Le pass poétique du faire ailleurs

 

Il était là, assis sur un tabouret. Balaise le gars. De gros muscles tatoués. Le genre rebelle qu’on n’embête pas. Le genre qui trace sa vie comme il l’entend. Tend à ce qu’il désire. Assis sur un tabouret, là, à cette heure, le métalleux du Ferrailleur de l’Hangar à Bananes. Moi, je contournais son tabouret et m’approchais à pas de loup de son bar. « Votre pass, vous avez votre pass ?  » m’interpella alors le gars balaise aux gros muscles insoumis juste derrière mon dos. Je me retournais, un silence, un regard, un vide entre nous, je compris, et fis demi tour ailleurs vers l’air libre de l’estuaire. Le vent du large soufflait dans mes yeux.

Ecouter un concert de Métal à la terrasse du Ferrailleur à l’heure de l’apéro, au bord de la Loire, un samedi soir, ça pouvait soulager, faire du bien. Un rock puissant qui vous pénètre. Le genre de musique et de mots qui se moque des lois, les conteste, les renverse. Et pourtant. Ne pouvaient boire un verre à cette terrasse et être assis que les titulaires d’un pass partout. Je restais tout au bout, debout. Encore debout. Eloigné. A la main, le verre de mes derniers espoirs brisés. Mon coeur saignait.

Plus rien ne me semblait cohérent dans cette société. Les gros muscles tatoués m’apparaissaient vides de tout sens, hormis l’apparence, quelques délices illusoires. Je voyais les têtes métalliques hochant les unes après les autres soumises au Roi Soleil. Les deux chanteurs et musiciens aux longs cheveux hirsutes de Toulouse la ville rose antique avaient beau chanter leur révolte, tout sonnait faux à cette terrasse gardée par le gars balaise au tabouret bien raide. Le Roi omniprésent jetait un divertissement à ses captifs heureux, un semblant d’anarchie pour leur faire croire qu’ils étaient toujours libres de leurs actes.

Mascarade. Hypocrisie. Manipulation. L’élite minoritaire gouvernait les masses à la carotte, savait ce qu’elles désiraient, agitait leurs besoins comme un sucre qu’on montre à son chien.

Gens des masses, il nous restait à faire les beaux, être dociles pour obtenir ce que nous aimions, ce qui réjouissait nos sens à l’heure de l’apéro. Accepter cette piqûre pour obtenir ce pass partout, ce Graal qui nous ouvrait les portes de la liberté et des réjouissances, nous protégeait d’un mal engendré par la folie des laboratoires, ces laboratoires qui fabriquaient la maladie puis son remède.

Mon corps criait au crime de sa nature.

A l’entrée, pourtant, étrangement, du Centre Commercial Moche Lieu, nul pass partout n’était demandé. Tout était permis à nos envies quand il s’agissait d’enrichir le Roi et sa Cour.

Il me restait un point d’interrogation au bout de  cette île.

Prendre le bateau d’un pass poétique.

Faire ailleurs.

Etre ailleurs, sur une butte.

Fuir l’absurdité, les mensonges, le matraquage des consciences.

Retrouver un sens à ma vie.

Une vérité.

Sur le tronc d’un arbre.

Thierry Rousse

Nantes, samedi 25 septembre 2021

« A la quête du bonheur ».

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *