Acheter le journal
Quand même
Parce qu’il fallait bien s’informer
Quand même
Depuis combien de jours
Depuis combien de mois
Marcel n’avait pas acheté le journal
Depuis qu’il avait décidé de vivre
Marcel
Vivre
Tout simplement vivre
Ecouter le vent
Caresser les pages des arbres
Lire sous leurs écorces
La douceur du monde
La douceur du monde
La douceur du monde
Et pourtant
Marcel se disait bien
Qu’il faudrait
Un jour
Qu’il rachète le journal
Au-moins savoir
Ce qu’on racontait sur le monde
Ce que des regards voulaient y voir
Sur le monde
Et nous inciter à voir
Sur le monde
Voir ce qu’ils voyaient sur le monde
Regarder ce qu’ils observaient
Sur le monde
Ce qu’ils observaient
Ce qu’ils observaient
Dans le trou de la serrure
Du monde
Du monde
Du monde
Tout autour
Marcel entendait parler d’émeutes
Immondes
Ou justifiées
Ou justifiées
Ou immondes
Tout autour de son arbre
Marcel
Explosions de vitres
Criant au meutre
Fumées noires
Vie déracinée
A bout portant
Marcel
Marcel
Marcel
Alors
Il fit le pas
Marcel
Entra dans la gare du Nord
Dans l’une de ces boutiques
Où l’on trouvait un peu de tout
Quelques souvenirs d’une ligne verte
Entre les petits biscuits Lu
Et les livres à la Une
Il y avait la presse
Les revues de papier glacé
Et les journaux de papier recyclé
Et déjà il avait envie de sortir
Dans la rue
Marcel
Etouffant
A la vue de ces titres
Plus effrayants les uns que les autres
Des guerres qui n’en finissaient pas de finir
Crises et menaces
Pénuries d’eau
Réchauffement climatique
Cataclysme d’un capitalisme obsolète
Fin de l’humanité en quête de vie
Emeutes
Emeutes
Emeutes
Prendre le journal
Ou le laisser
Trois fois
Prendre
Laisser
Prendre
Laisser
Prendre
Laisser
Quel journal
Hésitations
Feuilleter
Lire en diagonale
Repartir
Revenir
L’Humanité
Le Monde
Libération
La Croix
Revenir
Choisir le moins pire
Le moins pire des mondes
Avoir bonne conscience
Acheter
Acheter
Acheter au-moins un journal
Aujourd’hui
Un journal avec une lueur d’espoir
Que tout n’était pas fini
Non pas à cette heure de l’apéritif
Du Ricard et des olives
Pas à cette fin anticipée du trafic
Pas à cette fin anticipée du bonheur
Pas encore
Trams et bus venaient de cesser de relier les gens entre eux
Les quartiers du nord au sud
Les quartiers de l’est à l’ouest
Couvre-feu
Se séparer
S’isoler
Et Marcher
Et marcher
Et marcher
Une France en marche
Un casque sur les oreilles
Une Croix sous le bras
Il ne restait plus qu’à marcher
A Marcel
A marcher
A Marcel
C’était bon pour sa santé
Marcel
Bon pour rester vivant
Marcel
Pour prolonger un peu sa vie
Juste avant le ciel
Juste avant le ciel
Juste
Escalier roulant
Marcel emportait sa Croix
Tout près du bassin Saint-Félix
Un vendredi soir
Trente juin deux mille vingt trois
Marcel avait fini par choisir
Ce journal
Porter sa croix
Une colère qui venait de loin
Peut-être tout simplement d’un besoin d’amour
D’être reconnu
Ou connu dans un quartier
Comprendre Jérusalem, ville-monde
Qui devait payer la transition écologique ?
Au-dessus des lois
Entre le coq et l’âne
Marcel ouvrirait son journal
Sur le comptoir d’un bar
En buvant un Ricard
Histoire d’oublier ce qu’il lisait
Et de songer aux cigales
Des olives qu’il aurait désiré cueillir
Ces festins qu’il célébrait avec elle
Sa Fanfan
De délicieux banquets
Face à un jardin fleuri de roses
Au bord d’une rivière
Bucolique
Le bon vieux temps
Le bon vieux temps
Le bon vieux temps
Lieu unique d’un banc
Les guerres pourtant avaient toujours existé
Les crises
Les menaces
Les pénuries
Les cris
Les nasses
Et toutes les peines
Et toutes les peines
Tout avait existé
Toutes les maladies
Toutes les fins du monde
Tous les dieux décapités
Toute l’horreur
Et l’eau tarie
Sur sa banquise
Fondue
Tout avait existé
Déjà
De ces histoires ressassées
De ces histoires ressassées
De ces histoires
Marcel avait laissé le passé
Il écoutait cette voix
A présent
Cette voix lui parler
Images qui défilaient dans sa tête
Ce qu’était le monde
Côté marée
Côté métal
Ce qu’était le monde
Le plus beau
A chaque instant
L’estuaire de tes yeux
Le plus beau
Du monde
Tes yeux
Qui ne vieillissaient pas
Tes yeux
Et la mer
Regretter de ne pas t’avoir appelée
Plus souvent
Plus souvent
Plus souvent
Regretter de ne pas t’avoir écrit
Une carte postale
Une carte postale
Une carte postale
Pour te dire
Que tu étais là
Que tu étais là
Que tu étais là
Dans mes pensées
Eloignement
Roseraie vagabonde
Parfum de nos souvenirs
Une rivière aussi large qu’un lac
Aussi paisible que le vol d’un oiseau
Aussi paisible qu’une barque sur l’eau
Nos ailes
Traçant leur chemin
Souvenis nomades
Narcisse t’a joué un tour
Narcisse t’a joué un tour
Marcel
Narcisse
Lis le journal
Lis le journal
Tourne les pages des arbres
Sous leurs écorces
Caresse la douceur du monde
Caresse la douceur du monde
Caresse
Vagabonde
Caresse . . .
Thierry Rousse
Lundi 3 juillet 2023
« Une vie parmi des milliards »