J’avais découvert le conte par l’intermédiaire d’une amie, Mireille, il y a vingt trois ans. Mireille m’avait invité à des contées à la Maison du Conte de Chevilly-Larue. Je suis revenu au conte dix années après pour en approfondir sa connaissance et m’exercer à cet art de la parole à travers deux stages, l’un animé par Geneviève Bayle-Labouré, le second par Abbi Patrix. Je me sentais attiré par les histoires et la capacité qu’une conteuse, qu’un conteur avait de les rendre vivantes en nous les transmettant sans décor, sans costume, sans accessoire à part un instrument de musique pour certain-e-s. Elle, il nous transmettait ces histoires par sa propre voix, son corps, son regard, son souffle, par ce qu’elle, qu’il, était, sa propre nature, son énergie. Je voyais chez le conteur, la conteuse, un-e sage, un-e visionnaire, un-e prophète, une personne, en tout cas, généreuse, qui me voulait du bien, qui savait rencontrer mon regard, me traverser, me toucher, qui me connaissait d’un regard, l’instant d’une rencontre.
Certes, je découvrais une variété de manière de conter. Il y avait le conte qui était davantage joué, théâtralisé pour les enfants, et le conte pour les adultes, davantage narré. Un point commun étaient le rythme, l’engagement corporel, la musicalité.
Il y avait les contes du répertoire traditionnel et les contes inventés. Les enfants étaient captivés lorsque Boris jouait son conte « Le papillon qui ne savait pas voler » tout en faisant participer les enfants.
Les conteurs qui se revendiquaient être de « véritables conteurs », a contrario des autres qui se disaient « conteurs » mais qui ne l’étaient pas à leurs yeux, ne pouvaient pas dissocier le conte de son patrimoine originel, toutes ces histoires colportées de bouche à oreille, depuis l’apparition de l’humanité, et rassemblées dans de précieux recueils avec leurs nombreuses variantes. Un conteur se devait d’en connaître une bonne partie, d’en connaître leur sens, souvent caché, d’être habité par ces contes, nourri de ces contes, et d’enrichir chaque jour sa besace de contes. Découvrir tous ces contes me fascinait, j’en lisais un bon nombre, les contes collectés et écrits par Perrault, Grimm, Henri Gougault, les facéties de Nasreddin, les Mille et Une Nuit, les contes de sagesse… Certes, dès que le conte était écrit, il n’était plus à proprement parlé un conte. Le conte appartenait à l’oralité. Lorsqu’il entrait dans la littérature, son propos était souvent dénaturé. Lire un conte, apprendre par coeur un conte écrit, ce n’était plus conter. On basculait dans les registres de la lecture à haute voix et du théâtre. Le conte et le théâtre ne faisait pas bon ménage. Les conteurs, avaient besoin, sans doute, pour faire reconnaître leur art à part entière de dénoncer les comédiens qui s’accaparaient un conte pour le lire, le raconter, le jouer, ces comédiens attirés par le conte qui voyaient dans celui-ci, pour certains, l’opportunité d’élargir leur palette de propositions.
Naissait-on conteur ? Le devenait-on ? Un peu des deux sans doute.
Le griot africain me fascinait par sa capacité de rendre vivant un conte, de l’incarner, par son énergie, son rythme, sa musicalité, sa transformation physique. Il entrait en transe, habité littéralement par le conte dont il accouchait.
Le duo de Mouv’L’OReille, composé d’Ariel, conteuse, et de Bérangère, musicienne, m’amusait et me séduisait par son art de détourner les contes afin d’en retrouver leur sens originel. J’aimais ce côté « provocateur », « rock », à la manière d’un Hubert-Félix Thiéfaine, conteur à sa façon, à travers la chanson.
Patrick Rigault, que j’avais invité au festival « Rencontres au Théâtre des Cinq Sens », me captivait par ses récits des Mille et Une Nuits qu’il savait si bien nous faire entendre, voir, sentir, goûter, ressentir.
Mon problème avec les contes du patrimoine était que je ne comprenais pas tout. A un moment donné, l’histoire se compliquait et je perdais le fil. Peu importe, me disait-on, de ne pas tout comprendre aux contes, ils font leur chemin inconscient en toi, ils te guérissent. .Je ne parvenais pas à me sentir traversé par un conte si je n’en comprenais pas le sens, même si je lâchais prise et laissais mon inconscient prendre le relais. Me manquait-il les clefs pour entrer dans cet univers ? Les codes ? Le langage ? Les symboliques ? Le rite d’initiation ?
Je découvrais la complexité du conte, l’architecture propre à chaque genre : les contes merveilleux, les légendes, les contes étiologiques, les randonnées, les contes mythologiques,fantastiques, d’avertissement, de sagesse, les récits de mensonge, les fables… Propp mettait en lumière la structure immuable des contes merveilleux : une situation initiale, une perturbation, la quête (le héros qui va résoudre cette perturbation), la situation finale (toujours heureuse).
Pour être reconnu « conteur », je devais inévitablement passer par cet initiation, cette connaissance des contes, de leur structure et de leurs messages codés.
Tout ce long chemin restait à parcourir. J’aimais écrire des histoires, et interpréter un personnage qui racontait ces histoires, un personnage qui révélait, certes, une partie de moi, mais qui restait, malgré tout, un personnage. A ce titre, j’étais classé dans la catégorie « Théâtre » et non « Conte ».
Certains disaient qu’on pouvait être conteur et raconter des histoires actuelles, collectées, pourvu qu’on s’appuyait sur la structure du conte.
Conte ou théâtre ?
Au contact du metteur en scène Sébastien Vuillot, je fis évoluer mon spectacle « Mon Pote Agé » vers le conte. Je quittais le personnage de Barnabé le Jardinier que j’incarnais pour être moi, Thierry, qui raconte cette histoire. Ce changement de position me fit accéder, soudain, à une très grande liberté et une clarté de l’histoire. Je replaçais Barnabé comme personnage dans l’histoire, l’enfant Théo et les autres personnages évoqués. Je pouvais, grâce à ce changement de position, être en prise directe avec mes auditeurs, et leur transmettre cette histoire. Il me restait à demeurer dans l’oralité, cette oralité qui avait été à la genèse de mon récit, chose plus difficile quand les mots commençaient à se poser sur le papier… Le danger de glisser vers le théâtre, l’interprétation d’un texte était très présent. Chose ardue également, lorsque dans ce récit, j’y introduisais des passages dialogués et une scène de théâtre à la fin du récit.
Conte et théâtre, font-ils bon ménage ? La question reste posée… Une aventure à suivre !
Thierry Rousse,
Nantes,
20 novembre 2020
« Le théâtre et le conte font-ils bon ménage ? (1) »