La campagne de Léon
Dimanche 15 janvier 2023
Je me réveillais
Le ciel était bleu
J’étais vivant
Cela pouvait paraître banal et pourtant
Chaque matin
Je remerciais la vie
Lorsque j’ouvrais les yeux
Et que je réalisais
Que j’étais encore vivant
Vendredi, mon corps avait lâché
Grosse fatigue soudaine
De retour des écoles
Le vent, la pluie, le froid, le manque de sommeil
Avaient vaincu mon corps
Deux bonnes nuits de sommeil
Et toute la journée du samedi
Sous la couette
A m’affairer à un travail répétitif
Avaient permis à mon corps
De régénérer ses cellules
Mon meilleur médicament
Pour aider mon corps
Dans sa tâche
Etait de la poudre de gingembre
Mélangée à de l’eau
Ou mieux encore à du jus d’orange
Lorsque j’en avais
Du jus d’orange
Voici comment je me soignais
N’en déplaisait aux experts de l’Ordre Mondial de la Santé
Je pensais au fond
Que nous avions bien plus qu’une vie dans notre propre vie
Mais de multitudes vies
A chaque renaissance de notre corps
Chaque fois que je me réveillais
Que le ciel était bleu
Que j’ouvrais les yeux
Et que j’étais vivant
Mon premier désir était alors de marcher
Marcher
Dire « Bonjour » à Dame Nature
Que j’apercevais à travers ma large baie vitrée
Première tentative échouée
Rafale soudaine de vent et de pluie
A peine descendu sur le trottoir
Deuxième tentative, cinq minutes après, réussie
Le vent avait cette fois-ci chassé les gros nuages tout gris
Barnabé souriait
Je marchais à ses côtés
Un pied devant l’autre
Je longeais l’Hôtel de Dieu et de ses anges
Traversais les voies du tramway
Puis le large boulevard
J’entrais à l’angle de l’Atomic’s café
Dans la longue rue pavée de Kervégan
Déserte un dimanche matin à onze heures
Les sabots de Barnabé résonnaient
Je désertais un temps mon ordinateur
Je m’obligeais à une pause
Salutaire
Notre esprit avait besoin de se détendre
Se ressourcer pour mieux revenir à sa besogne
J’étais à cette époque
En pleine campagne de diffusion
La fameuse campagne de janvier
Non, ce n’était pas la campagne de Napoléon
Quoique
Mais la campagne de Léon
Envoyer les plaquettes de nos spectacles et de nos stages
Déjà dix heures de travail
Léon avait encore du pain sur la planche
Bon nombre d’adresses invalides
Des adresses, des noms aussi sans doute qui avaient changé
Au fil des vies, de tant de vies
Tout ce travail prenait un temps considérable
Rechercher des contacts
Créer des supports de communication
Les adresser avec un petit mot enchanteur
Noter les noms à qui on envoyait les plaquettes
La date
La réponse
Un temps que des compagnies disposant de peu de trésorerie
N’étaient pas en mesure de rémunérer convenablement à une chargée de diffusion
Ni à ses artistes Léons
Etre au four et au moulin
Etait notre quotidien
Vendre ce que nous jouons
Ce que nous créons
Etait notre gagne pain
Au bout était le résultat de tous nos efforts
L’essentiel était de savoir pourquoi je le faisais
Pour ces sourires, ces rires, ces applaudissements des enfants
Et des adultes
Pour ce que nous voulions transmettre aussi à travers nos spectacles
Le sens que j’y mettais était ma force
C’est ce sens qui me donnait du plaisir
A envoyer chaque courriel
A travers le ciel
Je nous voyais déjà jouer
Jusqu’en Bretagne
Dans ces campagnes éloignées
Qui me faisaient rêver
Dans mon coeur
Rue Kervégan
Entre L’instant
Du Cèdre au Palmier
De Kaboul à la Cuisina Italiana
Du Royal Indien au Boot Legger
Du Petit Marais au Tapas et Vino
De l’R de Rien au Tiki Bar
C’était toute une troupe qui battait
Le pavé
Des Léonies et des Léons qui étaient sur scène
Aux Léonies et Léons qui assuraient tout le travail
En amont, pendant, et après
Heureusement qu’apparut un jour
La Fée magicienne des Léonies et des Léons
Pour les soulager un peu
Méritant amplement ses écus
Travail administratif
Communication
Diffusion
Production
Il en restait encore
Du pain à couper
Décors
Accessoires
Costumes
Intendance
Logistique
La campagne de Léon
N’était pas un vain mot
Pas un poème
Quoique
« Pour toucher le ciel, mec !
On ne doit pas faire ce métier pour autre chose.
Pour te réaliser,
pour être qui tu es,
pour apporter sur cette terre ce que ton âme doit y apporter ! » (1)
Thierry Rousse
Nantes, dimanche 15 janvier 2023
« Une vie parmi des milliards »
(1) « Frères d’art » de Gildas Puget