A-ca-jou
A-ca-jou, A-ca-jou
A-ca-jou, A-ca-jou
A-ca-jou
Pouvais-je encore m’émerveiller de cette chose douce
Exposant tout son éclat derrière cette vitre sans trace
Aussi élégant qu’était ce buffet immobile trônant
Au bout de l’étage du Musée de la Duchesse Anne
Aussi doré
Aussi lisse
Qu’un tronc sculpté
Quand rempli de paroles
Je connaissais maintenant sa provenance
Je connaissais avec quel argent gagné ses propriétaires nobles l’avaient acquis
Cet acajou de Saint-Domingue
Doux comme son coton
Dur comme sa canne à sucre
Parfumé comme son cacao
Excitant comme son café
Enivrant comme son tabac
Toute ces richesses enviées d’une terre cultivée
Eventrée
Violée
Pillée
O Haïti
Au profit d’armateurs abjects
Elevant leurs folies sur les entraves des esclaves
Cinq cent cinquante mille enfants, femmes, hommes d’Afrique vendus
Transportés au rang de choses étendues
Entassées dans des entreponts lugubres
Des planchers empêchant à tout jamais à ces êtres de se relever
Les asservissant aux caprices, aux vices de leurs maîtres et maîtresses
A leurs loisirs ignobles
Perçant l’oreille d’un enfant hurlant
Honte
Honte à ces armateurs
Honte à ces capitaines
Honte à ces marins
Honte à ces négociants
Honte à tous ces gens
Avocats, juges, maires
Notables de la ville
Et honte à mes oreilles si je m’émerveille encore de leurs logis
Honte à mes yeux éblouis
Si je m’émerveille de ces buffets d’acajou exposés et de bien d’autres luxes encore
Et honte à ma langue si je ne m’interroge point
Qui a vendu ces fusils aux chefs de ces tribus africaines
Pour attiser leurs batailles
Leur soif d’agrandir leur territoire
Qui a immiscé dans leur esprit celui du malin
Ces pensées maudites
Fais la guerre à tes ennemis
Ramène-les captifs jusqu’à la côte
Et vends-les pour des colliers de kori
Vends-les à ce capitaine du Marie-Séraphique à qui tu dois ces armes
Ferme les poings sur le dernier voyage des innocents
Tes paumes couvertes de sang
Des mains d’oeuvre dociles
O Nantes dégoulinante
De l’Afrique aux Antilles
Ton histoire t’alourdit
Comment pourras-tu t’en défaire
Dans les brumes de la bière
Les liesses de la fête
Sinon en réparant tes crimes
En étant ce port d’accueil
De bienveillance et de tendresse
Dénonçant toute injustice
Toute maltraitance
Toute possession des corps et des âmes
O Nantes émue
O Nantes nue
Voici ton chemin
Tes hôtels bourgeois s’effondrent
Engloutis
Aspirés
Des lois de travers
Des pas de côté
Pour laisser place aux jardins
Rien qu’aux jardins
Aux fontaines d’amour
Un baiser sur ta joue
Acajou
A-ca-jou, A-ca-jou
A-ca-jou, A-ca-jou
A-ca-jou
Enfant de Saint-Domingue
Braises d’espérance
Feu de révolte
Cris d’égalité
De liberté
De fraternité
O Nantes la passionnée
Ta main dans la mienne
Marchons
Chantons
Dansons
Aimons !
Thierry Rousse
Nantes, mercredi 10 mai 2023
« Une vie parmi des milliards »
10 mai, journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions