autres, les uns avec les autres.
La question de l’habitat renvoyait à la question de notre vie et du sens qu’on lui donnait.
Comment mon être décidait d’habiter la nature qui l’accueillait, en harmonie avec elle.
Comment je décidais d’habiter mon corps.
Habitat nomade, ou, habitat sédentaire ?
J’habiterais dès lors la vie avec amour, avec respect, fidélité et constance, avec l’humilité des pas d’un voyageur éternel.
Le Petit Prince me souriait.
On ne voyait bien qu’avec le coeur . . . ( °)
Thierry Rousse
Nantes, Mardi 1er février 2022
« A la bonne heure »
(°) Antoine de Saint-Exupéry, in « Le Petit Prince », Gallimard.